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Roland HUREAUX

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5 novembre 2021 5 05 /11 /novembre /2021 20:23

Le Père Gitton ayant proposé un échange par internet de réflexion  libres sur la crise de l’Eglise , voici, dans le désordre, quelques   réflexions.

14/12/2020

Oui, je crois qu’il y a une crise de l’Eglise d’Occident  . Nous connaissons tous  les signes de son déclin en Europe occidentale ( catholiques et protestants).  Aux Etats-Unis , la haine antichrétienne, autour de la question de l’avortement  et de l’homosexualité,  divise profondément  le pays  alors que pendant des décennies on avait répété  que les Etats-Unis, pays religieux,  eux, ne connaissaient pas l’anticléricalisme à la Combes. Sont exempts semble-t-il de  cette évolution la Russie ( et encore )  , l’Afrique noire,  la Chine et toute l’Asie dont la péninsule  arabique où le christianisme progresse. On pourrait à la rigueur ne pas s’inquiéter pour l’Eglise elle-même qui peut bien déserter l’Europe et redémarrer sur d’autres continents , comme elle a déserté autrefois l’Asie mineure. Mais  je me soucie aussi de l’avenir de la civilisation européenne parce que c’est la mienne, parce qu’elle me parait essentielle à la bonne marche du monde,  parce que le catholicisme en est un  composante centrale  et que sans lui , elle va mourir, comme on l’observe déjà.

Je dois penser à mes ancêtres qui m’ont transmis  un certain héritage et à mes enfants qui doivent pouvoir en recevoir un qui se situe dans sa continuité .

Il faut  penser aux sentiments de tous ceux  qui ont consacré leur  vie au service de l’Eglise et qui ne peuvent se  contenter d’un faux optimisme.

Ce faux optimisme peut être alimenté par cette considération, incontestable, que le fait religieux est  bien davantage sur la scène publique qu’il y a soixante   ans : à cause des médias, à cause de l’islam , à cause des débats de société qui n’avaient pas lieu autrefois.

Mais ce n’est là  qu’un préambule ; ce n’est pas là-dessus que doit porter d’abord la  réflexion.

 

L’ambiance sociale  et culturelle dans laquelle s’accomplit l’action   pastorale  est déterminante. Prenons deux frères entrés au séminaire vers 1960, l’un dans un diocèse de France , l’autre chez le Missionnaires d’Afrique.  Même milieu familial, mêmes études  ou presque, même vie spirituelle.

Le premier connaîtra les déceptions que l’on sait, avec un statut social diminué .

Le second  aura vu, sans efforts particuliers,  sinon de faire son travail sacerdotal ordinaire, des milliers de baptêmes d’adultes, de nombreuses vocations indigènes, avec un  haut niveau de considération sociale, même en terre musulmane. Je rappelle que, contrairement à ce qu’on croit, le christianisme ne recule pas devant l’islam en Afrique, ni en Asie , ni nulle part sauf en Europe.

Pour prendre une image fluviale, le premier  des frères a ramé toute sa vie contre le courant, le second a ramé avec  le courant.

L’Eglise  n’est pas à la mode en Europe, elle est à la mode en Afrique ( et ailleurs ),  comme elle l’était en Europe occidentale aux IVe, Ve, VIe siècles.

 

Il ne faut pas tout faire remonter à la  Révolution française. Jamais en France la pratique  religieuse n’avait auparavant  atteint le niveau de 1789 ! Après  la crise que l’on sait,  elle a été suivie d’un siècle , le XIXe, où l’Eglise de France a rayonné comme jamais dans son histoire : nombreux prêtres , expansion missionnaire sur tous les continents  ( vers 1900, la moitié des  religieux et religieuses missionnaires dans le monde viennent de France), apparitions, exemples de  sainteté . Mais l’Eglise du XIXe siècle connait  tout de même la routine théologique,  une certaine difficulté à traiter  avec le progrès scientifique, une dénatalité qui ne vient pas forcément des milieux  catholiques mais qui a  , en France, cent ans d’ avance sur le reste de l’Europe. Il ne faut pas idéaliser non plus la pratique religieuse  au XIXe siècle  : dans certains romans de Balzac ou de Maupassant, on voit des régions entières profondément déchristianisées. Les missionnaires dont je parle ne viennent que d’une  partie de France. Sur la France entière , je ne  suis pas sûr que la pratique  ait jamais dépassé les 25 % ( sauf quand elle  était bien vue de la police : Restauration, Second Empire) .

