12/04/2021
Questions à Roland Hureaux sur le projet de loi contre le communautarisme
Paru dans Monde et Vie
- Emmanuel Macron avait parlé de séparatisme à propos des citoyens les plus religieux – musulmans mais pas seulement - qui se mettraient à vivre à côté des lois de la République. Quel sens à la nouvelle dénomination du projet de loi « pour conforter les principes de la république » S’agit-il de conforter ou de modifier la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat (1905), dont l’histoire, déjà longue, est semée d’évolutions.
Le mot de séparatisme, dont il n’est plus question aujourd’hui, était trompeur, sans doute volontairement. Il désigne habituellement la volonté de certaines parties d’un Etat de se séparer pour faire un autre Etat : Corse, Catalogne, Ecosse. Evidemment, les musulmans de France ne veulent pas faire un Etat indépendant ; certains ne cachent pas que leur objectif à terme est que la France, toute la France et pas une partie, devienne un Etat musulman. C’est un projet à moyen terme mais dans l’immédiat, ils comptent, quoique minoritaires, imposer leur loi à certains quartiers ou à certains secteurs de la vie publique : l’école, en interdisant par exemple les théories de Darwin, les cantines en y bannissant le porc, pour tous, pas seulement pour eux, la rue en y imposant le voile. Historiquement l’islam ne s’est jamais répandu en faisant de l’apostolat de terrain mais par le haut : en prenant le pouvoir pour ensuite subjuguer le reste de population.
On parle maintenant d’une loi pour « conforter les principes de République », Pourquoi pas les « réconforter » comme on le dit pour un malade ? C’est l’aveu que ces principes ne sont pas solides et donc déjà une victoire de la partie adversaire. Comme toujours dans la politique gouvernementale à l’égard de l’islam, nous sommes dans les grands principes et l’imprécision, là où il faudrait être précis : la « Charte des principes de l’islam de France », qui complète la loi en reste aussi aux généralités, et , comme elle contient des absurdités telle que « l’égalité-femme homme est un principe fondamental attesté par le Coran », sa crédibilité est faible.
L’islam n’est pas fait de principes fondamentaux mais de codes tâtillons réglant la vie publique et la vie privée en détail. Plutôt que d’emphatiques proclamations de principe, il aurait mieux valu à mon sens une prise de positon claire et précise d’Etat pour dire aux musulmans ce qui est compatible avec les lois de la république et ce qui ne l’est pas. On le fait un peu avec l’interdiction faite aux médecins de délivrer des certificats de virginité : c’est bien le moins ! Sur la polygamie, la loi reste ambiguë : elle permet certes de refuser ou retirer un titre de séjour aux polygames (mais le fera-t-on ?), elle réserve la pension de réversion à la première épouse mais reconnait aux autres la qualité de « conjointes » ; et tout cela « sous réserve des engagements internationaux de la France », donc de la jurisprudence des Cours européennes qui est ce que l’on sait. Théoriquement, la loi permet d’interdire le voile aux mères de famille accompagnantes « collaboratrices du service public » mais c’est flou et, comme on sait, Macron l’a déjà concédé. Quand je dis qu’il faudrait moins de principes et plus de précisions, je pense que l’Etat pourrait dire par exemple « la viande de porc ne sera pas imposée aux enfants musulmans dans les cantines, mais hors de question de leur réserver une vaisselle qui n’aurait pas été utilisée par les mécréants » comme le dit la Loi islamique. Ou encore : le hijab est interdit dans les lycées mais permis dans les universités. D’accord pour ne pas laisser entrer les caricatures de Mahomet à l’école, par respect des consciences, mais cependant la théorie de l’évolution, qui est scientifique, sera enseignée etc. Or nous n’avons rien de tout cela : on n’a même pas osé par exemple interdire par exemple de voiler les fillettes dans la rue, ce que nous trouvons choquant.
- « Bien d’avantage qu’une simple modalité d’organisation des pouvoirs, la République représente un projet » nous explique le législateur pour présenter l’exposé des motifs de son projet de loi. De quel projet s’agit-il ?
Renan disait que « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours »., donc une approbation, sinon un projet. Mais il a dit aussi que ses membres « sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. » Je n’accorde pas pour ma part, je vous l’ai dit, et les musulmans non plus d’ailleurs, beaucoup d’intérêt à ces formules sans contenu précis. Projet commun, pourquoi pas ? A condition qu’il laisse sa place au jeu démocratique, et laisse un large espace aux choix individuels.
- On emploie beaucoup le mot de « neutralisation ». Au nom du principe de la neutralité de l’Etat, ne risque-t-on pas de voir se créer un mouvement de neutralisation de la société, en transformant en délit toutes coutumes ou toute liberté chrétienne (les crèches, les fêtes publiques, Jeanne à Orléans, les messes durant les férias dans le sud) ? Le but du législateur n’apparaît-il pas comme la promotion d’un athéisme social ?
