UNE REVOLTE A MAINS NUES, IDEOLOGIQUEMENT
Publié dans le collectif Gilet jaunes, jacquerie ou révolution, aux éditions Le Temps des cerises
01/01/2021
Le mouvement des Gilets jaunes répond par sa singularité à une situation elle-même sans précédent. Il apparait comme une révolte à la fois héroïque et pathétique contre un système national et international en voie de durcissement.
Un tournant fondamental s’est produit en Occident il y a environ trente ans : les classes dirigeantes au niveau international se sont mises à appuyer leur pouvoir sur une idéologie se réclamant de la gauche !
Idéologie a plusieurs sens : au sens employé par Karl Marx dans L’Idéologie allemande, toute classe sociale , tout régime a son idéologie , à la fois instrument de pouvoir et moyen de s’illusionner sur les rapports d’exploitation qui les sous-tendent, de se donner une bonne conscience qui est aussi une fausse conscience.
La critique , sinon du marxisme, du moins du communisme réel par toute une génération d’intellectuels, souvent eux-mêmes transfuges du marxisme , comme Boris Souvarine, George Orwell, Hannah Arendt, Alain Besançon, Jean Baechler et les dissidents soviétiques a mis en avant une concept plus restreint et plus spécifique de l’ idéologie : pas n’importe quel ensemble d’idées politiques mais un système fermé , généralement à prétention scientifique , présentant au moins trois caractères :
- Une simplification outrageuse de la réalité historique et sociale à partir de quelques idées, toutes les politiques menées en tout domaine étant déduites de ces idées . « Les idéologies sont des ismes qui peuvent tout expliquer en les déduisant d’une seule prémisse » ( Hannah Arendt, Le système totalitaire ) . Ces prémisses ont presque toujours une part de vérité mais, généralisées, elles ignorent la complexité du réel et ne peuvent lui être imposées qu’en le violentant. Il est ainsi vrai que la lutte de classes est une donnée centrale de l’ histoire ; dire que toute l’histoire se résume à elle, c’est de l’idéologie. Il est vrai que le marché est une réalité anthropologique essentielle ; passer de ce constat au tout-marché , c’est de l’idéologie.
- Une dimension messianique : l’idéologue croit au progrès de l’humanité et veut y contribuer ; il pense même en connaître le seul chemin, celui de son système ; ceux qui y résistent ne se voient dès lors pas opposer des arguments, mais le reproche infamant de s’opposer au vent de l’histoire ;
- Compte tenu de cet enjeu existentiel , l’idéologie débouche sur une démonologie, une vision manichéenne du monde qui se résume à une lutte du bien contre le mal , du « progressisme » contre le « populisme » dit Macron ou contre la « réaction ».
Comment l’idéologie est passée de la périphérie au centre
En ce sens étroit, la bourgeoisie du XIXe siècle n’était pas idéologue. Elle était composée de gens pragmatiques , formés par le latin et la culture classique, école de la complexité , propriétaires terriens et donc près des choses ,adeptes d’un libéralisme économique mesuré qui n’excluait ni le protectionnisme , ni l’intervention l’Etat. Elle était souvent alliée à la vieille aristocratie soit par des mariages , soit dans des gouvernements de coalition. L’esprit de système lui était étranger.
Si idéologie il y avait alors , elle se situait à la périphérie de la société dominante: la classe ouvrière, devenue nombreuse, s’organisait , empruntant sa vision du monde d’abord au socialisme utopique , puis au marxisme. Aux marges de la société russe , apparut la figure de l’intellectuel révolutionnaire.
Bien que les concepts marxistes se soient avérés au siècle suivant peu opérants pour organiser l’économie et la société, ils furent d’une grande utilité pour donner au premier mouvement socialiste une vison de monde lui permettant de résister à la toute-puissance de la bourgeoisie. Comme on disait , le marxisme représentait une « arme » pour la classe ouvrière ; la cohérence, la discipline intellectuelle qui s‘en suivait, la part de réalisme que comportait cette vision du monde , permettaient aux organisations ouvrières de s’arc-bouter pour résister à la formidable pression sociale et intellectuelle qu’exercent toujours les dominants sur les masses ( bien que les le médias de masse n’aient pas encore existé ).
Le fait nouveau de la fin du XXe siècle est que cette carapace idéologique a migré de la périphérie de la société vers son centre. La superclasse dirigeante du monde occidental, le oligarques qui possèdent les grands médias et dictent leurs politiques aux gouvernements fondent désormais leur pouvoir sur une idéologie rigide .
