UN COMITE DE REDACTION DE RESURRECTION VERS 1972
Les initiés savent qu’un des coups de génie de Maxime Charles fut de confier en 1967 la revue Résurrection qu’il avait amenée dans ses bagages de la Sorbonne au Sacré-Cœur à des étudiants avancés lesquels constituèrent alors le mouvement Résurrection.
Il pensa à juste titre que ces étudiants d’élite, pour une large part normaliens et agrégés , de philosophie et d’histoire notamment, n’avaient plus l’âge de suivre des cours, que c’était en les plongeant dans le bain de la direction d’une revue qu’ils apprendraient la théologie. Il donnait certes des cours de théologie à Montmartre, comme il en avait donné à la Sorbonne, mais c’était pour le niveau au dessous.
Le premier comité de rédaction de l’année scolaire avait lieu lors de la session de la Lucerne en Normandie et le premier numéro était composé largement à partir des exposés faits à cette occasion. Il se tenait, si le temps le permettait, en plein air, sur la pelouse de l’abbaye en ruines, généralement en présence du Père Bouyer . Les sessions de la Lucerne mériteraient à elles seules une large évocation mais elles ne sont pas au centre de notre sujet. La session de septembre 1971 fut mon premier contact avec le mouvement.
Les comités suivants n’étaient pas strictement formalisés ; ils n’étaient pas distincts des réunions de l’état-major du mouvement Résurrection dans l’antichambre du recteur de la basilique de Montmartre. La revue y tenait cependant la plus grande place .
Le recteur était présent mais pas toujours.
Les premiers rôles étaient tenus par ceux qui ont fait plus tard parler d’eux à différents titres, dont trois devenus depuis membres de l’Institut et d’autres qui ont fait de belles carrières universitaires. On citera d’abord Jean Duchesne, Jean-Luc Marion, Rémi Brague, Marie-Hélène Congourdeau, Michel Costantini .
Il y avait des séminaristes, comme Michel Gitton, féru d’ égyptologie, Jacques Benoist ou Jean-Robert Armogathe. Plus tard, vinrent Philippe Barbarin et Jean-Pierre Batut tous deux devenus évêques . Plusieurs d’entre eux, venaient aux réunions de Montmartre en rasant les murs ; c’était le temps où , au séminaire de Paris, la découverte d’un chapelet dans une chambre pouvait vous valoir l’ exclusion . Le futur chanoine Armogathe qui , maoïste à 19 ans, haranguait les dockers de Marseille pour les détacher du PC , ne se laissait certes pas impressionner mais il eut la prudence de faire son séminaire à Rome. Plus exposé , Michel Gitton écrivait sous le pseudonyme de Gabriel Nanterre. Pourtant Mgr Charles qui acceptait la liturgie en français, à condition qu’elle soit belle et le deuxième Concile du Vatican, tout en étant soucieux de rigueur doctrinale, se distinguait très clairement des « intégristes ». D’autant qu’à la différence d’autres , il ne considérait pas qu’on savait tout en connaissant saint Thomas d’Aquin.
Il avait aussi pour principe que la théologie ne pouvait que s’égarer si elle était séparée de la prière. Les réunions que j’évoque étaient précédées ou suivies d’un temps d’adoration eucharistique et de l’office du jour ( en français, clôturé par le Salve regina en latin) animé par la belle voix de Marie-Hélène Congourdeau.
Parmi les signataires d’articles de cette époque, on relève aussi Gilles Danroc, devenu dominicain à Toulouse, Bertrand Gamelin , bénédictin à Solesmes, Martine Bottino, entrée aussi en religion à Marseille , la discrète sévrienne Françoise Vinel ou Martine Blum éminente sinologue issue du judaïsme. Et encore son futur époux , Pierre Marie Hasse.
On demandait des préfaces à Balthasar, Daniélou, Bouyer, Le Guillou ou à l’orthodoxe Marcel Clément. Parfois Mgr Charles prenait la plume lui-même pour de courtes introductions .
Quoique le recteur de la Basilique ait présidé le plus souvent ces réunions, il n’était nullement directif. Il se contentait de quelques mises au point théologiques, plus pour éclairer que pour censurer, et apportait, à son habitude, son humour ( qui a curieusement échappé à ses biographes ! ) et son lot d’anecdotes qui réjouissaient les présents ; plus historien que philosophe , il rappelait à l’occasion l’héritage de Bérulle et de l’école française de spiritualité, figures d’un siècle classique qui avait sa préférence.
Ce n’était pas là un cercle fermé. Venait qui voulait – ou qui se sentait intellectuellement au niveau, condition qui en inhibait beaucoup. Un mot de trop et on vous « collait » un article à faire. Occasion d’étudier le sujet à fond. Ceux qui n’y arrivaient pas pouvaient être aidés par de plus anciens ou , plus rarement, jetaient l’éponge sans encourir une quelconque exclusion.
Jean Duchesne, agrégé d’anglais, le plus ancien du groupe où il avait entrainé Jean-Luc Marion, dirigeait Montmartre orientations, à l’usage du public ordinaire de la Basilique où Mgr Charles écrivait plus souvent.
Dans ce jeu de rôles qu’était un peu le comité de rédaction, Jean se voulait la voix de la base et effectuait, tout comme le recteur, les rappels à l’ordre en vue d’articles clairs. Étaient particulièrement visés Jean-Luc Marion, Michel Costantini et Thierry Bert, qui tendaient à tirer la théologie, le premier vers la phénoménologie, le second vers la linguistique structurale et le troisième vers le lacanisme . Rémi Brague, épris de philosophie classique, était plus clair. Ces exhortations ne furent pas toujours suivies d’effet. Il faut bien dire que certains des articles de cette époque demeurent abscons. Les autres étaient généralement plus scolaires.
Les femmes, Marie-Hélène Congourdeau, et Corinne Marion , outre leur culture théologique ou littéraire, se voulaient la voix spécifique de leur sexe dans un groupe composé en majorité de jeunes hommes.
Je n’ai pas le souvenir que ces comités aient donné lieu des affrontements sérieux, tant les uns et les autres partageaient la culture commune. Les opinions politiques très différentes des uns et des autres, n’étaient pas évoquées. L’érudition, la bonne humeur , entretenue en particulier par Mgr Charles qui, contrairement à sa légende, était un boute en train efficace, sous-tendus , dans le non-dit, du souci permanent de paraître intelligent, font que ces années n’ont laissé que de bons souvenirs aux participants et firent de Résurrection une exceptionnellement école de pensée, théologique ou pas, et d’écriture . Un réseau d’amis aussi , qui avait se rites : par exemple le goût largement partagé des albums de Tintin qui donnaient lieu à des concours d’érudition tintinologiques.
Quand les principaux de ceux que nous avons cités partirent fonder la branche française de la revue Communio, lancée en 1976 à l’échelle internationale par les dénommés Balthasar, Ratzinger et Wojtila , cette étape se termina. Mais la revue ne s’arrêta pas. Un petit groupe dont j’étais s’attacha, autour du Père Michel Gitton, à la perpétuer.
Roland HUREAUX