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Roland HUREAUX

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23 avril 2018 1 23 /04 /avril /2018 09:30

VERITE ET LIBERTE

 

L'expérience de l'idéologie

 

La question des relations de la vérité et de la liberté, dont les enseignements de l'Eglise tiennent qu'elles sont indissociables,  ne relève pas seulement de la spéculation philosophique ou théologique mais aussi  de l'expérience politique.

Soljenitsyne avait l'habitude de dire que le plus pénible  à vivre dans un régime totalitaire - le régime communiste, le seul qu'il ait connu - , n'était pas la privation de liberté , l'insécurité personnelle, ou   la pénurie mais le mensonge, le fait d'être obligé de vivre dans un  mensonge permanent.

Comme premier moyen de résistance au régime, il  préconisait, non  la rébellion, impossible, ni de dire la vérité , très risqué,  simplement de s'engager à  ne pas mentir - et donc de ne pas cautionner ou relayer le discours officiel ,    ce qui était déjà fort courageux.

Les disciples de Machiavel diront  que le mensonge  est   lié à  l'exercice de tout pouvoir politique,  au moins de  manière occasionnelle . Toute vérité n'est pas bonne à dire et le pouvoir, qu'il soit démocratique ou tyrannique, est , à l'occasion, amené à tromper le peuple, fut-ce pour assurer  le maintien de l'ordre, ce qui est après tout une bonne cause. Mais cette forme de pouvoir ordinaire  n'est pas obligée de mentir tout le temps; bien au contraire, si les dirigeants disent  généralement la vérité , ils n'en sont que plus crédibles quand ils ne la disent pas.

Un pouvoir idéologique  ( nous ne disons pas encore totalitaire) est lui, fondé sur un mensonge quasi-généralisé. Tous ceux qui se sont penchés sur ce genre de régime , notamment Boris Souvarine, Hannah Arendt, Alain Besançon, Karl Popper   ou  Alexandre Soljenitsyne lui-même, ont mis à jour ce mécanisme du mensonge intrinsèque à l'idéologie.

 

Qu'est-ce que l'idéologie ?

 

Qu'est-ce qu'une idéologie  ? Jean Baechler la définit comme  «  la volonté d’organiser les activités sociales  jusque dans le détail à partir d’un principe unique »[1]  .

Ce propension à la  simplification est également relevé par Hannah Arendt  pour qui les idéologies sont « des ismes qui peuvent tout expliquer en le déduisant d’une seule prémisse »[2]

Or le réel est complexe et une bonne politique doit prendre en compte cette complexité, ce que ne saurait faire un idéologue. C'est pourquoi l'idéologie est fausse, fausse parce que trop simple.

Les idées de base de cette  simplification idéologique  ? Pour Marx et ses épigones "l'histoire du monde est l'histoire de la lutte des classes " et rien d'autre.  Tout le reste s'y ramène, en particulier la culture, la politique, la morale. Pour Hitler, l'histoire du monde était celle   de la sélection naturelle des races par la guerre.  Mais pour d'autres idéologues, pour le moment moins  dangereux, le progrès se caractérise par le développement  continu du  libre-échange  , de la liberté sexuelle , l'extinction des nations et,  à la fin,   la fusion du monde dans un espace économique entièrement unifié.

Pourquoi cette simplification ? D'abord pour des raisons politiques: les idéologues en chef , même s'ils sont par devers eux, conscients  de la complexité du monde,  en imposent   mieux en le  simplifiant ,les idées simples pouvant se transformer facilement en slogans .

Elles conduisent aussi à une démonologie, les partisans de l'idéologie étant l'incarnation du bien, ses adversaires, celle  du mal. 

C'est d'autant plus facile que la simplification débouche sur une métaphysique. L'invention d'une politique fondée sur un principe unique , principe que les hommes du passé ignoraient, permet de rebâtir le monde sur de nouvelles bases , ce qui  signifie la péremption, voire l'amnésie du   passé , encore plongé dans la barbarie , "la préhistoire" dit Marx,  puisque les hommes  n'avaient pas encore trouvé le sésame , et l'espérance eschatologique pour l'avenir dès lors qu'ils l'ont trouvé.  Après leurs inspirateurs respectifs, Marx et Nietzsche, Staline et Hitler voulurent faire un "homme nouveau" ( ou Surhomme)  , non  pas comme les chrétiens en référence à l'au-delà,  mais sur cette terre et en dehors , voire contre toute référence à une transcendance.