Cette idéologie , nous la connaissons : l’ultralibéralisme économique , le mondialisme ( dont l’européisme n’est qu’une déclinaison régionale ) , l’attrition progressive des Etats, des régulations sociales , l’ouverture des frontières aux marchandises, aux capitaux, à la main d’œuvre. Cet ultralibéralisme économique , au départ conservateur (doctrine Reagan), s’est allié au contraire sous les Clinton avec les idées sociétales les plus avancées : relâchement du lien familial, promotion des sexualités alternatives, destruction des repères judéo-chrétiens. Le macronisme s’inscrit dans cette ligne.
L’idéologie euromondialiste présente tous les caractères de l’ idéologie au sens étroit : une rationalité simplifiée à base de libre échange généralisé , un messianisme qui vise « la fin de l’histoire » ( Francis Fukuyama ) et, on le voit de plus en plus, un manichéisme exterminateur qui rejette tout ce qui lui parait « politiquement incorrect ».
Fin de la démocratie
Le propre d’une démarche idéologique est que pour ses promoteurs, elle prévaut ( en raison de son enjeu messianique ) sur toute autre considération : les règles constitutionnelles, les libertés fondamentales , la tolérance ou ce qu’Orwell appelait la common decency et surtout la démocratie.
On se souvient de la déclaration de Juncker selon laquelle « il ne saurait y avoir de choix démocratique contraire aux traités européens ». On se saurait donc être étonné que l’idéologisation du capitalisme , se traduise par un rétrécissement toujours plus grand des libertés. Un phénomène patent dans la France de Macron : après la loi contre les fake-news, la loi Avia en discussion au Parlement se propose de censurer les propos « haineux » sur la toile - mais qui déterminera qu’ils sont haineux ? Avec son « plan d’action contre la désinformation » ( 14 juin 2019) la commission de Bruxelles met en place toute une panoplie de restrictions à la liberté d’expression. Les mesures envisagées impliquent une collaboration avec les Gafas , principaux acteurs du capitalisme mondialisé dont on peut se douter quel genre de démocrates ils sont.
Parallèlement , du fait de l’emprise croissante des oligarques, l’uniformité des médias atteint un niveau sans précédent en Occident. Chateaubriand avait en son temps montré comment le pluralisme de la presse était la condition d’élections libres.
Les tribunaux se mettent de la partie : au motif de combattre le racisme , l’homophobie, la xénophobie, ils restreignent sans cesse la liberté d’expression.
Même si les sociétés libérales n’ont pas encore ouvert de camps, les pressions professionnelles , personnelles, se font de plus en plus dures à l’égard de toute dissidence : il est par exemple impossible de garder son emploi parmi les cadres supérieurs des entreprises du CAC 40 en critiquant de l’euro ( comme le font pourtant 11 Prix Nobel d’économie ! ) . Paradoxalement l’Etat parait , au moins aux échelons moyens, un havre de liberté, aussi longtemps que le statut de la fonction publique ne sera pas, libéralisme oblige, abrogé. Les concours sont de plus en plus remplacés par des entretiens qui jugent tout autant la conformité que les aptitudes.
Le recul de la démocratie est intrinsèque à l’idéologie . Il l’est aussi aux inégalités excessives. Solon n’avait pu instaurer la démocratie à Athènes qu’en limitant les écarts de richesse entre les citoyens. Elle n’est plus possible s’ils sont trop grands. Les manœuvres de l’oligarchie mondiale pour imposer Macron à la France ( incluant l’affaire Fillon , violation flagrante de la séparation des pouvoirs) est une atteinte grave à la démocratie. Sans précédent est la férocité de la répression de Gilets jaunes (même Mai 68 fit bien moins de victimes). Ce durcissement est intrinsèque à tout régime idéologique.
Les classes dirigeantes ont toujours eu dans la société une influence prépondérante par les moyens de l’autorité publique et de l’argent mais aussi par le prestige de la supériorité sociale . Il fallait autrefois une audace singulière au mouvement ouvrier pour y résister. Le fait nouveau est que désormais la puissance que donne cette supériorité sociale est démultipliée par celle que confère le carcan idéologique. Jamais la bourgeoisie n’eut au XIXe siècle autant de pouvoir qu’en a celle d’aujourd’hui.
A la conjugaison de la supériorité sociale et de l’armature idéologique , s’ajoute l’internationalisation des rapports de classe. Nous sommes passés du capitalisme « dans un seul pays » au capitalisme mondialisé dont les segments nationaux sont solidaires: des institutions comme le club du Bilderberg ou la Trilatérale, le Forum de Davos ou le Council for foreign relations , et de multiples autres moins connues prétendent contrôler la planète. D’où leur impatience devant des entités comme la Russie ou la Chine qui résistent à ces prétentions. Impatience aussi devant toute revendication populaire n’entrant pas dans ses schémas préétablis. Le « populisme » et devenu une appellation infamante . Le populus latin est-il pourtant autre chose que le démos grec ?
