Aussi bien dans les sphères gouvernementales que chez certains Gilets jaunes, se répand l’idée que la crise sociale en cours et le grand débat national pourraient déboucher sur une large réforme des institutions . Parmi les manifestants , s’est répandu le mot d’ordre du référendum d’initiative citoyenne (RIC) , porteur de tous les espoirs.
Cela nous parait une dangereuse illusion.
Il est évident par exemple que le retour à la proportionnelle ou la simple introduction d’une dose de proportionnelle dans les élections législatives non seulement ne serait pas une solution à la crise mais nous éloignerait au contraire de toute solution.
Pour le général de Gaulle , que les institutions soient bonnes ou mauvaises, si les hommes étaient mauvais - incompétents , corrompus ou mal intentionnés - , la politique menée serait de toutes les façons mauvaise. Mais si les hommes appelés à diriger le pays étaient bons, il ne fallait pas alors que les mécanismes institutionnels les empêchent d’agir avec détermination et efficacité . Dans le cadre où elles ont fonctionné jusqu’ici, grâce en particulier au droit de dissolution et au scrutin majoritaire , les présidents qui voulaient faire des réformes de rupture, De Gaulle lui-même, puis Mitterrand, ont pu les faire. Que certains présidents aient été animés de mauvaises idées ou encore qu’ils n’aient pas voulu user de leurs pouvoirs est une autre affaire : ils n’auraient pas fait mieux sous un autre régime. Sans doute les entraves à l’action du gouvernement ont-elles été multipliées depuis plusieurs décennies au point d’altérer les vertus primitives de la Ve République : extension des pouvoirs du conseil constitutionnel, élargissement de la possibilité de saisine, quasi-suppression du vote bloqué, mais l’essentiel demeure : un président assis sur une forte majorité peut encore agir.
Tel ne serait plus le cas si la proportionnelle était réintroduite. Elle rend, on le sait, difficile la constitution de majorités. Elle ouvrirait la porte aux combinaisons de partis , aux compromis qui rendraient impossible de prendre à bras le corps les problèmes graves ressentis par les Français. Tout inclinerait les partis à se mettre d’accord sur les propositions de la technocratie, française ou européenne, qui sont précisément celles que, depuis longtemps, les Français rejettent .
La solution des problèmes passe au contraire par une action gouvernementale résolue qui implique le maintien des institutions actuelles. Nul doute en effet que pour résoudre la crise que traverse le pays , il faudra opérer en de multiples matières, économie, justice, éducation , gestion migratoire, des réformes profondes, mais pas toujours politiquement correctes et , dans bien des domaines, en rupture avec la culture dominante dans les principales administrations.
S’il est vrai que beaucoup de partis, Rassemblement national en tête, revendiquent la proportionnelle , n’est-ce pas le signe qu’ils ne se préparent pas sérieusement à exercer le pouvoir - ou en tous les cas à changer en profondeur le pays ?
La réduction du nombre de parlementaires, comme la proportionnelle , affaiblirait la strate politique face à l’administration. Elle était déjà dans le programme de Macron qui avait, lui aussi, joué sur le rejet des politiques qui s’exprime dans le mouvement des Gilets jaunes.
Et le référendum d’initiative citoyenne ?
Quant au fameux référendum définitive citoyenne , ceux qui le demandent avec tant d’insistance n’ont aucune chance de l’obtenir : tout au plus leur concèdera-ton un simulacre limité par de nombreux verrous ou excluant les sujets les plus litigieux : Europe, immigration, fiscalité .
Pourquoi ? Parce que le problème bien réel de communication qui se pose aujourd’hui entre le gouvernement et la population ne relève nullement des institutions. Il tient aux présupposés idéologiques du pouvoir en place lequel tient pour des acquis définitifs toute une série de principes : le maintien de l’euro et donc la règle d’équilibre budgétaire qui en découle , la transition énergétique, la priorité au développement des métropoles et d’autres qui , combinés, ne lui laissent que très peu de marge de manœuvre et donc de capacité de dialogue. Un pouvoir aussi corseté ne se risquera jamais à mettre en danger ces principes par la démocratie directe.
Et si tel n’était pas le cas , si un gouvernement, celui-là ou un autre, se libérait par on ne sait quel miracle – ou quelle révolution ( comme celle dont Gorbatchev prit l’initiative ), on pourrait certes instaurer un RIC, mais serait-il encore utile ? Un gouvernement libéré de tous les a priori idéologiques , qui n’aurait d’autre ligne de conduite que la défense de l’intérêt national, pourrait bien plus facilement , avec ou sans référendum, ouvrir un vrai dialogue avec la population et ainsi satisfaire, au moins en partie, les revendications des gilets jaunes . Il retrouverait ainsi sans difficulté les voies de la confiance.
La principale revendication des gilets jaunes est économique : une rattrapage du pouvoir d’achat , un abaissement des impôts pour ceux qui en payent, une plus grande justice dans la distribution de richesses : il est clair que cela relève de la politique classique et non point de changements institutionnels, qui, en l’état, ne sauraient être que des leurres.
Roland HUREAUX