Le train de sanctions à l’encontre de la Russie voté par le Congrès des Etats-Unis fin juillet n’est pas la bonne nouvelle de l’été qui s’achève. Il comporte entre autres l’interdiction de toute transaction avec une société russe à plus d’un tiers et de nouvelles limitations aux investissements américains en Russie.
Rien dans les agissements récents de la Russie ne le justifiait. Bien au contraire, elle venait de voter les mesures prises par le Conseil de sécurité à l’encontre de la Corée du Nord. N’en sous-estimons pas la portée : c’est un pas de plus vers la guerre, au moins économique, sans marche arrière. La machine du Congrès sait prendre des sanctions, elle ne sait pas les lever. L’amendement Jackson de 1974, qui frappait l’ensemble du bloc communiste sanctionnait le refus de l’URSS d’autoriser l’émigration des juifs d’Union Soviétique vers Israël. Il a pourtant été maintenu après l’effondrement de l’Union soviétique et de 1990, et longtemps après la levée de toutes les restrictions à l’émigration des juifs. L’amendement n’a été abrogé qu’en 2012 et encore pour faire place à de nouvelles sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie sur l’autres motifs.
Le présent Trump, qui souhaitait améliorer les relations entre les États-Unis et la Russie, n’a pu s’y opposer. S’il l’avait fait, le Congrès avait une majorité suffisante pour passer outre et Trump aurait donné encore davantage prise aux accusations - dignes d’un mauvais roman d’espionnage -, selon lesquelles il aurait été élu grâce à Poutine, ce qui aurait accéléré la procédure de destitution que ses ennemis ont lancée.
Il reste que désormais il aura les mains liées dans sa politique envers la Russie. Sa volonté de détente sera inopérante. Cela était d’ailleurs l’effet recherché : autant que Poutine, Trump est la cible de cette procédure.
Ne nous fions pas à l’unanimité de la décision[1] : il est vraisemblable que beaucoup de sénateurs ou représentants hostiles à cette escalade n’aient pas osé voter contre en raison de la pression inimaginable exercée par les lobbies, les médias et cette partie de l’opinion qui seule compte, celle de l’establishment L’hystérie antirusse qui règne à Washington est sans précédent, y compris aux heures les plus sombres de la guerre froide. Alors même que Poutine, à la différence du régime communiste, n’a aucune prétention à l’empire mondial.
Une atteinte sans précédent aux intérêts de l’Europe
Cette situation a des conséquences considérables pour l’Europe. La pression qui va s’exercer sur les Européens pour qu’ils durcissent à leur tour les sanctions vont être considérables. Et s’ils y résistent, ils risquent d’être à leur tour victimes de sanctions.
Les pressions vont en particulier s’accentuer sur le projet de doublement du gazoduc Nord Stream qui passe par la Mer du Nord auquel l’Allemagne est particulièrement attachée [2]. Le Sénat des Etats-Unis a adopté en juin un projet de loi menaçant d'amendes, de restrictions bancaires et d'exclusion aux appels d'offres américains, toutes les sociétés européennes qui participeraient à la construction de gazoducs partant de Russie.
Ces pressions n’ont pas seulement un but politique : elles visent à substituer le gaz américain, pourtant plus cher, au gaz russe, dans les approvisionnements européens.
L’hégémonie américaine avait certes eu toujours un coût pour l’économie européenne : statut dérogatoire du dollar, démantèlement progressif de la politique agricole commune, amendes exorbitantes infligées à certaines banques, prises de contrôle d’industries stratégiques, mais ce coût se trouvait dilué dans la prospérité du continent .
Avec l’interdiction de l’importation de gaz russe qui se profile, Washington menace le cœur de intérêts de l’industrie européenne, particulièrement de l’industrie allemande.
L’Allemagne qui avait toujours été le meilleur relais des volontés américaines sur le continent ( y compris dans la récente crise migratoire) va-t-elle céder à cette pression ? Comment la France , chez qui les pro-allemands sont également pro-américains va-t-elle se déterminer ? Le Royaume-Uni, impliqué à travers les intérêts du groupe anglo-néerlandais Shell, mais partenaire proche des Etats-Unis et plus sensible que le reste de l’Europe au vent antirusse fera-t-il à cette occasion un choix qui l’éloignerait du continent bien davantage que le Brexit lui-même ?
Si l’Europe se soumettait passivement à la pression américaine et entrait de ce fait, elle aussi, en état de guerre économique avec la Russie, elle apporterait au monde le témoignage son inexistence. Les prochains mois vont être décisifs pour son avenir non seulement institutionnel mais économique géopolitique.
Roland HUREAUX