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Roland HUREAUX

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23 avril 2018 1 23 /04 /avril /2018 06:25

EN MARCHE VERS NULLE PART

 

Pourquoi Macron ne résoudra pas les problèmes de la France

 

Liberté politique, N°76, Février 2018

 

Comment ne pas être frappé du contraste entre les dithyrambes dont beaucoup d’observateurs ont couvert l’arrivée au pouvoir de Macron et de sa nouvelle majorité, qualifiés d’événement historique, de rupture majeure dans l’histoire de France, comparée même à 1789, avec le caractère insipide du long discours que le nouveau président a infligé aux chambres réunies en Congrès à Versailles, le 3 juillet dernier ?   Le discours de politique générale d’Edouard Philippe, nouveau premier ministre, devant l’Assemblé nationale le lendemain, quoique plus précis, était à l’avenant, dans la ligne du programme électoral de Macron.

Sans vouloir faire injure à quiconque, le discours du président faisait penser à une déclaration de la Conférence des évêques de France :  beaucoup de bons sentiments, rien que du politiquement correct et pas un mot qui tranche avec la langue de bois habituelle dans nos milieux dirigeants, n’oubliant ni le numérique, ni les handicapés[1].

Nos évêques n’auraient cependant pas fait preuve de ce cynisme froid qui inspire, entre autres, les projets de réforme de la justice. Macron    invoque haut et fort la transparence : quelle ironie de la part de quelqu’un qui n’a jamais fait la lumière sur ses opacités financières et dont le premier ministre, alors député, avait refusé, en violation de la loi, de déclarer   son patrimoine à la Haute-autorité pour la transparence de la vie publique ! 

Propos encore plus étonnant : « J’appelle à la retenue, à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d’innocence, avec cette chasse à l’homme où parfois les réputations sont détruites, et où la reconnaissance de l’innocence, des mois, des années plus tard, ne fait pas le dixième du bruit qu’avait fait la mise en accusation initiale. Cette frénésie est indigne de nous et des principes de la République. » Le président veut aussi « assurer l’indépendance pleine et entière de la justice » ; « Je souhaite que nous accomplissions enfin cette séparation de l’exécutif et du judiciaire en renforçant le rôle du Conseil supérieur de la magistrature, et en limitant l’intervention de l’exécutif dans les nominations des magistrats du parquet. »

Macron aurait-il déjà oublié qu’il n’a été élu qu’en éliminant son principal concurrent Fillon par une interférence caractérisée de la justice dans le processus électoral, dont il est sans doute, avec ses amis, le principal instigateur, en tous les cas le principal bénéficiaire, provenant elle-même d’une ingérence du pouvoir exécutif au travers du parquet financier, cela en contradiction avec les principes les plus sacrés de la République[2].  L’affaire Fillon a été en outre démesurément grossie par une presse qui ne chasse plus qu’en meute au mépris du pluralisme nécessaire à la démocratie.  Si les grands principes proclamés par Macron à Versailles avaient été appliqués un an plus tôt, il n’aurait probablement pas été élu. 

Mais laissons cela : après tout, il y a toujours eu de l’hypocrisie en tout pouvoir ; on passe   dessus quand elle accompagne un grand dessein.

Hélas, quand Macron parle d’une « transformation résolue et profonde, tranchant avec les années immobiles ou avec les années agitées », on cherche le    commencement de ce que pourrait être cette transformation.  « Nos concitoyens ont fait le choix d’un pays qui se remette en marche. » 

En marche vers quoi ?  C’est toute la question.

Il invoque la « cause de l’homme », le « progressisme » et, très étonnant de la part de celui qui est apparu comme le champion des forces nationales ou internationales les plus désireuses de dépasser le cadre hexagonal, « la souveraineté de la nation » (il évite l’adjectif nationale !), définie comme le fait de « pouvoir disposer de soi-même, malgré les contraintes et les dérèglements du monde ».

 

Des propositions institutionnelles hors de propos

 

Les seules propositions que fait Macron dans son discours de politique générale sont d’ordre institutionnel, comme si celles-là seules étaient à son niveau : beaucoup doutent cependant que les problèmes les plus graves de la France d’aujourd’hui aient un caractère   institutionnel. Il est ainsi prévu de réduire le nombre de parlementaires : qui peut croire qu’il y a là un enjeu essentiel ?  Est-ce pour faire de économies ? Non, puisque chacun aura plus de moyens.

Cette proposition est d’ailleurs fort peu en cohérence avec une affirmation ultérieure : « En faisant progressivement du mandat électif un statut, nous avons effacé ce qui en est la nature profonde : le lien avec le citoyen. »  Avec plus de moyens, le caractère statutaire du parlementaire ne sera-t-il pas renforcé ? Avec un député pour   200 000 habitants au lieu d’un pour 100 000, le rapprochera-t-on du citoyen ? Surtout s’il n’a plus aucun mandat local, ni enveloppe pour aider les communes.  La France qui a 577 députés trouve que c’est trop. L’Allemagne qui en a 709 ne le trouve pas. Le parlementarisme est visiblement plus fatigué  de ce côté-ci du Rhin [3].

Pour le reste, qui ne serait d’accord avec la formule « Sachons mettre un terme à la prolifération législative », mais il n’est pas premier à le dire.

