HEUREUSEMENT POUR LES GRECS, ILS N'ONT AUCUNE SOLUTION
Les Grecs ont donné par le référendum du 5 juillet 2014 une belle leçon de liberté appelée à passer dans l'histoire.
Il est pourtant clair que le problème qui se posait à eux avant se pose toujours après.
Mais ce problème n'est pas , contrairement à ce que disent la plupart des commentateurs, celui de la dette . Tout simplement parce que , quelles que soient les dispositions qui seront prises , cette dette ne sera pas remboursée. Comment faire payer quelqu'un dont les poches sont vides ? Avec tous les moyens de pressions du monde, qui le pourrait ? D'ailleurs ce n'est pas la dette elle-même qui était l'objet du désaccord, mais plutôt les réformes que les créanciers européens exigent en échange d'une remise partielle , dont rien ne prouve d'ailleurs qu'elles amélioreraient d'aucune manière la capacité de remboursement de la Grèce .
Si la Grèce ne paye pas, qui payera ? Les contribuables, dit-on. Est-ce si sûr ? La Grèce doit 300 milliards d'euros, la France 2 100 milliards et les Etats-Unis 18 000 milliards. Qui remboursera jamais la dette américaine ? La banque centrale européenne, en violation de ses statuts, a décidé d'acheter des titres de dette publique, c'est à dire à faire marcher la planche à billets. Pourquoi pas au bénéfice de la Grèce ? De toutes les façons, la Grèce ne payera pas.
La remise de la dette grecque n'ira pas de soi . L'Allemagne n'en veut pas. L'Espagne , le Portugal et l'Irlande non plus : ils ont fait, eux, croient-ils, sans rechigner, les efforts que la Grèce refuse. Au Conseil d'administration du FMI, des pays du tiers monde diront que jamais cette institution n'a prêté autant qu'aux Grecs et que jamais elle n'a consenti de tels abandons de créances.
Mais admettons que la dette grecque soit remise en tout ou en grande partie. A supposer même que, par un surcroit de mansuétude, les créanciers, prêtent en plus ce qu'il faut aujourd'hui à la Grèce pour réamorcer la pompe budgétaire et financière, rien ne serait résolu. Dans trois mois, dans six mois, elle serait nouveau en cessation de paiements. La Grèce qui n'a pas été en mesure de rembourser ce qu'on lui a prêté dans le passé ne pourra pas davantage rembourser ce qu'on lui prêterait demain. Et son économie restera en panne.
Car le problème, l'unique problème de la Grèce est celui de sa compétitivité. La compétitivité , ce n'est pas l'état technique, la qualité de la main d'œuvre , la gouvernance publique, car même les pays où rien de cela ne va trouvent un niveau de change de leur monnaie qui leur permet de vendre encore certains de leurs produits. Grâce aux différentiels monétaires, le commerce mondial n'est pas , heureusement, réservé aux Etats parfaits, ni même aux Etats le plus avancés. Les autres pays commercent aussi à condition de vendre à bon marché et donc d'avoir une monnaie elle aussi bon marché, ce que n'a pas aujourd'hui la Grèce.
La valeur d'une monnaie , c'est le prix moyen auquel un pays vend ses produits. S'il a une monnaie forte, il vend cher; s'il a une monnaie dévaluée il vend bon marché . Or l'euro est une monnaie forte . Une monnaie forte pour un pays faible, voilà le problème , le seul problème de la Grèce vis à vis de ses partenaires .
Les Grecs sont même obligés d'acheter les olives, dit-on. Mais ce n'est nullement par fainéantise , c'est le niveau de leur monnaie qui rend les olives grecques plus chères que les olives importées.
La variable oubliée
L' état technique du pays n'a pas fondamentalement changé depuis quinze ans. Mais le niveau des prix dépend aussi de l'inflation des coûts , d'abord des salaires . Or la dérive des coûts en Grèce a été plus grande que chez tous ses partenaires, notamment l'Allemagne.
Les créateurs de la monnaie unique ont tenu cette variable, le différentiel d'inflation entre le pays , pour négligeable . Ils pensaient qu'avec un petit effort, tout le pays pouvaient être ramenés sur la même ligne. Ce fut là leur grande erreur.
La propension relative à l' inflation d'un pays, qui est le principal critère par rapport auquel la Grèce a péché, ne se détermine pas a priori, elle n'est pas non plus une affaire de vertu , elle est la variable d'ajustement nécessaire pour maintenir la cohésion sociale . La cohésion d'un pays est chose très profonde dont les conditions ne se changent pas en un jour. Pour certains pays, la cohésion peut être maintenue avec une inflation faible, pour d'autres , il faut une inflation plus forte : c'est le cas de la Grèce et à un moindre degré des autres pays méditerranéens ; ils ne sont pas plus paresseux que les autres mais ont peut-être le sang plus chaud !
Avoir oublié cette variable est un péché contre l'esprit de la part de ceux qui ont conçu l'euro et qui aujourd'hui s'acharnent à le maintenir en vie, un péché d'autant plus impardonnable qu'il s'agit généralement de gens imbus de leur supériorité intellectuelle. Bien à tort puisque ils raisonnent faux. Dans n'importe quelle discipline, il suffit d'oublier une variable pour avoir tout faux. C'est le cas.
