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Roland HUREAUX

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28 septembre 2007 5 28 /09 /septembre /2007 21:43

 

Il était une fois un homme politique français qui rêvait d’être premier ministre. Il en avait les qualités : entreprenant, homme de terrain, capable d’être présent sur tous les fronts. Il pouvait admirablement compléter un chef d’Etat plus pondéré, apte à modérer  ses ardeurs, à éviter qu’il ne se disperse. Mais le président,  en raison d’obscures rancunes,  ne voulut pas le désigner. Pour contourner l’obstacle, notre homme fut  contraint de se faire élire  chef de l’Etat.

 

Un président envahissant

 

 

On aura reconnu dans cette histoire  Nicolas Sarkozy confronté au  barrage de Jacques Chirac.

Malgré les efforts méritoires de François Fillon pour se tailler   un espace dans l’appareil d’  Etat, le nouveau président de la République se comporte à bien des égards en premier ministre. Le cabinet du président multiplie les interférences dans la communication gouvernementale, le chef de l’Etat empiète allégrement dans les attributions qui étaient jusqu’ici celles du chef du gouvernement. N’hésitant pas à participer à des meetings électoraux, il  regrette publiquement de ne pas disposer encore de certaines prérogatives de ce dernier comme celle de s’exprimer devant le  Parlement.

Sans doute le général de Gaulle se concevait-il déjà, malgré les articles 20 et 21 de la constitution qui confèrent ce rôle au premier ministre, comme le seul vrai chef du gouvernement. Mais il avait, comme on le voit dans les  souvenirs d’Alain Peyrefitte,   un tout autre sens de la délégation que l’actuel président. Et en ce temps là, les conseillers de l’Elysée étaient  peu nombreux et silencieux.

 

Le premier ministre sur la sellette

 

 

Comme il est question de réformer les institutions, la fonction de premier ministre se trouve sur la sellette : devant l’activisme envahissant du président, on s’interroge sur son  utilité.

Interrogation paradoxale au premier abord :  le premier ministre est sans doute, depuis le commencement de la Ve République , l’homme le plus occupé de France : par quel vice de l’esprit,  veut-on supprimer cet emploi là ? 

Mais la remise en cause du rôle de premier ministre se nourrit  des  exemples étrangers : dans les pays anglo-saxons, référence habituelle de Sarkozy,   le bicéphalisme n’a pas cours : l’exécutif est concentré entre les mains du seul président aux Etats-Unis, du seul premier ministre au Royaume Uni (où, on, le sait, le rôle du monarque est depuis longtemps symbolique). Il en va de même dans la plupart des pays du continent, à commencer par l’Allemagne.

Il se dit que la Ve République est un régime présidentiel inachevé : pour aller jusqu’au bout de sa logique, il faut, dit-on, se rapprocher davantage de la  Constitution américaine et pour cela  abolir la fonction de  premier ministre. Sans que l’on se demande d’ailleurs si  les institutions américaines, elles, fonctionnent bien,  ce qui n’est pas l’avis général outre-Atlantique.

 

 

Deux têtes valent mieux qu’une

 

 

Le bicéphalisme instauré par la Ve République   a pourtant une grande utilité.

Pas seulement en temps de   cohabitation  où,  pour le meilleur et pour le pire, il évite que l’appartenance du président et de la majorité parlementaire à des camps opposés ne dégénère en crise.  Le quinquennat a minimisé ce risque.

En temps « normal » aussi, le  premier ministre a un rôle à jouer.

Il permet d’abord  au président de la République de réfléchir aux grands enjeux,  de garder l’œil sur le  long terme, d’être le chef visionnaire dont  un grand pays à besoin. Chargé du quotidien, le premier  ministre, lui, ahane le nez sur le guidon, comme Raffarin savait si bien le faire.  

Le premier ministre  permet surtout au président de résister  à l’usure.

L’état de grâce passé, vient un moment où la « rogne et la grogne » bien de chez nous prennent  à nouveau le dessus. L’opinion revenant à son état habituel de mécontentement,   les réformes deviennent de plus en plus difficiles.