Toujours en matière de justice, la suppression projetée de la Cour de justice de la République, irait à l’encontre d’une vieille tradition républicaine, sans faire avancer quoi que ce soit. Le chef de l’Etat, restant, lui, irresponsable et inviolable, sera désormais le seul à bénéficier d’un régime d’exception : Macroprésident ! La réduction à dix du nombre de collaborateurs des cabinets ministériels va dans le même sens.  Loin d’être révolutionnaires, ces mesures, comme toutes celles qui se trouvent ans le projet de loi « rétablissant la confiance dans l’action publique », sont proposées par les uns et par les autres depuis trente ans. Gageons que loin de rétablir la confiance, elles  auront l’effet inverse , ne serait-ce que parce qu’ elles   confortent  l’opinion dans l’idée fort peu républicaine que le monde politique est un lieu d’abus , alors que le vrai problème est ailleurs : c’est   le contenu des politiques menées, la réduction au fil des ans des   pouvoirs des assemblées, au bénéfice de Bruxelles mais aussi de multiples instances juridictionnelles,   qui font que , comme la noblesse à la fin de l’Ancien  régime, les élus nationaux donnent le sentiment  de ne plus servir  à rien.  Par cette loi démagogique, qui jette leur tête au peuple, on leur demande de consentir à leur propre abaissement et même de l’aggraver.     

En matière d’institutions locales, sujet abordé de manière très vague, le sentier battu se fait boulevard ;   est invoqué un autre poncif :  la dénonciation du centralisme : « La centralisation jacobine traduit trop souvent la peur élémentaire de perdre une part de son pouvoir. Conjurons cette peur. Osons expérimenter et déconcentrer, c’est indispensable pour les territoires ruraux comme pour les quartiers difficiles. Osons conclure avec nos territoires de vrais pactes girondins, fondés sur la confiance et sur la responsabilité. Nombre de nos territoires l’attendent. » Mais que fait-on d’autre depuis quarante ans ?  Macron ignore-il que la France est devenue un des pays les plus décentralisés d’Europe[4] ? Même quand Raffarin en avait fait, faute d’autre, la grande idée de son gouvernement, la décentralisation, venant immédiatement après le 21 avril 2002, apparaissait déjà dépassée et en tous cas très peu à la mesure des démons que l’on voulait exorciser. 

Sur ce chapitre, le premier ministre va à peine plus loin dans le détail : il propose seulement d’encourager les « communes nouvelles », dispositif destiné à forcer la réduction (bien inutile, généralement coûteuse et, au fond, inhumaine ) du nombre de communes et évoque le regroupement des départements. Il est question de réunir une conférence des territoires, gadget assez symptomatique de ceux qui n’ont pas d’idées : « je ne sais pas quoi faire, concertons-nous ». Comme en matière agricole.

Philippe dénonce aussi la supposée inertie des collectivités locales : « Les jardins à la française ont leur charme mais ils se prêtent assez peu au foisonnement d'initiatives dont le pays a besoin et auxquels les collectivités sont prêtes. Comme l'a réaffirmé le président de la République hier, nous voulons donner aux libertés locales toutes leurs forces. »  On ne sait visiblement pas en haut lieu que nos collectivités ne sont pas avares de projets    coûteux, bien au contraire, et qu’il ne faut pas chercher ailleurs la source   de ces centaines de milliers de fonctionnaires que nous avons en trop.

Seule bonne idée sur ce chapitre : « Pourquoi ne pas permettre non plus sur la base du volontariat à certaines collectivités d'exercer des compétences pour le compte d'un autre niveau comme par délégation. » Que n’a-t-on pas pensé plus tôt à cette mesure technique ?

Autre poncif assez éculé : « Nous devons substituer à l’idée d’aide sociale, à la charité publique, aux dispositifs parcellaires, une vraie politique de l’inclusion de tous. »   Lao Tseu ne disait-il pas : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours » ?    C’était déjà la grande idée du RMI devenu RSA[5] spécialement à cet effet et de la plupart des politiques sociales instaurées depuis trente ans.  Nihil novo subi sole ! Au lieu de ressasser toujours les mêmes bonnes intentions, ne vaudrait-il pas mieux chercher à comprendre pourquoi les politiques qui s’en inspiraient ont échoué et nous dire en quoi on fera mieux cette fois ? Mais le nouveau président est sans doute trop au-dessus des contingences  pour s’interroger sur ce genre de sujet ! 

 

[1] Les déclarations de Macron et Philippe n’ont même pas   l’excuse d’être un document collectif où les angles sont nécessairement arrondis.

[2] L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs (n’est pas) déterminée, n'a point de Constitution. ». L’article 13 du titre II de la loi des 16 et 24 août 1790, toujours en vigueur, dispose que : « Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratif », interdit repris par la loi du 16 fructidor an III 

La loi du 31 mars 1914 (article 110 du Code électoral) interdit la poursuite pour fait de corruption de candidats en campagne.

La loi no 82-213 du 2 mars 1982 interdit aux Chambres régionales de comptes de rendre publiques les conclusions de leurs enquêtes   dans les six mois précédant une élection.

 

 

[3] Que le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe ait récusé, à   la différence des juridictions françaises, la supériorité absolue du droit européen témoigne aussi du maintien d’un plus vif sentiment démocratique en Allemagne : étonnant renversement de l’histoire !  

[4] « La France apparaît comme le pays le plus décentralisé d’Europe, celui où le contrôle administratif est le plus faible, où la marge de manœuvre en matière d’acquisition et d’utilisation de ressources financières est la plus large et celui où les élus ont la plus grande liberté pour exercer les compétences locales » (Jacques Ziller, 1996)  

 

[5] RMI : Revenu minimum d’insertion ; RSA : revenu de solidarité active

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commentaires

N
e There is a (5) second delay between the conveyor starting and the valve opening.
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