Non sans raison , Patrick Buisson rappelle[1] l’incompatibilité entre ce qu’il appelle, de manière à notre sens contestable, le libéralisme et le populisme. Ce qui réduit à peu de choses l’espoir d’une « union des droites » caressée par certains.
Qu’il y ait peu en commun entre les idées du Rassemblement national et celles des dirigeants[2] des Républicains est assez évident : Europe et euro , rôle de l’Etat, questions sociétales, et même positionnement géopolitique entre l’OTAN et la Russie : sur presque tous ces sujets, ils campent sur des rivages opposés. L’UMP dont la moindre faiblesse n’était pas d’être traversée par ces clivages majeurs a progressivement éliminé de ses rangs , malgré les efforts méritoires d’un Julien Aubert, tout ce qui n’était pas dans le courant dominant.
Un autre obstacle à l’union des droites, dont Buisson ne parle pas, est que toute fédération se constitue autour du partenaire le plus fort . Dans l’état actuel du rapport des forces au sein de la droite, l’union des droites reviendrait à ce que les gens de LR ou de « la droite hors les murs » s’inféodent à Marine Le Pen. Il n’est pas sûr qu’ils le souhaitent, ni elle.
Reste que l’analyse de Patrick Buisson appelle des réserves sérieuses, au moins de forme.
La principale : appliquer le mot libéral aux tenants de l’ordre mondial n’est ni politique, ni exact . Les grandes batailles sont gagnées par ceux qui arrivent à imposer leurs mots.
Or quoi qu’en pense le maurassien Buisson, libéral a toujours eu une connotation positive et pas seulement depuis la Révolution française. Qui a dit que les tenants de l’ordre mondial sont des libéraux ? Eux . Normal qu’ils se donnent de jolis noms , mais il faut les récuser.
Il ne s’agit pas seulement là d’une querelle de mots :
La vérité est que le soi-disant libéralisme mondial dont il est question aujourd’hui a bien peu à voir avec le libéralisme bourgeois du XIXe siècle, mesuré et pragmatique, tantôt libre-échangiste, tantôt protectionniste, tantôt monarchiste, tantôt républicain, toujours moraliste, admettant l’héritage historique et au moins jusqu’à un certain point , le traditions.
Ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui est une idéologie au sens exact où le marxisme-léninisme était une idéologie : les peuples de l’Est qui renâclent devant la construction européenne l’ont bien compris.
Mais , comme toutes les idéologies, elle est mensongère . Loin d’être libérale, elle est illibérale , et cela à plusieurs titres .
Premièrement, parce que le libéralisme est , de manière intrinsèque, incompatible avec l’idéologie . Hannah Arendt nous l’a appris : toutes les idéologies reposent sur le pouvoir de ceux qui savent ou croient savoir au travers de deux ou trois idées simples sur laquelle se fonde leur vision , assorties d’un projet messianique plus ou moins affirmé , d’un projet de « fin de l’histoire » . De ce fait toutes les idéologies conduisent à l’intolérance absolue vis-à-vis de ceux qui ne la partagent pas , à une vision manichéenne du monde et , par là , au rejet de la démocratie : « Il ne saurait y avoir de choix démocratique contre les traités européens»[3] dit Jean-Claude Juncker, traités qui sont la déclinaison régionale de l’idéologie mondialiste. Loin d’instaurer le règne de la liberté, l’idéologie promeut celui des commissaires politiques.
Les Gilets jaunes l’ont bien compris . Loin de l’image de petits-bourgeois moustachus, franchouillards et fascisants que propagent leurs ennemis, ils combattent pour la liberté. Nul n’a vu qu’autour des ronds-points, les gilets aient réclamé un sabre à la Boulanger ou un dictateur ; les Gilets jaunes sont bien plutôt inquiets du recul de la liberté d’expression et de la répression policière impitoyable du régime marconien, du recul de leur liberté de circuler au travers des taxes dites écologiques et bien entendu du recul de leur pouvoir d’achat qui est aussi une forme de liberté .
