Article publié par Atlantico
La sortie de Cécile Duflot demandant à l’Eglise catholique de mettre ses locaux vacants à la disposition des sans-abri n’est pas seulement la bourde d’une jeune ministre écervelée. Elle exprime les préjugés et les sentiments d’une partie importante de l’équipe qui gouverne aujourd’hui la France.
Préjugés et même ignorance. Duflot évolue dans une sphère si particulière qu’elle ignorait sûrement de bonne foi que la plupart des paroisses de la région parisienne reçoivent déjà des sans-abri l’hiver et que des milliers de volontaires catholiques s’activent pour les prendre en charge, que ce soit au titre de l’Eglise elle-même ou à celui de nombreuses associations : Secours Catholique, Emmaüs et même associations laïques.
Une ignorance qui n’est évidemment pas innocente : si elle ne savait pas, c’est qu’elle n’avait jamais voulus avoir, et que , se contentant des stéréotypes véhiculés par Libération et Charlie-Hebdo, elle en était restée à l’image historique d’ une Eglise riche, d’abord préoccupée du culte et indifférente aux misères.
Derrière les préjugés, l’hostilité
C’est dire que par derrière ces préjugés, se trouve une hostilité profonde que l’ouverture au monde effectuée par les chrétiens au cours des quarante dernières années, n’a nullement atténuée, au contraire.
Au cœur de cette hostilité, bien sûr, les problèmes sociétaux, en particulier l’avortement et le statut des homosexuels où l’Eglise catholique apparait comme un obstacle insupportable et totalement ringard aux idéologies aujourd’hui dominantes en la matière. Leurs adeptes, nourris de clichés, n’ont naturellement jamais fait le moindre effort pour comprendre ni même s’intéresser aux raisons de l’Eglise – qui d’ailleurs n’en fait pas non plus beaucoup pour s’expliquer clairement.
Le récent projet loi sur le mariage prétendu « pour tous » a ravivé cette hostilité et c’est sans doute la raison de la sortie de Mme Duflot – même si, fort maladroite, elle contribuera sans doute à gonfler les effectifs de la nouvelle « Manif pour tous » annoncée pour le 13 janvier.
Plus sans doute que chez Mélenchon qui cultive l’anticléricalisme rétro, cette hostilité trouve sa pointe extrême dans le mouvement écologiste. Certes, on comprend mal, vu de loin, qu’un parti dévoué à la défense de la nature soit le plus ardent à promouvoir la théorie du genre, négation de la différence sexuelle, ou l’insémination artificielle : mais sa philosophie sous-jacente, dans la lignée de la Fondation Bill Gates, promeut la réduction de la population de la planète par tous les moyens, ce qui fait évidemment horreur aux Eglises qui défendent la grandeur de la vie. C’est au sein du groupe écologiste du Sénat qu’avait été concocté un projet de loi sur le mariage unisexe encore plus radical que celui du gouvernement ; lors de sa discussion en commission, les représentants de ce groupe n’ont pas caché que leur but était, non pas d’étendre le mariage mais, à terme, de le détruire.
Mais cette idéologie va au-delà des écologistes : elle est diffuse dans une grande partie du parti socialiste, comme dans la plupart des médias.
Il y a certes davantage de chrétiens – ou d’anciens chrétiens formés par l’Action catholique ou les Scouts de France - qu’autrefois au parti socialiste, mais la plupart se sont décolorés. Ils formaient l’essentiel de la « deuxième gauche » se réclamant de Rocard et Delors. Ils marquaient leur différence par un souci plus grand de la surenchère européenne et de la rigueur budgétaire (quitte à passer pour d’ennuyeux « cathos masos » , voire « deloristes-doloristes » ), que sur les sujets vraiment clivants de type sociétal sur lesquels ils préféraient raser les murs. L’émergence au sein du Parti socialiste de nouveaux mouvements chrétiens comme les Poissons roses, pas vraiment émancipés de la culture de la deuxième gauche, ne semble pas avoir modifié la donne. D’autant que la culture politique de gauche admet mal l’objection de conscience : l’engagement à gauche (à la différence de l’engagement à droite), vécu sur le mode religieux, fait prévaloir les logiques de partis, jusqu’à à étouffer très vite toute considération morale.
