Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Roland HUREAUX

MrHureaux

Recherche

Articles RÉCents

Liens

24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 15:01

 

 

Ce qui s’est passé à Caillac (Lot) le 18 avril dernier  a sans doute son pendant en bien des départements de France mais n’a pas encore attiré l’attention de la presse nationale.

Les élus de Cahors et des environs, soit une trentaine de communes ont refusé à l’unanimité le « schéma départemental de coopération intercommunale » que leur présentait le préfet.

Ce schéma  prévoyait de regrouper les structures de coopération intercommunales du département en sept ensembles, parmi lesquels  celui de Cahors représenterait 60 communes et un bon tiers de la population du Lot.

Les  grands notables socialistes  du département qui, en principe,  sont opposés  à un projet émanant du gouvernement, mais en réalité sont  favorables à ces regroupements  dont ils attendent des pouvoirs accrus,   donnent  des explications embarrassées : Martin Malvy, président du conseil régional et Gérard Miquel, président  du conseil général se contentent de dire qu’il ne faut  rien faire sans l’accord des élus de base. Aurélien Pradié, seul conseiller général UMP, lui,  est enthousiaste.

Pourquoi ces débats qui passent, il faut bien le dire, par dessus la  tête du grand public ?  Parce que la loi  du 16 décembre 2010 dite de  « réforme des collectivités territoriales » a   prévu, à l’article 16, l’ « achèvement et la rationalisation de la coopération intercommunale » passant notamment par  la disparition des communes isolées et des enclaves, le « renforcement de la solidarité financière »  et une taille minimale de 5000 habitants ?

Pourquoi cette rationalisation ? Parce que pour mieux  encourager  les communes à se regrouper,  les gouvernements successifs les  avaient laissées  libres, dans un premier temps, de le faire selon leurs affinités, culturelles ou politiques. Or  cette liberté a abouti parfois à des périmètres compliqués.

Mais au-delà de la loi, l’administration a fait, comme souvent, du zèle : le but que s’assignent beaucoup de préfets est d’aboutir au nombre minimum de structures.

La même loi prévoit à l’article 8  que les communes vivant en communauté pourront  fusionner en devenant des « communes nouvelles ». Ce n’est en principe qu’une option mais, là aussi, il faut attendre du zèle administratif des pressions discrètes en faveur des  fusions.

Au terme du processus, dans un département comme le Lot,  au lieu  des 340 communes,  aujourd’hui fédérées en une vingtaine de communautés, il n’y aurait plus que 7 communes. Au niveau national, en gardant la même proportion, on passerait de 36 682 communes à environ 700.

Résultat : la haute technocratie française, qui à travers les rapports Attali, Balladur etc. donne  des idées au gouvernement et l’opinion « éclairée » dans son ensemble, celle qui  se forme autour  du bois de Boulogne,  n’auront  plus honte de vivre dans un pays à 36 000 communes, comme autrefois on avait honte,   à l’école,  de perler patois.

Ce n’est pas là une question de gauche et de droite : l’apôtre infatigable de ces regroupement est un obscur idéologue socialiste, Jean-Louis Guigou ; les lois s’enchaînent depuis 20  ans,  promues tantôt par des ministres   de gauche tantôt par  des ministres de droite (Joxe et Chevènement aussi bien que Pasqua et Marleix )  et toutes ont le même but : réaliser au fil des ans une euthanasie des petites communes au travers  de toute une série de dispositifs insidieux et  en usant d’une   rhétorique moralisante : la  nécessité de coopérer, de ne pas rester en dehors du mouvement général, de sortir de l’esprit de clocher. Faute d’oser  contraindre ouvertement les communes, on multiplie les incitations : subventions proportionnelles au degré d’intégration, multiplication de vice-présidences porteuses d’indemnités, chantage aux subventions.

Après avoir proclamé bruyamment la rupture, l’actuel président a avalisé sans le moindre recul, dans ce domaine comme dans d’autres,  les projets que lui présentait la technocratie, le même qui inspire toutes  les réformes depuis vingt ans.

Pourquoi cette obstination ? Cela est dans le sens de l’histoire, cela permettra de faire des économies, dit-on.  

Sens de l’histoire ?  Il est vrai que le manifeste du Parti communiste   de Karl Marx prévoyait dès 1848   de « supprimer progressivement l’opposition ville-campagne ».  Ceaucescu avait prévu pour ce faire de raser les villages antiques pour les remplacer par des ensembles de type HLM.  Aujourd’hui, l’administration voudrait, au travers de ces regroupements, enfermer des milliers  de villages dans des structures de type urbain.  

Mais où est aujourd’hui le sens de l’histoire ? Nos communes, héritières  du  village gaulois et de la   paroisse médiévale, sont comme des familles. Il y a en France environ 20 millions de familles : est-ce le sens de l’histoire de les regrouper pour  qu’il n’y en ait plus que   500 000 ? 

Faire des économies ?  Mais  l’expérience des trente dernières années montre  que les regroupements dans la  sphère publique, comme  souvent dans la sphère privée, aboutissent toujours à une couche bureaucratique supplémentaire et à des frais de structure plus lourds  – en même temps qu’une perte en ligne de la vie démocratique.

Malgré ces faits avérés, la haute technocratie poursuit depuis vingt ans l’objectif de regrouper les communes de France, soi disant pour les moderniser.

