MARIE MADELEINE DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
Paru dans La France catholique, mars 2018
L’image traditionnelle de Marie-Madeleine provient de l’agrégation de trois figures du Nouveau Testament, seule source sérieuse sur le sujet :
- La femme anonyme qualifiée de « pécheresse de la ville », qui, lors d’un repas, met du parfum sur la tête et les pieds de Jésus et inonde ceux-ci de ses larmes (Luc 7, 36) ;
- Marie, sœur de Marthe et de Lazare, qui, à Béthanie, se plait à écouter Jésus, tandis que sa sœur travaille, qui assiste à la résurrection de son frère et, comme la précédente, oint la tête et les pieds de Jésus lors d’un repas;
- Marie de Magdala qui suit, à la tête d’autres femmes, Jésus en Galilée puis se trouve aux pieds de la croix et est le premier témoin de la Résurrection.
La première et la troisième de ces femmes sont seules désignées comme d’anciennes pécheresses. Les deux dernières s’appellent Marie. Les trois oignent le Christ et versent des larmes.
Saint Augustin montre qu’il s’agit de la même personne, ce qui est assez vraisemblable pour les deux dernières. : comment imaginer que celle (Marie de Béthanie) à qui Jésus dit, à quelques jours de la Passion : « d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement » ne soit pas la même (Marie de Magdala) qui dirige peu après les rites de cet ensevelissement ? Ce parfum a coûté 300 deniers soit une année de salaire moyen et dix fois le prix de la trahison reçu par Judas.
La conjonction de ces trois figures ne fait pas l’unanimité : l’Eglise orthodoxe ne l’a pas adoptée, ni Bossuet ou Adrienne von Speyr. Rome ne l’impose pas. Elle seule cependant aboutit à un personnage riche et complexe, alors que l’Evangile ne nous donne pas beaucoup d’informations sur chacune des trois prise séparément.
C’est ce dernier parti qu’a néanmoins adopté Garth Davis, le réalisateur de Marie-Madelaine, ne retenant apparemment que la troisième, Marie de Magdala. Et encore les épisodes les plus colorés la concernant ont-ils été rabotés : la possession ne fait l’objet que d’une mention déformée ; les autres femmes qui suivaient le Christ disparaissent ; le scepticisme total des apôtres à l’annonce de la Résurrection par Marie de Magdala est très atténué.
Du coup, cette Marie Madeleine, ni riche, ni pécheresse repentie, se trouve banalisée : elle a le même destin que les autres apôtres : une femme du peuple qui rencontre le Christ au bord d’un lac, est séduite par son enseignement et part à sa suite. Elle apparait même après la résurrection comme le vrai chef de ces apôtres, selon le vœu des théologiennes féministes américaines.
Quoiqu’on ait du mal à reconnaitre la Palestine dans ces paysages très montagneux, l’horreur de la répression romaine et la tension politique et sociale qui règne à Jérusalem sont bien évoquées. Présenter Judas comme un zélote déçu, plutôt sympathique et non un cupide, n’est pas nouveau.
Pourquoi ces apôtres ne sont-ils que six à la Cène ? Que Marie Madeleine y soit à la droite du Christ provient d’une mésinterprétation de la Cène de Léonard de Vinci qui montre près du Christ l’apôtre Jean avec des traits si efféminés que beaucoup le prennent pour une femme.
Rien d’inconvenant dans ce film qui ne reprend pas les suggestions gnostiques d’une liaison entre Jésus et Marie-Madelaine ; mais Jésus n’y appelle jamais Dieu son Père, même en enseignant le Pater : une œuvre ébionite[1] ?
Deux panneaux à la fin du film font, l’un grief au pape saint Grégoire le Grand (vers 600) d’avoir fait de Madeleine une prostituée. Il s’était pourtant contenté, comme saint Augustin, d’identifier « la pécheresse de la ville » (Luc ne dit pas quel péché) avec les deux autres femmes[2]. L’autre fait crédit au pape François de l’avoir réhabilitée comme l’ « apôtre des apôtres » (apostola apostolorum) : on le dit depuis quinze siècles. Tant par rapport à l’Ecriture qu’à la tradition, les scénaristes demeurent ainsi très approximatifs.
Marie Madeleine a été, il est vrai, souvent tenue pour une prostituée repentie, peut-être par confusion avec sainte Marie l’Egyptienne (IVe siècle). Vrai ou pas vrai, qu’on puisse voir là une accusation infâmante témoigne d’une vision bien pharisienne, aux antipodes de l’Evangile.
Cette histoire simplifiée dure pourtant 1 h 50. Si le Christ, déjà âgé, ne ressemble guère au Fils de David tel qu’on se le figure, l’actrice qui incarne Marie Madeleine est très belle et son jeu juste et émouvant.
Roland HUREAUX
Mars 2018
Roland HUREAUX a écrit Jésus et Marie-Madeleine, Perrin, 2005, collection Tempus et Gnose et gnostiques des origines à nos jours, DDB, 2015.