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Roland HUREAUX

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5 novembre 2021 5 05 /11 /novembre /2021 20:37

UNE REVOLTE A MAINS NUES,  IDEOLOGIQUEMENT

Publié dans le collectif  Gilet jaunes, jacquerie ou révolution, aux éditions Le Temps des cerises

01/01/2021

Le mouvement des Gilets jaunes  répond par sa singularité à une situation elle-même sans précédent. Il  apparait  comme une révolte à la fois héroïque et  pathétique contre  un système national et international  en voie de durcissement.

Un tournant fondamental s’est produit en Occident  il y a environ trente ans : les classes dirigeantes au niveau  international se sont mises à  appuyer leur  pouvoir sur une idéologie se réclamant de  la gauche !  

Idéologie a plusieurs sens : au sens  employé par Karl Marx  dans L’Idéologie allemande, toute  classe sociale , tout régime a son     idéologie , à la fois instrument de pouvoir et moyen de s’illusionner sur    les rapports d’exploitation qui les sous-tendent, de  se donner une bonne conscience qui est aussi une fausse conscience. 

La critique , sinon du marxisme, du moins du communisme réel [1]  par toute une génération d’intellectuels, souvent eux-mêmes transfuges du marxisme , comme Boris Souvarine, George Orwell, Hannah Arendt, Alain Besançon, Jean Baechler   et les dissidents soviétiques a  mis  en avant une concept  plus restreint et plus spécifique  de l’  idéologie : pas n’importe quel  ensemble  d’idées politiques  mais un système fermé  , généralement à prétention  scientifique , présentant au moins trois caractères :

  • Une simplification outrageuse de la réalité  historique et sociale à partir de quelques idées,   toutes les politiques  menées en tout domaine étant déduites de ces idées .  « Les idéologies sont des ismes qui peuvent tout expliquer en les déduisant d’une seule prémisse » ( Hannah Arendt, Le système totalitaire ) . Ces prémisses ont presque toujours  une part de vérité mais,  généralisées, elles ignorent  la complexité du  réel et  ne peuvent lui être imposées qu’en le violentant.  Il  est ainsi vrai que la  lutte de classes est une donnée centrale de l’ histoire ; dire que toute l’histoire se résume à  elle, c’est de l’idéologie. Il est vrai que  le marché est une réalité anthropologique essentielle ; passer de ce constat au  tout-marché , c’est de l’idéologie.
  • Une dimension messianique : l’idéologue croit au progrès de l’humanité et veut y contribuer ; il pense même en connaître le seul chemin, celui de son système   ; ceux qui y résistent ne se voient dès lors pas opposer des arguments, mais  le reproche infamant de s’opposer au vent de l’histoire[2] ;
  • Compte tenu de  cet enjeu existentiel , l’idéologie débouche  sur une démonologie, une vision manichéenne du monde  qui se résume à une lutte du bien contre le mal , du « progressisme »  contre le « populisme » dit Macron ou contre la « réaction ».

 

Comment l’idéologie est passée de la périphérie au centre

 

En ce sens  étroit, la bourgeoisie du XIXe siècle n’était pas idéologue. Elle était composée de gens pragmatiques , formés par le  latin et la culture classique, école de la complexité , propriétaires  terriens et donc près des choses ,adeptes d’un libéralisme économique mesuré qui n’excluait ni le protectionnisme , ni l’intervention l’Etat. Elle était souvent alliée  à la vieille aristocratie soit par   des  mariages , soit dans  des gouvernements  de coalition. L’esprit de système lui était étranger. 

Si idéologie il y avait alors , elle se situait à la périphérie   de la société dominante: la classe ouvrière, devenue nombreuse, s’organisait , empruntant  sa vision du monde d’abord au socialisme utopique , puis  au marxisme. Aux marges de  la société russe , apparut la figure  de l’intellectuel révolutionnaire.