Si le monde est reconstruit  à travers une seule -  ou deux ou trois   - prémisses  seulement, l'idée que l'idéologue s'en fera  sera de plus en plus fausse au fur et à mesure qu'il  étendra la chaîne déductive , une chaîne sans fin car les idéologues sont parfaitement logiques  .Popper a montré selon quel mécanisme aucune objection ne  les arrête. On reconnait même un idéologue à ce qu'il pousse jusqu'à leur terme le plus absurde les conséquences de ses idées de départ.  Etre parfaitement logique, n'est-ce pas un des  symptômes de la folie ?  C'est en tous les cas celui de l'idéologie.  

Que l'idéologie arrive à réinterpréter tout le réel  en fait précisément une entreprise totalitaire.  Que la lutte des classes soit tenue pour  le fond de l'histoire du monde signifie que la religion n'est plus  que l'"opium du peuple"  et qu'il faut donc  l'éradiquer. Si "la propriété, c' est le vol", autre thème marxiste issu de Proudhon, il faut l'abolir,  et donc abolir  le marché et l'intérêt individuel comme moteurs de l'économie.  A partir d'une simplification initiale, l'idéologie est ainsi  amenée à s'inscrire en faux contre deux composantes fondamentales de la nature humaine, dont  l'histoire a démontré depuis lors la capacité de résistance :  l'instinct religieux et  l'instinct  de propriété.

On pourrait  continuer à décliner les caractéristiques de l'idéologie  : ainsi ces idées  simples  - et folles,  tiennent  généralement pour  rien les particularité nationales : elles ont donc  une ambition universelle qui conduit, sous  une forme ou sous une autre à l'impérialisme, voire  à la guerre, chaude ou froide.

 

Contre la nature

 

Fausse, l'idéologie veut imposer ses schémas  rigides  jusqu'à la nature. Rien de plus opposé à  toute idéologie que l'idée d'une loi naturelle, même si l'hitlérisme s'est référé à   l'idée de sélection naturelle héritée de Darwin.

L'idée d'une permanence de la nature humaine , qui vient  de la philosophie scolastique mais qui s'est trouvée confortée  par les découvertes d'un contemporain de Darwin ( ils ne se sont , semble-t-il, jamais connus )  le moine tchèque Mendel, inventeur des lois de l'hérédité, exclut l'idée d'une hérédité des caractères acquis, et donc  que l'espèce humaine puisse se modifier en fonction de l'environnement, en tous les cas à l'horizon de l'histoire . Elle répugne d'autant aux marxistes : Staline a interdit les idées de Mendel, non parce qu'il était un moine et que son successeur, Morgan,  était américain mais parce qu' elles contredisaient sa sotériologie  prométhéenne qui  promettait l'amélioration rapide de l'humanité.   Staline promut donc, contre Mendel et Morgan, une théorie fausse fondée sur   l'hérédité des caractères acquis ( et donc la possibilité de perfectionner l'espèce humaine à chaque génération)  que deux biologistes asservis,  Mitchourine et Lyssenko  furent chargés de répandre. On le voit par cet exemple  :   l'idéologie rejette  même  la vérité  scientifique.

Le mouvement  libertaire actuel est lui aussi  idéologique et hostile à la nature : la théorie du droit  naturel y est  violemment  récusée au nom du positivisme juridique ; la théorie du genre , aussi peu respectable scientifiquement que la biologie de Lyssenko, tend à nier la pertinence de la différence de sexes  et donc à contredire la nature.

Aussi longtemps que  les idéologues  ne font que répandre  leurs idées dans les cercles académiques, ils sont certes dangereux  : Dostoïevski a montré dans son roman  Les Possédés comment l'enseignement d 'un professeur apparemment inoffensif pouvait conduire des jeunes gens exaltés aux pires crimes. Mais ils le sont bien davantage   quand ils accèdent au pouvoir. Un régime idéologique est un régime dirigé par des idéologues et alors il devient  terrible.

L'idéologue  n'est pas seulement   quelqu'un qui veut imposer des idées fausses, c'est aussi    quelqu'un qui sait au fond de lui-même qu' elles sont fausses !  

Il n'a donc  pas la tranquille assurance  de celui dont les idées sont vraies et conformes à la nature. Ce  dernier, même s'il est au  pouvoir, n'a pas besoin d'être sur ses gardes en permanence  parce qu'il gouverne en se fondent sur le sens commun des hommes dont il a la charge.

