Des Nourritures terrestres aux Caves du Vatican
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Dans sa photo officielle, le président Macron laisse voir discrètement en arrière-plan Les nourritures terrestres d’André Gide, une profession de foi pour un hédonisme débridé inspiré de de Nietzsche, l’éloge de l’homosexualité en plus. Le personnage principal porte un nom évangélique, Nathanaël, qui, dans ce contexte, apparait quelque peu blasphématoire.
Un autre livre de Gide s’appelle Les Caves du Vatican : un aigrefin a répandu dans le milieu catholique français que le pape avait été enlevé par les francs-maçons et remplacé par un imposteur. Les fidèles sont appelés à partir en croisade pour faire libérer le vrai pape, en commençant par envoyer de l’argent à l’aigrefin. Cette pochade visait la crédulité de certains milieux catholiques dans le contexte des rudes batailles que lui imposait la République anticléricale.
C’est à ce second roman que l’on pense en apprenant que le président de la République s’est exprimé aux Bernardins devant la conférence des évêques de France. Il est question ici, sinon de crédulité, du moins de naïveté devant une rencontre sans précédent et dont on voit bien l’exploitation qu’en fera l’Elysée.
Le cynisme et la naïveté
D’abord pour conforter l’adhésion d’une partie du monde catholique au président, qui s’était déjà exprimée lors du vote présidentiel et qui pourrait, comme d’autres, elle aussi se détourner. Ensuite désamorcer par avance l’opposition que l’Eglise pourrait faire aux projets gouvernementaux de légalisation complète d’euthanasie et de procréation médicalement assistée pour femmes homosexuelles. Sur ces sujets, le president croit même utile de donner une leçon d’humilité aux évêques (pour qui se prend-t-il ?) : il ne se sont pas là, dit-il, pour faire des « injonctions », mais seulement pour apporter des « questionnements », ce qui est moins dérangeant. Macron appelle les catholiques à s’engager dans la Cité (c’est très à la mode) mais surtout pas pour dire ce qu’ils pensent. Donc pas de rappel intempestif de la loi naturelle ou de la doctrine chrétienne de tous les temps en matière bioéthique et évidemment pas de réédition de la Manif pour tous ! Les associations catholiques qui, après avoir été consultés, penseraient à résister sont d’avance catalogués, parait-il, d’ «atroces » à l’Elysée[1].
Une telle rencontre pourra en outre légitimer qu’il voie ultérieurement les imams de France, le CRIF, la Libre pensée , dans la logique communautaire qui est , on le sait, la sienne.
Il est vrai que les convergences apparentes ne manquent pas et la rhétorique présidentielle, si bien huilée mais souvent creuse, et une certaine langue de bois ecclésiastique très prisée à la Conférence des évêques de France, convergence déjà apparente dans son discours de Versailles[2]. Convergence par le bas : moraline à outrance, politiquement correct à tous les étages : accueil des immigrés, souci des exclus, des handicapés, solidarité, tout cela très bien dit grâce à une plume de qualité avec force références qui ne sont pas toutes de première main (y compris François Sureau, conseil de Fillon et de Macron durant la présidentielle : tout est dans tout !). Sur le registre humanitaire, le président n’a pas de mal à louer l’action de l’Eglise de France. Hors de question bien sûr de se demander quelle est la responsabilité de la politique économique de M. Macron dans le maintien d’un taux élevé de chômage, de la philosophie mondialiste qui est la sienne dans les « fragilités sociales » évoquées ou encore de sa politique étrangère dans l’afflux de migrants en provenance du Proche-Orient.
Que le chef de l ’Etat se rende à une assemblée de l’épiscopat français est sans précédent dans l’histoire de France. Tout fraichement baptisé, Clovis avait laissé les évêques de Gaule se réunir à Orléans sans lui. Les rois capétiens (fils aînés d’Eglise[3]) n’ont jamais présidé ou même été reçus par l’ensemble des évêques. A fortiori les présidents de la République laïque qui, à la différence de M. Macron ne faisaient pas, par rebelles islamistes interposés, la guerre aux chrétiens d’Orient mais qui, fidèles en cela à la tradition capétienne, savaient qu’il était du devoir de la France de les défendre.