Faute de connaître cette variable , ces gens se sont enfermés dans un moralisme stupide se contentant de noter les différents pays en fonction de leur plus ou moins grande vertu monétaire. Et dans la plupart des discours entendus ces jours ci contre la Grèce, revient cette idée morale .
Pas plus que les Grecs ne sont des fainéants , ils ne sont des forbans ne voulant pas rembourser ce qu'ils doivent, car pour rembourser, il leur faut des excédents, et ils n'en ont pas parce qu'il ont une monnaie trop forte pour eux, que donc ils ne sont plus compétitifs en rien et ne peuvent rien vendre.
Morale pour morale, les défauts des Grecs, qui sont certains , sont moins graves que l'incroyable incompétence économique que laissent transparaitre ces jours ci à tout but de champ , les hommes politiques et les médias européens quand ils abordent ce sujet.
Les derniers remèdes que l'on propose pour éviter à la Grèce de sortir de l'euro sont largement illusoires . Le principal est la déflation ou dévaluation interne: au lieu de changer le cours de sa monnaie, le pays baisse tous les prix et salaires pour les rendre compétitifs. C'est déjà ce qui est imposé à la Grèce depuis cinq ans : on voit l'inefficacité de cette méthode ; elle entraine le pays dans une spirale dépressive sans fin , alors qu'une inflation modérée créerait au contraire une euphorie favorable à la croissance. Elle rencontre aussi une limite sociale que le référendum grec exprime. On prétend que cette méthode a réussi à l'Espagne et au Portugal : mais eux aussi ont plongé dans la dépression et les peuples de ces pays n'ont pas encore dit leur dernier mot.
Variante de cette méthode déflationniste, il faudrait , dit-on, un "véritable gouvernement économique de la zone euro". Mais mesure-t-on ce que cela implique ? Rien de moins qu'une gestion beaucoup plus brutale des problèmes "régionaux" , telle celle des Etats-Unis laissant en 1928 des milliers d'agriculteurs ruinés quitter l'Oklahoma pour la Californie ( évènement qui fit l'objet du célèbre roman de John Steinbeck, Les raisins de la colère ). On ne gouverne pas de loin avec des pincettes ! A moins que l'on n'accompagne cette gestion brutale de transferts massifs des Etats riches vers les Etats pauvres, comme en France du Bassin parisien vers le Massif central ou l'Outre-mer , mais l'Allemagne a assez dit qu'elle ne voulait en aucun cas de cette solidarité qui d'ailleurs se traduirait par une discutable plongée de régions entières dans l'assistance.
Pour conclure : non, il n'est aucune autre solution au problème de la Grèce que la sortie de l'euro.
Seul le rétablissement rapide de la compétitivité-prix par une monnaie dévaluée - c'est à dire ramenée à un taux réaliste - permettra une relance rapide de l'économie grecque . Dans moins d 'un an , la Grèce sera capable de redevenir excédentaire et même de rembourser un peu de sa dette !
Imaginons une agence de voyages qui vend 800 € un séjour en Grèce qui lui en coûte 600 et a donc 200 € de bénéfice. Si la Grèce sort de l'euro et si le séjour est toujours vendu 800 € - et peut-être moins - il coûtera à l'agence 400 € et lui en rapportera 400 . Son bénéfice doublant, elle aura tout intérêt à multiplier les visiteurs .
Le pire pour les Grecs serait aujourd'hui un nième compromis visant à "sauver" la Grèce - ou plutôt à la maintenir dans l'euro. Aucun problème n'étant réglé, la substance économique de ce pays continuerait à dépérir. Jusqu'où ?
Impossible économiquement , le maintien de la Grèce dans l'euro n'en constitue pas moins un risque systémique pour l'euro lui-même et peut-être , au-delà, pour l'ensemble de la construction européenne. C'est toute la crédibilité des dirigeants politiques et économiques de Europe qui se joue là. La puissance des intérêts , en Europe et ailleurs, attachés au système actuel laisse supposer qu'ils ne laisseront pas partir la Grèce facilement. C'est l'absurdité du projet de monnaie unique qui a entrainé l'Europe dans cet impossible dilemme, dont la Grèce n'est qu'un révélateur. Au départ de l'euro , il y a la volonté , typiquement idéologique de forcer la nature des choses. Peut-on la forcer encore ? Face à ce dilemme on comprend l'exaspération des partisans de l'euro lesquels ont du mal à accepter que sa survie soit liée au sort d'un pays qui ne représente que 2 % de l'économie de la zone. Ignorant ce qu'est un mécanisme idéologique, ils le prennent mal : Alain Minc propose , pour éviter l'effondrement de tout l'édifice, d'envoyer une canonnière, d'imposer à la Grèce un gouvernement étranger qui vende les biens du clergé pour payer la dette, comme on l'avait fait 1789 . Ira-t-on jusque là ? Heureusement que Tsipras a rencontré deux fois Poutine au cours des derniers mois ! Il y plutôt à parier que l'on sauve la face en maintenant une situation ambigüe où la Grèce resterait théoriquement dans l'euro pour les transactions externes et lancerait une monnaie parallèle à usage interne.
En tous cas, la pire des choses qui pourrait arriver à la Grèce serait que l'on trouve une solution à son problème de maintien dans l'euro. Heureusement, c'est impossible.
Roland HUREAUX