Deuxièmement, parce qu’au motif de libéraliser toujours plus les sociétés occidentales, l’idéologie prétendue libérale opère un travail de destruction sans précédent qui ne peut conduire qu’à un nouveau despotisme . Destruction des repères nationaux, régionaux, moraux, religieux, culturel, familiaux, sociaux (laminage en particulier des classes moyennes ). Ce libéralisme prône l’immigration de masse pour détruire les identités nationales et locales, le libre-échange pour détruire les héritages économiques, il promeut l’homosexualité pour détruire la famille. Ce libéralisme, nous préférons l’appeler mondialisme car ses adeptes les plus cohérents visent , par l’affaiblissement des Etats et le mélange des peuples , des races et des cultures , un gouvernement mondial.
Ce travail de destruction conduit à une société qui n’est même plus celle du contrat social et des droits de l’homme : elle est celle de « particules élémentaires » livrées à la loi du plus fort. Hors d’une élite mondialisée et toute puissante, régnera la précarité.
Troisièmement, parce qu’on peut établir qu’il y a un optimum démocratique qui correspond à peu près à l’échelle de la nation , quelle qu’en soit la taille. Ne voyons-nous pas les libertés reculer chaque jour en France au fur et à mesure que Macron développe son projet euromondialiste ? Pour Jean-Jacques Rousseau, la démocratie n’était possible qu’à petite échelle, celle des cantons suisses , plus difficile dans les grands Etats , impossible dans les empires continentaux. Un gouvernement européen , tel que la Commission européenne en offre l’avant-goût est déjà une lourde machine bureaucratique. Un gouvernement mondial , selon l’intuition géniale de George Orwell, ne saurait être qu’un monstre totalitaire. A l’inverse, souverainisme et libéralisme sont inséparables.
Face au prétendu libéralisme, Buisson plante le populisme. Une expression qu’il faut assumer sachant que le populus, c’est le démos, et que donc le populisme, c’ est la vraie démocratie. Mais en l’opposant au libéralisme, il laisse entendre que le peuple ne rêve que d’un pouvoir fort et illibéral, voire d’une « démocrature », termes que les mondialistes accolent à ceux qui leur résistent , mais qui s’appliquent bien plus à eux-mêmes.
Ce faisant, Buisson commet le même erreur que Soros qui confond la tradition avec le despotisme idéologique. Dans un excellent livre de Pierre-Antoine Plaquevent [4]qui tente de faire le tour de tout ce qu’a de pervers le personnage, Soros se présente comme un disciple de Karl Popper . Mais dans son ouvrage capital , La société ouverte et ses ennemis[5], Popper s’en prend à Platon, Hegel et Marx, nullement à l’héritage judéo-chrétien ou aux nations.
Que Popper , issu de l’Ecole de Vienne, ait promu la société ouverte comme une antithèse aux expériences totalitaires du communisme, du socialisme national allemand ( dit communément nazisme) et du fascisme est très compréhensible. Mais Soros est allé bien plus loin en amalgament aux régime totalitaires, sous le terme de « sociétés fermées », toute les sociétés se réclamant d’une tradition, ayant un caractère plus ou moins organique et par là tout l’héritage européen et chrétien.
Cet amalgame était inconnu des promoteurs des régimes totalitaires qui se voulaient au contraire modernes. Il l’était aussi , à notre connaissance, de l’Ecole de Vienne d’où est issu Popper. Boris Souveraine[6], le premier à avoir analysé en profondeur le communisme, avait montré comment il avait poussé sur le fumier de la décomposition des sociétés traditionnelles et non à partir d’elles.
Mais telle n’est pas la voie qu’a suivie l’école de Francfort ( Adorno, Marcuse, Reich etc.) qui, sur la base d’une sociologie sommaire, a prétendu montrer que c’était les sociétés traditionnelles qui avaient engendré le nazisme et le fascisme. Bien plus que de Popper, Soros est un disciple d’Adorno. Les déconstructeurs français ( Foucault, Deleuze, Derrida, Bourdieu) , ont poursuivi sur cette voie. Détruire les nations et la famille est pour ces gens une démarche antifasciste. C’est là aujourd’hui l’idéologie dominante.
