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Roland HUREAUX

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10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 08:26

 

            A propos de l’affaire des  minarets (1)

 

Le référendum suisse sur les minarets a suscité un tel émoi   que beaucoup en ont oublié de réfléchir  au cadre  théorique  dans lequel il s’inscrit : la  problématique de la liberté religieuse en Occident.

Il faut le rappeler : ce  sont les minarets qui ont été interdits par le peuple suisse,  pas les mosquées.

Si les mosquées avaient été interdites, on aurait pu  considérer à bon droit qu’il s’agissait d’   une atteinte inacceptable à la liberté  religieuse.  L’interdiction des  minarets touche en fait une autre question : celle de la visibilité publique du culte. La disposition d’un lieu de culte est affaire de droit fondamental, sa  visibilité  une  question  d’ordre public et donc d’opportunité, variable selon les lieux et les temps.

Cette distinction n’est pas nouvelle en Europe :   comme l’a montré Bruno Dumézil  (1), on la  trouve dès les  origines de la chrétienté instituée. L’Eglise a ainsi presque  toujours admis  le droit des juifs à disposer de  synagogues   dans un Etat  chrétien.   Comment d’ailleurs un chrétien pourrait-il,  sans se renier, empêcher d’autres croyants d’adorer Dieu ?  La même Eglise  a en revanche rarement accepté que d’autres cultes aient un caractère public, ou en tous les cas officiel (2).

Curieusement, le Syllabus et Dignitatis humanae ne diffèrent pas autant qu’on croit sur ce sujet.  

Parmi les erreurs condamnées par le premier figure qu’il faille « louer que certains pays, catholiques de nom, aient décidé par leurs lois que les étrangers qui viennent s’y établir puissent jouir de l’exercice public   de leurs cultes particuliers » (§78).

Dignitatis humane  dit de son côté  que  « Dès lors  que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité (de toute contrainte en matière religieuse) afin de pouvoir se régir selon leurs propres  normes  et  honorer d’un culte public la divinité suprême (…) (§ 4.2) ».

Certes, entre ces deux textes,  le ton est très différent :   autant Pie IX est restrictif  pour les cultes non catholiques, autant Paul VI l’est au contraire  pour  toute  entrave à la liberté de quelque culte que ce soit.  On peut même s’inquiéter qu’en exigeant   que les groupes religieux obtiennent l’immunité « pour se régir  selon leurs propres normes », le texte de 1965 puisse fonder  l’application de   la charia en Europe. En fait il n’en était pas question à cette date. Le texte visait  d’abord  le droit  des églises chrétiennes   d’organiser comme elles  l’entendent  la vie ecclésiastique  et non celui d’un  groupe religieux d’avoir son propre droit  civil ou  pénal,  cette idée étant étrangère à  la tradition chrétienne laquelle,  pour ce qui  n’est  pas  d’ordre religieux,  n’a jamais revendiqué que l’application du  droit « naturel ».

 Si Dignitatis humanae insiste sur le droit des croyants, quels qu’ils  soient, à pratiquer leur culte,  le Syllabus ne traite que du culte public, ce qui veut dire, dans un texte limé au millimètre, que le droit des étrangers (ou d’autres) à pratiquer un culte privé, droit  conforme à  la tradition   de l’Eglise (sinon à la pratique de   tous les princes chrétiens), n’est pas  en cause.  Le statut que, entre les lignes, le Syllabus ouvre  aux  cultes non catholiques est-il  d’ailleurs  différent de celui qu’un certain  laïcisme voudrait imposer à tous les cultes ? 

Mais la déclaration Dignitatis  humanae, soumet  la liberté de culte (y compris publique pour le coup)   qu’elle promeut  à la  restriction importante des « justes  exigences  l’ordre public ».  Ordre public, peut-on supposer,  au sens large : non seulement le souci de préserver  la paix civile  mais encore   celui   de la circulation routière ou d’un urbanisme ordonné. La question des minarets n’est plus un problème de liberté de conscience mais peut être tenue  comme l’a suggéré François Fillon pour un problème d’urbanisme,  voire  de gestion d’un patrimoine   historique (3).

Curieusement,  une telle convergence n’existe pas  seulement entre deux textes  réputés antinomiques  de l’Eglise catholique mais encore entre ceux-ci  et la pratique  la République française laïque.  La   loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat du 9 novembre 1905  (article 4) confie l’organisation du culte   aux  seules  associations qui se conforment «  aux règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice »,   c'est-à-dire  dire, s’agissant de l’Eglise catholique, qui se conforment  au droit canon.

Quant à l’exercice public du culte,  le fameux arrêt abbé Olivier du Conseil d’Etat (19 février 1909) affirme que l’autorité publique (un maire en l’occurrence) ne peut apporter de restrictions à la liberté de culte – y compris  à une procession– qu’ « en cas de menace précise et  sérieuse pour l’ordre public ».

En notre temps où les intégrismes de tout poil prospèrent sur fond d’ignorance,  ces distinctions, pourtant classiques,  sont fâcheusement remises en cause. La Charte des droits fondamentaux  annexée au traité de Lisbonne  reconnait  «  la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites » (article 10)  sans aucune restriction liée aux  exigences de l’ordre public, ouvrant la porte à de graves risques.   A l’inverse, un  laïcisme exacerbé, voudrait   bannir tout symbole religieux de l’espace public sans autre motif que de principe.  

 

La Rapporteur spécial de l'ONU pour la liberté de religion, Mme  Asma Jahangir,  s'est montrée « profondément inquiète »  quant aux « conséquences négatives du résultat de cette votation sur la liberté de religion ou de conviction des membres de la communauté musulmane en Suisse. »   On aimerait savoir si l’intéressée, originaire du Pakistan, s’est autant émue du cas  de  nombreux pays musulmans qui  aujourd’hui  multiplient les entraves , non seulement à l’exercice public du culte chrétien – ou juif – mais à son exercice tout court,  de manière officielle , comme en Arabie saoudite d’ où sont bannis  non seulement les  clochers mais les églises , ou de manière sournoise presque partout  ailleurs.

On aurait aimé  aussi plus de retenue de la part de M.Erdogan   premier ministre  d’un pays,  la Turquie,  qui non seulement a commis au début du XXe siècle un génocide massif des  chrétiens, pas seulement  arméniens (4)  , mais où encore aujourd’hui  des  prêtres ou des militants chrétiens  sont  assassinés  et où  la construction de  nouveaux  lieux de culte non musulmans  est pratiquement impossible .  

 Roland HUREAUX

 


1.    
Bruno Dumézil, Les racines chrétiennes de l’Europe, contrainte et liberté religieuse dans les royaumes barbares,  V-VIIIe siècle, Fayard, 1905

2.    
Ce que signifie exactement culte public n’est pas précisé dans les textes cités et peut-être est-ce mieux, car ainsi est  laissée  une marge d’interprétation.

3.    
On admet cependant que le référendum suisse a une portée plus large, touchant à l’identité nationale.

4.    
A l’exception des catholiques et des protestants, peu nombreux et protégés par la crainte de la France et de l’Angleterre

 

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commentaires

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