Il était une fois un homme politique français qui rêvait d’être premier ministre. Il en avait les qualités : entreprenant, homme de terrain, capable d’être présent sur tous les fronts. Il pouvait admirablement compléter un chef d’Etat plus pondéré, apte à modérer ses ardeurs, à éviter qu’il ne se disperse. Mais le président, en raison d’obscures rancunes, ne voulut pas le désigner. Pour contourner l’obstacle, notre homme fut contraint de se faire élire chef de l’Etat.
Un président envahissant
On aura reconnu dans cette histoire Nicolas Sarkozy confronté au barrage de Jacques Chirac.
Malgré les efforts méritoires de François Fillon pour se tailler un espace dans l’appareil d’ Etat, le nouveau président de
Sans doute le général de Gaulle se concevait-il déjà, malgré les articles 20 et 21 de la constitution qui confèrent ce rôle au premier ministre, comme le seul vrai chef du gouvernement. Mais il avait, comme on le voit dans les souvenirs d’Alain Peyrefitte, un tout autre sens de la délégation que l’actuel président. Et en ce temps là, les conseillers de l’Elysée étaient peu nombreux et silencieux.
Le premier ministre sur la sellette
Comme il est question de réformer les institutions, la fonction de premier ministre se trouve sur la sellette : devant l’activisme envahissant du président, on s’interroge sur son utilité.
Interrogation paradoxale au premier abord : le premier ministre est sans doute, depuis le commencement de
Mais la remise en cause du rôle de premier ministre se nourrit des exemples étrangers : dans les pays anglo-saxons, référence habituelle de Sarkozy, le bicéphalisme n’a pas cours : l’exécutif est concentré entre les mains du seul président aux Etats-Unis, du seul premier ministre au Royaume Uni (où, on, le sait, le rôle du monarque est depuis longtemps symbolique). Il en va de même dans la plupart des pays du continent, à commencer par l’Allemagne.
Il se dit que
Deux têtes valent mieux qu’une
Le bicéphalisme instauré par
Pas seulement en temps de cohabitation où, pour le meilleur et pour le pire, il évite que l’appartenance du président et de la majorité parlementaire à des camps opposés ne dégénère en crise. Le quinquennat a minimisé ce risque.
En temps « normal » aussi, le premier ministre a un rôle à jouer.
Il permet d’abord au président de
Le premier ministre permet surtout au président de résister à l’usure.
L’état de grâce passé, vient un moment où la « rogne et la grogne » bien de chez nous prennent à nouveau le dessus. L’opinion revenant à son état habituel de mécontentement, les réformes deviennent de plus en plus difficiles.
C’est là que le chef de gouvernement peut, selon l’expression habituelle, servir de « fusible ».
Pour le plus grand bien de
Pour durer
Cette fonction s’enracine dans une vieille histoire : «
Les autres pays n’ont plus recours à ce système, dira-t-on. Il est commun de pointer le Français comme volage, impatient, prompt à s’enflammer mais aussi à se détacher de ses gouvernants. On peut ne voir là qu’un poncif. Il se peut qu’il s’agisse d’une constante culturelle. C’est un fait que chaque fois que le pouvoir s’est trouvé chez nous concentré en une seule main, collective sous
L’expérience récente a aussi montré la vulnérabilité d’un pouvoir qui ne sait pas renouveler son visage. Hormis le général de Gaulle - qui dut pourtant affronter, après dix ans de stabilité, la crise de mai 68 - , Giscard ne fit qu’un seul septennat.
La prépondérance du chef de gouvernement se retrouve en temps de cohabitation, qui voit, comme sous
En définitive, le chef de l’Etat est comme le cavalier d’autrefois qui devait changer de monture pour aller loin. Si le cavalier descend de son cheval et veut courir lui-même, il y a de fortes chances qu’il n’aille pas loin.
Comment imaginer que l’état de grâce dont bénéficie aujourd’hui Nicolas Sarkozy va durer ? Si l’actuel président demeure en première ligne tout au long de son mandat, qui pariera un kopeck sur sa réélection ?
Roland HUREAUX