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Roland HUREAUX

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28 mars 2009 6 28 /03 /mars /2009 15:19

 

Si l’efficacité d’une action politique se mesure au bruit médiatique qu’elle provoque, la levée de l’excommunication du pape Benoît XVI a atteint son objectif, d’une manière il est vrai dont l’intéressé se serait sans doute passé.  

Il faut dire que le diable s’en est mêlé : ce qui n’aurait dû n’être au départ qu’une affaire de sacristie a pris une toute autre dimension avec les propos absurdes  - et concomitants - de l’un des quatre évêques concernés,  niant l’extermination des juifs par Hitler (1).

On peut certes se demander ce qu’allait faire à ce moment là sur une télévision suédoise un évêque schismatique anglais vivant en Argentine. Mais, manipulation ou pas, des propos scandaleux ont bien été tenus et même s’il ne les connaissait pas (2)  quand il a pris sa décision   le pape ne pouvait ignorer complètement  les idées de cet individu..   

Le confinement social, politique et intellectuel où vivent depuis de nombreuses années les traditionnalistes de la mouvance de Mgr Lefèvre a laissé prospérer de sombres fantasmes. Nul doute qu’en levant l’excommunication, le pape a voulu remettre dans les courants d’air la vieille tour gothique. Cela ne plait généralement  pas à tous ceux qui l’habitent. Et de la tour ainsi éventée, si l’on nous pardonne cette image à la Walt Disney, ne surgit  pas toujours la Belle au bois dormant : d’étranges chéiroptères peuvent aussi en sortir bruyamment  -  nous parlons des idées, non des hommes, même si ceux-ci sont hautement  blâmables.

Fallait-il pour autant que le pape s’abstint ?   

S’il ne s’agissait pour lui que de réduire le schisme lefévriste, peut-être. D’autant que l’ aboutissement de l’opération est encore loin : nul n’ignore en effet que la levée de l’excommunication -  une sanction que malheureusement  le droit canon n’a pas prévu pour la bêtise ! -  est une mesure d’indulgence qui n’implique  nullement la réintégration immédiate dans l’Eglise et encore moins que la moindre responsabilité soit confiée aux intéressés.

Il faut évidemment écarter  les allégations stupides qui voudraient voir là  l’effet d’une pénétration de l’extrême droite dans l’Eglise ou encore l’insinuation  proprement  odieuse  que le pape allemand aurait lui-même des relents antisémites. Tout ce qu’il a écrit le dément et Joseph Ratzinger  n’a pas sûrement pas oublié comment il fut chassé à quinze ans,  à coup de pieds et sous les quolibets d’un corps de garde   SS  quand il leur eut fait part de son refus de les rejoindre et de son projet  d’entrer dans les ordres.

 

Orient et Occident

 

On ne peut en réalité comprendre cette initiative à  haut risque  qu’en la situant dans le dessein bien plus vaste qui est celui de Benoît XVI. . 

Le grand objectif de son pontificat est le rapprochement avec  l’orthodoxie.  A l’instar de Jean Paul II, il la  tient pour le  poumon oriental de la chrétienté européenne dont la séparation lui paraît contre nature. Mais il ne souffre pas du handicap qui obérait toutes les tentatives de son prédécesseur: il n’est pas polonais, tare  rédhibitoire, semble-t-il,  pour un russe. L’aboutissement de ce vaste dessein  remettrait  sans doute en cause un ordre géopolitique dominé  depuis longtemps par le « Nord-Ouest » anglo-saxon et protestant (2). Un tel projet rompt notamment avec la géographie d’un Samuel Huntington  pour qui  dans sa théorie du « choc des civilisations », une césure majeure sépare l’Ouest catholique et réformé de  l’Est orthodoxe. Si la guerre de Yougoslavie a paru valider cette division, les théologiens ne l’acceptent pas, considérant que les différences entre catholiques et orthodoxes sont mineures à côté de celles qui séparent Rome de la Réforme.

On ne comprendrait pas sans une telle perspective  la modération de l’attitude du Saint-Siège lors de l’affaire de Georgie. Pas davantage son obstination à réduire le schisme traditionnaliste.  

