Il y a eu de Gaulle, le fondateur de la Ve République, il faut qu’il y ait Sarkozy le refondateur.
Nicolas Sarkozy ne saurait se contenter d’être le sixième président de la Ve République, il veut accéder à la dignité de fondateur, être un Solon, un Washington, un de Gaulle.
En modifiant près de la moitié des articles de la constitution actuelle, sous le prétexte de la « moderniser », telle est l’ambition que notre président affiche.
A l’heure où nous écrivons, il n’est pas encore sûr qu’il y parvienne. Les socialistes ayant l’heureuse idée de refuser en bloc la révision, il aura du mal à obtenir la majorité des 3/5 du Congrès pour peu que les députés de la majorité réticents, en sus de Nicolas Dupont-Aignan, aient le courage de voter non et pas seulement de s’abstenir.
Pour faire passer sa réforme, Sarkozy téléphone à tour de bras et reçoit à l’Elysée un à un les récalcitrants.
Ce faisant il aura un bon entrainement pour la suite : c’est ce qu’il devra faire désormais, si la révision est adoptée quand il voudra faire adopter une politique.
C’est ce à quoi s’usent depuis longtemps déjà les présidents des Etats-Unis quand ils veulent surmonter les réticences des congressistes à leurs projets et encore pas toujours avec succès : ainsi Clinton ne réussit jamais à faire adopter son projet de sécurité sociale.
Car s’il y a une idée derrière le projet de révision – en dehors de celle de changer pour changer - , c’est bien de se rapprocher de la constitution des Etats-Unis. On ne va pas encore jusqu’à abolir la fonction de premier ministre mais entre un président toujours aussi monarchique – plus à cause du quinquennat que de la constitution originelle d’ailleurs ! – et un parlement aux pouvoir élargis, la marge de manœuvre du gouvernement se trouvera singulièrement rétrécie.
Il ne pourra pas faire discuter tels quels ses projets de loi : seront débattus en séance plénière les projets déjà retravaillés - et éventuellement dénaturés – par les commissions. Il perdra la maîtrise d’une partie de l’ordre du jour et ne disposera plus qu’à très petite dose de la possibilité du vote bloqué ( le fameux article 49-3). Désormais libres de redevenir députés, les ministres pourront démissionner sur un coup de tête, comme sous la IVe République.
Singulier président qui, plein d’ardeur pour faire « bouger » la France , au point de saturer plus que jamais le Parlement de projets plus ou moins réfléchis, veut couper les mains de son gouvernement et donc aussi les siennes propres. Cela , alors même que le gouvernement français est déjà, parmi les grandes démocraties occidentales, un de ceux qui doivent vaincre le plus d’obstacles ( Sénat, Conseil constitutionnel, sans compter la rue ) pour mener à leur terme ses projet de réforme, bien plus qu’au Royaume-Uni par exemple.
Sans doute Sarkozy s’imagine-t-il s’en tirer en négociant au coup par coup, par-dessus le premier ministre, avec les principales personnalités de la majorité, comme il le fait d’ailleurs déjà. Organisant le désordre institutionnel, il compte cependant demeurer plus que jamais au centre du système.
Le reste du projet de révision est un pot-pourri des idées, bonnes ou mauvaises, qui traînent depuis de nombreuses années dans les sphères où se prennent les décisions , comme l’idée du quinquennat traînait jusqu’à ce qu’on finisse par y venir. Ces idées ont presque toutes l’effet de compliquer les procédures : intervention du parlement dans les nominations ( encore le modèle américain ! ) , saisine du conseil constitutionnel par les justiciables, réforme du Conseil supérieur de la magistrature qui aboutit à mettre le corps judiciaire en autogestion, institution d’un Ombudsan ( on croyait qu’il y avait déjà le médiateur !), reconnaissance des langues régionales etc. Seul changement d’une utilité incontestable : la nécessité de faire approuver les interventions militaires extérieures par le parlement.
Parmi ces idées, il en est une parfaitement inutile : celle d’interdire plus de deux mandats présidentiels consécutifs. Inutile car qui ne voit que le président de la république ne peut désormais plus être réélu, même une fois ? Dans un pays versatile où le désir de changement s’exprime si facilement, le quinquennat a déjà ôté au chef de l’Etat la possibilité de se refaire une virginité au travers de la cohabitation ( sans cela ni Mitterrand, ni Chirac n’eussent jamais été réélus) .En dévalorisant la fonction de premier ministre, le président se prive en outre d’un indispensable fusible qui seul permettait à ses prédécesseurs de tenir sur la durée.
Singulier président qui s’applique avec tant de soin à réunir les conditions de sa non réélection !
Il est une maxime de Montesquieu dont on a oublié de s’inspirer et qui s’applique au carré aux constitutions : « Il ne faut toucher aux lois que la main tremblante ». Il en est une autre , du général de Gaulle, qui peut servir de mot de la fin : « en aucun temps et dans aucun domaine, ce que l’infirmité du chef a, en soi, d’irrémédiable, ne saurait être compensé par la valeur de l’institution . »
Roland HUREAUX