Le grand parti de la déchristianisation
De fait le parti socialiste apparait comme le grand parti de la déchristianisation de la France. Du christianisme, il a gardé un vague relent « humanitaire » qui se traduit par exemple par l’ouverture à l’immigration ou un reste de rhétorique sociale, d’ effet limité dans la mesure où il s’accompagne d’une acceptation (particulièrement nette chez les chrétiens de gauche) des logiques ultralibérales et mondialistes. Cette France qui non seulement a rejeté son héritage chrétien, mais est à peu près dépourvue de culture religieuse – et méprise tant le faut religieux qu’elle ne daigne l’approfondir, c’est d’abord au parti socialiste qu’elle se retrouve.
Ceux qui prennent tant soit peu au sérieux les dogmes et surtout la doctrine morale de l’Eglise telle que les papes la formulent y sont facilement traités d’ultracathos ou d’intégristes, voir suspects d’être « fachos », même s’ils sont très éloignés des lefévristes.
Les réformes sociétales, précisément celles que l’Eglise catholique réprouve sont, dans cette ambiance, un marqueur idéologique fort de la gauche, le seul qui lui reste peut-être. Tribut payé à l’idéologie : à peine en place, Marisol Touraine, ministre de la santé a rétabli le remboursement à 100 % de l’avortement alors même que les caisses de l’assurance-maladie sont vides et que le remboursement de soins de première nécessité, notamment dentaires, est si faible que beaucoup ne se soignent plus !
Que dans cette ambiance, l’idée de promouvoir le mariage homosexuel ait paru une sorte d’évidence indiscutée, que Hollande ait considéré qu’elle ne devait rencontrer qu’une protestation marginale et rétrograde, comment s’en étonner ?
L’inconscience du parti socialiste sur ce sujet ressemble à celle de l’Assemblée constituante de 1789 : imbibée par un siècle de philosophie des lumières, elle crut que le fait religieux était un vestige du passé que l’on pouvait traiter par-dessus la jambe. Il s’en suivit une guerre civile de dix ans qui fit des centaines de milliers de morts que seul Bonaparte, en signant le Concordat, parvint à terminer. Cette guerre éclata, de manière significative, non à cause de la confiscation des biens (alors immenses) de l’Eglise mais de la Constitution civile du clergé qui ne posait que des problèmes de principe.
Vers un durcissement ?
L’inconscience avec laquelle la majorité actuelle a rédigé son programme explique l’impatience avec laquelle elle ressent une résistance à laquelle elle ne s’attendait pas. Toute à son idéologie de la modernité, elle découvre tout à coup que les évêques ne sont pas seulement de doux marginaux tout juste bons à faire de temps en temps un déclaration générale en faveur des immigrés ou contre la pauvreté ,ce dont elle s’ accommodait plutôt bien.
Face à cette résistance inattendue, il n’est pas exclu que cette majorité devienne méchante.
On en a eu le témoignage par la grossière désinvolture avec laquelle la commission compétente de l’Assemblée nationale a reçu les représentants non seulement de l’Eglise catholique mais de toutes les religions.
On pourrait mettre aussi sur le compte du même état d’esprit l' indifférence du gouvernement au sort des chrétiens d’Orient, que la France, dont la vocation historique était de les protéger, promet au contraire à la destruction en soutenant les islamistes en guerre contre le régime d’Assad ; on s’en gardera cependant car le gouvernement précédent, si prompt, lui, à chercher la bénédiction du Saint-Siège, n’agissait pas autrement.
Un terrain miné
L’affrontement qui commence avec l’Eglise catholique est très différent de celui du début du XXe siècle.
