JUIN 1940 : LES VRAIES CAUSES DE LA DEFAITE
14/06/2020
Beaucoup d’idées fausses ont circulé au sujet de la défaite française de mai-juin 1940. Le remarquable livre de Dominique Lormier paru il y a quelques années « Comme des lions, mai-juin 1940 : le sacrifice héroïque de l’armée française. »[1], toujours actuel et qui devrait être répandu dans toutes les écoles, est là pour nous rappeler ce que ces semaines eurent d’héroïque.
En un mois, l’armée française perdit 58 829 hommes au combat qui ne furent pas, loin s’en faut, contrairement à une légende répandue outre-Atlantique tués en fuyant. L’armée allemande compta 63 682 tués . Les pertes quotidiennes allemandes furent supérieures à celles de la campagne de Russie de 1941. Sur les 3000 chars allemands, 1100 furent détruits, principalement par les Français ; sur les 4000 avions allemands, 1400 furent mis hors de combat par les Français et les Anglais.
En ajoutant 21 000 civils, les pertes françaises approchèrent les sommets d’août et septembre 1914 ; à l‘Ouest, aucune armée n’a perdu autant d’hommes en si peu de temps pour résister à la force nazie. En plus de la contre-offensive bien connue de Montcornet menée par le colonel de Gaulle, de nombreux faits d’armes sont à signaler : le village de Stonne (Ardennes), changea de mains dix-sept fois en trois jours ; à Landrecies (Nord) , deux chars lourds français mirent hors de combat plus de cent véhicules blindés allemands. Non, les Allemands n’eurent pas la partie facile : c’est eux qui écrivirent que les Français s’étaient battus « comme des lions ».
Il est aussi faux d’imputer la défaite à un armement insuffisant : nous avions deux fois plus de canons ( mais pas assez d’antiaériens) , presque autant de blindés : 2268 (2858 avec les Anglais et les Belges ) dont 600 Somua S-35 qui surclassaient tous les chars allemands , au nombre de 2574. Principale défaillance : l’aviation : 4000 avions allemands pour 1100 français (1800 avec les alliés), ce qui rend d’autant plus inexcusable que certains de ces avions soient restés dans les hangars faute de doctrine d’emploi. Le général de Gaulle exagéra donc quand il dit le 18 juin que nous avions été « submergés par la force mécanique de l’ennemi », mais il savait qu’un chef n’ humilie pas son peuple blessé, ce dont Vichy ne devait pas se priver .
Il faut le dire : la défaite est entièrement imputable au commandement. Notre état-major plus âgé de dix ans en moyenne que l’Allemand, se trouvait plus éloigné des lignes de 100 km.
Après la retraite des grands chefs de la première guerre mondiale, ne restait que Pétain, statue du commandeur qui surveilla tout au long des années trente les nominations . La médiocrité a régné . L’armée française fut alors victime d’un mal encore plus répandu dans l’Etat aujourd’hui , et pas seulement au ministère de la santé : le règne d’une pensée unique calée sur la défensive incarnée par la ligne Maginot et rien d’autre. Pensée inadaptée mais surtout , comme toutes les pensées étroites, intolérante à toute dissidence, faisant la chasse aux esprits libres , rarement les plus mauvais, tenus à l’écart des postes de commandement. Ce conformisme allait de pair avec un grand désordre dans ce qui relevait seulement des armées et non de l’échelon politique : transmissions, logistique , coordination.
Il serait, on le voit , tout à fait injuste de mettre la défaite sur le compte des Français dans leur ensemble comme le fit le gouvernement de Vichy . Les chefs militaires responsables de la défaite, qui, au Japon, se seraient sans doute fait hara kiri, sont à peu près les mêmes qui prirent le pouvoir le 17 juin 1940 , le responsable de la charnière des Ardennes se retrouvant par exemple ministre de la défense . Ils étaient mal placés pour mettre en cause , comme ils le firent, le vices et la décadence des Français et les appeler à une pénitence réparatrice. Ils ne furent pas le seuls : si Marc Bloch insiste dans son Etrange défaite[2] sur la responsabilité du commandement il impute aussi la défaite à l’ échelon politique et à la société française, toutes classes confondues . La responsabilité de la société est devenue la doxa d’aujourd’hui. Elle est injuste. Le corps social français des années trente conservait, bien plus que la nôtre, des bases solides qui s’exprimèrent dans la vaillance de nos soldats. Elle empêche de regarder en face des dysfonctionnements de l’Etat qui sont plus que jamais d’actualité.
« Des lions commandés par des ânes[3] » , comme dit Charles Gave ; c’est ce que nous avons vu en juin1940. Ca ne devait pas être la dernière fois.
Roland HUREAUX