Et si la partie franco-allemande autour de la crise grecque, telle qu’on l’a encore vue au dernier sommet européen, n’était qu’un vaste jeu de rôles ?
La cause semble entendue : l’Europe accablée par les plans d’austérité a besoin aujourd’hui de croissance - les méchants sont pour l’austérité, les gentils pour la croissance : l’Allemagne est du mauvais côté, la France du bon, mais elle a du mal à arracher des concessions à Mme Merkel, chancelière de fer ( au dictionnaire des idées reçues de quel autre métal pourrit être un chancelier allemand ? ). L’Allemagne exige de la Grèce des mesures de plus en plus saignantes pour continuer à l’aider ; la France tente de les adoucir.
A ce scénario franco-allemand, s’ajoute depuis deux semaines un scénario (ou une comédie ?) franco-français : la France serait désormais plus ouverte à la problématique de la croissance, Hollande ferait davantage pression sur l’Allemagne, en proposant en particulier de réviser le traité européen de stabilité et de mettre en place des euroobligations (dites eurobonds), au risque de remettre en cause le partenariat franco-allemand, moteur de l’Europe.
Hélas pour ceux qui colportent cette vision des choses, soit une grande partie de la presse économique, tout ou presque y est faux.
La France et l’Allemagne demeurent d’accord sur l’essentiel
La France et l’Allemagne demeurent d’accord sur l’essentiel : maintenir l’euro et sauver suffisamment les apparences pour que la Grèce y demeure – la laisser partir, c’est courir le risque que tout l’édifice s’effondre comme un château de cartes - qu’il est. Pour sauver les apparences, il faut que la Grèce, pourtant à bout de souffle, ait l’air de faire toujours plus d’efforts. Paris et Berlin sont d’accord, mais à Paris, sur ce sujet, Sarkozy et Hollande le sont aussi.
Les sacrifices exigés de la Grèce ? Ils ne sont pas le remède au problème grec. Tout le monde sait qu’aucune cure d’austérité, quelle qu’elle soit, assortie ou non d’une défaillance, ne remettra la Grèce dans le train de l’euro. Les déséquilibres croissants entre les pays d’Europe ne résultent pas d’abord de la politique budgétaire ; ils sont dus aux différentiels des taux d’inflation et à l’évolution des compétitivités, or, ces différentiels subsistant, les décalages de compétitivité ne cessent de s’aggraver. La déflation, qui serait la seule solution pour les pays du Sud, n’avait pas réussi dans l’Allemagne de 1930, même si les néo-nazis grecs que l’on découvre ces jours-ci semblent eux aussi de comédie à côté des vrais de 1933. Pas davantage la déflation, engagée par Pierre Laval, n’avait abouti dans la France de 1934. Proposer à l’inverse comme Paul Krugman[1] que l’Allemagne fasse plus d’inflation, c’est rêver, connaissant la phobie qu’elle inspire à cette nation. La seule solution est la rupture de l’union monétaire de telle manière que les différentiels de compétitivité soient neutralisés par de nouvelles parités.
Pas davantage les euro-obligations ne rétabliraient les équilibres : des investissements publics dans l’Europe du Sud, financés par un grand emprunt garanti par l’Europe en théorie, par l’Allemagne en pratique, ne seraient qu’un expédient provisoire en termes de flux financiers et une solution de fond aussi lointaine qu’aléatoire.
Tout le monde sait aussi que la Grèce, ni sans doute les autres Etats, ne rembourseront jamais leurs dettes, en tous les cas pas toutes.
Angela Merkel s’adresse d’abord à l’opinion allemande
L’Allemagne, en exigeant de nouveaux plans d’austérité, exprime une position névrotique, deux pulsions contradictoires qui se paralysent ; elle ne veut pas que l’euro éclate, mais elle ne veut pas faire les efforts de solidarité nécessaires pour le sauver (et comment le lui reprocher, puisque cette solidarité serait sans doute le tonneau de Danaïdes ?) C’est cela le message qu’elle envoie en durcissant toujours les conditions des prêts européens. Ces conditions n’étant ni tenables ni tenues, on aiderait la Grèce sans conditions que cela reviendrait au même. Mais le message de Berlin s’adresse d’abord à l’opinion allemande qui ne veut aider personne, ni courir le risque de l‘inflation : le seul choix cohérent serait dès lors de quitter l’euro. Incapable de le faire, Angela Merkel fait de la gesticulation : elle pose des exigences très dures et qui, de toutes les façons, ne sont pas la solution du problème. Cela pour consentir à des rapiéçages qu’elle ne peut de toutes les façons pas refuser car, pour des raisons historiques, l’Allemagne ne veut rien faire qui donnerait le sentiment que c’est elle qui met fin à l’euro. Loin d’être une émule de Bismark, Angela Merkel apparaît aujourd’hui à beaucoup d’Allemands comme une gestionnaire à la petite semaine incapable de faire de vrais choix.
En ayant l’air de vouloir, davantage que l’Allemagne, « sauver la Grèce » (en fait sauver les banques françaises et allemandes engagées auprès de l’Etat grec) et relancer la croissance, le gouvernement français aussi se valorise face à sa propre opinion. Même si notre pays n’a aucun intérêt au maintien de l’euro, il joue le rôle de la France ouverte et généreuse qui plait tant à nos compatriotes.
Quant aux divergences supposées entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, au « changement de ton », selon l’expression consacrée pour désigner une nuance dans une position de toutes les façons fausse, là aussi on est au théâtre. Tous les deux font la même politique : faire durer l’euro en faisant du rapiéçage au jour le jour ; entrer dans le jeu de l’Allemagne en donnant l’impression qu’elle se fait prier, ce qui l’arrange et qui nous arrange. Entre des pseudo-gaullistes qui déplorent que le nouveau gouvernement ne s’aligne pas davantage sur les exigences de Berlin et des socialistes qui font semblant de croire qu’il ne s’aligne pas, qui est le pus ridicule ?
Hollande serait plus ouvert à la problématique de la croissance ? Mais introduire de la relance publique dans la rigueur est contradictoire : en stricte orthodoxie keynésienne, c’est l’un ou c’est l’autre, pas les deux. Dans la logique actuelle, celle de l’euro, un peu plus de croissance, c’est forcément plus d’endettement et donc moins de rigueur. Vouloir à la fois la rigueur et la croissance, c’est faire comme l’automobiliste qui appuie à la fois sur l’accélérateur et sur le frein.
Hollande serait–il plus gentil (pardon, plus « social ») parce qu’il propose des euroobligations et une révision à la marge du traité de stabilité ? Mais il sait depuis le départ qu’il ne les obtiendra pas, comme Sarkozy le savait aussi. Et à supposer qu’il les obtienne, nous l’avons dit, ça ne changerait rien. Ca ne mange donc pas de pain d’en parler. Mais du pain, les Grecs en mangent de moins en moins !