 

Contre les peuples

 

L'idéologue, lui, est d' emblée méfiant.  Il sait qu'il rencontrera des résistances. Et il en rencontre en effet beaucoup  puisque ses idées sont contre nature. Pour contrer ces résistances, il utilise un pouvoir, nécessairement  centralisé et très vite antidémocratique car  il soupçonne que , le premier engouement passé,  ses idées  ne passeront pas l'épreuve de l'assentiment  populaire. Il peut alors mettre   en œuvre sa démonologie :  puisque son projet est eschatologique, ceux qui lui résistent ne peuvent représenter que le mal absolu: le capitalisme, la superstition, le fascisme . Tous les moyens sont  dès lors permis pour les combattre.  Aucune morale ne tient devant l'impérieuse nécessité de vaincre les résistances à l'idéologie.  Et ces résistances  pouvant se tapir partout, la culture elle-même doit être mise en tutelle et asservie aux besoins de l' entreprise idéologique. La nature, la morale, la culture sont intrinsèquement les ennemies des idéologues, tout comme la liberté ,  la démocratie, le débat.

Si le pouvoir idéologique aboutit à la tyrannie et  à la pire, la tyrannie totalitaire, à l'inverse,  révèle la démarche idéologique.  De manière intrinsèque, l'  idéologie se reconnaît  à ses méthodes.

Ne prenant pas le réel en compte et voulant même le refaire,  elle coupe  tout ce qui dépasse,   elle charcute , comme un chirurgien qui n'aurait qu'une idée simplifiée de l'anatomie. D'où les drames que l'on sait.

Certains ont pu être surpris   de la dureté de la réponse policière à la  Manif pour tous, ou de ce  que certains des partisans de la loi Taubira ont pu dire sans faire autrement scandale :  qu'ils souhaitaient  qu'une bombe tue tous les manifestants  (qu'aurait-on dit si au lieu de Pierre Bergé , c'était Frigide Barjot  qui avait dit cela ?). Une réponse policière d'une telle dureté ( même si  nous sommes encore loin du goulag !) , cette crispation indiquent de manière infaillible   que le projet de mariage homosexuel est idéologique, même s'il ne  s'agit que d'une idéologie sectorielle appliquée à un domaine donné, la famille. Si  un tel projet s'était appuyé  sur des idées saines et vraies, ses défenseurs n'auraient pas eu besoin de se crisper autant. Les idéologues rejettent tout  débat .  L'hystérie haineuse   des médias ,  la plupart  acquis au projet Taubira ,    sont également  un révélateur significatif du caractère idéologique de l' entreprise.  Nous n'étions parfois pas loin des imprécations du procureur Vychinski dénonçant les "vipères lubriques" au procès de Moscou.  Les idéologues deviennent toujours haineux à l'exacte   mesure de la fausseté de leurs idées et de  la  résistance que le  réel  leur oppose et c'est   peut-être en cela d'abord qu'ils  sont dangereux et qu' il ne faut laisser passer l'idéologie en aucun cas et dans aucun  domaine, même s'il parait isolé. Par essence, ceux qui gouvernent avec des  idées fausses menacent  les libertés.

N'est-il pas significatif que , une fois la loi votée, la contester soit devenu passible de poursuites , au chef d'homophobie ?  A quoi on voit que cette loi n'avait pas pour but de régler un problème ou de créer un nouvel état de droit mais d'instaurer une nouvelle vérité officielle, dont on aura compris de ce qui précède qu'elle n'est pas une vérité dès lors qu'elle a besoin d'être officielle.

Ne nous faisons pas d'illusion, aucun barrage constitutionnel ou moral  n'arrêtera les idéologues.

Les régimes idéologiques du  passé ont vécu. Mais en a-t-on fini avec l'idéologie ? Le nouvel universalisme libéral-libertaire  qui par exemple refuse avec aigreur les décisions du suffrage  universel en Grèce[3] - et ailleurs , est-il autre chose qu'une idéologie , universaliste elle aussi comme toutes les idéologies ? La question est ouverte.

Il est hors de doute en tous les cas, que  dans le champ politique, il n'est pas de liberté sans  respect de la vérité par ceux qui sont  au pouvoir et que  le principal ennemi de la vérité, et donc de la liberté, est aujourd'hui l'idéologie.

 

                                                           Roland HUREAUX

                                                           Septembre  2017

 

 

 

 

[1] Jean Baechler , Qu’est-ce que l’idéologie? Idées-Gallimard, 1976, page 95

[2] Hannah Arendt, Le système totalitaire, 1951,  trad. fr. Seuil 1972 

[3]   Et que penser de Jean-Claude Juncker,  président de la Commission européenne,  quand il dit qu' "Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » ?

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