On se demande pourquoi le capitalisme mondial a éprouvé le besoin de se protéger ainsi, bien mieux que dans le passé. Au XIXe siècle les travailleurs pouvaient occuper une usine ou un château ; aujourd’hui la vraie richesse est hors de portée : ce sont des lignes de crédit entièrement numérisées dans des paradis fiscaux . Pourtant cela ne semble pas suffire aux nouveaux oligarques. Il leur faut un contrôle de l’opinion interdisant toute remise en cause d’un ordre mondial à leur service. Autisme propre aux très riches avec le complexe obsidional qui s’en suit , surcroit de cupidité ou emballement autonome de la machine idéologique ?
Quand nous parlons des riches nous ne devons plus imaginer une bourgeoisie à l’image de celle du XIXe siècle et qui a prévalu jusqu’aux années soixante : le chef d’entreprise, le banquier mais aussi le notaire, le pharmacien , le rentier. La puissance sociale se concentre désormais dans les 0,1 % qui dirigent le monde et que seules certaines familles du CAC 40 représentent en France. Le patron de PMI frappé par la mondialisation n’en fait plus partie. Le système, qui écrase impitoyablement le pouvoir d’achat populaire : stagnation des salaires sous prétexte de concurrence mondiale, hausse incessante des prix des services publics ( eau, électricité, carburant) , écrase aussi bien les classes moyennes , par la lourdeur de impôts et la libéralisation des professions protégées. Ce laminage des classes moyennes de tous les pays distingue fondamentalement le capitalisme mondialisé de celui de l’époque classique. Classes moyennes qu’il faut entendre au sens large : tous ceux qui gagnent leur vie en travaillant et dont les plus vulnérables ont occupé les ronds-points .
Le système fait en revanche un sort à part aux bénéficiaires des dispositifs sociaux . Plus pour préserver la paix sociale que par générosité , il distribue largement , au moins en Europe, des revenus de substitution à ceux qui sont rejetés hors du système du fait de leurs handicaps ou de la récession organisée ( notamment par l’euro) pour contenir les salaires. Malgré les rodomontades antisociales des libéraux, ces protections demeurent . Pour les vrais maîtres du monde , leur coût est supportable car il repose entièrement sur les classes moyennes ; leur importe peu la frustration des travailleurs pauvres , même immigrés, qui voient les bénéficiaires de ces dispositifs complexes et mal gérés gagner parfois autant qu’eux. Le nouveau capitalisme méprise la valeur -travail.
L’immigration, dans ce tableau, est plus qu’une soupape de sécurité . La bourgeoisie internationale a conclu un pacte implicite avec les peuples du tiers monde ( ou les passeurs) pour qu’ils investissent largement les pays développés. Le rapprochement familial fut instauré dans les années soixante- dix à un moment où le patronat cherchait à prendre sa revanche sur l’humiliation de mai 68 . De cette revanche, l’approfondissement de la construction européenne fut un moyen, le recours massif à la main d’œuvre étrangère un autre. En plus grand , le même processus s’est déroulé au Etats-Unis , plongeant dans la pauvreté l’ancienne classe ouvrière, soit près d’un tiers de la population.
Ne mettons pas en doute la bonne volonté d’un Donald Trump qui , par un retour au protectionnisme et une contrôle musclé de l’immigration , veut redonner du travail et un revenu décent au travailleur américain qui a voté pour lui. Y arrivera-t-il ? C’est une autre question .Mais il est significatif que , comme presque tous ses prédécesseurs , il a dû payer son tribut aux oligarques en allégeant encore davantage leurs impôts. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les chefs d’Etat ne peuvent plus être élus et rester au pouvoir sans multiplier les faveurs aux plus riches. Hollande , qui prétendait de pas les aimer, a , sous l’impulsion de son ministre des finances Macron , été un des plus généreux à leur égard . Ce dernier, pur produit du système que nous venons de décrire, porté au pouvoir par de grandes manœuvres de l’oligarchie mondiale désireuse de « normaliser » la France, a continué sur cette voie, de manière encore plus ample, notamment par la suppression de la part financière de l’ISF – mais pas la part foncière qui ne touche que les classes moyennes.