Comment en effet prétendre  se réconcilier avec ceux qui ont arrêté le temps au XIe siècle, si  l’on n’est pas, dans son propre pré carré, capable de le faire avec ceux qui l’ont arrêté au XVIe ?  C’est , n’en doutons pas,  ce que des orthodoxes ont dit au pape, sûrement pas dans ces termes d’ailleurs.

En sus de sa portée géopolitique, une telle problématique illustre ce que sont  les nouveaux chemins de l’œcuménisme.  Pour les tenants « progressistes » de ce dernier,  qui tenaient le haut du pavé dans l’Eglise dans les années soixante et soixante-dix,  l’interlocuteur  privilégié  était, même si cela n’était pas dit ouvertement, le protestantisme libéral. Le programme proposé au catholicisme, dans la suite de   Vatican II,  n’était  d’ailleurs pour beaucoup d’entre eux  que  de  lui ressembler de plus en plus.

Cette voie a-t-elle encore un sens ? On peut se le demander au vu de l’évanescence de l’interlocuteur,  largement débordé par une mouvance « évangéliste »  bien plus obscurantiste sur les questions de science que Rome ne le fut jamais.  L’évolution affligeante d’un Mgr Williamson illustre à sa manière la déliquescence de l’anglicanisme d’où il est issu.

Le protestantisme, qui avait pourtant trouvé son équilibre pendant cinq siècles, apparaît aujourd’hui comme une molécule instable : certains parmi les plus engagés, comme Frère Roger,  ancien prieur de Taizé ou le père Viot, ancien évêque luthérien de Paris,   rejoignent le catholicisme.  Mais la plupart se décolorent au point de sembler de plus en plus sécularisés.

La même chose arrive d’ailleurs au sein du catholicisme.  Dans le repli général de la foi, l’aile « gauche »  s’effrite le plus vite.   Martine Aubry avait  le droit de manifester en 1995 avec la Libre pensée contre la venue du pape à Reims,   mais elle ne saurait prétendre comme son père Jacques Delors, authentique chrétien de gauche,   être un conseiller écouté de l’épiscopat français. Il ne faut pas chercher ailleurs le sentiment d’une droitisation de l’Eglise – qui n’a rien à voir avec une supposée  prise de contrôle par l’extrême droite.

Si elle veut encore faire progresser  l’unité des Eglises, l’Eglise catholique n’a donc pas   le choix : ce n’est plus à des libéraux qu’elle a à faire désormais. Les uns sont crispés sur telle ou telle forme de rituel, les autres sur une interprétation littérale de la Bible, en particulier du récit de la Création, que même saint Augustin, au IVe siècle écartait. Même si, par rapport à  certains, comme les   orthodoxes, les vraies divergences apparaissent mineures au profane, le rapprochement n’en est que plus difficile. Les religions non chrétiennes, avec lesquelles le dialogue continue, sont elles-mêmes le plus souvent  attachées à différentes  formes de littéralisme. Littéralisme  que le pape a précisément pris à contrepied dans son discours des Bernardins  en rappelant que dans la grande tradition européenne, pour sacré qu’il fut, tout texte appelait une interprétation.  

En tendant la main aux lefévristes, le pape Benoît XVI a pris un risque considérable. S’il a cru devoir le faire, c’est que l’enjeu  pour lui  était bien davantage qu’une affaire de chapelle.

 
                                                                              Roland HUREAUX

 

1.                      Quoique fort réactionnaires eux aussi, les  trois autres s’en sont désolidarisés.

2.                      On ne saurait mettre en doute la bonne foi du pape quand il affirme ne pas avoir été au courant de ces propos avant la signature de la levée d’excommunication.  Cela vaut-il cependant pour tous les membres de la Curie ?

3.                      Est-ce pourquoi  l’offensive contre le pape est partie du Spiegel, le grand hebdomadaire de Hambourg ? Le protestantisme de l’Allemagne du Nord est aujourd’hui largement sécularisé. Les résultats des élections de 1932 et 1933 montre qu’il résista  moins bien au nazisme que la Bavière catholique.

 

 

 

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