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Roland HUREAUX

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21 avril 2007 6 21 /04 /avril /2007 00:05

 

 

Notre ami Roland Hureaux vient de publier l’Antipolitique. Il commente son livre dans un entretien dont voici le texte intégral.

 

 

 

Roland HUREAUX,  L’Antipolitique, Privat,  Collection Arguments ; 229 pages,  février 2007

 

 

 

Q. Roland Hureaux,  pourquoi l’Antipolitique ?

 

 

La politique au sens traditionnel du terme vise  à résoudre les problèmes de la Cité , en fonction d’une certaine idée du « bien commun », des problèmes dont l’origine est en  principe extérieure à la sphère publique. Depuis une quinzaine d’années, nous assistons en France   à l’inverse : l’action des gouvernements est la principale cause des problèmes de plus en plus graves qui se posent   à la société française.

 

 

Q. Beaucoup disent  que la France a aujourd’hui besoin de réformes radicales  et  que l’on n’a pas encore trouvé le gouvernement qui aurait le courage de les faire. Vous vous démarquez donc  de ce point de vue.

 

 

Clairement. Il n’y a jamais eu en France autant de lois et de décrets. Depuis quinze ans, on réforme à tour de bras. Le problème n’est pas qu’on ne réforme pas assez, il est qu’on réforme   trop et surtout que l’on réforme mal. Revenons à cette évidence qu’il vaut  mieux ne rien faire que de faire de mauvaises réformes.

 

 

Q. Vous n’êtes donc pas un enthousiaste de la « rupture » ?

 

 

Pas vraiment. J’ai même quelques craintes, au vu de ce qui s’est passé au cours des dernières années,   quand j’entends que l’on prône la rupture sans que se profile derrière ce slogan  un projet cohérent ou même une analyse sérieuse des problèmes de la société française.

 

 

Q.  N’est-ce pas   le sens de l’épigraphe de votre livre « Primum non nocere » ?

 

 

En effet. « D’abord ne pas nuire ». C’est une formule du serment d’Hippocrate. Le médecin n’est pas tenu de guérir le malade mais à tout le moins de  ne pas aggraver sa maladie. Au motif de soigner la  maladie, il ne doit pas faire n’importe quoi.  

 

 

Q. N’est-ce pas évident ?

 

 

Pas tant que  l’on croit : « réformer », « changer » - et aussi  « communiquer », par une  étonnante aberration, sont  devenus des verbes intransitifs. C’est ridicule : il faut préciser ce que l’on veut réformer et, en plus,  être sûr qu’on le fera bien. Le contraire de ce qu’on fait depuis plusieurs années.

 

 

Q. Des exemples ?

 

 

On en trouve dans les domaines les plus divers:  réforme de l’Etat, administration locale, éducation nationale, justice. Je tente  de montrer  dans cet essai  que   les principaux problèmes dont les Français se plaignent aujourd’hui résultent des réformes qui ont été faites au cours des quinze dernières années - en principe pour résoudre ces problèmes ! - ,  et non n, comme on le croit généralement,  d’un processus endogène. Ainsi  quinze  années de réforme  de l’Etat ont davantage compliqué l’administration que  l’inverse. Vingt années de prétendue libéralisation de l’  économie  ont servi d’alibi à une augmentation sans précédent des dépenses publiques, des prélèvements obligatoires et de la dette.   Le cas le plus  patent est celui de l’éducation nationale : la diffusion des nouvelles pédagogies,  la création des IUFM , la soi-disant « rénovation des programmes », loin de  porter remède à ses difficultés, les ont aggravées. Mais on peut aussi montrer que la complication réglementaire croissante dont les Français se plaignent ou le déficit persistant de la Sécurité sociale résultent  de décisions relativement  récentes et non d’un supposé « colbertisme »  ou d’un prétendu « modèle social français », venus du fond des âges.

 

 

Q. Rien ne trouve grâce à vos yeux

 

 

Les réformes des retraites étaient assurément nécessaires même si elles sont insuffisantes. Les lois sur la recherche ne semblent pas mauvaises. Je cherche en vain une autre réforme incontestable. Et ne parlons pas des dizaines de comités, hauts-comités, hauts-conseils, hautes-autorités,  autant de coûteuses machines qu’ont  entassées  au fil des ans  des légistes à court d’idées.  

 

 

Q. Et en matière d’immigration, de politique de la ville, de sécurité ?

 

 

Je me suis cantonné aux sujets  que je connaissais le mieux après vingt-cinq ans d’expérience de l’Etat. Mais je n’ai aucune raison de penser qu’il en aille différemment dans d’autres domaines, que la plupart des politiques menées n’y  aient pas été à l’inverse du but recherché.

 

 

Q. N’est-ce pas une opinion exagérée ?

 

 

Dans ce cas il faut  trouver une  autre explication au fait que les Français changent de majorité à chaque élection depuis  1981, ce qui est unique en Europe. La présence de Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2001, vécue comme un séisme,  a entraîné un  sursaut : « Plus jamais cela, a-t-on dit. Maintenant, il faut se ressaisir ! » Et qu’a-t-on fait depuis cinq ans pour redresser la barre ?  Je vous le demande.

