Pour être large, la majorité socialiste qui vient d’être élue n’échappe pas à l’énorme paradoxe de l’élection présidentielle : c’est en raison d’un glissement de l’opinion vers la droite que, par un choc en retour dont la mécanique électorale a le secret, le pays se retrouve entièrement livré à une majorité de gauche !
Ce glissement s’est exprimé au premier tour de l’élection présidentielle à la fois par un certain progrès du vote de droite ( UMP, FN et autres) d’environ 2 %, sa radicalisation ( montée du FN de 7,5 % alors que celle de l’extrême-gauche ne fut que de 3,7 %), et au second tour par le fait que les 2,1 millions de votes blancs dépassent largement l ’écart entre les deux candidats. Or ce que cet électorat, dans sa grande majorité, a reproché à Sarkozy, dont le rejet est la cause de ce paradoxe, ce n’est pas sa droitisation, au contraire.
A l’élection législative, deux signaux forts confirment cette évolution : l’effondrement du centre et l’élection, sans précédent dans ce type d’élection, de deux députés du Front national.
La situation politique paradoxale où se trouve désormais la France est aggravée du fait que cette droitisation ne s’est nullement faite sur des thèmes économiques et sociaux, mais sur les questions identitaires : principalement sur la place de l’immigration, et tout ce qui tourne autour : le drapeau, l’école, et aussi l’ordre public, accessoirement sur différents thèmes sociétaux - qui motivent peu de gens mais les motivent très fort. Or, contrairement à ce qu’ont longtemps enseigné les marxistes - et aujourd’hui les libéraux qui clament la péremption des frontières –, le sens de l’identité demeure une motivation essentielle au point d’être le principal ressort des guerres civiles.
Que malgré une avance en voix somme toute faible, François Hollande dispose d’une majorité absolue est bien sûr l’effet de la logique présidentielle : l’opinion refuse rarement une majorité à un nouveau président, logique renforcée par le quinquennat. La manque évident de pugnacité d’une UMP qui a paru résignée à l’avance à la défaite, la fatigue d’un électorat démobilisé, qui s’est exprimée par une abstention sans précédent, ont fait le reste.
Virage à droite de l’opinion, basculement à gauche du gouvernement, ce paradoxe est profondément déstabilisateur, d’autant que la gauche ne contrôle pas seulement l’Assemblée nationale mais aussi le Sénat, 20 régions métropolitaines sur 21, la majorité des départements et des grandes villes et continuera sans doute de bénéficier quelque temps de la sympathie de la plus grande partie des médias.
Sans vouloir forcer la comparaison, le décalage entre des résultats électoraux paradoxaux et l’état réel de l’opinion, c’est ce qui s’était observé dans l’Espagne de 1936 ou le Chili de 1970 !
La crise de l‘euro – dont François Hollande n’envisage apparemment pas le possible délitement, la politique économique à contresens dans laquelle il s’engage : augmentation des impôts dans un pays qui est déjà le plus imposé du monde, alourdissement des charges des entreprises, suppression de la TVA sociale, avancement de l’âge de la retraite, tous les éléments d’une crise grave sont en place.
Les remous provoqués par le tweet de la maîtresse du président ne sont pas seulement l’effet d’une insigne maladresse mais la marque du déficit de légitimité du président : tout le monde l’ attendait au tournant et il commence par un couac.
Le dédain avec laquelle Mme Merkel repousse en bloc ses propositions a le même sens.
Dans ce décalage sans précédent entre le gouvernement et l’opinion, il ne servirait à rien de mettre en cause les institutions : il n’y en est pas de parfaites. C’est aux hommes qui en bénéficient de savoir se remettre en cause pour éviter une grave rupture. Par une réaction de l’opinion aux turbulences de mai 68, l’UDR obtint une ample majorité en 1968. Pompidou comprit que cette majorité de circonstance ne reflétait pas l’état réel du pays : on eut la nouvelle société de Chaban-Delmas. Vainqueur d’une courte tête, Giscard fit largement une politique de gauche – sans doute à l’excès. Mitterrand comprit en 1981 que son succès ne lui donnait pas mandat d’appliquer tout le programme commun de la gauche, véritable antichambre du communisme.
François Hollande qui concentre dans sa main plus de pouvoirs qu’aucun de ses prédécesseurs a toutes les cartes en main. Comprendra-t-il qu’il lui faut résolument tourner le dos à une partie de ses promesses, notamment celles qui divisent le plus les Français comme le droit de vote aux immigrés, ou le mariage (et surtout l’adoption) homosexuels, et revenir à plus de réalisme en matière économique, de sécurité et d’immigration ? Ou bien ne sera-t-il qu’un besogneux apparatchik soucieux, comme il nous l’a annoncé, d’appliquer scrupuleusement, au mépris du souhait profond des Français, tout son programme ? Dans ce cas le pire est à craindre.