Jusqu’à une date récent, l’opinion la plus commune sur le président Sarkozy était : « d’accord, c’est un médiocre réformateur qui , à force de s’agiter, met plus de désordre dans l’Etat qu’il ne résout les problèmes ; c’est , comme Chirac, un faux dur, un diplomate catastrophique qui multiplie les bourdes à l’étranger, mais tout de même, il reste une « bête politique » : c’est ainsi qu’il a réussi à se faire élire président ; c’est également ainsi qu’il manœuvre habilement au milieu des difficultés : il a le sens de la communication, de l’opportunité et il n’a pas dit son dernier mot. »
Que la ligne présidentielle soit toute entière dictée par des considérations de communication politique et non par des considérations de fond, on le savait. Mais même dans ce domaine où on lui reconnait une supériorité sur la plupart de ses rivaux, Sarkozy est-il vraiment aussi habile qu’on le dit ?
C’est la question qu’on peut se poser au vu de la gestion calamiteuse de l’affaire Woerth.
Il semble que dans un premier temps, l’Elysée ait choisi la ligne de la dénégation et botté en touche : « Eric Woerth est irréprochable ; il reste à son poste. Un grand remaniement aura lieu en octobre ; il sera temps alors de faire le ménage ». Puis, que cette ligne soit apparue insuffisante, ou que les intéressés (au moins l’un des deux) aient pris les devants en présentant leur démission, le président et son équipe ont décidé de jeter du lest, de faire savoir que Blanc et Joyandet avaient accepté la démission de Blanc et Joyandet, dans l’espoir de préserver Woerth, jugé nécessaire à la poursuite de la réforme des retraites.
Mais qui ne voit que la position de Woerth se trouve, non point confortée mais fragilisée par la démission de ses deux collègues ?
Sans soute Woerth n’est, à ce jour, pénalement répréhensible en rien ; il ne s’agit dans son cas que de ce que les Anglais appellent la « common decency ». Alors que l’achat de 12 500 € de cigares aux frais de l’Etat par le ministre en charge du Grand Paris peut amener le parquet à se poser des questions. Mais comme la femme de César, l’homme public ne doit pas seulement être innocent, il doit aussi être insoupçonnable. Vu sous cet angle, l’affaire Woerth et la suspicion de sa collusion avec la plus riche héritière de France - et d’autres généreux donateurs du parti majoritaire – touchent à des intérêts autrement plus essentiels que celles, plutôt ridicules, de ses collègues. Il y a un fort risque que l’opinion ne soit pas satisfaite des gages qu’on lui donne et que la pression sur Eric Woerth continue d’empoisonner la vie politique. Le jour où, de guerre lasse, il faudra le lâcher aussi, le président sera entièrement sur la défensive ; il donnera le sentiment fâcheux, non de dominer les événements, mais de s’être laissé acculer dans les cordes.
Il nous semble qu’il eut été préférable de sacrifier Woerth sans attendre, en ne mettant pas nécessairement en cause son honorabilité, mais dans un souci de clarification. Les deux autres affaires eussent été alors tenues de manière implicite, non pour des peccadilles, mais pour des affaires de moindre envergure, ne justifiant pas des mesures aussi radicales, l’expression d’une vulgarité qui, après tout, est bien dans l’esprit du temps. Encore qu’il faille distinguer le cas d’ Alain Joyandet, notable de province, monté dans la hiérarchie par le parti et par sa fidélité sans faille au président, de celui de celui de Christian Blanc, préfet rocardien tirant au centre, suffisamment incolore et dépourvu d’idées dans tous les domaines auxquels il a touché pour préserver jusqu’ici, à droite comme à gauche, une bonne réputation. La réussite étonnante de l’un et de l’autre profil dans la république de basse époque que nous connaissons aujourd’hui, est sans doute aussi emblématique que celle d’un Bel-Ami dans le Paris du baron Haussmann.
Et les retraites, dira-t-on ? Là aussi, l’art de la politique n’est-il pas de savoir rebondir sur les difficultés ? Pour larguer Woerth sans rien lâcher sur la réforme des retraites, Sarkozy n’avait qu’une chose à faire : confier le dossier au premier ministre. Fillon le connaît bien et la fonction de premier ministre s’est trouvée, depuis 1987, suffisamment vidée de sa substance pour qu’on puisse faire de son titulaire ce qu’il a toujours un peu été sous la Ve République, un super ministre des affaires sociales.
Biographe présumé de Georges Mandel, le président devrait savoir que quand Clémenceau constitua son cabinet de guerre en 1917, il s’attribua, pour montrer sa détermination face à l’ennemi, le portefeuille de la guerre. Et appelé dans la tourmente financière de 1952, Pinay fut non seulement président du conseil mais ministre des finances. Certes la question des retraites n’est pas du même ordre mais ce qui qualifie le leader de crise, ce ne sont pas ses paroles (surtout quand il tant parlé à tort et à travers que, comme le Guillot de la fable, on ne l’écoute plus) mais ses actes.
En ne portant pas, face aux ambigüités et aux mauvaises manières de ses ministres, d’emblée le fer dans la plaie, Sarkozy doit redouter une lente et pénible agonie.
Roland HUREAUX