Bien  que les concepts marxistes se soient  avérés au siècle suivant  peu opérants pour organiser l’économie et la   société, ils furent  d’une grande utilité pour donner au premier mouvement socialiste une vison de monde lui  permettant  de résister à la toute-puissance de la bourgeoisie. Comme on disait   , le marxisme  représentait une   « arme »  pour la classe  ouvrière ; la cohérence, la discipline intellectuelle qui s‘en suivait, la part  de réalisme que comportait cette vision du monde , permettaient aux organisations ouvrières  de s’arc-bouter pour résister à la formidable pression sociale et intellectuelle qu’exercent toujours les  dominants  sur les  masses ( bien que les  le médias de masse n’aient pas encore existé ).  

Le fait nouveau de  la fin du XXe siècle est que cette carapace idéologique a migré de  la périphérie de la société vers son centre.  La superclasse dirigeante du monde occidental, le oligarques qui possèdent les grands médias et dictent leurs politiques aux  gouvernements fondent désormais leur pouvoir sur une idéologie rigide[3] .

Cette idéologie , nous la connaissons : l’ultralibéralisme économique , le mondialisme  ( dont l’européisme n’est qu’une déclinaison régionale ) , l’attrition progressive des Etats,  des régulations sociales , l’ouverture des frontières aux marchandises, aux  capitaux, à la main d’œuvre.  Cet ultralibéralisme économique , au départ conservateur (doctrine Reagan),  s’est allié au contraire sous les    Clinton avec les idées sociétales les plus avancées : relâchement du lien familial, promotion des sexualités  alternatives, destruction des repères judéo-chrétiens. Le macronisme s’inscrit dans cette ligne.

L’idéologie  euromondialiste présente  tous les  caractères de l’ idéologie au sens étroit   :    une rationalité  simplifiée  à base de libre échange généralisé  ,   un messianisme qui vise  « la fin de l’histoire » ( Francis Fukuyama )  et, on le voit de plus en plus, un manichéisme exterminateur  qui rejette  tout ce qui lui  parait « politiquement incorrect ».

 

Fin de la démocratie

 

Le propre d’une démarche idéologique  est que pour ses  promoteurs, elle prévaut   ( en raison de son enjeu messianique ) sur  toute autre considération : les règles constitutionnelles, les  libertés fondamentales , la tolérance  ou  ce qu’Orwell appelait  la common decency  et surtout la démocratie.

On se souvient de la déclaration  de Juncker selon laquelle « il ne saurait y avoir de choix démocratique contraire aux traités européens ».  On se saurait donc être étonné que  l’idéologisation du capitalisme ,  se traduise par un rétrécissement toujours plus grand  des libertés.  Un phénomène patent dans la France de  Macron : après la loi contre  les fake-news,  la loi Avia en discussion au Parlement se propose de censurer les propos « haineux » sur la toile - mais qui déterminera qu’ils  sont haineux ? Avec son « plan d’action contre la désinformation » ( 14 juin 2019) la commission de Bruxelles met en place toute  une panoplie  de restrictions à la liberté d’expression. Les mesures envisagées impliquent  une collaboration avec les Gafas ,  principaux acteurs du capitalisme mondialisé  dont on peut se douter quel genre de démocrates ils sont.

Parallèlement , du fait de l’emprise croissante des oligarques, l’uniformité des médias   atteint un niveau sans précédent en Occident.  Chateaubriand avait en son temps montré comment  le pluralisme  de la presse était la condition d’élections libres. 

Les  tribunaux se mettent de la partie : au motif de combattre le racisme , l’homophobie, la xénophobie, ils restreignent sans cesse  la liberté d’expression.    

Même si les sociétés libérales  n’ont pas encore ouvert de camps, les pressions professionnelles , personnelles, se font de plus en plus dures à l’égard de toute  dissidence : il est par exemple impossible de garder son  emploi parmi les  cadres supérieurs des entreprises du CAC 40 en critiquant  de l’euro ( comme le font pourtant 11 Prix Nobel d’économie ! ) . Paradoxalement l’Etat  parait , au moins aux échelons moyens,   un havre de liberté,  aussi longtemps  que le statut de la fonction publique ne sera pas, libéralisme oblige, abrogé. Les concours sont de  plus en plus remplacés par des entretiens qui jugent tout autant la conformité que les aptitudes.

