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Roland HUREAUX

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4 avril 2006 2 04 /04 /avril /2006 07:20

 

 

Edouard Hussson , Une autre Allemagne , Gallimard, 2005, 396 pages

 

Un des paradoxes de ce début du XXIe siècle est que plus l’union européenne progresse, moins les peuples d’Europe se connaissent. De moins en moins de francophones en Allemagne, de moins en moins de germanistes en France, partant de moins en moins de  spécialistes avertis de ce pays.  La  génération des Alfred Grosser, Joseph Rovan  s’effaçant, on est d’autant plus  heureux de trouver dans la jeune  génération  un homme aussi au fait   des choses allemandes qu’Edouard Husson qui , avec Une autre Allemagne,  nous offre la première synthèse de son immense savoir sur ce pays.

Que notre voisin d’outre-Rhin  traverse aujourd’hui une crise profonde, à la fois démographique, économique et financière,  commence à se savoir au point que cette Allemagne ne paraîtra « autre » qu’aux yeux de nos compatriotes, encore nombreux il est vrai, qui ont toujours fantasmé  sur la puissance allemande. Les symptômes de cette crise sont aujourd’hui patents: un chômage lourd et persistant, un endettement public considérable,   des immigrés mal intégrés, la difficulté à faire décoller les länder de l’Est, la fin du pacte social de l’après-guerre. Seul signe positif : la baisse du nombre de suicides ! Contrairement à une rumeur persistante, notre voisin a autant de mal que nous à se réformer. 

On sait moins en France ce qu’eut de catastrophique, selon une appréciation aujourd’hui largement partagée en Allemagne, le bilan de l’ère Kohl (1982-1998). Ce n’est pas la réunification à marche forcée réalisée par le chancelier chrétien-démocrate qui se trouve en cause mais  la manière dont elle s’est faite : alignement hâtif du mark de l’Est sur celui de l’Ouest, qui a plombé peut-être définitivement  le décollage de l’ex-RDA, déresponsabilisation des citoyens de l’Est (la « kohlonisation » des Ossies) , laxisme financier  et aussi, ce que l’auteur n’évoque qu’avec discrétion, corruption.    

Les années quatre-vingt dix, dans le prolongement de ce que Edouard Husson appelle le  « néo-bismarckisme » de Kohl ,  virent  l’Allemagne, avec une grande inconscience, souffler sur les braises yougoslaves, aidant très tôt   ses alliés historiques ( ceux qu’elle avait eus   entre 1940 et 1945 !), Slovènes, Croates, Musulmans de Bosnie, Albanais du Kosovo, en armant notamment l’UCK,  à s’émanciper d’une fédération dominée par les Serbes. Pour Edouard Husson, comme pour beaucoup d’observateurs,  la responsabilité allemande dans la crise balkanique,  est patente.  Plus que Schroeder, hésitant sur ce sujet , Joshka Fisher, quoique ancien gauchiste,  fut le continuateur de la politique de Kohl : « contrairement à ce qu’ont affirmé ses détracteurs, le Fisher ministre des affaires étrangères n’est pas très différent du Fisher gauchiste des années 1968-1978 ». La guerre de Yougoslavie, guerre de l’Europe et même de l’OTAN,  fut   d’abord la guerre de l’Allemagne. N’est-il pas remarquable que le seul conflit armé  qui ait eu lieu en Europe depuis 1945 puisse se lire comme  un règlement de comptes de l’Allemagne contre un de ses ennemis traditionnels, suivant exactement les  lignes de fracture géopolitiques ancestrales ?  En d’autres termes que malgré l’existence de Union européenne (et même avec sa complicité active) , malgré les Accords d’ Helsinki et cinquante années   de paix , l’Allemagne ait , seule en Europe, réussi à faire prévaloir  par la force,  des visées géopolitiques traditionnelles ?

Les erreurs économiques et diplomatiques de l’ère Kohl et jusqu’à un certain point, de son successeur Schroeder, vis-à-vis duquel Edouard Husson est cependant plus indulgent, ont coûté cher à l’Allemagne,  à l’Europe ( 2 millions de morts en Yougoslavie !) mais aussi à la France dont l’économie s’est essoufflée à vouloir  partager , au nom du franc fort, le fardeau de la réunification,  et qui a trahi  ses alliés historiques dans la guerre du Kosovo. Il y aurait tout un chapitre à écrire sur ce qu’a coûté à la France après la réunification,  l’illusion  - et la crainte – de la puissance allemande, alors même que le déclin actuel de l’Allemagne se trouvait déjà inscrit tant dans la démographie que dans le délabrement sans remède des économies socialistes.

