Article paru dans Valeurs actuelles
N’eut été le bruit de la campagne présidentielle française, la mise au point d’un texte commun entre six experts français et six experts allemands appelant leurs gouvernements respectifs à démonter l’euro dans les plus brefs délais auraient peut-être reçu toute l’attention qu’il mérite.
Parmi les signataires français , Alain Cotta, professeur émérite d’économie à l’Université de Paris IX-Dauphine et ancien président du jury d’agréation d’ économie, Jean-Jacques Rosa, également ancien de Dauphine, Gérard Lafay, de Paris II et du commissariat au plan , Jean-Pierre Gérard, industriel, ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque de France, président du Club des N° 1 mondiaux français.
Parmi les signataires allemands, aussi bien Wilhelm Nölling, ancien député (et sénateur) SPD de Hambourg que Bruno Bandulet, ancien conseiller de Franz-Josef Strauss ( CSU) , le professeur Karl Albrecht Schachtschneider, professeur de droit économique à l’Université de Nuremberg qui avait déféré le traité de Lisbonne à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, obtenant que l’Allemagne mette des réserves à sa ratification, le Professeur Joachim Starbatty de Tübingen, et surtout Dieter Spethmann, ancien président de Thyssen.
La partie allemande rendait ainsi l’invitation lancée par Michel Robatel, un industriel lyonnais pour un colloque qui s’était tenu en octobre à Lyon.
Les auteurs de l'appel n’y vont pas avec des pincettes : « Treize ans après le lancement de l’euro, il est patent que non seulement cette expérience n’a tenu aucune de ses promesses, mais même que sa poursuite risque de déboucher sur le chaos. »
Après cette entrée en matière en fanfare, ils énumèrent tous les méfaits de l’euro : « Au lieu de la prospérité, un ralentissement de la croissance dans tous les pays de la zone, avec un important volant de chômage. Au lieu de la rigueur, dix années d’augmentation irresponsable des dépenses publiques et des dettes souveraines, qu’une génération de sacrifices ne suffirait pas à apurer. Au lieu d’une meilleure intégration économique, des déséquilibres entre les pays qui s’aggravent chaque jour. Au lieu d’un rapprochement des peuples, une animosité croissante entre créanciers et débiteurs. »
Les auteurs constatent que « les plans successifs destinés à « sauver l 'euro » sont vains car ils ne s’attaquent, d’ailleurs avec peu d’effet, qu’aux seuls déficits publics et non à ce qui est la racine du mal : la propension différente des pays à l’inflation. Poursuivant un objectif qu’elle n’atteindra de toutes façons pas, l’Europe est entraînée dans une spirale de récession qui, s’agissant du premier marché mondial, inquiète la planète toute entière. »
Les experts proposent alors un plan pour revenir aux monnaies nationales en limitant les secousses : pour la France, peu de changement : 100 euros deviendraient 100 francs ; mais 90 marks, 120 lires, 200 drachmes etc.
Les discussions, toujours cordiales selon les participants, ont montré que le problème le plus difficile à régler était celui des dettes souveraines : pas d’autre solution, selon les auteurs du manifeste, que de les libeller, sans changer le montant, dans les nouvelles monnaies nationales, ce qui suppose une nouvelle défaillance de 50 % pour la Grèce, un peu moins pour les autres pays du sud. Mais, à la différence des plans actuels, la dévaluation des monnaies de ceux-ci leur permettrait un retour rapide à la compétitivité.
L’établissement de ce document important montre que, contrairement aux stéréotypes français, les Allemands sont loin d'être unanimes à soutenir l’euro. Ils y trouvent moins d’avantages qu’on ne croit : ils exportent certes plus mais à des clients auxquels ils doivent faire crédit et qui sont de moins en moins solvables ; certains Allemands disent qu’il vaudrait mieux pour eux utiliser cet argent à investir. L’Allemagne, si elle gagne des parts de marché dans la zone euro, en perd dans le reste du monde. Que l’appel ait été mis au point à l’Industrie Club de Düsseldorf, saint des saints de la vielle industrie allemande montre qu’une partie de celle-ci ne verrait pas d’un mauvais œil l’abandon de l’euro.
Surcout, les Allemands craignent que l’euro explosant en catastrophe, ils ne retrouvent rien de leurs créances tandis qu’un démontage ordonné le assurerait d’en récupérer une partie.
L’autre leçon de ces rencontres est que la fin de l’euro ne marquerait pas forcément la fin de la coopération franco-allemande, au contraire : elle serait restaurée sur des bases saines. Certains Allemands ne cachent d’ailleurs pas leur souhait de refaire une zone monétaire restreinte avec le Benelux et la France et seuls, une sorte de nouvel euro « carolingien », une solution qui ne ferait pas forcément notre affaire car si le franc, en cas de démontage, se réévaluerait par rapport à presque toutes les autres monnaies, il se dévaluerait par rapport au mark, ce qui serait un avantage.
Loin d’envisager une catastrophe, les autres de ce texte, pensent que la fin de l’utopie de la monnaie unique, marquerait un retour à l’économie réelle, chaque banque centrale étant désormais libre d’aider à sa guise ses propres banques et son Etat. La coopération européenne se poursuivrait au travers d’un institut monétaire chargé de gérer la monnaie commune - et non point unique. Ce serait le début du redémarrage des économies européennes. Acceptons-en l’augure.
Roland HUREAUX