Le recul de la démocratie est intrinsèque  à l’idéologie .  Il  l’est aussi  aux inégalités excessives. Solon n’avait pu instaurer  la  démocratie à Athènes  qu’en limitant les écarts de richesse entre les  citoyens[4].  Elle n’est plus possible s’ils sont trop grands.  Les manœuvres de l’oligarchie mondiale pour imposer Macron à  la France ( incluant l’affaire Fillon , violation flagrante de  la  séparation des pouvoirs) est une atteinte grave à la démocratie. Sans précédent est  la férocité de la répression de Gilets jaunes (même Mai 68  fit bien moins de victimes). Ce durcissement est intrinsèque à tout  régime idéologique.

Les classes dirigeantes ont  toujours eu dans la société une influence prépondérante par les moyens de l’autorité publique et de l’argent mais aussi par le prestige de la supériorité sociale .   Il fallait autrefois une audace singulière au mouvement ouvrier pour y résister.  Le fait nouveau est que désormais la puissance   que donne cette supériorité sociale est   démultipliée par celle que confère le carcan idéologique.   Jamais  la bourgeoisie  n’eut au XIXe siècle autant de pouvoir qu’en a celle d’aujourd’hui.   

A la conjugaison  de la supériorité sociale et  de l’armature idéologique , s’ajoute  l’internationalisation   des rapports de classe. Nous sommes passés du capitalisme « dans un seul pays » au capitalisme mondialisé dont les  segments nationaux   sont solidaires: des institutions comme le club du Bilderberg ou la Trilatérale,  le Forum de Davos ou le  Council for foreign relations , et de multiples  autres moins connues prétendent contrôler la planète.  D’où leur impatience devant des entités comme la Russie  ou la Chine qui résistent à  ces prétentions. Impatience aussi devant toute revendication populaire n’entrant pas dans ses schémas préétablis. Le « populisme » et devenu une appellation   infamante .  Le populus latin est-il   pourtant autre chose que le démos grec ?

On se demande pourquoi le  capitalisme mondial a éprouvé le besoin de    se protéger ainsi, bien mieux que dans le passé.  Au XIXe siècle les travailleurs pouvaient occuper une usine ou  un  château ; aujourd’hui la vraie richesse est hors de portée : ce sont des lignes de crédit  entièrement numérisées dans des paradis fiscaux .  Pourtant cela ne semble pas suffire   aux nouveaux oligarques. Il leur faut un contrôle de l’opinion interdisant  toute remise en cause d’un ordre mondial à leur service. Autisme propre aux  très  riches avec le  complexe obsidional  qui s’en suit , surcroit  de cupidité ou emballement autonome de la machine  idéologique ?

Quand nous parlons des riches nous ne devons plus imaginer une bourgeoisie à l’image de celle du XIXe siècle et  qui a prévalu  jusqu’aux années soixante : le chef d’entreprise, le banquier  mais aussi le notaire, le pharmacien , le rentier.  La puissance sociale se concentre désormais  dans les 0,1 % qui dirigent le monde et que seules certaines familles du CAC 40  représentent en France. Le patron de PMI  frappé par la mondialisation n’en fait   plus partie. Le système,  qui  écrase impitoyablement  le pouvoir d’achat  populaire : stagnation des salaires  sous prétexte  de  concurrence mondiale, hausse incessante des prix des services publics ( eau, électricité, carburant) , écrase aussi bien les  classes moyennes , par la lourdeur de impôts et  la libéralisation des professions protégées. Ce laminage des classes moyennes de tous les pays  distingue fondamentalement le capitalisme mondialisé de celui de l’époque classique. Classes  moyennes qu’il faut entendre au  sens large : tous ceux qui gagnent  leur vie en travaillant et dont les plus vulnérables ont occupé les ronds-points .

Le système fait en revanche un sort à part aux  bénéficiaires des dispositifs sociaux   . Plus pour préserver la paix sociale  que par générosité ,  il  distribue  largement  , au moins en Europe,  des revenus de substitution à ceux qui sont rejetés hors du système   du fait de leurs handicaps ou de la  récession  organisée ( notamment par l’euro)  pour contenir les salaires.  Malgré les rodomontades  antisociales  des libéraux,  ces protections demeurent  . Pour les  vrais  maîtres du monde , leur  coût   est supportable  car il repose entièrement sur les classes moyennes  ; leur importe peu  la frustration des travailleurs pauvres , même  immigrés, qui voient les bénéficiaires de ces dispositifs complexes et mal gérés gagner parfois autant  qu’eux. Le nouveau capitalisme  méprise  la valeur -travail.