Oui, je le crains. La religion était à l’origine, chez le Romains par exemple, le lien social, la « religio ». Après la Réforme, elle est devenue au contraire un motif de divisions, c’est à dire tout le contraire. La laïcité voulait au départ neutraliser l’espace public pour y maintenir la paix. Mais ce qui valait entre catholiques et protestants, n’est pas forcément adapté aux problèmes que pose l’islam. Il n’y a pas d’un côté le christianisme, de l’autre l’islam et entre les deux le terrain neutre de la laïcité. En fait les musulmans sont bien plus horreur de la laïcité pure et dure qu’on veut leur imposer que du christianisme. Les laïques qui croient obtenir la paix religieuse en enlevant les crèches de Noël, choquent les chrétiens mais exaspèrent aussi les musulmans pour qui la naissance d’Issa (Jésus) a de la signification. La stratégie actuelle qui consiste à combattre l’islamisme en enfonçant violemment le clou de la laïcité est totalement contreproductive. Et, de fait, elle sert d’alibi à certains pour liquider ce qui reste de symboles chrétien, qui sont précisément la seule chose que les musulmans respectent encore chez nous. C’est absurde.
Il reste que certaines dispositions de la loi, si elles sont appliquées, peuvent avoir leur utilité : meilleur contrôle des associations musulmanes recevant des subventions publiques pour qu’elles ne les utilisent pas à faire de l’agitation islamiste, empêchement des mariages forcés ou encore possibilité de fermer les lieux de culte subversifs - mais pour deux mois seulement, ce qui est bien peu.
- On n’a pas prononcé le mot « islam » dans ce projet de loi. N’est-ce pas pour éviter de régler certains problèmes particuliers que pose une religion de plus en plus puissante en France. On observe par exemple que la question du voile des des petites filles et du voile dans les universités est soigneusement laissée de côté. Quelle est la signification de cet évitement ?
Le mot islamiste figure dans le préambule en termes assez vigoureux :
« Un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. Il est la manifestation d’un projet politique conscient, théorisé, politico‑religieux, dont l’ambition est de faire prévaloir des normes religieuses sur la loi commune que nous nous sommes librement donnés. Il enclenche une dynamique séparatiste qui vise à la division. »
Mais comme la loi ne peut pas viser une religion et pas les autres, le dispositif de la loi s’applique à toutes, y compris celles qui ne posent pas de problèmes comme la religion catholique. Et c’est là que sous prétexte de prévenir des dérives islamistes, certaines dispositions portent gravement atteinte à la liberté des catholiques : la plus grave, c’est la quasi-interdiction aux parents de faire l’école à domicile. Il y avait déjà eu une discussion à ce sujet en 1905 et sur une intervention énergique de Clémenceau, la liberté des familles avait été préservée. Mais, vous comprenez, Clémenceau, c’était un autre niveau que Darmanin ! En théorie il s’agit d’empêcher que les musulmans n’envoient pas leur fille à l’école ou n’apprennent que le Coran à leurs fils, en réalité, il a là un acte de persécution des parents, généralement catholiques, qui font très bien leur travail d’enseignants mais qu’on suppose ne pas être dans la ligne de la doxa néo-libérale. Encore une attente inadmissible aux libertés.
Même chose pour le contrôle d’internet. Il est renforcé pour empêcher « les discours dits de haine ». Comme c’est le cas depuis plusieurs années, au nom de la lutte contre l’islamisme, on ne prend que de mesures sans effet contre lui mais on bride un peu plus les catholiques. La première fois qu’on a brandi l’étendard de laïcité, je crois que c’était lors de l’affaire des élèves voilées de Creil, le principal effet des mesures prises fut d’enlever quelques crucifix qui restaient encore dans des écoles publiques du Jura. Ridicule ! Je note par ailleurs une crispation sur la laïcité qui ne fait absolument pas avancer le problème : ainsi les préfets s’abstiennent de plus en plus d’aller à la messe alors qu’il y a trente ans, ceux qui le voulaient le faisaient sans complexes. Or ce n’est pas du tout le problème.
- Cette loi ne se caractérise-t-elle pas avant tout par un contrôle laïc des finances des associations cultuelles, au risque d’introduire une dialectique entre l’Etat de plus en plus officiellement athée et les religions ?
Non, je pense que le plus grave, c‘est, je vous l’ai dit, l’interdiction de l’école à domicile, atteinte grave à une liberté précisément républicaine, qui avait été reconnue par toutes les républiques.
