L’éloquente intervention à la tribune de l’Assemblée nationale de Bruno Nestor Azérot, député de la Martinique, inscrit à la Gauche démocrate et républicaine, contre le projet de loi instituant le « mariage » entre personnes du même sexe, a eu le mérite de rappeler que, dans cette affaire, le véritable esprit social ne se trouve pas forcément là où on croit.
C’est particulièrement vrai dans les Antilles, terre au douloureux passé, où les esclaves, parce qu’ils étaient tenus pour des choses, furent longtemps interdits de mariage. Le droit de se marier et de fonder une famille, composée d’un homme et d’une femme, est inséparable de leur émancipation.
Nul n’ignore que derrière la revendication d’un « mariage pour tous », c’est en réalité le « mariage pour personne » qui se profile. Les partisans les plus acharnés du projet de loi ne cachent guère que l’institution du mariage homosexuel est une première étape avant la suppression pure et simple du mariage tout court. Comment s’étonner, dès lors, de la quasi-unanimité de parlementaires ultramarins, droite et gauche confondus, contre le projet ?
Mais le mariage fut aussi une grande conquête sociale dans l’Europe occidentale.
Le mariage : un privilège qui se démocratise
Dans l’Antiquité, il était le privilège des classes supérieures, organisées par gens et, par extension, des citoyens libres. Les esclaves en étaient exclus : dans la promiscuité de l’ergastule, bien peu d’enfants avaient la chance d’identifier qui était leur père et même leur mère ; les maîtres se réservaient le droit de séparer les hommes des femmes, les parents des enfants. Il ne devait pas en être très différemment, parmi les serfs, aux heures les plus sombres du Moyen-Age.
C’est à partir du XIIIe siècle que la famille moderne émerge peu à peu, sous l’influence du christianisme, avec la diffusion de plus en plus large des noms de famille et d’un mariage formalisé. Le peuple trouve ainsi une dignité qui avait été jusque-là l’apanage de la seule aristocratie. Il peut s’inscrire lui aussi dans une généalogie.
La Réforme catholique et protestante, visant à réformer les mœurs, souvent ressentie comme oppressive, eut néanmoins pour effet de renforcer la famille à tous les étages de la société. Non sans entrer en conflit avec la monarchie, l’Eglise catholique s’autorise à marier les enfants majeurs sans le consentement de leurs parents, ce qu’un esprit aussi ouvert que Rabelais n’admet pas (Tiers Livre, chapitre XLVIII). Un rituel plus élaboré et les premiers registres paroissiaux consolident l’institution. La Révolution française éclate dans un pays dont les mœurs n’avaient peut-être jamais été aussi régulières . Ce n’est pas un hasard : à familles solides, citoyens libres. L’état civil républicain, le Code civil systématisent les pratiques antérieures. Ils ne sont pas séparables de l’émergence de la démocratie moderne.
Emmanuel Todd a montré comment l’esprit républicain s’est diffusé dans les régions de France, surtout méridionales, où la structure familiale était assez solide pour permettre aux clans paysans de se soustraire à l’emprise des notables (ce qui se produit aussi dans les pays alors de droite comme le Pays basque). Le bassin parisien, où les structures familiales sont plus éclatées ne permet guère, en dehors de Paris, l’organisation de cette culture populaire forte.
Le simplisme libertaire
La véritable histoire du lien familial se situe ainsi aux antipodes de la doxa qui fonde aujourd’hui la revendication libertaire. Pour celle-ci, la famille ne serait qu’une institution oppressive venue du fond des âges, basée sur la domination exclusive de l’homme, l’interdiction de la recherche individuelle du bonheur, voire de l’amour, et naturellement la répression de l’homosexualité. A partir de cette vision idéologique simpliste, tout ce qui affaiblit l’institution du mariage est tenu pour progressiste, surtout si se trouve en même temps transgressé l’héritage judéo-chrétien.
Qui ne voit pourtant que la revendication libertaire, telle qu’elle s’est développée à partir des années 1970 coïncide avec la montée de l’ ultra-libéralisme et en est sans doute inséparable ? La déconstruction de la famille, dont le mariage dit « gay » est une étape, se trouve évidemment en phase avec celle de la plupart des réalités qui permettent à un peuple de se structurer : l’école, la culture générale et la mémoire collective, l’Etat, la commune, la langue etc. Cette déconstruction, dont l’ application absurde du principe de non-discrimination n’est évidemment qu’un prétexte, ne peut que déboucher sur une société atomisée, somme d’individus égarés, masse fongible et malléable à la merci des forces aveugles de la mondialisation.
Loin d’être un progrès, le député de la Martinique nous en apporté une belle démonstration, l’instauration d’un mariage homosexuel, brouillant le repère encore fondamental de la distinction des sexes, au nom de la théorie anglo-saxonne du genre, et permettant de tenir dans certains cas l’enfant pour un objet, constitue une considérable régression sociale. Que le parti socialiste en fasse son cheval de bataille, témoigne seulement de la déréliction du socialisme contemporain.
Roland HUREAUX
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