L’immigration, dans ce tableau,  est plus qu’une soupape de sécurité .  La bourgeoisie internationale a conclu un pacte implicite avec les peuples du tiers monde ( ou les passeurs)  pour qu’ils investissent largement les pays développés. Le rapprochement familial  fut  instauré dans  les années soixante- dix  à un moment où le patronat cherchait à prendre sa revanche sur l’humiliation de mai 68  . De cette revanche, l’approfondissement  de la construction européenne fut un moyen,  le recours  massif  à la main d’œuvre  étrangère un autre. En plus grand , le  même processus s’est  déroulé au Etats-Unis , plongeant dans  la pauvreté l’ancienne classe  ouvrière, soit près d’un  tiers de la  population.   

Ne mettons pas en doute la bonne volonté d’un Donald Trump qui , par un retour au protectionnisme et une contrôle musclé de l’immigration , veut  redonner du travail et un revenu décent au travailleur  américain qui  a voté pour lui.  Y arrivera-t-il ? C’est une autre  question .Mais il est significatif  que , comme presque tous  ses prédécesseurs  , il a  dû  payer son tribut aux oligarques  en allégeant encore davantage leurs impôts.   Qu’ils soient de droite ou de gauche, les chefs d’Etat ne peuvent plus être élus et  rester au pouvoir  sans multiplier les faveurs aux plus riches. Hollande , qui prétendait de pas les aimer, a , sous  l’impulsion de son ministre des finances Macron ,  été un des plus généreux à leur  égard . Ce dernier, pur produit du système que nous venons de décrire, porté au pouvoir par de grandes manœuvres de l’oligarchie mondiale désireuse de « normaliser » la France,   a continué sur cette voie,  de manière encore plus ample, notamment par la suppression   de  la part financière de l’ISF – mais pas la part foncière  qui ne touche  que les classes moyennes.

Si l’ordre ultralibéral, un moment proche du conservatisme sociétal,  a trouvé plus avantageux, notamment sous l’impulsion d’anciens trotskystes fallacieusement  appelés « néoconservateurs »,   de  s’allier avec  les tenants d’une société libertaire , c’est que les uns et les autres partagent   le projet d’abolir toutes les régulations permettant au peuples de se situer , d’avoir des repères : repères nationaux, Etats, culture classique, famille, distinction des genres, opposition gauche/droite, repos dominical, en France structures territoriales, notamment la commune, gravement subvertie , services publics,  syndicats et ordres professionnels. Le but est  non seulement de constituer un gouvernement   mondial mais aussi de supprimer toutes les médiations susceptibles de le  contester  en réduisant les peuples à  un tourbillon de « particules élémentaires » , malléables , fongibles,  sans racines,  sans principes et sans culture , exploitables  à merci.

 

Le grand capital est  à gauche !

 

Cette nouvelle configuration historique a permis ce que personne n’aurait imaginé dans les générations  précédentes :  la classe dominante  mondialisée a adopté l’idéologie de gauche  . Le grand capital est passé à gauche !   Certes, il ne s’agit pas  pour lui  de partager  une  richesse de plus en plus écrasante  mais  égaliser par  le bas tous les  autres, soit    99,9 % de la population, ne le gêne pas.   Il a  surtout  fait sien  le vieux rêve internationaliste: « si tous les gars du monde se donnaient la main », ce qui signifie aujourd’hui  l’ouverture des  frontières aux capitaux, aux marchandises et à une main d’œuvre à bon marché, des agressions  impérialistes en théorie au nom des droits  de l’homme , en fait pour contrôler  les champs  de  pétrole (Irak, Libye, Syrie ) , la diabolisation de  tous  ceux qui ne se résignent  pas à l’attrition des  Etats ou à la dissolution des structures intermédiaires. 

