Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Roland HUREAUX

MrHureaux

Recherche

Articles RÉCents

Liens

29 janvier 2021 5 29 /01 /janvier /2021 20:03

LETTRE D’UN MAGISTRAT AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

 

Comme tous mes collègues de France et de Navarre, j’ai été atterré en apprenant la nomination de Maître Dupont-Moretti au ministère delà Justice, notre ministère.

Le talent de l’intéressé n’est pas en cause. Mais comment mes collègues et moi supporterions-nous d’avoir pour chef un homme qui a, à maintes reprises, dans ses plaidoiries comme devant les micros, exprimé son mépris pour la profession qui est la nôtre.  La première chose que l’on attend d’un patron est qu’il ait un minimum d’estime pour ses troupes, comme vous-même en aviez marqué pour le petit peuple des gilets jaunes ou les chômeurs de longue durée qui sont sous votre juridiction. 

La question que je me pose est la suivante : qu’avons-nous fait pour mériter pareil camouflet ?

Car il faut bien le dire :  c’est essentiellement grâce à nous que vous êtes parvenu à la magistrature suprême. Si le parquet financier n’avait pas diligenté avec une rapidité extraordinaire , au seul    vu d’un article  du Canard  enchaîné, une enquête sur François Fillon et sur son épouse, s’il n’avait pas accéléré  l’enquête préliminaire pour les mettre en examen avant  la date du début de la campagne électorale où cette mise en examen n’est plus possible,   l’ancien premier ministre  aurait gagné les élections présidentielles ;  il en était le grand favori et  , si la justice ne s’en était pas mêlée  de la manière qu’elle a fait, vous   n’auriez même pas  été au second tour.

L’ancien chef du parquet financier, Eliane Houlette n’a d’ailleurs pas eu peur de révéler récemment les pressions incroyables qu’elle a subies de sa hiérarchie et comment elle a dû y céder .

Voyez notre zèle : nous avons, dans l’affaire Fillon, passé outre l’un des principes les plus fondamentaux de notre république, posé à l’article 13 de la loi du 24 août 1790, toujours en vigueur : « Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratif », ce qui inclut évidemment les procédures électorales, en application de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

 

          Point de constitution, donc point de république.

Pour certains d’entre nous, ce n’était pas une mince fierté que d’avoir permis, presque organisé, l’élection du président de la République.

Comme la gauche, qui avait porté largement ses suffrages sur vous, ne pouvait qu’être déçue par le caractère bien peu populaire de votre politique, elle risquait de se déporter vers un de vos rivaux de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. Nous avons veillé au grain :  pour une affaire de seconde zone, le juge d’instruction a dépêché au petit matin 90 gendarmes à son domicile pour perquisitionner. Sans doute l’intéressé n’a-t-il pas pris l’affaire avec tout le sang froid qui eut été nécessaire ; il reste que sa carrière a été brisée et ça n’a pas dû vous attrister. Nous avions là aussi pris la précaution de ne pas interférer avec la campagne des européennes, qui n’avait pas encore commencé, mais ce coup venant juste avant ne pouvait qu’avoir l’impact maximum. Jean-Paul Mélenchon, était l’un des trois chefs de file de l’opposition :  qui imaginerait qu’une chose semblable arriverait à un de ses homologues au Royaume-Uni ?  Vous voyez : là aussi nous avons pris tous les risques, y compris celui de subvertir la République.

Votre politique internationale est difficile à suivre : en Afrique vous soutenez envers et contre tout, votre ami Paul Kagame, président du Rwanda, dont personne sur la planète, ne doute qu’il ne soit l’auteur de l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie aux deux présidents hutus du Rwanda et du Burundi et qui déclencha   le massacre de près de 5 millions de personnes ( dont 4  pour lesquels il a une responsabilité directe . L’affaire était devant les tribunaux français car les pilotes de l’avion étaient français.  Toute honte bue, pour ne pas gêner votre brillante diplomatie, l’affaire a été classée le 24 décembre à minuit de l’an 2018.   Avec cette décision complaisante, la planète entière aura  compris que nous étions devenus une république bananière.

Bien qu’une certaine droite ait pour vous les yeux de Chimène, vous n’avez renoncé à rien de ce qui se trouvait dans votre programme touchant la défense du politiquement correct à tous les étages : chasse à l’antiracisme, au sexisme, à l’islamophobie, à l’homophobie.   Nos   tribunaux sont, dans cette chasse à la déviance, vos auxiliaires les plus zélés, sans craindre de remettre en cause là aussi la déclaration des droits de l’homme.  « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » (Article 10).

Il est vrai qu’au niveau de l’appel ou de la cassation, la liberté d’expression finit souvent par prévaloir, mais seulement au bénéfice de ceux qui ont pu dépenser assez d’argent pour aller jusque-là et non sans que leur image ait été salie par des décisions de première instance largement relayées par les médias.

Vous n’êtes pas non plus ce qu’on pourrait appeler un répressif. Il n’a jamais été question avec vous de rétablir les peines plancher.  Vous ne défendez  guère votre police quand elle est mise en cause par des malfrats. Il me semble que la magistrature ne devrait pas vous paraitre aujourd’hui trop contrariante.

Nous vous avons élus, nous éliminons vos adversaires les uns avec les autres, nous soutenons plus que quiconque votre politique, nous ne vous en avons, personnellement, jamais inquiété. Qu’avons-nous donc fait pour mériter la nomination de M. Dupont-Moretti ? Décidément, vous êtes bien ingrat, monsieur le Président.

 

 

Pcc. Roland HUREAUX

 

Partager cet article
Repost0

commentaires