LE BAC QUE PREPARE BLANQUER EST UNE FABRIQUE DE CONFORMISME
Le Figaro-papier
Se souvient-on encore du passage de Claude Allègre au ministère de l’Education nationale ? Il y recueillit d’emblée la sympathie de la droite par quelques formules choc comme la promesse de dégraisser le mammouth ». Non seulement il n’en fit rien, mais ce ministre profita de cette popularité factice pour poursuivre les réformes les plus nocives.
M. Blanquer, pour sa part, multiplie les petits signaux en direction de la droite éducative : retour du latin (sans rétablissement du Capes de Lettres classiques, néanmoins) , classes bilingues, redoublements autorisées, apprentissage analytique de la lecture, chorales voire uniforme à l’école. On comprend la satisfaction que suscitent ces annonces, mais il faudrait attendre de voir quelle mise en œuvre suivra avant de donner un satisfecit au ministre sur ces sujets. Reste sa réforme du bac, elle aussi bien reçue. Qu’en penser ?
Une partie du projet, au moins, est très inquiétante : l’instauration d’un grand oral « républicain » d’une demi-heure où les candidats s’exprimeraient librement sur un sujet choisi par eux deux ans plus tôt.
Le premier risque porte sur l’organisation des lycées : même s’il doit s’appuyer encore, nous dit-on, sur une « dominante », un tel oral serait la consécration des enseignements pratiques interdisciplinaires (TPE) qui se trouvaiernty au cœur dela réforme Vallaud-Belkacem. Leur effet est d’affaiblir une des qualités qui restent au corps enseignant français, celle d’être des spécialistes, pour les transformer peu à peu en animateurs interdisciplinaire . Non remise en cause à ce jour, cette orientation tend à faire de nos établissements , non plus des lieux d’apprentissage mais de simples « lieux de vie » , une évolution dont ne sont exonérées que les ZEP, à la recherche , elles, de méthodes « efficaces ».
L’autre risque est plus politique : celui d’instaurer, plus clairement encore qu’aujourd’hui, la dictature du politiquement correct au cœur de l’enseignement secondaire.
Le grand oral devant un jury, cela existe certes à l’ENA et dans beaucoup de grandes écoles – pas les plus sérieuses comme Normale ou Polytechnique, du reste. Mais à l’âge de vingt ans ou plus, les candidats ont au moins le temps de s’adapter sans y perdre leur âme, de jouer le jeu qu’on attend d’eux quitte à faire la bête. A l’adolescence, ce sera plus difficile et il n’est de toutes les façons pas souhaitable d’inciter les jeunes à jour la comédie. Ajoutons que l’exercice concernera toute une classe d’âge et non les seuls candidats à des concours.
Le formatage requis commencera dès le choix des sujets. Outre le politiquement correct et l’adaptation à l’air du temps , cette épreuve qui sera la dernière et donc particulièrement solennisée , privilégiera la confiance en soi , le culot, l’air « branché ». Elle ouvrira aussi la porte insidieusement, au motif de compenser certains handicaps, à la discrimination positive des minorités de toute sorte, qui reste une discrimination. Avec ou sans instructions, les jurys y seront conduits assez naturellement pur suivre l’air du temps.
Pour le reste, on ne peut que se louer du souci de décloisonner les séries mais sera-ce dans le sens de la simplicité ? Au lieu de trois séries, L,S et ES, la réforme, fondée sur un choix d’options aboutirait à 30 combinaisons de filières ! N’avait-on pas le moyen de revaloriser les séries L sans inventer une telle usine à gaz, en parlant par exemple de « lettres et communication », ce à quoi le ministère s’est toujours refusé ? Quelle place dans ces combinaisons pour l’histoire et la géographie, matière de culture au moins autant aujourd’hui que la littérature et la philosophie (dont l’épreuve écrite demeure, il est vrai, sans doute pour rassurer ) ou pour la seconde langue ? Les matières seront selon les élèves, tantôt des majeures, tantôt des mineures : nous souhaitons bien du plaisir aux proviseurs qui devront organiser les emplois du temps avec ça !
Est-il au demeurant judicieux, compte tenu des lacunes de plus en plus criantes de nos lycéens en culture générale, vers une spécialisation précoce alors que c’est sans doute le contraire qu’il faudrait faire : opérer une rattrapage de formation générale ( langue , orthographe notamment ) dans le premier cycle des facultés, quitte à repousser la sélection à l’entrée au second cycle.
Si les épreuves de spécialités sont remplacées par un contrôle continu anonyme, il y a peu de chances que le ministère fasse un bénéfice en termes de coût d’organisation. On sait au demeurant combien l’instauration du contrôle continu en mai 68 au sein de l’Université y avait généralisé le bachotage au détriment de la culture générale et de la liberté de l’esprit.
Comment concilier des résultats du bac connus assez tôt pour gérer l’orientation des élèves après l’examen et assez tard pour ne pas démobiliser les élèves en fin d’année ? Problème technique en apparence qui se pose dans une hypothèse de sélection généralisée et précoce : ne pourrait–on se contenter d’ organiser l’orientation pour qu’elle aille un peu plus vite ?
Le principal risque demeure que cette réforme soit une nouvelle étape dans la mise en condition de la jeunesse , et par là de la population, à une pensée unique. Après la chasse aus fake news, le formatage des esprits pr le nouveau bac ?
Roland HUREAUX
Février 2018