Ceux qui chantent cette chanson n’imaginent  généralement  pas que   les riches,  mobiles, maîtrisent beaucoup   mieux que les pauvres  les règle du jeu de la mondialisation laquelle,  de manière intrinsèque , accroit l’écart  des richesses. Tout ce qui rapproche les peuples ( en fait les Etats) éloigne les classes sociales.   Le mondialisme est un système de vases communicants où les plus riches  des différents pays s’alignent sur le plus riches du monde , où les plus pauvres  doivent s’aligner sur les  plus pauvres   d’Afrique ou d’Asie.

L’ennemi désigné du capitalisme , ce sont les Etats-nations, il est donc à droite , facilement amalgamé  à une extrême droite qui  semble se complaire  dans le rôle du  repoussoir que le système médiatique lui a assigné .

Les clefs de l’influence , le triangle d’or,   sont aujourd’hui une grande fortune,  la possession d’un  grand média,   une image de gauche . S’il manque l’un de ces trois piliers , comme par exemple à la famille Dassault qui n’a pas une image  de gauche, le trépied est bancal . Xavier Niel ancien proxénète, 8e fortune de France,  a les trois  piliers ; il téléphone, dit-il,  tous le soirs à  Macron pour  le conseiller. La gauche donne au grand capital le lustre  moral qui lui manquait.

Ainsi est rompue l’alliance constitutive de la  gauche depuis 1789 , entre le peuple et l’espérance messianique. Dit autrement, le capitalisme a réussi à confisquer aux peuples jusqu’à leur arme idéologique bicentenaire et leur privilège moral  bimillénaire [5]. L’idéologie  étant intrinsèquement mensongère, il suffisait d’y penser.

 

Une révolte à mains nues

 

Confrontés à cet immense carcan , il fallait bien du courage aux peuples pour oser se rebeller . Beaucoup  pensaient que les Français étaient  définitivement amortis et n’attendaient plus  que de se laisser broyer par la machine euro-mondialiste . Même les références de gauche qui  alimentaient le discours de la révolte leur avaient été volées.  D’avance une telle révolte était  stigmatisée sous le  vocable de « populisme ».

Pourtant à l’automne 2018, les Gilets jaunes ont osé . Révolte pathétique face  un pouvoir qui ne cache pas  sa volonté d’imposer l’ordre  ultralibéral au  prix même de l’intérêt national. Révolte  d’une population en voie de paupérisation .

Révolte aussi  d’un peuple  sans structures . Les syndicats affaiblis, et de fait intégrés au système,  n’ont pas voulu  l’  assumer  (comme en son temps la révolte étudiante de mai 68)  et encore moins l’encadrer.  Il est significatif que le mouvement  des Gilets jaunes ait suivi  de quelques semaines l’échec de la  grève contre la réforme  de la  SNCF – baroud d’honneur probablement concerté contre le démantèlement d’un service public emblématique.   

La révolte des  Gilets jaunes est pathétique  surtout parce qu’elle est privée  de  ce qui fit la force du mouvement ouvrier  aux XIXe  et  XXe siècle : une idéologie de combat portant une conception du monde, juste ou non qu’importe,   mais opérationnelle dans la lutte.   L’échec de l’expérience soviétique, la mutation de l’expérience chinoise vers un capitalisme caricaturalement inhumain , ont contribué au  discrédit des idéologies de contestation radicale que portait  la gauche. Au demeurant  l’extrême gauche européene peut  passer    pour un soutien indirect au système : le refus de dénoncer l’immigration de masse  ne peut que réjouir  le tenants du nouvel ordre mondial , de même le rejet  du patriotisme que la pensée dominante   assimile au nationalisme , au fascisme et à bien pire encore. Comment reconstituer, pourtant,  les régulations sociales à même de  protéger le faibles – et les classes moyennes,  sans   une certaine    réhabilitation des nations   ?  Il est significatif que ce soit   dans le vivier de l’ultragauche que le pouvoir est allé puiser pour assurer le pourrissement  du mouvement des Gilets jaunes et son discrédit vis-à-vis de la masse conservatrice.

