LECTURES
LA BRUYERE,
Les Caractères , in Œuvres complètes, La Pléiade
publié dans Commentaire
19/09/2019
Je m’étais promis de consacrer l’année à relire les classiques du XVIIe siècle, le cœur de notre culture. Après Boileau, Racine, La Rochefoucauld, La Fontaine, est venu le tour de La Bruyère.
Cet auteur est généralement classé parmi les moralistes et ses célèbres Caractères vus comme une étude de la nature humaine en général. Ils peuvent être lus aussi comme une étude sociologique et historique.
S’il parle de beaucoup de choses et de gens , La Bruyère , qui écrit vers 1690, a quelques thèmes récurrents qui, il faut bien le dire, composent un portrait peu flatteur de la société française sous Louis XIV.
Que faut-il en retenir ?
Que les titres de noblesse s’achètent . Le prix est élevé mais tous ceux qui en ont les moyens peuvent y accéder . Il convient ainsi de revoir les idée reçues sur le caractère bloqué de la société d’Ancien régime . Je ne crois pas qu’une étude exhaustive de la mobilité sociale aux XVIIe et XVIIIe siècle ait été faite : elle réserverait bien des surprises.
Il reste que les moyens de s’enrichir sont limités. Plus ouverte socialement qu’on ne pense , la France classique est encore stagnante sur le plan économique, faute de progrès techniques significatifs. A en croire La Bruyère, ceux qui parviennent à s’enrichir sont des « rats » qui ne pensent qu’à l’argent, des Harpagon ou , si l’on veut, des personnages balzaciens avant la lettre. Qualifiés ou pas , ils achètent une charge anoblissante pour eux ou pour leurs enfants et le tour est joué. L’esprit de la chevalerie n’est pas forcément au rendez-vous.
La Cour ayant donné le ton à la Ville , ceux qui gagnent un grade dans la hiérarchie ( de sous-chef à chef de bureau, de greffier à procureur, de roturier à petit noble ) , mettent un point d’honneur à ne plus adresser la parole à ceux qui sont restés en arrière. Sympathique ! La Bruyère décrit déjà la « cascade du mépris » qui , selon Michelet, caractérisait l’Ancien régime. Je ne sais si la Révolution y a vraiment mis fin, mais il se peut qu’on doive à la démocratie élective que , de nos jours, les supérieurs daignent serrer la main des inférieurs, tout bourgeois étant en République un candidat en puissance.
L’auteur s’étend aussi sur la dévotion obligée et nécessairement hypocrite des trente-cinq dernières années du règne de Louis XIV. La Bruyère , croyant sincère, très au fait des querelles théologiques de son temps, comme en témoignent ses délicieux Dialogues sur le quiétisme, la distingue de la vraie piété.
Bref un utile antidote pour ceux qui, au vu des turpitudes des républiques successives, seraient tentés d’idéaliser l’ancienne monarchie. D’ailleurs , s’il rend au grand Roi les honneurs de commande, qui sait le fond de la pensée politique de l’illustre écrivain ?
RH