Il est vrai que certains théoriciens conservateurs comme de Bonald ou de Maistre , auxquels Maurras a plus ou moins emboîté le pas , en haine de la Révolution française, avaient tenté de promouvoir ( avec bien peu de succès il faut bien le dire en dehors du régime de Vichy ou du salazarisme ) un modèle de société compacte, « organique » où l’individu serait enserré de toute part dans des réseaux hiérarchiques. Ce faisant, ils ont fourni un beau repoussoir aux idées de l’Ecole de Francfort et à la révolution libertaire qu’elle a inspirée. N’ayant plus après 1990 de vrai totalitarisme à se mette sous la dent, Soros et ses émules ont entrepris, au nom d’un libéralisme devenu idéologique , de détruire tout l’héritage de la civilisation occidentale.
Or ces amalgames reposent sur un contresens historique. L’esprit de liberté n’est pas né en 1789. Il souffle sur l’Europe chrétienne depuis les origines du christianisme A Poitiers, franc veut dire libre, musulman veut dire soumis. Chateaubriand se gaussait des contre-révolutionnaires de son temps qui, au motif de combattre les idées de la Révolution , voulaient copier l’empire ottoman ( autre modèle de société totalitaire). Comme son inspirateur Burke , Chateaubriand a compris que la tradition européenne débouche sur le vrai libéralisme , limité, éclairé, respectueux du passé et des médiations sociales et qu’à l’inverse, il n’y a pas de liberté sans l’appui d’une tradition[7]. « La liberté est sur la croix du Christ et elle en descend avec lui »[8], « La liberté émane de Dieu qui livra l’homme à son franc-arbitre » [9].
De fait tradition et liberté sont inséparables. Pas de liberté possible pour un homme sans passé, sans racines, sans traditions, et donc sans esprit critique par rapport aux pouvoirs, cet esprit critique qui nourrit la vraie démocratie. La liberté et non les libertés : étonnante adhésion, par cette formule bien connue, de Maurras au positivisme juridique qui est aujourd’hui la machine de guerre avec laquelle le totalitarisme libertaire détruit le droit naturel . Francesco de Vitoria enseignait à Salamanque en 1570 les droits inaliénables des Indiens, pas leurs droits positifs. La liberté et non l’idéologie pseudo-libérale ( et libertaire ) contemporaine, délire qui conduit à l’esclavage. « Si la religion chrétienne s’éteignait, on arriverait par la liberté à la pétrification sociale où la Chine est arrivée par l’esclavage » [10].
Toute bonne propagande doit dire la vérité des choses. Le combat qui est la nôtre n’est pas celui du populisme contre le libéralisme , encore moins celui de l’autoritarisme ( qu’il faut laisser à Castaner), celui de la politique naturelle, voire de la civilisation, contre l’idéologie , celui du réel ( qui comprend la nature humaine) contre les billevesées, celui d’hommes libres contre les commissaires politiques , celui de nations libres contre le mondialisme orwellien, de gens qui tiennent autant à leur souveraineté individuelle qu’à celle de de leur pays contre le globalisme à la Soros et qui peuvent se réclamer tout autant des valeurs traditionnelles que de la liberté. On ne gagne jamais contre la liberté. C’est pourquoi la bataille du populisme doit être aussi celle de la liberté.
Roland HUREAUX
[1] L’Opinion, 31 Juillet 2019
[2] Plus que de leurs militants
[3] Déclaration faite à la suite de la victoire de Tsipras aux élections de Grèce, 16 janvier 2015
[4] Pierre-Antoine Plaquevent, Soros ou la société ouverte , Le retour aux sources, 2019.
[5] Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, 1945, réed. Le Seuil, 1979, 2 vol.
[6] Boris Souvarine, Staline, aperçu historique du bolchevisme, , 1935, réed. Gérard Lebovici 1935.
[7] Ce disant, nous ne tentons nullement de réhabiliter le « libéral-conservatisme » de Bellamy qui, par son adhésion à l’Europe de Bruxelles, ne saurait être tenu pour un vrai libéral au sens où nous l’entendons.
[8] Notes et pensées
[9] Génie du christianisme , 4e partie, VI, 11.
[10] Mémoires d’Outre-tombe , appendice XXV.