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Deux des candidats les plus sérieux à l’élection présidentielle, François Bayrou et Ségolène Royal proposent, après Arnaud Montebourg et d’autres, d’instaurer une fois élus, une VIe République. Nicolas Sarkozy envisage quant à lui, une réforme de la constitution suffisamment profonde, dans le sens d’un régime présidentiel à l’américaine, dont on peut penser que l’aboutissement n’en serait pas très différent.
Devant de tels projets, il faut résolument dire : danger !
Une constitution vaut d’abord par sa patine. Chacun peut avoir son idée sur la constitution idéale. A supposer qu’il arrive à la réaliser, il y a des chances qu’un autre, qui aura une idée différente, lui substitue bien vite la sienne. Et ainsi de suite.
Il n’y a pas de constitution idéale. La seule bonne est celle que l’on respecte et, comme l’avait vu Montesquieu, il y a des chances qu’on la respecte davantage à la mesure de son ancienneté.
Qui ne se souvient que ce qui fut longtemps, bien avant toute autre considération, tenu pour le malheur de
Il était habituel, spécialement chez les tenants du libéralisme à l’anglo-saxonne, d’opposer à notre instabilité la pérennité de
Une autre raison à opposer à ce « bougisme » : dans une société où tous les repères fixes disparaissent : la morale, la famille, la nation, la culture commune, l’orthographe et la langue elles-mêmes, il serait criminel de bouleverser en plus le cadre institutionnel. Que dans notre société libérale libertaire, il passe pour normal de changer d’employeur (et d’employé ! ), de conjoint , de maison, voire de sexe plusieurs fois dans sa vie, peut-être. Raison de plus pour ne pas toucher au cadre institutionnel.
Il est vrai que depuis une quinzaine d’années a été prise la mauvaise habitude d’amender à la moindre occasion la loi fondamentale, la principale réforme à cet égard, lourde de conséquences, ayant été le passage au quinquennat : c’est dans cette innovation récente, beaucoup plus que dans le texte de 1958, que se trouve la raison de l’abaissement du rôle du Parlement que tout le monde déplore à juste titre.
Catastrophique dans son principe, le changement de république n’apporterait aucun avantage.
D’abord parce que
Mais surtout, on se tromperait gravement à imaginer que la crise politique actuelle tient aux institutions. Elle tient d’abord aux hommes. Une technocratie incontrôlée qui ne propose que des solutions stéréotypées, ayant largement fait la preuve de leur caractère inopérant voire malfaisant; la dictature du politiquement correct qui, au nom des bons sentiments, inspire presque toujours les plus mauvaises politiques ; une classe politique médiocre, non point coupée du terrain comme on le dit, mais sans vision d’ensemble, sans repères éthiques, sans convictions assez fortes pour imposer à l’administration et aux médias des arbitrages courageux et pragmatiques. Imaginer, sans qu’aucune analyse sérieuse l’ait établi, simplement parce qu’on veut changer pour changer, que si on modifie le cadre institutionnel les choses iront mieux, est illusoire.
Et même, chose douteuse, si les institutions étaient effectivement améliorées, rappelons nous ce que dit une fois le général de Gaulle : « en aucun temps et en aucun domaine, ce que l’infirmité du chef a, en soi, d’irrémédiable ne saurait être compensé par la valeur de l’institution ». Pire : prétendre résoudre les problèmes des Français par une réforme brouillonne de
On comprend certes ce que les promesses des principaux candidats veulent signifier : le changement de république est un symbole de bouleversement radical , supposé répondre au mécontentement profond des Français.
La surenchère à laquelle se livrent sur ce thème périlleux les principaux candidats n’en est pas moins irresponsable .
Aux maux bien réels dont pâtit
Comme aucun grand candidat ne défend en la matière le parti de la sagesse, il y a de quoi être inquiet. Contre la tentation de faire passer en force ces changements immédiatement après l’élection, contre les risques de l’ « état de grâce », on ne saurait plus compter que sur la « grâce d’état » qui a toujours poussé les nouveaux présidents à s’accommoder, une fois élus, du rôle que leur assigne la constitution.
Au futur élu, on souhaite la sagesse de François Mitterrand qui, après avoir tant vilipendé le « pouvoir personnel » et le « coup d’Etat permanent » sut si bien, une fois élu, se glisser dans l’habit étrenné par le fondateur de
Roland HUREAUX *
* Auteur de L’Antipolitique, Privat, 2007