A propos de l'affaire des minarets en Suisse (2)
Dans le ciel de la bonne conscience et de la pensée unique européennes, la votation des Suisses tendant interdire les minarets a fait l’effet d’un coup de tonnerre.
Si beaucoup de bonnes âmes, y compris ecclésiastiques, jettent l’anathème sur la nation helvétique suspecte de repli sur elle-même et de xénophobie, personne n’est dupe : un référendum analogue dans la plupart des pays de l’Union européenne aboutirait au même résultat. D’ailleurs personne ne se risquera à l’organiser. Comme dans le cas des votes français et néerlandais sur la constitution européenne, le vote d’un seul pays sert de révélateur de ce que pensent les autres. On est d’ailleurs surpris que les augures politiques, s’appuyant sur des sondages pourtant effectués dans les règles de l’art aient pu imaginer que le résultat du vote serait différent.
Ce vote est un avertissement pour les élites européennes qui pensent que les peuples, éduqués ou rééduqués à grand renfort de discours officiels, de pression médiatique , d’affiches, de programmes scolaires, se sont une fois pour toutes résignés à une Europe multiculturelle, multiethnique et composant avec un islam de plus en plus prégnant. Ceux là ne doivent se faire aucune illusion sur les sentiments réels de la majorité, malgré ou peut-être à cause des leçons qu’on lui assène.
De même devraient perdre leurs illusions les fanatiques qui se figurent que l’ultime assaut de l’islam contre une Europe fatiguée et déchristianisée est pour bientôt. On connait les paroles du président Boumediene pour qui les musulmans, après avoir été conquis, conquerraient à leur tour l’Europe grâce à la fécondité de leurs femmes. Le premier ministre Erdogan cache mal son sentiment que l’entrée d’une Turquie de 80 millions d’habitants dans l’Union européenne, conjuguée à la montée des populations immigrées dans les pays de l’ouest, devrait permettre au musulmans d’être un jour majoritaires en Europe. Tarik Ramadan et consorts le pensent aussi. Le vote suisse devrait leur montrer que cette conquête pacifique du continent n’est pas pour demain.
Que va-t- il dès lors se passer ? Il est indubitable que grâce à la poursuite de l’immigration, moins contrôlée que jamais depuis qu’elle n’est plus du ressort national mais communautaire , et au différentiel de fécondité – surtout chez les nouveaux arrivants - , la part des musulmans dans la population, qui se situe autour de 6,5 % en France et en Allemagne, devrait continuer à progresser.
Jusqu’où ? Aucun fait nouveau, comme pourraient l’être, un contrôle de l’immigration beaucoup plus strict, une baisse rapide de la fécondité dans les populations musulmanes de l’ Europe ou encore un regain de vitalité des Eglises chrétiennes du vieux continent, ne laisse prévoir à court ou moyen terme un retournement de la tendance.
C’est d’ailleurs la conscience diffuse de cela et l’inquiétude qui l’accompagne qui sous-tendent la réaction des Suisses, une réaction dont aura beau jeu de dire que, fondée sur le seul refus de l’islamisation du paysage urbain, elle est plutôt une manière de se voiler la face que d’aller au fond des choses.
La perspective brossée par Emmanuel Todd ou d’autres, d’une laïcisation progressive, au recul de la foi chrétienne répondant celui de la foi musulmane, quoique plausible, ne doit pas nécessairement nous rassurer. Parce que des différences culturelles fortes subsisteraient, la principale étant le registre des prénoms, et aussi du fait que l’affaiblissement des repères religieux peut aussi bien favoriser le durcissement identitaire, comme le même auteur l’a montré dans le cas de l’Allemagne nazie.
