L’EUROPE EN RECESSION DEMOGRAPHIQUE
L’Europe n’est pas le seul continent qui ne renouvelle plus sa population : l’Asie et l’Amérique n’en sont pas loin. Seule l’Afrique maintient un taux de fécondité très supérieur à ce qui est nécessaire à la perpétuation des générations : 4,5 ( 4,9 au sud du Sahara) , en baisse certes depuis trente ans où il était à 7 mais suffisant pour alimenter une forte croissance démographique pour encore trente ou quarante ans.
L’Europe est cependant le continent qui a montré la voie de la baisse , sans retour à ce jour, de la fécondité , passant dès les années soixante-dix au-dessous du seuil de 2,1 enfant par femme, tenu pour le minimum assurant le renouvellement à l’identique des générations.
L’Europe est aussi le continent où se trouvent les pays les plus touchés par la dénatalité: Espagne 1,3 , Roumanie : 1,2 (2017) – avec le Japon et une partie du Sud-Est asiatique.
Il n’en avait pas toujours été ainsi : du XVIIe au milieu du XXe siècle la population de l’Europe avait cru plus que celle du reste du monde, moins par la natalité, déjà en diminution lente ( dès le XVIIIe siècle en France ) , que par la baisse progressive de la mortalité due à une moins mauvaise alimentation, mortalité qui reste alors très élevée dans le reste du monde.
Depuis le milieu du XXe siècle au contraire , le reste du monde , appelé le Tiers monde au temps de la guerre froide, connait une soudaine explosion démographique qui connait son maximum vers 1970 et ralentit ensuite peu à peu jusqu’à la situation actuelle. Elle s’explique essentiellement par la soudaine baisse de la mortalité due aux progrès de la médecine et à leur diffusion très rapide dans les colonies à partir de 1945.
L’ Europe , dont une partie des pays a connu un baby-boom dans l’après-guerre , qui a surtout touché les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale ainsi que les Etats-Unis et le Canada, voit sa fécondité globale baisser partout à partir de 1964 et passer au-dessous du seuil de reproduction dans les années 1970 . Le passage au-dessous du seuil a eu lieu en 1968 pour la Suède, 1969 pour l’Allemagne de l’Ouest, 1973 pour Royaume-Uni, 1974 pour la France et l’Italie.
Ces années coïncident avec le début des méthodes chimiques de contrôle des naissances, mais il faut savoir que les taux de fécondité étaient déjà tombés très bas dans les années trente sans elles. Intervient aussi un peu plus tard en Europe la légalisation de l’avortement.
L’effet de ces évolutions : après avoir vu sa population prendre une place de plus en plus grande dans le monde du XVIe au XXe siècle, l’Europe voit au contraire son poids relatif diminuer depuis lors inexorablement comme le montre le tableau suivant :
Population de l’Europe (Russie incluse) : % du total mondial :
1000 : 14 %
1400 : 17 %
1650 : 22 %
1900 : 27 %
1950 : 22 %
1960 : 20 %
2005 : 11,3 %
2015 : 10 %
2050 : 7 % (prévision)
10 % en 2015 représentent 738 442 000 habitants pour une population mondiale de 7 349 472 000.
La divergence de ces évolutions est particulièrement marquée entre deux continents qui se trouvent sur la même longitude, l’Europe et l’Afrique. La population de l’Afrique était nettement inférieure à celle de l’Europe vers 1950 (rapport 0,4/1 , soit 223 millions d’Africains pour 549 millions d’Européens) . Elles s’égalisent vers 1980. Aujourd’hui, le rapport est de 1,6 /1 ; il devrait passer vers 3,4 à 4 /1 en 2050. Soit pour une population européenne en légère baisse autour de 730 000 000 , Russie comprise, une population africaine de 2,5 à 3 milliards. Encore faut-il préciser qu’une partie des Européens de 2050 seront , dans des proportions à déterminer, des immigrés ou descendants d’immigrés d’autres continents. La population de l’Asie et de l’Asie sera, comme celle de l’Europe, stable ou en légère baisse.
La densité de l’Europe ( UE seule, donc sans la Russie : 114 habitants au km 2) demeure aujourd’hui nettement supérieure à celle de l’Afrique : 40 h au km2 , 60 h sans le Sahara, laquelle est encore inférieure à la moyenne mondiale.