C’est là que le chef de gouvernement peut, selon l’expression habituelle, servir de « fusible ».

Pour le plus grand bien de la France et le sien propre, le président  se préserve lui-même  en laissant l’impopularité s’accumuler sur le premier ministre. On dit qu’il  « s’économise », un art dans lequel Mitterrand était passé maître. En changeant le chef de gouvernement   de son plein gré, comme le firent le général de Gaulle  en 1962 et en 1968, Georges Pompidou en 1972 , François Mitterrand en 1984, Jacques Chirac en 2005,  le chef de l’Etat  tente un nouveau départ. Bien menée, cette manoeuvre peut  produire un nouvel « état de grâce » favorable à la relance de l’action gouvernementale. Nul doute que c’était là en 2005 une des cartes de Villepin qu’il ne tenait qu’à lui de savoir jouer.

 

Pour durer

 

 

Cette fonction s’enracine dans  une vieille histoire : «  la Roche tarpéienne est près du Capitole », disaient  les Latins. René Girard a montré, après Frazer,  comment la fonction royale ( ou souveraine) peut se muer en  celle du bouc émissaire offert en sacrifice. Une  antique tradition avait prévu que le roi puisse se préserver en sacrifiant  quelqu’un d’autre à sa place. La personne du roi étant  intouchable, la révocation épisodique de ministres tenus pour responsables de ce qui n’allait pas, de la disgrâce de Fouquet à celle de Turgot constitue un des secrets de la longévité de l’Ancien régime.

Les autres pays n’ont plus recours à ce système,  dira-t-on.  Il est commun de pointer   le   Français comme volage, impatient, prompt à s’enflammer mais aussi  à se détacher de ses gouvernants. On peut ne voir là qu’un poncif. Il se peut qu’il s’agisse d’une constante culturelle. C’est un fait que chaque fois que le pouvoir s’est trouvé chez nous concentré en  une seule main, collective sous la Ie République , individuelle sous la IIIe et la IVe République où, du fait de l’affaiblissement de la fonction présidentielle, le président du conseil des ministres était, de fait, à la tête de l’Etat, l’instabilité la plus grande était de règle. L’impatience française, dont les combinaisons des partis n’étaient que l’écho, a alors prévalu, obligeant à des changements   fréquents de gouvernement. Cette instabilité n’était pas sans avantage : elle permettait d’entretenir, surtout  sous la IVe , une politique de réforme active, chaque nouveau chef du gouvernement apportant lors de son investiture son lot d’initiatives nouvelles, mais elle s’est révélée impuissante face aux grands problèmes comme la montée du national-socialisme ou  l’Algérie.

L’expérience récente a aussi montré la vulnérabilité d’un pouvoir qui ne sait pas renouveler son visage. Hormis le général de Gaulle - qui dut pourtant  affronter, après dix ans de stabilité, la crise de mai 68 - ,  Giscard ne  fit qu’un seul septennat.

La prépondérance du chef de gouvernement se  retrouve en temps de  cohabitation, qui voit, comme sous la IVe République  le rôle du chef de l’Etat régresser : ni Chirac en 1988, ni Jospin en 2001  ne purent  résister à l’usure  d’un gouvernement en première ligne. Si le quinquennat avait alors existé, nul doute que Mitterrand n’aurait  pu être réélu en 1986. Les deux derniers présidents de la République n’ont réussi à se faire réélire   qu’en passant un temps la main sous  la forme de la cohabitation.

En définitive, le chef de l’Etat est comme le cavalier d’autrefois qui devait changer de monture pour aller loin. Si le cavalier descend de son cheval et veut courir lui-même, il y a de fortes chances qu’il n’aille pas loin.

Comment imaginer que  l’état de grâce dont bénéficie aujourd’hui  Nicolas Sarkozy va durer ? Si l’actuel président  demeure en première ligne tout au long de son mandat,  qui pariera un kopeck sur sa réélection ?  

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

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