Les récentes dérives de la politique américaine ont entraîné un  nouveau rapprochement  de la France et de l’Allemagne, toutes deux hostiles à la guerre d’Irak. Edouard Husson  laisse deviner comment, à son gré, pourrait se construire à partir de là , une Europe nouvelle , respectueuse des souverainetés nationales (dans une Europe à 28 ou plus, le leadership franco-allemand est incompatible avec la règle majoritaire) , marquant son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis par un arrimage  de l’euro à l’étalon-or, ouverte à une Russie riche en sources d’énergie  et revenant à la préférence communautaire. Sur  fond de redressement démographique et  de réformes internes à caractère libéral, il y aurait là les bases d’une relance du vieux continent.

Une telle perspective implique un abandon définitif de la part de notre (encore)  grand voisin des fantasmes bismarckiens de l’ère Kohl-Fischer. Il est vrai que le risque d’un néo-impérialisme allemand est désormais limité . Même si les armées allemandes se sont risquées en 1998  pour la première fois depuis 1945 hors des frontières de la République, ce genre d’expédition demeure impopulaire dans une opinion plus mûre que ses dirigeants. Le néo-nazisme a reculé après l’épisode de Haider en Autriche. L’auteur ne le dit pas,  mais l’effondrement dramatique des crédits militaires allemands depuis 2000, du à la crise économique,  écarte pour longtemps  ce genre de  tentation.

L’alternative n’est à rechercher, selon Edouard Husson,  ni dans l’atlantisme d’Adenauer, ni l’anti-nationisme de la gauche allemande refusant  la réunification en 1990,  mais dans ce qu’il appelle le  « pacifisme rationnel »,  corollaire  d’un attachement sain à la patrie allemande , qui, selon l’auteur, anima Willy Brandt – dont on apprend qu’il se réfère largement   dans ses Mémoires au général de Gaulle et qui , à la différence de ses cadets, salua haut et fort la réunification. Suivant  la même logique, son brillant  ministre des affaires étrangères,  Egon Bahr, s’opposa à la guerre de Yougoslavie. Ce sain patriotisme, assumant , comme le fit l’illustre chancelier social-démocrate, toute la responsabilité allemande dans les horreurs du nazisme , rejoint   le libéralisme authentique qui fut celui de l’Allemagne d’avant 1848 et donc un courant profond, encore trop méconnu,  de l’histoire de ce peuple.  De cette tendance, l’auteur voit aussi une manifestation  dans la vigilance particulière de l’Allemagne à tout ce qui ressemble à des manipulations génétiques . Ainsi bornée dans ses ambitions, « contrairement à une idée longtemps reçue en France, il est bon , dit l’auteur, que l’Allemagne affirme sa personnalité sur la scène européenne et mondiale ».

C’est à partir de ces prémisses qu’Edouard Husson relit l’histoire allemande: sévère pour Bismarck et  sans indulgence excessive pour Adenauer ( qui envisagea , dit-il, de manière bien velléitaire selon nous, de doter l’Allemagne de l’arme nucléaire) , admirateur de Brandt et très  critique pour Kohl,  il l’est aussi  , curieusement, pour  Helmut Schmidt . Edouard Husson qui, en ses années normaliennes, fut  à la fois  jeune  giscardien français et pacifiste allemand,  ne prise guère   le chancelier qui appela de ses vœux,  dans son  discours de Londres d’octobre 1977,  l’installation des Pershing . Même les esprits les plus perspicaces ont, comme nous tous, leur point aveugle. On se permettra de penser que la question de la vague pacifiste du tournant des années 1980 constitue celui  de  l’auteur : imaginer, comme il le fait,   qu’en installant les euromissiles,  l’URSS de Brejnev était animée d’intentions pacifiques  participe, pensons-nous, d’une   illusion.

Portant que sur un épisode  désormais révolu, elle  n’enlève rien à la puissance d’information , de réflexion et de suggestion de cet ouvrage, destiné à  compléter la bibliothèque, point si fournie, des  grands  livres français  sur l’Allemagne.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

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