TRUMP ET MACRON A L’ONU : LE PLUS FOU N’EST PAS CELUI QU’ON CROIT
A la suite du récent discours de Donald Trump à l’ONU, la presse internationale s’est déchaînée : cet homme est fou ; il veut incendier la planète, il parle de « détruire complètement » la Corée du Nord.
Le discours d’Emmanuel Macron n’a certes pas fait l’unanimité mais il n’a pas été l’objet de critiques marquées dans la presse officielle française (le reste du monde n’en a guère parlé). On l’a même comparé au discours de Villepin de 2003.
Or il se pourrait bien que le plus fou des deux ne soit pas celui qu’on croit. Malgré son ton brutal, le discours de Trump obéit à une certaine rationalité, au moins s’agissant de l’Extrême-Orient.
Trump pas si fou
Il vise d’abord à dissuader la Corée du Nord de poursuivre ses provocations voire d’envoyer un engin nucléaire aux Etats-Unis, ce qu’elle a peut-être déjà les moyens de faire.
La Corée du Nord est le dernier Etat totalitaire de la planète. Rien à voir avec la Syrie d’Assad ou l’Egypte de Sissi qui sont des dictatures classiques un peu durcies par la menace islamiste, ni naturellement la Russie où désormais les apparences– et un peu plus que les apparences - de la démocratie pluraliste sont sauves. Le cas de la Chine est plus ambigu. Vivant depuis 80 ans isolé et encerclé, le régime de Pyongyang est particulièrement imprévisible. Ce n’est pas sans raison que Trump l’a dans le collimateur.
A cette logique internationale, le président américain ajoute la nécessité de passer pour un dur face à l’administration et le Congrès des Etats-Unis qui n’ont jamais accepté son élection et vivent dans un état d’exaltation nationaliste sans précédent dans l’histoire américaine. Les médias et une partie d’opinion partagent le même état d’esprit. En considérant que la Chine est à terme un adversaire plus dangereux que la Russie et donc en tournant les projecteurs vers l’Extrême -Orient, Trump est en phase avec ce que recommandent de nombreux experts.
La gesticulation contre la Corée du Nord pourrait avoir un autre but : faire oublier que le gouvernement de Bachar-el-Assad est en train de reprendre le contrôle de la Syrie et donc de gagner la guerre. L’intervention de la Russie à partir l’été 2015, parfaitement prévisible au demeurant, sonnait le glas de l’espoir de néo-conservateurs de réussir le régime change à Damas. Sauf à courir le risque d’une apocalypse nucléaire, ce que Hillary Clinton était sans doute prête à faire, il n’y avait pas d’autre issue que de laisser aux Russes, dont l’intervention est légitime en droit international car demandée par le gouvernement légal, le champ libre en Syrie. Cela ne fait pas l’affaire des forces puissantes à Washington qui vivent cette évolution de la situation dans un état de rage impuissante mais ils ne pourront sans doute pas inverser le cours des choses. Il y quelque sereines, Trump a pris une décision capitale : bloquer une cargaison d’armes que la CIA s’apprêtait à livrer à Al Nosra (alias Al Qaida), facilitant ainsi le travail de reconquête de l’armée syrienne. Les diatribes de Trump sur le régime syrien ne sauraient nous égarer : en la matière, ce sont les actes qui comptent.
Il est également à noter qu’à aucun moment Trump ne s’en est pris à la Russie ou à la Chine, les félicitant même d’avoir voté les sanctions contre la Corée du Nord.
Macron déphasé
Parmi ceux que cette évolution fait enrager, il y a aussi toute la diplomatie française. Depuis 2011, elle s’est engagée à fond , d’abord sous Sarkozy et Juppé , puis sous Hollande et Fabius , sur l’idée que le régime de Bachar el-Assad n’en avait plus pour longtemps (Juppé lui donnait une semaine !) , que la France , patrie des droits d’homme, se donnerait le beau rôle en se mettant en avant dans la dénonciation de ses supposés crimes et les actions tendant à son renversement. Elle ne devait pas hésiter pour cela à envoyer ses forces spéciales sur le terrain en appui des djihadistes, repeints en démocrates, en premier lieu Al Nosra (qui s’appelle désarmais Fatah el Cham). Cette ligne avait conduit Fabius à des excès de langage particulièrement odieux à la même tribune de l’ONU : « Bachar el Assad ne mérite pas de vivre ». Aujourd’hui cette ligne est complétement périmée. Assad ne perdra pas la guerre, il est en train de reconquérir toute la Syrie et en contrôle déjà la partie utile. Les Américains, les Allemands et sans doute les Anglais reprennent discrètement langue avec lui. Les accusations proférées contre Assad, notamment l’emploi d’armes chimiques, sont de moins en moins crédibles : elles ressemblent trop aux productions des officines qui tournent autour de l’administration américaine pour faire sa propagande : les mêmes colportaient autrefois que le général de Gaulle allait renvoyer en Amérique les cercueils des soldats morts sur les plages du débarquement, ou que Saddam Hussein avait coupé les tuyaux des couveuses dans les maternités du Koweït ! Les changements de gouvernement, a fortiori de président, ont toujours eu l’intérêt de permettre à un pays d’infléchir sa ligne pour s’adapter à une situation nouvelle sans que personne ne donne l’impression de se déjuger. On attendait donc de Macron autre chose que de chausser les bottes de Hollande et de Fabius, ce qu’il a fait en accusant une nouvelle fois au nom de la France, dans une conférence de presse en marge de l’Assemblée générale, Bachar el Assad d’être un criminel[1]. Sans exclure qu’Assad puisse rester à a tête de l’Etat, il demande qu’on le juge. Sa proposition de créer un groupe de contact qui prendrait le relais du groupe d’Astana piloté par les Russes et dont la France est exclue a peu de chances d’être prise en considération par qui que ce soit. En se maintenant sur ces positions, Macron met la France hors-jeu. Tout au plus pourra-t-il causer quelques nuisances, comme quand il s’oppose au retour des réfugiés syriens du Liban (1, 5 millions pour un pays de 4 millions d’habitants) demandé par le général Aoun, président du Liban, au motif qu’il faut trouver d’abord une solution politique en Syrie.
Rien ne sert dès lors d’invoquer de manière grandiloquente la voix des enfants du monde : Bana (figure de la propagande djihadiste qui, on le sait, n’existe pas), Kouamé, Osmane, Jules, ou de dire en invoquant la mémoire de René Cassin que la légitimité se fonde sur les droits de l’homme ( c’est un tribut payé à la désastreuse doctrine de l’ingérence humanitaire mais on notera qu’il a dit le contraire en juillet au Vel d’hiv en parlant du régime de Vichy !).
L’intervention de Macron est en revanche bien meilleure que celle de Trump sur l’Iran : il veut préserver l’accord de Washington sur le nucléaire alors que Trump semble tenté de le remettre en cause[2].
Il reste que n’ayant pas voulu changer les équipes catastrophiques qui ont mené la politique française au Proche-Orient depuis six ans et qui, elles non plus, ne veulent pas se déjuger, et en reprenant leur rhétorique dépassée, Macron montre les limites de ses capacités d’homme d’Etat.
Roland HUREAUX
Octobre 2017