LA DIABOLISATION EST LA MARQUE D’UNE DEMARCHE IDEOLOGIQUE
Publié dans Monde et Vie – septembre 2020
S’il fallait définir le mal du siècle, je dirais que c’est l’idéologie .
Mal du siècle parce qu’elle n’existait pas dans les siècles passés. Elle se déchaine une première fois avec la terreur révolutionnaire mais se calme ensuite jusqu’aux grands mouvements idéologiques du XXe siècle, tous criminels : communisme, socialisme national.
Aujourd’hui, depuis trente ans environ, surtout dans le monde occidental l’idéologie a pénétré partout : nous vivons dans un monde idéologisé jusqu’à la moelle. Il ne s’agit pas forcement d’idéologies violentes comme celles que je viens de citer, mais elles aboutissent à un grand désordre dans la société, à un recul de la liberté, de la démocratie, de la compréhension réciproque , de la légalité et pourraient s’avérer avoir des effets indirects graves : appauvrissement, guerre civile, voire internationale , perte de l’héritage culturel et de ce qu’Orwell appelle la common decency ( Orwell).
Avant de définir l’idéologie, disons qu’elle se reconnaît d’abord à la diabolisation absolue et sans rémission de l ’adversaire ; les procureurs de Staline traitaient leurs victimes de vipères lubriques ; pour éduqué qu’il soit , c’est le registre où finit tout idéologue. Les socialistes nationaux, dits nazis, avaient eux aussi leur démonologie à base de haine du juif.
Aujourd’hui, sous une apparence plus libérale, qui correspond de moins en moins à la réalité, la diabolisation vise tout ce qui est « politiquement incorrect » , une notion issue du marxisme qui nous est revenue par les universités américaines. Nous savons ce que recouvre cette épithète infamante : le racisme, l’islamophobie, la xénophobie ( à quoi les idéologues ramènent tout souci, quel qu’il soit, de l’intérêt de son propre peuple), l’homophobie, le machisme, le « climato-scepticisme » etc.
Le vrai parti de la haine
L’idéologue définit toute une série de tares irrémissibles et il sue la haine , il suffit d’aller dans les prétoires pour le voir , pour tous ceux qu’il estime en être porteur, c’est-à-dire tous ceux qui ne partagent pas ses préjugés idéologiques ; et il les accuse, procédé classique , eux, de haine. Qui a jamais rencontré un raciste, un vrai (il y en a quand même quelques-uns), aussi haineux qu’ un prétendu antiraciste ?
La haine idéologique est plus que la haine tout court. Il parait que dans les guerres s’autrefois, les ennemis s’injuriaient copieusement avant de combattre. Il était rare, en effet, malgré l’Evangile ,qu’on ait jamais beaucoup aimé ses ennemis. Mais enfin, si beaucoup de guerres se terminaient en massacres, la « paix des braves » restait possible.
Avec les idéologues, elle ne l’est pas. Car la haine idéologique est fondée sur un système qui se veut rationnel, même s’il ne l’est pas. « Réactionnaire », par exemple est une injure idéologique « Espèce de con », ne l’est pas. L’épithète « réactionnaire » se réfère à une théorie de l’histoire comme progrès irréversible, où celui qui lui résiste est voué au banc d’infamie. Inutile d’argumenter avec lui : il est malfaisant. Pour Pierre Courtade, « intellectuel » stalinien, Tito était « fasciste au sens scientifique du terme. »
Cette haine de l’adversaire qui vise à son élimination pure et simple, transcende tout : le droit , y compris constitutionnel , les droits fondamentaux, la liberté de presse et d’opinion , la culture, le respect de l’autre, la simple justice , l’honnêteté, pas seulement intellectuelle. Elle cherche sans cesse à alourdir le code pénal de nouveaux délits idéologiques restreignant le champ des libertés, appelle à la délation, instaure une police de la pensée . Elle va même jusqu’au déni de la science : la théorie de la relativité fut bannie en URSS comme « idéaliste », en Allemagne comme juive. La théorie du genre, devenue quasi-obligatoire en Occident, est encore plus absurde que la théorie évolutionniste de Lyssensko promue par Staline. Avec l’idéologue, tout débat est interdit.