 

 

Q. La décentralisation,  que vous mettiez déjà en cause dans « les Nouveaux féodaux » !

 

 

Je ne suis pas   par principe hostile à la décentralisation mais presque tout le mal vient de ce que les réformes sont aujourd’hui décidées  en fonction de  principes abstraits ou de  considérations idéologiques sans que l’on prenne en compte  les conditions concrètes de leur application. En 2002,   la question de la lourdeur des prélèvements obligatoires était  infiniment plus grave que celle d’un prétendu centralisme. Or la droite qui avait promis de baisser les impôts avance alors  comme réforme emblématique une dévolution des pouvoirs dont toute personne douée de bon sens pouvait prévoir  qu’elle entraînerait une nouvelle hausse des prélèvements. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé. Pourquoi voulez –vous que les électeurs lui  disent merci ?  

 

 

Q. Et la gauche ?

 

 

Vous savez ce qui est arrivé à Jospin au premier tour des dernières présidentielles. A une masse de salariés qui souffre de voir son   revenu stagner depuis plusieurs années, on propose du temps libre, sans lui dire que les 35 heures lui feront perdre entre  15 % et 20 % d’augmentation du pouvoir d’achat. Ne serait-ce que pour cela, il  a eu la claque qu’il méritait.

 

 

Q. Pourquoi donc nos gouvernements agissent-ils si maladroitement ?

 

 

C’est un grand mystère. Je ne suis pas sûr d’en avoir le dernier mot. Il y a comme une crise de cette vertu cardinale  de tout dirigeant, le bon sens.

 

 

Q.  « Jupiter aveugle  ceux qu’il veut perdre. »  Mais qui veut nous perdre ?  

 

 

Je ne sais pas.

 

Au premier degré, les choses sont claires. Une fois admis que les dysfonctionnements dont se plaignent les Français sont dus aux politiques menées dans tel ou tel domaine  depuis vingt ou trente ans, que voit-on ? Des gouvernement sans inspiration   demandent à la même administration qui a instauré ces politiques,  avec ses idées fixes, sa culture, pourquoi ne pas le dire ?  son idéologie, de lui proposer  de nouvelles réformes. Comment s’étonner que l’on aille alors de mal en pis ?

 

Au deuxième degré, il y a la crise de la classe politique – et même administrative – qui depuis cinquante ans,  s’auto-recrute, les meilleurs  cooptant de  moins bons à chaque génération, un phénomène d’entropie propre à toutes les grandes organisations  auquel je consacre un chapitre .

 

Mais plus  subtilement, il faut sans doute mettre en cause l’effet des idéologies, non plus des grandes idéologies de type totalitaire mais d’idéologies sectorielles, en apparence limitées, qui traversent en tout sens et polluent le champ politique, lesquelles. Ces idéologies douces,   à  la réflexion et à l’expérience substituent le  prêt à penser, les clichés , les slogans médiatiques, les modes. Comme l’a bien montré Alain Besançon, les idéologies s’attaquent à ce qui marche  et ne touchent pas à  ce qui ne marche pas : c’est ainsi qu’on a vu ,   au cours des quinze dernières années,  les gouvernements de gauche ou de droite s’acharner sur les petites communes dont personne ne se plaignait et qui ne présentaient  aucun inconvénient objectif, sans autre résultat que de compliquer l’administration locale !   Aussi longtemps que les hommes politiques seront prisonniers des idéologies, il n’y a guère à espérer de redressement. 

 

 

Q. Et l’Europe ?

 

 

Je n’ai pas voulu mélanger les débats,  m’étant déjà beaucoup exprimé sur ce sujet. Mais il est évident que la manière dont on prétend la construire d’abord, la sauver ensuite par l’euro fort, le libre échange et l’abolition des frontières procèdent du mode de pensée idéologique. Il se peut qu’il y ait même là la clef de voûte du système idéologique contemporain. En tous les cas une bonne réserve de « prêt à penser ». La référence à la construction européenne  outre qu’elle dessaisit nos gouvernants, les dispense de réfléchir. Il y en a d’ailleurs beaucoup que ça arrange.   

 

 

 

Q. Les programmes des candidats à la prochaine élection présidentielle sont-ils eux aussi  idéologiques ?

 

 

Quand je vois qu’en guise de programme universitaire,  les  deux grands partis commencent par  proposer   de réformer les grandes écoles qui marchent bien, je suis inquiet.  

 

 

Q. D’où votre sous-titre :  « Peut-on  avoir  une classe politique encore plus nulle ? »

 

 

Un sous-titre que certains jugeront sans doute  peu démagogique. Mais il pose une vraie question et, pour les raisons que je viens d’évoquer,  je crains hélas que la réponse ne soit « oui ».

(Article paru dans différents sites politiques )

 

 

 

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