Le plus catholique des chefs d’Etat contemporains, Charles de Gaulle, dont la plupart des évêques se méfiaient beaucoup plus qu’ils ne se méfient du président actuel, non seulement n’aurait jamais été invité mais aurait sans doute décliné une telle invitation. La distance respectueuse à laquelle il tenait le haut-clergé n’était pas un signe de mépris mais au contraire de l’immense déférence que lui inspirait les ministres du sacré.
Jacques Chirac, premier ministre, se vit opposer un refus quand il voulut inviter les plus notoires des évêques à déjeuner : le vent de mai 68 soufflait alors sur le clergé.
Derrière cette étrange démarche de la Conférence des évêques de France, puissance invitante au moins officiellement, qui suscite, il faut bien le dire, un certain malaise chez beaucoup de catholiques et même de non-catholiques, une nostalgie secrète du temps d’avant la Séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905. Quoiqu’ ils célèbrent souvent la laïcité, les évêques ressentent encore cette séparation comme une blessure : « le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et il nous importe de le réparer. » dit Macron. Peut-être y a-t-il de bons motifs à ces regrets, mais ce n’est pas une raison pour faire fête à un chef d’Etat qui fait mine de vouloir revenir dessus.
De Pétain à Macron
Pétain fut le premier : son projet, ouvertement antirépublicain, les mesures extrêmement favorables qu’il prit d’emblée en faveur de l’Eglise catholique suscitèrent l’adhésion unanime de l’épiscopat. Adhésion d’autant plus paradoxale que le même épiscopat avait condamné treize ans plus tôt avec une véhémence disproportionnée les idées de l’Action française, les mêmes qui inspiraient la « Révolution nationale ».
Macron est le second.
Il y a bien des affinités entre les deux : pas seulement qu’ils ont tous deux, l’officier hédoniste et le surdiplômé narcissique, négligé d’avoir des enfants. Ni leur rapport très particulier à des pouvoirs étrangers. Plus décisif : tous deux ont exploité le discrédit des partis classiques, ne se prétendant « ni de gauche ni de droite ».
Les motifs qui, dans chaque cas, ont séduit l’épiscopat se devinent assez bien : la même apparence de modération, de raison. Pétain : la sagesse paysanne à l’opposé des combinaisons politiciennes, Macron : la jeunesse, le modernisme, un vision prétendue renouvelée de l’action publique. Dans les deux cas, l’apparente dépolitisation au bénéfice de la synarchie pour le premier, de l’ énarchie pour le second. Car la politique, inséparable de la République, c’est l’affrontement ! L’un comme l’autre s’opposent aux extrémistes, aux fanatiques : les résistants gaullistes de 1940, têtes brûlées, les opposants de droite et de gauche d’aujourd’hui, jugés nauséabonds. L’un laissait espérer un plan secret pour prendre une revanche sur l’Allemagne, l’autre de réformer enfin la France en profondeur.
Le centrisme raisonnable du premier a fini dans la complicité avec le crime.
Rien ne dit que celui du second ne se terminera pas de la même manière : à peine revenu des Bernardins, ne s’agite-t-il pas sur la scène internationale pour provoquer une intervention armée de l’OTAN en Syrie, contre les intérêts les plus évidents des chrétiens d’Orient, qu’il n’a pourtant pas eu honte d’évoquer, et en prenant le risque d’une guerre mondiale ?
Il faut espérer que l’Eglise de France n’aura pas à regretter autant et si longtemps ses compromissions actuelles avec le pouvoir que celles qu’elle eut avec le régime de Vichy.
Roland HUREAUX
[1] https://www.marianne.net/politique/pma-c-est-important-pour-macron-que-meme-les-assos-catholiques-les-plus-atroces-puissent-s
[2] Liberté politique, février 2018, « En marche vers nulle part… », page 115.
[3] Les historiens rappellent que le fils ainé de l’Eglise, c’était d’ abord le roi et non la France.