Cela au rebours de la vraie modernité, qui suppose, comme l’a bien montré Jean-Jacques Rosa,  la petite dimension, la  flexibilité, l’autonomie : on sait , par exemple, que les PME créent des emplois là où les grands groupes les suppriment.

C’est dire que, depuis longtemps, cette entreprise de regroupement  est à contre-sens de l’histoire.

Alors pourquoi, pourquoi cette obstination ?

C’est bien sûr une question d’idéologie : celle du déracinement selon laquelle la modernité passe par la rupture des liens  traditionnels,   celle de la concentration, de la dimension, fondée sur l’idée simpliste que l’efficacité va avec la taille. Les gens qui dirigent la France depuis vingt ans appliquent ce schéma à tous les secteurs de la vie publique,  multipliant partout les désordres et  accroissant les charges de fonctionnement.

Mais par derrière l’idéologie, il y a, comme toujours,  des intérêts. Et pour percevoir lesquels  il faut regarder les choses en finesse, plus qu’on ne le fait généralement dans les bureaux parisiens : les intérêts en cause  ne sont pas ceux  des élus locaux en général  mais seulement  de leur strate supérieure : parlementaires, conseillers généraux, exécutifs locaux, ceux que Yvan Stéfanovitch appelle  la « caste des 500 » (1).  Le développement de l’intercommunalité depuis vingt ans  ne s’est pas seulement  traduite par un accroissement des dépenses – et des impôts - , mais aussi par un contrôle  beaucoup plus étroit exercé par ces « féodaux » sur les petits élus, en premier lieu les maires de communes  petites et moyennes dépossédés de presque toutes leurs prérogatives  au bénéfice des grands élus – et aussi de la technocratie locale.

C’est pourquoi le Parlement, expression de ces grands élus, a très peu combattu le volet communal des projets du gouvernement, alors qu’il a résisté des quatre fers  à la suppression du département.

Les petits élus ont toujours traîné les pieds face aux réformes. Mais on a su chaque fois les cajoler, les  circonvenir, les intimider et ils ont fini,  à reculons, par entrer dans le corral.

L’épisode de Caillac est significatif : en dépit des apparences, ce n’est pas le préfet qui est en cause, c’est le sénateur-président du conseil général, mis en difficulté aux élections cantonales et dont un des proches a été battu par un candidat de droite parce qu’il voulait intégrer le célèbre  bourg moyenâgeux de Saint Circq-Lapopie  dans  une  communauté d’agglomération !  

Il se peut  que, cette fois, les élus de terrain  ne se laissent plus faire. Parce que s’ils ne résistent pas enfin,  c’en sera fait définitivement de la commune. Parce que l'idéologie de la décentralisation, qui n’a en fait bénéficié qu’à une minorité de grands élus, longtemps incontestée, prend l’eau. Parce que dans la confusion qui règne aujourd’hui personne ne soit plus où est le sens de l’histoire !

Il se peut que le projet d’effacer les communes comme centre de décision automne dans notre pays qui est  l’alpha et l’oméga de la pensée administrative depuis trente ans,  apparaisse avec le recul aussi fou que le projet léniniste  d’abolir  la propriété privée !

 

Roland HUREAUX

 

 

1. Yvan Stéfanovitch, La  caste des 500, Lattès, 2010

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

C
<br /> <br /> Bonjour Monsieur,<br /> <br /> <br /> Si je suis d'accord avec vous sur la forme, je le suis moins sur le fond.<br /> <br /> <br /> Beaucoup de structures me paraissent trop petites pour gérer la complexité grandissante qu'elles rencontrent. Une petite commune est de moins en moins armée face aux nouvelles dispositions<br /> législatives et réglementaires. Comment s'assurer de la conformité d'un appel d'offre, ou d'une quelconque décision, avec un effectif réduit? à moins de toujours faire appel à d'onéreuses<br /> sociétés de conseil. Des communes trop petites sont de plus sujettes au chantage permanent des grands élus pour telle subvention ou tel entregent. Surtout, la commune garde-t-elle un sens<br /> quand une famille vit, travaille, étudie, fait ses courses et se divertit dans une petite dizaine de communes.<br /> <br /> <br /> Par contre, le "remède" appliqué depuis des décennies est illusoire. Les Français sont attachés à leurs clochers. Fusionner les communes est donc une chimère technocratique. Il faudrait un effort<br /> politique surhumain pour supprimer 10% des communes. La belle affaire! Quant à l'intercommunalité, elle n'est souvent qu'un moyen pour multiplier indemnités électives, dépense de fonctionnement,<br /> et frais de communication divers. Sachant que pour créer une intercommunalité, dans certains endroits, il faut déjà que les communes soient de taille et de richesse similaire, du même bord<br /> politique, et que les élus n'aient pas entre eux une vieille rancoeur datant d'une élection précédente...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Il serait beaucoup plus logique et courageux d'avancer franchement. Par exemple, en maintenant les communes, mais en confiant une bonne partie de leurs prérogatives à l'arrondissement. Un conseil<br /> d'arrondissement, élu comme un conseil municipal, et en pleine collaboration/cohabitation avec le sous préfet, aurait toute compétence et légitimité pour gérer les enjeux locaux, la région et le<br /> préfet de région s'occupant du reste. Les communes pouvant garder une forme de droit de remontrance suspensif sur les actes du conseil d'arrondissement, par le biais d'un "sénat des maires" à<br /> coté du conseil d'arrondissement par exemple.<br /> <br /> <br /> Les conseils municipaux deviendraient en quelque sorte des associations de riverains institutionnalisées. <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre