(Article paru dans Le Figaro du 19/08/2013)
En supprimant la DATAR, le gouvernement conclut un long travail de sape
En supprimant la DATAR pour l’intégrer à un hasardeux « Commissariat à l’égalité des territoires », le pouvoir socialiste clôture une histoire d’un demi-siècle qui pourrait se résumer à deux chapitres : comment l’aménagement du territoire de la France a été instauré et développé à partir des années soixante et soixante-dix sous l’impulsion du pouvoir gaulliste, comment il a été peu à peu dénaturé et finalement liquidé à partir des années quatre-vingt-dix, à l’instigation de certains idéologues socialistes.
Sous la IVe République et surtout sous la Ve, l’Etat avait entrepris avec vigueur de corriger les déséquilibres historiques de la géographie française : non seulement entre « Paris et le désert français » mais aussi entre le Nord-Est industriel et le Sud-Ouest agricole, et entre villes et campagnes. Il put s’appuyer pour ce faire sur des entreprises publiques fortes et sur la croissance des « trente glorieuses » : si l’aéronautique préserve aujourd’hui le tissu économique du Sud-Ouest, elle le doit à ce volontarisme. La PAC première version, la politique de la montagne, la politique des métropoles d’équilibre, puis des villes moyennes et des petites villes jouèrent chacune leur rôle. La province décolla, les zones rurales résistèrent : grâce à un commissariat dynamique, pionnier de l’aide à la création d’entreprise en France, le solde de créations d’emploi fut positif dans le Massif central au cours des années 1970, ce qui ne devait plus se revoir.
Les années 1980 virent une première rupture : l’urgence de reconvertir les vieilles régions industrielles frappées par la crise relégua au second plan le souci de corriger les déséquilibres : la DATAR se faisait « pompier ». Par une confusion conceptuelle fâcheuse, on crut aussi que la décentralisation suffirait à promouvoir le développement régional, alors que le risque était au contraire que les régions les moins riches accentuent leur retard.
L’aménagement du territoire livré aux idéologues
Mais le pire vint au tournant des années 1990 : au motif de faire de la prospective, la DATAR devint le relais d’idéologies faussement modernistes ne tendant plus à corriger les évolutions, cause de déséquilibres, mais sous prétexte d’ anticiper, à aggraver ceux-ci. L’Europe fut l’alibi d’une vision à l’américaine du territoire où n’auraient plus leur place que les grandes unités : mégapoles, méga-régions. Au départ de Paris seuls quelques axes seraient privilégiées : c’est ainsi qu’on décida de laisser péricliter l’axe central Paris-Toulouse (par Brétigny-sur-Orge !). Le même courant idéologique tint absurdement le souci des zones rurales pour « pétainiste » ! La ville (entendons les banlieues) était au contraire vue comme le lieu de la modernité par excellence, à privilégier.
Il fallait à tout prix que le génie de l’Europe qui était précisément de ne pas être l’Amérique, celui d’un espace cultivé, organisé, humanisé en finesse, soit sacrifié à une Europe institutionnelle simplificatrice. La même année que le traité de Maastricht (1992), étaient adoptées, la loi Joxe , point de départ d’une intercommunalité en forme d’usine à gaz et la réforme de la PAC , qui devaient porter un coup fatal à la civilisation rurale : l’une en en cassant la structure millénaire la commune ( « la fin du village » que décrit Jean-Pierre Le Goff ), l’autre en substituant de manière coûteuse et dégradante, très inégalitaire au demeurant, la rémunération par les primes à des prix de vente rémunérateurs. De cette préférence pour les grandes unités découlent aujourd’hui les « métropoles », dont on ne sait si elles vont se rajouter à des structures locales déjà compliquées ou, au mépris des solidarités historiques - et par là de la démocratie – , s’y substituer, ou la volonté de casser cet échelon de proximité qu’est le département (une idée que la gauche a mise en veilleuse pour des motifs électoraux bien qu’ elle en soit à l’origine). L’absurde projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes est sous-tendu par le concept d’une métropole Rennes-Nantes, deux villes tenues pour trop petites et que l’on fusionne sur le papier en mettant un aéroport entre elles. La politique des petites villes et des villes moyennes a été abandonnée. Les déséquilibres fondamentaux, un moment contenus, se sont aggravés : nouvel essor de la région parisienne, dopé par une immigration non maîtrisée et qui, à peu près seule, profite de la mondialisation, avec pour effet la crise du logement que l’on sait ; effondrement dramatique du territoire rural « profond » ( ni périurbain ni côtier), soit 40 % de l’espace français ; quasi-disparition de la population agricole mais aussi des industries rurales, les plus vulnérables aux délocalisations : un vrai « ruralicide » ! La droite, trop souvent passive devant ces orientations idéologiques se rebiffa, sous l’impulsion de Charles Pasqua qui fit voter en 1995 une loi d’orientation sur l’aménagement du territoire malheureusement vidée de sa substance par la technocratie de gauche. En 2004, ont été lancés les pôles de compétitivité, principale innovation de cette période.
Quelle égalité des territoires ?
Le concept d’ égalité des territoires que l’on voudrait à présent promouvoir est des plus obscurs.
S’agit-il de l’égalité de revenus ? Mais les administrations et la Sécurité sociale font déjà beaucoup pour faire circuler la richesse ; Laurent Davezies a montré l’importance de cette redistribution, environ 10 % du PIB, base de ce qu’il appelle l’ « économie résidentielle ». La disparition du département la menacerait.
Mais peut-être veut-on, par idéologie et démagogie, donner la priorité à la politique des « quartiers » ? Au mépris des analyses de Christophe Guilluy qui a montré que les vrais pauvres d’aujourd’hui sont dans les territoires délaissés des petites villes et des villages.
S’agit-il de l’égalité devant les services publics ? Un grand effort a déjà été accompli, en matière routière notamment. La libéralisation des services publics, promue par la gauche autant que par la droite, le remet en cause.
Mais l’inégalité essentielle demeure celle des dynamiques de développement, économique et démographique : elle s’aggrave chaque jour sous l’effet des idéologies que l’on vient d’évoquer. A cela pas d’autre remède que le maintien de la DATAR dans la plénitude de ses attributions historiques.
Roland HUREAUX