Bien des traits de l’Europe actuelle peuvent s’apparenter à des signes de déclin : la déchristianisation, l’attrition de nations tenues pour un vestige du passé, voire une référence suspecte, fasciste ou nazie, la désindustrialisation, la dénatalité, le chômage endémique, la démilitarisation relative, l’absence de volonté politique propre. L’esprit de tolérance, souvent à sens unique, la culpabilité postcoloniale, le politiquement correct qui prévalent actuellement dans les élites ne favorisent certes pas le ressaisissement. Le christianisme est tenu en suspicion dans ses propres rangs et, critiqué, voire ridiculisé de toutes parts, n’a pas les moyens de faire face à la montée de l’islam. Celle-ci trouve l’appui de tout un arsenal idéologique fondé sur la non- discrimination ou l’antiracisme (comme si la plupart des musulmans n’étaient pas de race blanche !). L’école laïque qui donnait de la viande le vendredi au temps où l’Eglise l’interdisait (1) impose dans certaines villes des menus sans porc même aux élèves non-musulmans, comme si la minorité musulmane avait déjà réussi à imposer la charia.
Malgré son ambigüité, la votation suisse nous laisse cependant soupçonner que la population de la vielle Europe, quelle que soit l’attitude de ses élites, ne se laissera pas réduire à la dlimmitude (position du minoritaire en terre d’islam) sans régir.
Ce serait mal connaître l’histoire de ce continent, qui a joué un rôle si singulier dans l’émergence de la modernité, que d’imaginer qu’il pourrait laisser ses traditions les mieux établies - pas seulement le christianisme -, s’étioler dans la passivité. Chaque fois qu’elle fut confrontée au risque d’être submergée par les populations ou les influences orientales , l’ Europe s’est in extremis ressaisie : Marathon, les Thermopyles, Salamine, Platées , Actium, plus tard les Champs catalauniques, Covadonga, Poitiers, Las Navas de Tolosa, Lépante, Vienne : la liste de ces lieux de résistance est longue.
A l’inverse d’ailleurs, l’Orient a fini, lui aussi, par rejeter la romanité puis les croisés, puis Byzance, puis la colonisation. (Quoi que disent certains Arabes, l’épopée d’Israêl est trop singulière pour être amalgamée à ces précédents.)
Le retournement, pour le meilleur et pour le pire, s’effectue d’abord dans les têtes. Point de pays plus tolérant à l’islam et au judaïsme que l’Espagne du XIVe siècle, avant qu’une mystérieuse mutation n’induise une réaction violente de rejet des minoritaires. Inutile de chercher à juger ce genre de mutation à partir de la morale d’une époque ; les repères basculent avec elle : ce qui était politiquement correct la veille, la tolérance en l’occurrence, cesse de l’être et inversement. Et si cela nous arrivait, probablement verrions-nous les chiens de garde les plus vigilants dans la première configuration continuer leur office avec la même hargne quand le paradigme a changé, les modérés se trouvant toujours, dans ces cas, débordés.
De même, le christianisme européen, tenu plusieurs fois au cours de son histoire pour moribond a su se ressaisir : après les invasions barbares, puis arabes, au temps des déchirements des XVe et XVIe siècles, après la Révolution française.
Quand s’effectuera ce réveil ? On peut penser que le plus tôt sera le mieux. Pour une raison bien simple : si d’aventure nos pays devaient arriver à un point où musulmans et non-musulmans représenteraient des forces comparables (2), on peut craindre , au vu des précédents de pays comme Chypre, le Liban ou la Bosnie que notre continent n’échapperait pas aux affres d’une guerre civile de grande ampleur .
Les esprits responsables comprendront que personne en Europe n’a intérêt à ce que ce point soit jamais atteint.
Roland HUREAUX
1. L’Eglise catholique interdisait à ses fidèles de manger de la viande le vendredi jusqu’en 1966. Les Espagnols étaient dispensés de cette règle depuis la bataille de Lépante.
2. Ce qui ne signifie pas nécessairement un poids démographique équivalent : au XVIe, les protestants ne représentaient en France qu’environ 10 % de la population (mais 50 % de la noblesse ).