D’abord parce que, pour la première fois de manière aussi nette, toutes les religions font front avec elle.
Ensuite parce que le terrain n’est pas le même. Contrairement à ce qu’on croit dans les milieux anticléricaux, l’Eglise catholique est beaucoup plus attachée à ses dogmes et à la morale qu’à ses biens, ses revenus ou son statut. Jules Ferry et Emile Combes s’en prenaient qu’à ceux-ci, François Hollande s’en prend à ceux-là. En séparant l’Eglise de l’Etat, Briand ne marquait aucun mépris pour le culte catholique. Pragmatiques, les chefs radicaux voulaient limiter la réforme au strict nécessaire : « je ne risquerai pas la vie d’un seul de mes gendarmes pour un chandelier » avait dit non sans humour Clémenceau au moment des inventaires. D’une façon générale, l’Eglise (alors plus puissante, il est vrai) était beaucoup plus respectée dans les milieux anticléricaux de la IIIe République que dans les milieux bobos de la Ve.
Elle le fut aussi de Léon Blum, premier président du conseil de l’IIIe République à se rendre à la Nonciature ou de Guy Mollet qui rêvait d’un nouveau concordat. François Mitterrand est un cas à part : sa formation catholique, sa familiarité avec l’ancienne France lui faisaient considérer avec une infinie prudence les questions touchant au fait religieux. Il manifesta toujours un grand respect pour l’Eglise catholique et sut gérer avec doigté, par exemple sur la question de l’école privée, la tension entre les tendances antireligieuses du parti socialiste, qu’au fond de lui il méprisait, et son sens, sinon de la religion, du moins de l’histoire.
A la différence de la séparation des Eglises et de l’Etat, le mariage homosexuel est conçu par la plupart des catholiques comme une énormité et, même si les évêques ne le disent pas ouvertement, une profanation de ce qu’ils tiennent pour une des institutions les plus sacrées, le mariage. Certains y voient même une volonté blasphématoire rappelant les mariages homosexuels parodiques qu’organisait l’empereur Néron au cours de ses orgies, si on en croit Suétone.
Un autre grand changement est que sur le terrain de la morale, les catholiques , surtout ceux qui se réfèrent à la doctrine thomiste, ne considèrent pas qu’ils défendent une morale particulière, mais la morale naturelle ( point différente de la morale laïque que Jules Ferry demandait à ses instituteurs d’enseigner ) et qu’ils interviennent , non pour défendre leurs intérêts mais parce qu’ils se sentent responsables de toute la société. Les juristes liés à l’idéologie dominante tiennent l’idée d’un droit naturel pour une énormité, mais la population pas. Ce qui fait que la position des religions, dans cette affaire, rejoint le sentiment spontané d’une partie de l’opinion, de plus en plus large au fur et à mesure que le débat s’approfondit, et lui vaut son soutien.
Parallèlement, les milieux déchristianisés qui sont ceux du parti socialiste, n’ont pas pris en compte l’évolution du monde catholique, devenu certes très minoritaire mais beaucoup plus engagé, organisé, ayant pleinement intégré la culture de la communication et du lobbying. Il était hier une majorité passive, il veut être aujourd’hui une minorité agissante comme le sont les juifs ou les protestants.
Sa combativité est démultipliée par le fait que beaucoup de catholiques ont les nerfs à vif, constatant chaque jour que toutes les formes de critiques ou d’injures sont permises dans les médias à l’égard de l’Eglise catholique et interdits vis-à-vis de tous les autres.
Entre la volonté de mettre en œuvre des réformes sociétales promises imprudemment par un gouvernement socialiste qui n’a , faute de marge de manœuvre économique ou sociale, rien d’autre à se mettre sous la dent , et une forte minorité convaincue que ce ne sont pas des privilèges catégoriels qu’elle défend mais l’intérêt de toute la société, il se peut que nous ayons en perspective un affrontement beaucoup plus grave qu’on imagine.
Roland HUREAUX
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