Compte-rendu de lecture
Honte à moi qui n’avais jamais lu Le siècle de Louis XIV. Cette lacune est comblée. Quelle admirable leçon d’histoire de France, doublement classique, par le sujet et par la façon !
Chateaubriand dit que Voltaire donna le meilleur quand il était soumis à la censure. Quand il écrit cet ouvrage, Voltaire a encore sa carrière à faire, il courtise Louis XV : quel meilleur moyen que de faire l’éloge de son arrière-grand-père ? Il est prudent sur le sujet religieux, beaucoup plus que dans l’Essai sur les mœurs, publié un peu plus tard, où il s’attelle à l’histoire du monde avec une érudition considérable, mais sans déguiser cette fois son hostilité à l’héritage juif et chrétien, juif encore plus que chrétien.
Il ne suffisait pas que Louis XIV ait eu un règne brillant sur le plan militaire et ait été contemporain d’un merveilleux épanouissement de la littérature et des arts, d’un raffinement sans égal des mœurs pour apparaître comme un roi hors-série. Il fallait que quelqu’un le dit et le dit magnifiquement. Ce fut Voltaire.
Rien qui ne soit connu aujourd’hui dans le portrait qu’il en dresse : non seulement homme d’autorité mais homme de goût et d’une politesse exquise en toutes circonstances, le contraire de l’image qu’on se fait aujourd’hui du tyran grossier et brutal.
Apte très jeune à s’entourer des meilleurs talents, il s’y fia peut-être trop. Il lui manqua, nous semble-t-il, cet art, difficile entre tous pour les gouvernants, de doubler les réseaux d’‘information officiels pour savoir ce que l’administration lui cache. C’est ainsi qu’il fut gravement désinformé sur la résistance du protestantisme avant la Révocation de l’Edit de Nantes. L’autre grande faute que Voltaire, pourtant admirateur, rappelle, est naturellement le ravage du Palatinat, qu’une confiance aveugle en Louvois explique en partie.
J’avais étudié pour l’agrégation les guerres de Louis XIV sans à vrai dire y comprendre grand-chose. Chez Voltaire, grand pédagogue s’il en est, leur enchaînement est parfaitement lumineux.
La guerre, pour le grand roi, ne se sépare pas de l’amour : n’y partait-il pas au printemps comme en automne, on part à la chasse, tenant à ce que l’y accompagnassent les plus belles femmes de la cour ?
Ce grand amoureux, qui après avoir épuisé de grossesses sa faible femme espagnole, double cousine germaine (un mariage que l’Eglise eut interdit en d’autres temps !) et trouvé, parmi d’innombrables maitresses, sa vraie partenaire dans la torride marquise de Montespan (héritière par sa naissance, on le suppose, de l’esprit Mortemart, cher à Proust), il épousa Mme de Maintenon à 45 ans, comme on entre en religion, bien jeune.
Même rupture dans l’histoire militaire. Jusque vers 1690, Louis XIV fait la guerre avec autant d’ardeur qu’il fait l’amour, victorieusement, à toute l’Europe qui n’en demande pas tant. A partir de là, toute l’Europe la lui fait, alors qu’il n’a plus envie de la faire. Juste revanche mais triste vieillesse.
Ce grand chasseur de talents faillit perdre sa dernière guerre faute d’avoir repéré le futur prince Eugène, qui, éconduit dans son pays, servit avec génie l’empereur d’Autriche. Louis XIV ne fut sauvé du désastre final que par le vieux Villars, autre soldat de génie, qui faute d’être bon courtisan dut attendre le soir de sa vie (et la mort de tous ses rivaux) pour accéder au premier rang.
Sur la même étagère des classiques oubliés, un ouvrage qui fit fureur au XVIIIe siècle : le Télémaque de Fénelon plus guère lu aujourd’hui. Une prose aussi admirable que celle de Voltaire, mais avec l’ennui en plus. Les bergeries à la Poussin, l’atticisme doucereux et les bons sentiments qui l’ inspirent font de la mauvaise littérature. En tous les cas, de la mauvaise politique : contre Louis XIV, Fénelon pensa qu’un politique vertueux devait être doux. A trop le lire, Louis XVI en perdit la tête.
Roland HUREAUX
*Ces deux ouvrages ont été lus dans l’édition de la Pléiade.