L’attentant de Benghazi qui a coûté la vie à l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye est une tragédie pour lui et pour sa famille que l’on ne saurait condamner avec assez de force.
Très inquiétante est en outre la vague antiaméricaine, antioccidentale et antichrétienne qui balaye le monde musulman à la suite de la diffusion sur la toile d’un film insignifiant mais jugé blasphématoire pour l’islam.
Sans nullement se réjouir de leur malheur , on peut cependant imaginer que ces événements amèneront les Etats-Unis à réviser la politique qu’ils mènent depuis des années à l’égard du monde musulman et que l’on ne simplifie guère en disant qu’elle consiste à en soutenir de manière presque systématique les tendances les plus radicales (quelque forme qu’elles prennent : wahabisme, salafisme, frères musulmans) –, au détriment de l’islam modéré, souvent laïque, et au risque de mettre en danger les minorités, notamment chrétiennes.
Cette orientation n’est pas récente : dès 1945, le roi d’Arabie Ibn Séoud, wahabite, avait conclu un pacte, toujours en vigueur, avec les Etats-Unis d‘Amérique, sur fond de pétrole, bien sûr, mais aussi de méfiance à l’égard des puissances européennes, Royaume-Uni et France, encore influentes au Proche-Orient. On peut ensuite égrener les nombreux cas où cette alliance s’est exprimée : soutien au FLN contre la France puis, plus discret, aux islamistes algériens, soutien aux Frères musulmans en Egypte, au gouvernement soudanais en guerre contre les chrétiens avant 1990, Afghanistan (où la création du mouvement taliban par le Pakistan fut encouragée par les Etats-Unis en 1993) , Bosnie et Kosovo, soutien au régime turc actuel (dont les arrière-pensées islamistes sont de plus en plus transparentes), Pakistan, Indonésie, Libye. Les rebelles tchétchènes bénéficièrent de la sympathie constante de l’opinion occidentale. Le drame du 11 septembre 2001 a à peine mis un bémol temporaire à cette politique.
Aujourd’hui ce soutien se manifeste à l’égard de l’opposition syrienne, dominée comme on sait par les islamistes et dont la victoire se traduirait sans doute par les pires représailles contre les minorités alaouite ou chrétienne. Les régimes laïcs, Nasser hier, Saddam Hussein, Assad, furent au contraire toujours tenus en suspicion par Washington.
Ce n’est que quand ils se trouvent dans la périphérie trop proche d’Israël que les musulmans extrémistes ne bénéficient pas de ce soutien : Hezbollah, Hamas, encore que ce dernier soit tenu, à tort ou à raison, par certains analystes, pour une création d’Israël visant à affaiblir l’OLP.
Dans la lignée de ce soutien, les récentes déclarations du Département d’Etat américain critiquant l’interdiction du voile en France, ingérence insupportable dans les affaires d’un pays allié et encouragement à tous ceux qui refusent l’intégration sur notre sol.
Même si aujourd’hui les Américains semblent avoir pris en grippe les chiites, c’est bien de leur aile la plus radicale que les Etats-Unis firent le jeu au travers de l’Irangate qui sauva le régime des ayatollahs de la déroute en 1980-88, ou en renversant le Baath en Irak en 2003.
Quelle rationalité stratégique ?
Cette collusion pouvait se comprendre au temps de la guerre froide : l’islam représentait un allié à la fois parce qu’il se positionnait contre l’athéisme marxiste et qu’il n’était pas incompatible avec l’économie libérale.
Aujourd’hui, il faut bien dire qu’elle apparait comme un mystère à beaucoup d’analystes qui cherchent à comprendre la rationalité stratégique des Etats-Unis.
Les hypothèses les plus diverses sont émises : on dit que les Etats-Unis expriment là leur caractère, déjà décrit par Tocqueville, de grande nation religieuse. On évoque les intérêts croisés des rois du pétrole texans et saoudiens. On dit que les Etats-Unis veulent affaiblir l’Europe et la Russie sur leur flanc sud ( et la Chine, s’agissant du soutien aux islamistes indonésiens) . On allègue qu’ils cherchent à se faire pardonner leur soutien inconditionnel à Israël. Mais quel serait l’intérêt d’Israël à se trouver isolé au milieu d’un monde musulman fanatisé dont toutes les minorités auraient été évacuées ? Les incidents du Sinaï consécutifs à la révolution égyptienne sont à cet égard une première alerte.
La vague d’extrémisme qui déferle aujourd’hui sur le monde musulman et qui touche au premier chef les diplomates américains a-t-elle des chances de ramener la grande puissance à une approche plus pragmatique des problèmes du Moyen-Orient et plus lucide des risques de l’islamisme ? On ne peut que le souhaiter.
Roland HUREAUX