UN TERRORISME NI BARBARE, NI AVEUGLE, NI INCOMPREHENSIBLE
Le souci de se trouver en phase avec des évènements liés au terrorisme, qui ont stupéfié beaucoup de nos compatriotes, doit-il conduire à une escalade de qualificatifs emphatiques qui n'ont pas le seul inconvénient de la répétition, voire de la trivialité, mais aussi celui d’induire en erreur sur la véritable nature du phénomène en cause ?
Ni barbare
A peu près tous les éditoriaux nous ont dit ainsi que les attentats de Nice et de Saint Nicolas du Rouvray étaient « barbares ». Pitié pour les barbares qui méritent mieux que ça ! Au moins ceux de l'Antiquité, les vrais. Le mot signifiait pour les Grecs, des hommes qui balbutiaient, c'est-à-dire qu'ils ne parlaient pas le grec, ni plus tard le latin. Aux Ve et VIe siècle de notre ère, ces hommes, Germains ou Asiates, venus du Nord et de l’Est, se sont jetés sur l'Empire romain moribond parce que, refroidissement climatique oblige, ils n’arrivaient plus à vivre chez eux. Ils en ont alors occupé la partie occidentale. Mais quand ces barbares se jetaient sur une ville, il ne ne se livraient pas à des violences gratuites, ils pillaient les biens (le vase de Soissons !), ils violaient les femmes et même ils s’appropriaient les terres. Rien qui, d'une certaine manière, ne sorte des bornes de la nature humaine ordinaire.
II est vrai que côté Sud, au VIIe siècles sont venus d'autres barbares, les Arabes du désert, dont les motivations de base n'étaient guère différentes mais qui en avaient une de plus : répandre l'islam. La fureur des combats passés, ils imposaient aux adeptes des religions vaincues le statut de d’imamis, c'est à dire de protégés et les contraignaient à payer un impôt spécial. Très vite, le zèle religieux se refroidissant, beaucoup de ces nouveaux maîtres ont préféré freiner la conversion des peuples conquis pour préserver les rentrées fiscales.
Ni aveugle
On nous dit aussi que le terrorisme est "aveugle". Il est vrai qu’il suppose des dommages collatéraux importants. Ainsi à Nice près du tiers des victimes de la promenade des Anglais étaye, dit-on, des musulmans. Les dommages collatéraux, frappant la population civile, les Occidentaux connaissent : 20 000 civils en Yougoslavie, 500 000 en Irak, 160 000 en Libye. Les terroristes n'ont pas été les seuls à frapper en aveugles. Pourtant les terroristes - ou leurs commanditaires - ont visé chaque fois des cibles hautement significatives : un journal jugé blasphémateur (Charlie), un lieu d'amusement populaire jugé satanique (le Bataclan), la République elle-même (le 14 juillet à Nice) puis l’Eglise catholique. Le terrorisme est, on le voit, tout sauf aveugle.
Il est vrai qu'on nous dit généralement que le meurtrier est un forcené, un déséquilibré, quitte à se raviser ensuite. Les forcenés, les vrais, oui, sont aveugles mais la vague de terrorisme que nous connaissons aujourd'hui n'est pas, pour l’essentiel, le fait de forcenés.
Par-delà la haine, l'idéologie
Autre lieu commun : les tueurs seraient mus par la haine la plus absolue. Nous n'avons pas eu leurs confidences puisqu’ils sont généralement morts dans les attentats. Mais depuis l'attentat de Sarajevo (1914), l'Europe a déjà une longue expérience du terrorisme. Invoquer la haine exacerbée, c'est oublier que la plupart des meurtriers auxquels nous avons affaire ne sont que des exécutants qui se sont engagés pur une cause et ont promis d'obéir aux ordres quels qu’ils soient, même au prix du sacrifice de leur vie. Rien ne dit que les tueurs de Saint Etienne du Rouvray n’avaient pas au fond d'eux-mêmes horreur de tuer un prêtre ou un vieillard. Derrière, se trouvent des commanditaires mus par une idéologie : le dessein de tuer est pour ceux-ci le terme d'une chaîne de raisonnement logique, trop logique, dont on connait les prémisses : il y a une lutte morte entre l'islam et ce qui n’est pas l'islam. Gagneront ceux qui n'auront pas peur de tuer. Choisissons donc les cibles qui auront le maximum de retentissement. S'il y a sans doute de la haine dans cette démarche à caractère idéologique, les prémisses en sont d’abord de mauvaises idées
L'idéologie, c'est deux choses : d'abord une vision simplifiée du réel qui pose les prémisses d’un raisonnement fou, mais d'un raisonnement quand même logique, ensuite la maîtrise d'un pouvoir, pouvoir d'Etat ou pouvoir sur une organisation. Hors du pouvoir, les idéologues ne sont que de doux rêveurs. Au pouvoir, ils sont le plus dangereux des hommes.
Plus que de haine, il faudrait parler de possession, dans la mesure où ceux qui entrent dans la logique idéologique, généralement terroriste, sont tenus par cette chaine de raisons à laquelle ils ne voient pas d’échappatoire. Prisonniers d'une certaine conception du monde, ils n’y voient généralement pas d'alternative sauf à changer complètement leur vision, à se convertir ou reconvertir.
Rien d'incompréhensible
Il est dès lors absurde de dire que le terrorisme est "incompréhensible". Le mécanisme idéologique tel que nous venons de le décrire n'est pas nouveau : à l’œuvre depuis longtemps, il explique en grande partie les crimes qui ont eu lieu dans les régimes totalitaires du XXe siècle lesquels dépassent largement ceux terrorisme : 40 millions de victimes en Union soviétique, 80 millions en Chine, 50 pour l'Allemagne nazie (en incluant la guerre qu’elle a provoqué) etc.
Dans tous les cas, il est faux d'imaginer que ces crimes ont été commis par des assassins mus par une haine exacerbée, comme le serait celle d’un mari jaloux ou d’un homme voulant se venger d'une offense. Ce genre de haine reste, elle aussi, dans l’ordre de la nature. Le crime idéologique est, lui, le produit d'une mécanique froide dont il n'est pas exclu que chacun de maillons déteste ce qu'il fait. Il y a des crimes individuels qui partent des tripes. Les grands crimes historiques, eux, partent d’abord d’idées folles. Haine ou racisme au départ, certes, mais que le mécanisme idéologique élève à la puissance x.
Comment ont germé ces idées folles, est une autre histoire. Mais n'oublions pas que le plus grand des péchés est l'orgueil, qui peut échauffer l'esprit hors de toute mesure.
La société ne survivra pas s’il n'y a pas des hommes et des femmes lucides, gardant en toutes circonstances une froide capacité d'analyse, pour tenter de maitriser l'irrationalité apparente des évènements. La première chose que nous devons aux victimes de ces crimes atroces (pour le coup l'épithète est justifiée mais elle ne prétend à aucune fonction explicative) est de comprendre, pas pour être "compréhensif " naturellement, mais comprendre pour combatte, combattre pour mettre un terme à ce qui s’apparente à une grave maladie intellectuelle peut-être propre à la modernité.
Roland HUREAUX