Au sein de l’Europe, il convient de distinguer différentes zones :
- L’Europe du Nord et du Nord-Ouest (France, Grande-Bretagne, Bénélux, pays scandinaves), quoiqu’ en avance dans la promotion de la femme, maintient un niveau de fécondité insuffisant pour se renouveler mais supérieur au reste du continent (de 1,7 à 1,9). L’hypothèse la plus répandue est que la modernité même de ces pays y rend mieux compatible la maternité et le travail féminin ; s’y ajoute le maintien de politiques familiales significatives , quoique érodées ; mais on peut se demander si , au moins depuis l’an 2000, le facteur décisif n’est pas la part des immigrés dans la population, plus importante là que dans le reste de l’Europe ;
- L’Europe du Sud et de l’Est a vu un effondrement dramatique du taux de fécondité dont elle ne s’est pas encore relevée . La principale raison en est la quasi-disparition des systèmes de prestations familiales au cours des quarante dernières années, à la fois dans les pays méditerranéens sous la pression des critères de convergence de Bruxelles et dans les pays de l’Est à la suite de la chute du communisme et des pressions du FMI . En outre la population immigrée y est nettement plus faible. Un certain relèvement de la fécondité s’y observe cependant depuis quinze ans , surtout dans l’ex-URSS où elle était tombée particulièrement bas.
- L’Allemagne constitue un cas singulier : le taux de fécondité y reste faible, malgré une population immigrée importante et une politique familiale devenue très généreuse depuis l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel. Une explication est que l’Allemagne , moderne par l’économie, reste archaïque par les mentalités : qu’une femme salariée y ait des enfants y est moins bien toléré qu’ en France, en Angleterre ou en Suède . D’autre part , les Turcs , principal groupe immigré sont moins féconds que les Maghrébins dominants en France. Il ne faut pas non plus négliger l’impact du nihilisme induit par la culpabilité relative au nazisme que différents forces idéologiques s’évertuent à étendre à tout le continent. La reprise récente de la fécondité allemande est encore insuffisante (de 1,35 à 1,5 enfants par femme entre 2000 et 2016 ).
Du fait du relèvement récent de la fécondité dans tous les pays où elle était tombée très bas ( jusqu’à 1,1 en Bulgarie ou en Lettonie ) la fécondité moyenne des femmes européennes , tombée à 1,4 ( soit une perte d’effectifs d’1/3 à chaque génération ) en 2000 s’est relevée à 1,6 malgré une baisse assez générale en France et dans l’Europe du Nord-Ouest ( France métropolitaine de 2 à 1,84 de 2014 à 2018 ) . Le redressement le plus spectaculaire est celui de la Russie , dû à la politique familiale vigoureuse impulsée par Poutine et au climat positif qui règne dans ce pays : de 1,2 en 2000 à 1,8 aujourd’hui).
Malgré ce correctif de tendance récent et limité, la fécondité de tous les pays d’Europe ( y compris l’Irlande ou l’Albanie longtemps plus fécondes mais qui se sont « normalisées ») demeure sensiblement au-dessous du seuil de reproduction des générations. Hors immigration, l’Europe devrait voir sa population baisser sensiblement au cours du XXIe siècle
Rappelons que les variations du taux de fécondité n’ont une influence forte sur la population globale qu’une génération après. Le relèvement souhaitable de la fécondité n’aurait donc pas d’effet immédiat. Le seul correctif possible est l’immigration, préconisée par la technocratie internationale sans considération de la cohésion des pays concernés .
Du XVIe au XXe siècle, l’Europe dont la population, croissant plus vite , a, non seulement vu sa part relative augmenter dans le monde mais encore exporté des hommes dans le reste de la planète, spécialement sur le continent américain , alors qu‘aucun mouvement inverse significatif ne s’observait. Depuis le milieu du XXe siècle, l‘Europe est devenue au contraire un pays d’immigration. Environ 35 millions de ses habitants sont des immigrés ou enfants d’immigrés venus d’autres continents. Ces immigrés se trouvent surtout en Europe du Nord-Ouest et en Allemagne. L’Italie et l’Espagne commencent seulement à les voient affluer. Si le flux migratoire continue , ce n’est pas seulement du fait de la croissance de la population africaine mais aussi de l’attitude positive des instances internationales et européennes.
Aussi déterminant que le flux de migrants est le différentiel de natalité entre eux et les Européens de souche, une donnée très difficile à appréhender de manière précise. Le maintien d’un équilibre satisfaisant de la population européenne exige non seulement l’arrêt des flux migratoires mais aussi une reprise sensible de la fécondité dans les populations natives.
Roland HUREAUX