DEFENDRE LE QUOTIENT FAMILIAL
2012
Que François Hollande ait proposé de supprimer le quotient familial déjà plafonné depuis 1981, témoigne d’abord de son manque d’imagination : il a sans doute demandé des idées à ses correspondants de Bercy et on sait que l’illustre maison, depuis trente ans, propose cela dès qu’il manque de l’argent dans la caisse, ce qui arrive souvent.
Mais il n’est pas le seul. Bruno Le Maire, en charge du programme de l’UMP, avait déjà, il y a deux mois, suggéré d’imposer les allocations familiales. La cible était la même. Comme le célèbre barde gaulois, il fut immédiatement ligoté et bâillonné ! La proposition fit long feu.
Il y a deux ans, il avait été question de supprimer la carte de famille nombreuse de la SNCF. Là aussi, devant le tollé, on la rétablit, plus avantageuse. Réussie parce que faite en catimini fut par contre la réduction des bonifications de retraites en fonction du nombre d’enfants, suppression qui est une absurdité démographique
L’idée de réduire les avantages familiaux, que la non-revalorisation régulière et le pompage continu du régime famille au bénéfice du régime vieillesse érode déjà au fil des ans, est récurrente. Mais elle suscite heureusement de fortes résistances dans la société française, bien au-delà d’associations familiales affaiblies. Juppé s’y était cassé les dents en 1995, Jospin en 1997. La leçon n’a pas encore été comprise apparemment : on oublie vite, de nos jours.
« Le quotient familial a pour objet de favoriser la natalité en général. Pas favoriser la natalité chez les classes modestes uniquement, mais chez tous les Français dans leur ensemble. », dit un blogueur pourtant hostile à la proposition de Hollande.
Non, il ne s’agit, à la base de ne rien favoriser du tout, mais d’établir une simple justice : serait-il juste, à revenu égal, d’imposer de la même manière ceux qui élèvent des enfants et ceux qui n’en élèvent pas ?
Ce qu’on dit très peu : la politique familiale est en fait la contrepartie des retraites obligatoires. Ceux qui travaillent ont, tous ensemble, la charge du troisième âge et celle du premier âge. La charge du troisième âge est largement mutualisée du fait des retraites par répartition. Qu’en compensation, celle du premier âge fasse l’objet d’une prise en charge collective au moins partielle est aussi une mesure de justice. D’autant que pour que demain le troisième âge soit soutenu, il faut que le premier le soit aujourd’hui. Les pays européens – presque tous sauf la France – qui ont perdu de vue cette logique démographique élémentaire vont le payer cher.
Quant au quotient familial lui-même, voté à l’unanimité en 1945, socialistes et communistes compris, on peut en effet dire qu’ il favorise les revenus élevés. Mais à l’âge où les enfants sont encore à charge – disons entre 25 et 45 ans, bien peu gagnent des cent et des mille, hormis quelques golden-boys qui se targuent souvent de ne pas avoir d’enfants et peut-être même votent à gauche. Les revenus vraiment élevés ne viennent, quand cela arrive, dans notre société gérontocratique, que sur le tard , à un moment où les enfants sont déjà grands.
A vrai dire, toute proposition, quelle qu’elle soit, qui tendrait à affaiblir le système d’aide aux enfants (nous préférons cette expression qui rappelle que beaucoup sont aujourd’hui élevés dans des familles monoparentales ou recomposées ) aggraverait un double déséquilibre :
- L’évolution conjuguée de l’impôt sur le revenu, qui , depuis trente ans, n’a cessé de baisser, des prestations familiales qui n’ont cessé d’être érodées et du quotient familial, qui, lui, a été plafonné , font que pour les classes moyennes , les impôts nets payés n’ont cessé de baisser pour ceux qui n’avaient pas d’enfants et d’augmenter pour ceux qui en avaient.
- Du fait du chômage, de la baisse relative des salaires dans la valeur ajoutée, et surtout de la fin de l’inflation ( qui favorisait les jeunes qui achètent une maison), le rapport des revenus entre la partie médiane de la population : jeunes foyers, jeunes parents, jeunes salariés et la partie ancienne, salariés en haut de l’échelle, retraités, n’a cessé de se dégrader au détriment des premiers. Que les référendums sur l’Europe aient donné le maximum de non chez les jeunes actifs est significatif.
Mais il est un paradoxe plus profond : le souci de rigueur budgétaire « à l’allemande » qui sous-tend la politique de l’euro est celui d’une société déjà vieille et frileuse pur qui la stabilité, notamment monétaire, est la valeur absolue. En revanche, les tranches les plus âgées de la population sont les plus favorables à la monnaie unique, gage de stabilité. En « tapant », pour sauver celle-ci, et pour trouver des économies sur les transferts – ou déduction d’impôts - réservés au soutien des plus jeunes, c’est dans une véritable spirale de mort que s’enfoncerait la France.
On connaît la situation catastrophique de la démographie allemande. Depuis 2000 et pour la première fois depuis 1870, il y a plus de naissances en France qu’en Allemagne. S’il y a quelque chose à prendre du modèle allemand, ce n’est sûrement pas son évolution démographique. En envoyant un signal négatif, quel qu’il soit, à ceux qui se préoccupent de reconduire les générations, c’est cette mauvaise voie que nous emprunterions.
Roland HUREAUX *
Vient de publier La grande démolition – la France cassée par les réformes, Ed. Buchet-Chastel, janvier 2012