Ajoutons l’influence d’un  matraquage médiatique  qui répercute avec une  efficacité  inégalée, même  dans les régimes totalitaires, l’ idéologie dominante .  La revendication des Gilets jaunes se limitait pour  l’essentiel au pouvoir d’achat mais il n’était pas bien vu autour des ronds-points de remettre en cause l’euro, pourtant  principale cause  de la réduction du niveau de vie  en France et dans une partie de l’Europe .  Pas davantage,  le réchauffement climatique accepté sans  critique par la plupart de Gilets jaunes : ils voulaient seulement que le prix n’en soit pas payé que  par le peuple . Mais n’est-ce pas là précisément le but  de ce que Rémy Prudhomme[6]  appelle l’idéologie du réchauffement ( au sens d’Hannah Arendt)  que de faire payer le peuple ?

La rigidité du carcan idéologique qui enserre désormais le pouvoir macronien ne lui permettait que des concessions cosmétiques . Faute de  comprendre cette logique , certains Gilets jaunes ont pensé, de manière illusoire,  pouvoir contourner ce carcan par le référendum d’initiative citoyenne, ce qu’un pouvoir idéologique ne concèdera jamais.  

Le monde est-il  définitivement  verrouillé, de plus en plus inégalitaire  et de plus en plus autoritaire,  comme  un nouveau « 1984 » ?  Le mouvement des  Gilets jaunes   ne serait-il qu’un ultime sursaut  précédant un cadenassage généralisé ? Un tel pessimisme serait faire fi de l’histoire   qui est toujours  venue, à un moment donné,  bousculer ce qu’on croyait être  des situations définitives. L’Ancien régime,   avec ses qualité et  ses  défauts, semblait  une Bastille  imprenable ;  elle fut prise. Dans les années trente, les meilleurs esprits ne croyaient  plus à l’avenir de la démocratie libérale ;  elle a gagné en 1945. Personne   n’aurait imaginé  ( sauf le général de Gaulle ) que l’Union soviétique s’effondrerait: aujourd’hui, qui l’eut cru ?  Leningrad s’appelle à nouveau Saint-Pétersbourg .

Le mondialisme permet une concentration sans cesse croissante des fortunes. Mais  la cupidité a ses limites : dans un capitalisme qui reste  techniquement  fondé sur la   consommation de masse , le pouvoir d’achat populaire  ne peut être impunément laminé,   au risque du krach  .  C’est peu ou prou ce qui  arriva   en 1929.  Cinquante ans de capitalisme keynésien – dont la crainte du communisme ne fut pas la moindre motivation – nous  a préservés  de ce scénario. Il est à nouveau à l’ordre du jour.

Le  mouvement des Gilets jaunes a  montré que les peuples  que l’ultra-libéralisme idéologique s’attache    à anesthésier , bougent encore. A mains nues il a   suscité dans le système une immense  peur [7] .   Continuant à petit régime, il exprime un sentiment  populaire qui connaitra, n’en doutons pas,  d’autres avatars. Il demeure porteur d’espoir.

 

Roland HUREAUX

 

[1] Karl Marx, demeuré toute sa vie un esprit libre , aurait , croit-on, récusé toutes les idéologies qui se sont réclamées de lui .

[2] Cela vaut pour l’organisation  générale de  la  société ; cela vaut aussi pour de nombreuses politiques sectorielles , par exemple  les théories pédagogiques ou les méthodes de gestion publique .

 

[3] Certes , il était arrivé dans le passé que les bourgeoisies conservatrices fassent alliance avec les idéologues quand elles  se trouvaient gravement  menacées : avec l’ idéologie fasciste en Italie à la sortie de la première  guerre , avec   l’hitlérisme en Allemagne après  la grande crise.   Mais ces  épisodes furent transitoires et localisés. 

 

[4] Solon ( VIe siècle avant J.C.) imposa une remise des dettes et le partage des terres.

[5]Ce  privilège est  issu du judéo-christianisme ; rien de plus étranger à toute problématique sociale que l’Antiquité gréco-latine.

[6] Rémy Prud’homme, L’idéologie du réchauffement, Science molle et doctrine dure,  L’Artilleur, 2015

[7] Fin 2018, au plus fort de la crise, des patrons du CAC 40 ont supplié Macron de tout lâcher. Un hélicoptère était prêt sur le toit de l’Elysée pour l’ évacuer.

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