Dans le cadre de la réforme territoriale, le département semble tout à coup épargné.
On a compris que la raison principale en était le souci de maintenir Jean-Michel Baylet , président du Conseil général du Tarn-et Garonne et le Parti radical de gauche dans une majorité qui s'effrite chaque jour." Politique d'abord" aurait dit Maurras, grand pourfendeur du département. Et même politique politicienne !
Preuve que l'institution a la vie dure : elle avait déjà échappé en 1981 aux fureurs socialistes , déjà adeptes de la région, tenue, on se demande pourquoi , pour plus moderne, cela parce que François Mitterrand, Gaston Deferre et quelques uns de leurs amis influents , tel Maurice Faure, étaient restés discrètement départementalistes.
Peut-être François Hollande, ancien président du Conseil général de la Corrèze aura-t-il suivi la même pente.
L'irruption imprévue du vieux féodalisme radical dans un processus supposé modernisateur passera difficilement pour une bonne raison de maintenir le département.
Et pourtant ces bonnes raisons ne manquent pas.
La première est que, contrairement à ce que l'on raconte, il n'y a pas dans le reste de l'Europe moins d 'échelons territoriaux qu'en France. Faute d'être allé voir ou de savoir compter jusqu'à quatre, nos élites dénoncent mécaniquement le "mille feuille français". De même qu'elle ne se sont pas avisées que nos régions n'étaient pas plus petites que celles des autres pays. Si nous avons, par rapport à certains pays, pas tous, un échelon de plus, ce n'est que depuis le dédoublement de la commune et de la communauté de communes, issu de la loi Joxe de 1992 , une loi qui n'est vraiment entrée en application que depuis quinze ans. Avant de simplifier, il aurait fallu ne pas commencer par compliquer !
La deuxième raison, corollaire de la première est que tous les pays ont un échelon élu de la taille approximative de notre département, qu'il s'agisse de la province ( Espagne, Italie, Belgique), du kreis (Allemagne), du comté et du bourg (Angleterre). Certains länder allemands comme ont même en plus le bezirk !
La troisième est que si on supprime le département, que fera-t-on de ses attributions principales : l'aide sociale, le réseau routier ou les transports scolaires ? A coup sûr le transfert de compétences qui en résultera aboutira à compliquer les circuits et alourdir les coûts. Le niveau administratif départemental demeurera techniquement nécessaire, pour la gestion des routes par exemple, mais avec un contrôle politique plus lointain. Ajouté au fait , trop ignoré, qu' en matière de gestion publique, plus la dimension des unités s'accroît, plus les frais généraux augmentent, il ne fait aucun doute que la nouvelle architecture coûtera plus cher que la présente.
Mais la raison principale de garder le département est que la population y est attachée . Or de celle là tout le monde se fiche. Témoin, le seul territoire où il lui a été demandé, par référendum de dire ce quelle en pensait, le 7 avril 2013, la suppression du département n'a été approuvée que par 20 % des électeurs seulement ( avec 65 % d'abstentions ). Le Haut-Rhin, premier concerné, a voté majoritairement non. Tous les états-majors des grands partis, tous les sondeurs, tout l'establishment national et local étaient persuadés que les Alsaciens voteraient oui. Ce fut l'inverse. Et pourtant la région Alsace ne comportait que deux départements ! "Un signe fort " pour Le Monde, "un échec cinglant pour la classe politique" pour L'Humanité. Comme les Corses ou les Antillais, les Alsaciens ont refusé un schéma institutionnel qui semblait aller de soi pour une grande partie des dirigeants.
Or ce fait massif est immédiatement passé aux oubliettes, il a été selon le vocabulaire de la psychanalyse, refoulé parce que contraire à la doxa de l'élite. Gauche et droite confondues ont continué à projeter , comme si ce référendum n'avait pas eu lieu, la suppression du département.
Et gageons que Baylet n'a remporté qu'une victoire provisoire. Deux pas en avant, un pas en arrière disent, après Lénine, tous les idéologues. Tout laisse penser que, malgré toutes les bonnes raisons de le maintenir, la machine infernale visant à broyer le département se remettra en marche à la première occasion. Envers et contre tant le bon sens que la volonté populaire qui vont généralement de pair.
Roland HUREAUX