Dans le première moitié du XXe siècle , l’élan s’est maintenu . Les persécutions de 1905 ( moins graves à mon sens que celles que nous infligent de  manière bien plus insidieuse les pouvoirs publics actuels ), n’ont pas ralenti l’élan  des vocations , notamment  missionnaires. La Grande guerre a un effet très positif sur le catholicisme ; non seulement la guerre apaise l’opposition  ( Léon Blum , premier président du conseil à se rendre à la Nonciature) mais l’Eglise  maintient  son influence jusque vers 1950 .

Maintien de  son  influence avec une nuance signalée  par Pierre Chaunu : la France de 1905 est deux fois plus féconde sur le côté catholique que sur le côté laïciste  .  De 25 % d’une génération, on arrive à 50 % pour les familles chrétiennes , ce que le Pr Lejeune appelait la « sélection spirituelle ». Mais une infériorité culturelle persistante  décolore au fur et à mesure une partie de la jeunesse issue du milieu catholique, de manière variable selon les époques et les milieux, accélérée depuis 1968 ( ce qu’ Emmanuel Todd appelle le catholicisme zombie , caractéristique de la Bretagne déchristianisée et passée au PS ).

L’Eglise du XIXe siècle avait en effet un point faible : sa faible aptitude  à se confronter au  progrès des sciences et à  contrer les idées  issue des Lumières, selon lesquelles elle n’ est plus de notre époque  ( Nietzsche : « Dieu est mort »).  Elle gère mal la question de l’évolution.  Elle met du temps à comprendre ce qu’il y a de positif  chez Freud. Quels que soient les mérites de Pie X , il est désastreux que l’Eglise ait désigné  comme « modernistes »  ses dissidents de la fin du XIXe siècle :  c’était les crédibiliser  et conforter l’idée qu’elle n’était plus de son époque. Engels a dit que la théorie de Carnot était une « invention des curés » mais quel ecclésiastique du XIXe siècle en a jamais parlé ? Ils étaient trop occupés à réfuter Darwin, ce que le magistère n’a jamais fait. Dans la  première moitié du XXe siècle, apparait au contraire une  génération d’intellectuels catholiques -  ou sympathisants  comme Bergson , une théologie plus vivante une fois surmontée la crise moderniste. Sur le plan scientifique, le progrès des connaissances ne la disqualifie pas, au contraire :   le Big bang, longtemps tenu en suspicion par le milieu positiviste , le principe d’incertitude etc. la permanence du génome humain bouleversent la vision positiviste du monde.  Certes, l’opposition entre l’Eglise et les Lumières demeure un problème mais moins aigu qu’au XIXe siècle.

L’Eglise du XXe siècle accroit ainsi   sa capacité de dialogue et son intégration dans le mouvement  intellectuel général  ; elle devient  plus crédible.  Nous connaissons la conversion de grands intellectuels vers  1900. Apparait aussi  vers 1900 un  catholicisme de gauche qui reste intransigeant  sur le dogme ( ex. Maritain), ce qui n’existe plus aujourd’hui.   

Pourtant l’environnement se dégrade à partir de 1945 . Un autre front s’ouvre, celui de la morale sexuelle. Pourquoi ?

Tout part de l’expérience de la deuxième guerre mondiale , de la Shoah et de l’interprétation que lui donnèrent certains philosophes dits  de l’Ecole  de Francfort  ; ils se réclament de Freud mais Freud  n’a jamais  avalisé leurs thèses.

Face au nazisme, l’opinion populaire  était que  l’Eglise enseignait le bien et que le christianisme  n’avait rien à voir avec les brutes immorales qui dirigeaient   les régimes totalitaires . Le premier réflexe des Allemands, des Italiens, et même des Français  , en réaction au socialisme national et à ses alliés,   fut de se tourner vers  des partis démocrates-chrétiens, supposés à l’autre bout du spectre ,  personne , dans l’électorat  ne doutant alors que   l’Eglise était du côté du bien.

Les philosophes de l’école de Francfort ( Adorno, Reich, Benjamin, Marcuse)  ont quitté l’Allemagne en 1933 pour se réfugier  aux Etats-Unis et sont revenus en 1945   dans les bagages de l’armée américaine désireuse d’éradiquer les racines du nazisme en Allemagne et en Europe. A partir d’enquêtes sociologiques contestables, Adorno a répandu  une équation perverse  : les gens les plus vulnérables aux idées nazies étaient , selon lui, ceux qui avaient le  plus  subi l’influence  de la famille européenne ( et chrétienne )  traditionnelle. Pour  vacciner l’Europe contre le retour de ces idéologies, il fallait détruire la famille  et donc l’héritage chrétiens.  L’instrument en serait  la libération sexuelle, la répression des instincts par la morale classique entrainant la  névrose,  la perversion et menant  au crime. Ces idées sont reprises par  Reich, Marcuse et bien d’autres. Sous une autre forme, trente ans plus tard par la French theory ( Foucault, Deleuze, Derrida – pas Lacan qui justifie la morale traditionnelle de manière cryptée).  Le roman , et le cinéma , obsédés par le question sociale avant 1939, ne s’intéressent plus qu’à celle de la sexualité  à partir de 1945.

Si Hitler qui était antichrétien et Mussolini fort peu religieux ne pouvaient guère  conforter un tel amalgame , Pétain et Franco en revanche ne s’y  prêtaient que trop.

Ainsi, pour la première fois de son histoire, l’Eglise était,  de manière subliminale, du côté du crime. Au lieu de « défendre les brebis contre les loups », la hiérarchie a multiplié les gestes de repentance qui ont conforté l’opinion  dans cette vision erronée de l’histoire . Quel jeune  n’apprend pas , même à l’école privée, que l’Eglise a commis tout au long de son histoire une longue kyrielle de crimes ?

Le temps que ces idées  fassent leur chemin, on arrive à mai 68 qui fut pour elles  un puissant relais.

La théorie de la libre sexualité pouvait d’autant mieux faire son chemin que la société de consommation en  émergence  faisait de la  jouissance un devoir civique : à l’heure des supermarchés,  recherche du  plaisir = achats de biens de consommations = croissance économique = emploi pour tous. Difficile d’être rigoriste en matière sexuelle quand tout poussait à l’hédonisme dans la vie économique.

La baisse des vocations sacerdotales  n’est  pas une tendance continue depuis le 60 ans  ans comme on tend à le faire croire. Elles se maintiennent à peu près jusque vers 1970 , soit la génération issue de la guerre,  avant d’enregistrer   une chute brutale en 1970-1975 ( comme d’ailleurs la natalité, même en pays protestant, ce qui relativise l’effet de Vatican II  ) d’environ 600 à 120 par an .  Depuis 1975, il n’y  pas,  à ce qu’il  semble, une baisse des ordinations  ( en incluant les dissidences et les vocations monastiques masculines  , elles se maintiennent   à ce  niveau avec de légères fluctuations : un  passage au-dessous de 100 ( chiffres à vérifier)  vers 2000 ,  qui pourrait être dû à l’invasion de la télévision ( puissant relais hédoniste ) dans la vie des enfants  nés vers 1980 ), une remontée après la Manif pour tous , ce qui montre que l’engagement politique ne dessert pas l’Eglise, au contraire .

Il ne faut pas être un démographe de  grande  pointure pour comprendre qu’une chute brutale de 600 à 100  nouveaux prêtres se transforme en un déclin continu quand on  l’envisage sur le long terme : chaque année – 600 + 100 = - 500. Mais dès que la génération de l’après-guerre sera  entièrement retirée ou décédée,  l’effectif sacerdotal en France devrait se stabiliser sur un flux de – 120 + 120 , à multiplier par  40 ou 50 ans d’activité pour avoir l’effectif global .

La froideur de ces chiffres  marque une mutation sociologique profonde  ; la fin du recrutement provincial et populaire, surtout paysan , le quasi-monopole des familles de la  vieille bourgeoisie, voire de l’aristocratie , - ou de quelques jeunes sans racines chrétiennes particulières , purs produits de l’Esprit .  Ainsi se termine l’alliance conclue aux XVIIIe et XIXe siècle entre l’Eglise de France et la paysannerie aisée et une partie  de la petite bourgeoisie de province, moins par un rejet violent de type soixante-huitard que par indifférence et conformisme. Dans les familles nombreuses parisiennes, beaucoup de jeunes s’installent en province où ils participent à la régénération des paroisses, selon un phénomène de geyser. De  sensibilité  presque toujours traditionnelle au départ, les séminaristes qui ne vont pas  chez les dissidents, s’adaptent au cours de leur carrière  à un milieu  conciliaire devenu par lui-même stérile.  

Quel a été  l’impact du concile Vatican II sur  ces évolutions ? Je ne  sais. Ayant suivi le petit catéchisme d’avant le concile je ressentais, bien que très  jeune, une église déjà  sur la défensive et quelque part complexée , se sentant en porte à faux . Le  renouveau théologique n’avait touché que les élites. Elle était donc vulnérable au premier choc .  Loin  d’être  la solution attendue à la crise ,  le concile  ( et surtout son environnement et ses suites) a aggravé le problème.

Autres  considérations  importantes :

  1. La mutation la plus fondamentale me parait la fin de la peur de l’enfer dans les masses. Qu’on le veuille ou non, dans l’avant-concile, beaucoup de  gens allaient à la messe ou  ne divorçaient pas par peur de l’enfer plus que par amour de l’Eglise ou de leur conjoint(e).  Le petit catéchisme avait formalisé cela sous l’appellation de la « grâce imparfaite ».  Pourtant  le Concile n’a nullement changé la doctrine traditionnelle sur ce sujet.

 

  1. L’école publique d’avant 1968 , fidèle à la Lettre aux instituteurs de Jules Ferry,  était très respectueuse de toutes les convictions et portait un fort enseignent moral dont   les enfants voyaient bien qu’il  convergeait  avec celui du  catéchisme ( cf. sur ce sujet un beau texte du cardinal Saliège  )  ; depuis 1968, la laïcité a changé de sens : suppression de la  morale, peu de respect pour les convictions des enfants, propagande antichrétienne insidieuse chez beaucoup  de professeurs. Cela aussi est destructeur.

 

  1. Le nouveau catéchisme qui a repris toutes les aberrations du pédagogisme laïque  a eu un impact négatif considérable . Il a un caractère suicidaire. Je m’interroge sur sa  genèse : bêtise , effet de mode ou volonté de nuire ? .  

Pour conclure  provisoirement, avant le  débat qui devra avoir lieu entre nous,  je ne vois aucune solution claire  à la crise . Je pense que l’Eglise passe pour plus généreuse qu’autrefois , mais perd sa  capacité de conviction si ses représentants ne  sont pas sûrs d’eux . Or pour être sûr de soi , il faut avoir une forte capacité d’argumentation et donc une foi évoluée.

Cela implique de ne pas donner tout au témoignage et rien à la raison. Certes ce ne sont  pas les arguments qui convainquent  la majorité de nos concitoyens, c’est bien  le témoignage, mais le témoignage doit être d’abord celui de gens équilibrés et  sûrs d’eux  - donc instruits.  Il se peut que les musulmans convertis, moins « décadents » aient aussi à y prendre  de plus en plus leur part .

 

RH

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