L’opinion dominante est que, cinquante ans après la signature du traité franco-allemand d’amitié et de coopération par De Gaulle et Adenauer, la relation franco-allemande n’est plus ce qu’elle était. Les sommets européens à répétition où s’affichent des divergences continues entre les gouvernements des deux pays sur les moyens de sauver l’euro alimentent l’idée qu’il y aurait quelque chose de cassé dans cette relation privilégiée. En France, se répand aussi le sentiment que désormais l’Allemagne impose son point de vue, qu’entre les deux partenaires, la partie ne serait plus égale.
Ceux qui défendent cette position se situent dans la cadre d’une vision classique de la politique où chaque pays défendrait son intérêt.
C’est ainsi que les choses se passaient en effet dans les trente premières années qui ont suivi le traité. Partant de postulats communs : marché commun, prix agricoles uniques etc., les deux pays (et les autres) négociaient chaque année le compromis le plus favorable possible à leurs intérêts réels, sans que l’un impose pleinement son point de vue. Lié aux prix agricoles était le réajustement occasionnel, généralement concerté, des parités entre le franc, le mark et les autres monnaies. Cette pratique a permis, pendant plusieurs décennies, une croissance continue et équilibrée des deux économies.
L’euro : une nouvelle donne
L’euro a changé la donne.
L’instauration d’une monnaie commune entre les deux pays - et quinze autres, semble représenter un progrès décisif de la coopération. L’euro est pourtant aujourd’hui la principale pomme de discorde entre les deux pays. Il change en tous les cas la nature de leurs rapports, laquelle n’a plus rien à voir avec celui d’une négociation classique.
On entend dire en France que l’euro profite davantage à l’Allemagne qu’à la France. Géré aussi strictement que l’était le mark, il permet en effet à l’Allemagne de bénéficier d’une compétitivité accrue qui lui confère des balances positives vis-à-vis de tous ses partenaires, y compris la France. Pourtant le gouvernement français (Hollande aussi bien que Sarkozy) n’est pas moins attaché que le gouvernement allemand à la survie de l’euro. Et l’industrie allemande n’est pas moins sensible au déficit de compétitivité vis-à-vis du reste du monde entrainé par la manière dont l’euro est géré. Les deux pays sont touchés, chacun à son niveau, par la désindustrialisation sans que cela vienne jamais en discussion dans les sommets européens.
La divergence principale porte sur les moyens de sauver l’euro, dont on ne sait pas en définitive s’il profite à l’un et l’autre pays. Mais là encore il serait vain de considérer que chacun défend son « bifteck ».
Mario Draghi, l’actuel gouverneur de la BCE, l’a compris et en tire peu à peu les conséquences : après douze ans de gestion relâchée de leurs finances publiques et de leurs coûts de production par la plupart des pays de la zone euro, France comprise, l’expérience de la monnaie commune ne peut être prolongée que par un recours de plus en plus large à la création monétaire et donc à l’inflation.
Un jeu de rôles plus qu’une négociation
Il en résulte un jeu de rôles diplomatique que l’on aurait tort de confondre avec un débat de fond ou une négociation d’ d’intérêts.
Face à l’ option « laxiste », la seule supportable par tous, ( qui prend en France la forme d’un plaidoyer pour la relance , laquelle, quoi qu’on fasse, est l’opposé de la rigueur ), le gouvernement français a une attitude positive. Le gouvernement allemand, tout aussi désireux de sauver l’euro mais tenu par une opinion intérieure à qui toute forme d’inflation fait horreur, résiste chaque fois… jusqu’au point où il est obligé de céder, non as aux pressions de ses partenaires mais aux exigences de sauvetage du système. Il obtient certes par sa résistance des engagements de vertu de la part des pays latins mais on sait qu’ils ne seront guère tenus et surtout qu’ils ne suffiront de toutes les façons pas à sauver l’euro. Ces engagements donnent à croire que l’Allemagne impose son point de vue, mais c’est largement illusoire et, même si c’était le cas, elle défendrait alors moins son intérêt qu’elle ne donnerait satisfaction à son opinion publique.
Ainsi les efforts de l’un et de l’autre pays se conjuguent, dans un climat conflictuel, pour maintenir un système qui n’est dans l’intérêt ni de l’un ni de l’autre. Histoire de fous. L’un prêche la relance, l’autre la rigueur. Il est probable qu’ils n’auront ni l’un ni l’autre. Mais chacun aura tenu vis à vis de ses électeurs le rôle qu’ils attendaient.
Alors que depuis cinquante ans, le taux « naturel » d’inflation, une donnée forte conditionnée par l’histoire et la sociologie de chaque pays, divergeaient entre la France et l’Allemagne ( mais moins qu’entre bien d’autres pays), il était vain d’attendre qu’ils convergeraient en dix ans d’expérience de la monnaie commune. Chaque mois qui passe éloigne les économies européennes les unes des autres, la française et l’ allemande compris, jusqu’à ce que l’option d’un ajustement des parités et donc d’une remise en cause de l’euro soit ouverte.
Loin de représenter la fin de la coopération franco-allemande, la rupture de l’euro pourrait au contraire la relancer sur des bases assainies : non plus une gesticulation pour sauver un mythe, mais une recherche concertée de l’intérêt commun réel , ce qui passe notamment par des échanges équilibrés entre les deux partenaires, la préservation de leur potentiel agricole et industriel (ou ce qu’il en reste ! ), une coopération monétaire minimale, dans les limites du réalisme. Les intérêts communs entre la France et l’Allemagne étant largement plus importants que leurs divergences, l’amitié entre les deux pays en sortirait consolidée.
Roland HUREAUX
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