Nous assistons aujourd’hui à la dégénérescence de la démocratie, d’abord aux Etats-Unis, où la confrontation Trump-Biden pourrait se terminer en guerre civile si la victoire de l’un des deux camps n’est pas assez nette, mais aussi en Europe. Le Brexit avait déjà effacé de la langue anglaise l’expression fair play . Si la France n’en est pas encore là, c’est parce que la domination du camp de la pensée unique , y reste écrasante [1]
Certes, ce qu’on appelait les « démocraties occidentales » n’ont pas de goulags . Mais les interdits professionnels pour raisons idéologiques ne cessent de prendre de l’ampleur , dans la presse ou l’Université[2] . Le pluralisme de la presse ne cesse de se rétrécir : le temps vient où nous n’aurons le choix qu’entre la Pravda et les Izvestia !
Qu’est-ce que l’idéologie ?
Mais qu’est-ce que l’idéologie ? Nous ne l’entendons pas au sens classique d’un ensemble d’idées certes cohérent mais respectueux du pluralisme. Le point de départ de la démarche idéologique, au sens où l’entend Hannah Arendt, ce sont :
- Une simplification abusive et donc une falsification du regard porté sur la réalité à partir de slogans sommaires : l’histoire se ramène à la lutte des classes, ou des races ; la propriété , c’est le vol ; les Etats sont dépassés, et donc il faut une totale liberté de circulation des marchandises, des capitaux et des hommes dans le monde ;
- Un projet messianique , ou à tout le moins « progressiste » , se proposant d’améliorer le monde de manière plus ou moins radicale , globale ou sectorielle, pour aller vers une société sans classes, un Etat mondial , le métissage généralisé ou une émancipation totale des mœurs . Celui qui s’oppose à ce mouvement est un ennemi du bien .
A côté de grands projets de refonte totale de la société, le monde occidental est également vérolé de par des idéologies sectorielles : méthodes modernes d’éducation, « administration managériale », disqualification du système pénal etc. Dans une société de plus en plus idéologisée, rien n’échappe désormais à cette folie. Le grand ennemi des idéologies, c’est le bon sens ; il se fait de plus en plus rare.
Les idéologues en chef, partis communistes ou socialiste-national autrefois, oligarchie mondiale aujourd’hui , s’autoproclament les grands prêtres du progrès de l’humanité . Les membres de cette oligarchie , généralement très riches sont d’autant plus dangereux qu’au lieu de jouir tranquillement de leur fortune, beaucoup , tels Georges Soros ou Bill Gates veulent absolument faire le bien , le bien idéologique, c’est-à-dire le mal.
Face à ces élites aux idées simples, il y a le peuple, les peuples. Les idéologues s’en méfient car il reste généralement au peuple un peu de bon sens et qu’il est le premier à souffrir des folies idéologiques. On dénonce alors le « populisme ». Toute la tradition issue de la Révolution française assimilait le peuple ( vu de manière abstraite, il est vrai ) et le progrès ; ils ont divorcé. Depuis trente ans, le peuple , selon les idéologues, est l’ennemi du progrès.
Cela aussi explique leur crispation et leur intolérance : ils se sentent cernés , d’autant qu’au fond d’eux-mêmes , ils ressentent ce qu’ont d’artificiels leurs concepts.
Si l‘espoir demeure, c’est des peuples seuls qu’il peut venir : malgré tous les efforts faits pour diaboliser le peuple, le mettre entre parenthèses, il arrive, suffrage universel aidant, qu’il se réveille : élection de Trump en 2016, Brexit en 2017, élections italiennes. Demain la France ?
Le chemin de la vérité en politique est aujourd’hui simple : il n’y a plus ni gauche, ni droite, ni sociaux ni antisociaux, il faut combattre les idéologies qui minent nos sociétés. Face aux idéologies, pas de quartier. Mais pas non plus de contre-idéologie miracle, seulement le bon sens et la nature. Et comme l’idéologie est intrinsèquement mensongère, il y a la vérité. Elle est souvent moins flamboyante que les simplifications idéologiques pour des communicants en quête de slogans faciles. Mais soyons optimistes : les peuples la comprennent quand on sait la leur dire. Voilà notre espoir.
Roland HUREAUX
[1] Et n’imaginons pas que de contrôler 90 % du paysage politique ou médiatique satisfera l’idéologue ; il veut 100 %. Les attaques récentes contre Valeurs actuelles ou SOS Chrétiens d’Orient sont significatives de la volonté de réduire les ilots de dissidence ; si on laisse vivre les adversaires , c’est qu’ils sont assez caricaturaux pour servir de repoussoir .
[2] Le statut de la fonction publique, qui, depuis l’arrêt Barrel du Conseil d’Etat, ouvrant l’ENA aux communistes, semblait une protection ; il l’est de moins en moins, par l’extension de l’oral ( qui tend à devenir un contrôle de conformité) ou le recrutement massif de contractuels.