Il est vrai que la loi instaure aussi un contrôle tatillon des finances et des activités cultuelles qui va peser lourd sur toutes les associations religieuses, mais surtout sur celles qui sont le plus soucieuses de respecter la loi, comme celles qui dépendent de l’Eglise catholique – on le voit avec le COVID. Encore une disposition qui vise en principe les musulmans, qui ne les atteindra guère et atteindra en revanche les catholiques. C’est toujours comme cela depuis quarante ans.
- Le volet éducation du document paraît particulièrement dangereux, en particulier l’article 24 de la loi qui donne une sorte de monopole des programmes à l’Education nationale…
L’Etat a toujours eu en France le monopole des programmes. Encore faut-il qu’on n’empêche pas les maîtres du privé de les compléter, par un enseignement moral par exemple, disparu de l’enseignement public depuis 1968. Encore faut-il que ces programmes ne soient pas trop précis laissant libre cours à la personnalité de chaque enseignant.
Or je note que, si on lit la loi en son état actuel, les établissements sous contrat qui participent au service public de l’éducation nationale, seront tenus à la neutralité, ce qui est contraire à la jurisprudence établie autour de la loi Debré depuis 1959 préservant le caractère propre de chaque établissement.
7. Le cardinal Parolin, secrétaire d’Etat du pape François a rendu public son scepticisme à l’égard de cette loi. « Cette loi écrit-il risque de mettre à mal les équilibres qui se sont créés depuis 1905 ». Que vise le chef de la diplomatie catholique à travers ce communiqué ?
La loi réécrit largement l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 et c’est très dangereux : elle complique, alourdit et menace à terme la liberté de culte en introduisant un contrôle tatillon des associations. Pourquoi ? Y avait-il un problème ? Non. On sent derrière les dispositions les ronds-de-cuir tatillons et méfiants qui veulent tout contrôler (ou les loges maçonniques qui veulent en finir avec l’Eglise catholique , ce que je ne peux pas écrire ) . Darmanin en est le digne porte-parole.
C’est précisément ce que la IIIe république avait su éviter pour apaiser les esprits. Mais pas le gouvernement d’Emmanuel Macron qui, sous des mines benoîtes, est le plus antichrétien que la France ait connu – même entre 1900 et 1905 : on le voit avec le projet de loi bioéthique. Il avait pourtant bénéficié et bénéficie encore de la confiance de beaucoup de catholiques, bien naïfs. Il serait temps qu’ils comprennent.
« Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » disait Montesquieu, spécialement, aux lois emblématiques comme la loi de 1905. Aujourd’hui on en change un article ; bientôt cinq, dix ? Or, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, la loi de séparation d’Eglise et de l’Etat constitue désormais une institution fondamentale de la France. Conçue conte l’Eglise, aujourd’hui elle la protège. En la modifiant, on fragilise la laïcité et donc les principes de la République que la loi se proposait pourtant de conforter. C’est sans doute le sens de la sage parole du cardinal Parolin : ne touchez pas à ce qui va bien.
Mais rassurez-vous : c’est en tous domaines aujourd’hui, et pas seulement celui-là, que les lois ont les effets contraires aux buts poursuivis, qu’elles aggravent au lieu d’améliorer. Comme dit le théoricien marxiste Guy Debord, très proche paradoxalement du catholique Philippe Muray : « la société du spectacle ne peut se réformer qu’en pire ».
- Comment le catholique que vous êtes verrait-il une loi sur l’islam en France ?
Ce n’est pas en tant que catholique que je me prononce sur ces sujets-là, mais en tant que Français. Je vous l’ai dit : l’Etat doit dire de manière précise et détaillée - et unilatéralement, ce que comme porte-parole de la culture française, il accepte, et ce qu’il n’accepte pas. En évitant la surenchère et l’irréalisme : par exemple interdire le hijab à l’Université peut sembler souhaitable, mais pour tous ceux qui connaissent l’ambiance des amphis, serait inapplicable ; interdire le niqab ou la burqa dans l ‘espace public est nécessaire mais pas le hijab. Et naturellement, il ne faut pas se mêler de ce qui se passe dans l’espace privé sauf si des femmes y étaient battues…
Mais là n’est pas le problème majeur : l’essentiel, c’est la démographie. L’islam ne pose pas les mêmes problèmes, quel que soit le cadre législatif, s’il représente 3 % de la population ou 30 % (nous sommes quelque part entre les deux). Il faut un équilibre entre les cultures qui marque clairement celle qui est normative, et cela dépend de beaucoup de choses plus importantes que les discours sur l’islam et la République : la natalité des uns et des autres, le rythme de l’immigration et le dynamisme relatif des religions. Par exemple tous ceux qui, dans l’Eglise de France, s’évertuent à freiner les demandes, nombreuses, de conversion de musulmans sont des criminels : ils préparent la guerre civile. La France ne doit pas devenir le Liban, elle doit rester la France