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Roland HUREAUX

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23 avril 2018 1 23 /04 /avril /2018 07:52

MARIE MADELEINE DANS LE NOUVEAU TESTAMENT

 

Paru dans La France catholique, mars 2018

 

L’image  traditionnelle de Marie-Madeleine provient de l’agrégation   de trois  figures  du Nouveau Testament, seule source sérieuse sur le sujet :

  • La femme  anonyme  qualifiée de « pécheresse de la ville », qui, lors d’un repas,  met du parfum sur la tête et les pieds de Jésus et   inonde ceux-ci de ses larmes (Luc 7, 36)   ;
  • Marie, sœur de Marthe et de Lazare,  qui,  à Béthanie, se plait à écouter  Jésus, tandis que sa sœur travaille, qui assiste à la résurrection de son frère et, comme la précédente, oint la tête et les pieds de Jésus lors d’un repas;
  • Marie de Magdala qui suit,  à la tête d’autres  femmes, Jésus  en Galilée puis se trouve aux pieds de la croix et est le premier témoin de la  Résurrection.

La première et la troisième de ces femmes sont seules désignées comme d’anciennes  pécheresses. Les deux dernières s’appellent Marie. Les trois oignent le Christ  et  versent des larmes.

Saint Augustin montre qu’il s’agit de la même personne, ce qui est assez vraisemblable pour  les deux dernières. : comment imaginer que celle (Marie de Béthanie) à qui Jésus dit,  à quelques  jours de la Passion : « d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement » ne soit pas la même (Marie de Magdala) qui dirige peu après les  rites de cet ensevelissement ?  Ce parfum a coûté 300 deniers soit une année de salaire moyen et dix fois le prix de la trahison reçu par Judas. 

La conjonction de ces trois figures   ne fait pas l’unanimité : l’Eglise orthodoxe ne l’a pas adoptée, ni Bossuet ou Adrienne von Speyr. Rome ne l’impose pas. Elle seule cependant aboutit  à  un personnage riche et complexe, alors que  l’Evangile  ne nous donne   pas beaucoup d’informations sur chacune des trois  prise séparément.

C’est ce dernier parti qu’a néanmoins adopté Garth Davis,  le réalisateur de Marie-Madelaine, ne retenant apparemment  que la troisième, Marie de Magdala.  Et encore les épisodes les plus colorés la concernant ont-ils été rabotés : la possession ne fait l’objet que d’une mention déformée ;  les autres femmes qui suivaient le Christ disparaissent ; le scepticisme total  des apôtres à l’annonce de la Résurrection par Marie de Magdala est  très atténué.

Du coup, cette Marie Madeleine, ni riche, ni pécheresse repentie, se trouve   banalisée : elle a le même destin que  les autres apôtres :   une femme du peuple  qui rencontre le Christ au bord d’un lac,  est séduite par son enseignement et  part à sa suite.  Elle apparait même après la résurrection comme le vrai chef de ces apôtres, selon le vœu des théologiennes féministes américaines.  

Quoiqu’on ait du mal à reconnaitre la Palestine dans ces paysages très montagneux,  l’horreur de la répression romaine et la tension politique et sociale qui règne à Jérusalem sont   bien évoquées.  Présenter  Judas  comme un zélote déçu, plutôt sympathique  et non un cupide,   n’est pas nouveau.

Pourquoi ces apôtres ne sont-ils que six à la Cène ? Que Marie Madeleine y soit à la droite du Christ provient d’une mésinterprétation de la  Cène de Léonard de Vinci qui montre  près du Christ l’apôtre Jean avec des traits si efféminés que beaucoup le prennent  pour une femme. 

Rien d’inconvenant dans ce film qui ne reprend pas les suggestions gnostiques d’une  liaison  entre Jésus et Marie-Madelaine ; mais Jésus n’y appelle jamais Dieu son Père, même en  enseignant le Pater : une œuvre   ébionite[1] ?   

Deux panneaux à la fin du film font, l’un  grief au pape saint Grégoire le Grand (vers 600)  d’avoir fait de Madeleine une prostituée. Il s’était pourtant contenté, comme saint Augustin,  d’identifier « la pécheresse de la ville » (Luc ne dit pas  quel péché) avec les deux autres femmes[2]. L’autre fait crédit au   pape François de l’avoir  réhabilitée  comme  l’ « apôtre des apôtres » (apostola apostolorum) :   on le dit   depuis quinze siècles. Tant par rapport à l’Ecriture qu’à la tradition, les scénaristes demeurent  ainsi  très approximatifs.

Marie Madeleine a été, il est vrai, souvent tenue  pour  une  prostituée repentie,  peut-être  par confusion avec sainte Marie l’Egyptienne (IVe siècle). Vrai ou pas vrai, qu’on puisse  voir là  une accusation infâmante témoigne d’une vision bien pharisienne, aux antipodes de  l’Evangile.

 Cette histoire  simplifiée dure pourtant 1 h 50. Si le Christ, déjà âgé, ne ressemble guère au Fils de David tel qu’on se le figure, l’actrice qui  incarne Marie Madeleine est très belle et son jeu juste et émouvant.

 

Roland HUREAUX

Mars 2018

 

Roland HUREAUX a écrit Jésus et Marie-Madeleine, Perrin, 2005, collection Tempus et Gnose et gnostiques des origines à nos jours,  DDB, 2015.

    

 

[1] Les ébionites étaient une secte judéo-chrétienne  accusée d’  « appauvrir » l’Evangile , reconnaissait Jésus comme messie mais non comme Dieu.

[2]https://books.google.fr/books/about/Les_quarante_hom%C3%A9lies_ou_sermons_de_Sai.html?id=Pzlh4JftSgYC&redir_esc=y

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