Si l’ordre ultralibéral, un moment proche du conservatisme sociétal, a trouvé plus avantageux, notamment sous l’impulsion d’anciens trotskystes fallacieusement appelés « néoconservateurs », de s’allier avec les tenants d’une société libertaire , c’est que les uns et les autres partagent le projet d’abolir toutes les régulations permettant au peuples de se situer , d’avoir des repères : repères nationaux, Etats, culture classique, famille, distinction des genres, opposition gauche/droite, repos dominical, en France structures territoriales, notamment la commune, gravement subvertie , services publics, syndicats et ordres professionnels. Le but est non seulement de constituer un gouvernement mondial mais aussi de supprimer toutes les médiations susceptibles de le contester en réduisant les peuples à un tourbillon de « particules élémentaires » , malléables , fongibles, sans racines, sans principes et sans culture , exploitables à merci.
Le grand capital est à gauche !
Cette nouvelle configuration historique a permis ce que personne n’aurait imaginé dans les générations précédentes : la classe dominante mondialisée a adopté l’idéologie de gauche . Le grand capital est passé à gauche ! Certes, il ne s’agit pas pour lui de partager une richesse de plus en plus écrasante mais égaliser par le bas tous les autres, soit 99,9 % de la population, ne le gêne pas. Il a surtout fait sien le vieux rêve internationaliste: « si tous les gars du monde se donnaient la main », ce qui signifie aujourd’hui l’ouverture des frontières aux capitaux, aux marchandises et à une main d’œuvre à bon marché, des agressions impérialistes en théorie au nom des droits de l’homme , en fait pour contrôler les champs de pétrole (Irak, Libye, Syrie ) , la diabolisation de tous ceux qui ne se résignent pas à l’attrition des Etats ou à la dissolution des structures intermédiaires.
Ceux qui chantent cette chanson n’imaginent généralement pas que les riches, mobiles, maîtrisent beaucoup mieux que les pauvres les règle du jeu de la mondialisation laquelle, de manière intrinsèque , accroit l’écart des richesses. Tout ce qui rapproche les peuples ( en fait les Etats) éloigne les classes sociales. Le mondialisme est un système de vases communicants où les plus riches des différents pays s’alignent sur le plus riches du monde , où les plus pauvres doivent s’aligner sur les plus pauvres d’Afrique ou d’Asie.
L’ennemi désigné du capitalisme , ce sont les Etats-nations, il est donc à droite , facilement amalgamé à une extrême droite qui semble se complaire dans le rôle du repoussoir que le système médiatique lui a assigné .
Les clefs de l’influence , le triangle d’or, sont aujourd’hui une grande fortune, la possession d’un grand média, une image de gauche . S’il manque l’un de ces trois piliers , comme par exemple à la famille Dassault qui n’a pas une image de gauche, le trépied est bancal . Xavier Niel ancien proxénète, 8e fortune de France, a les trois piliers ; il téléphone, dit-il, tous le soirs à Macron pour le conseiller. La gauche donne au grand capital le lustre moral qui lui manquait.
Ainsi est rompue l’alliance constitutive de la gauche depuis 1789 , entre le peuple et l’espérance messianique. Dit autrement, le capitalisme a réussi à confisquer aux peuples jusqu’à leur arme idéologique bicentenaire et leur privilège moral bimillénaire . L’idéologie étant intrinsèquement mensongère, il suffisait d’y penser.
Une révolte à mains nues
Confrontés à cet immense carcan , il fallait bien du courage aux peuples pour oser se rebeller . Beaucoup pensaient que les Français étaient définitivement amortis et n’attendaient plus que de se laisser broyer par la machine euro-mondialiste . Même les références de gauche qui alimentaient le discours de la révolte leur avaient été volées. D’avance une telle révolte était stigmatisée sous le vocable de « populisme ».
Pourtant à l’automne 2018, les Gilets jaunes ont osé . Révolte pathétique face un pouvoir qui ne cache pas sa volonté d’imposer l’ordre ultralibéral au prix même de l’intérêt national. Révolte d’une population en voie de paupérisation .
Révolte aussi d’un peuple sans structures . Les syndicats affaiblis, et de fait intégrés au système, n’ont pas voulu l’ assumer (comme en son temps la révolte étudiante de mai 68) et encore moins l’encadrer. Il est significatif que le mouvement des Gilets jaunes ait suivi de quelques semaines l’échec de la grève contre la réforme de la SNCF – baroud d’honneur probablement concerté contre le démantèlement d’un service public emblématique.
La révolte des Gilets jaunes est pathétique surtout parce qu’elle est privée de ce qui fit la force du mouvement ouvrier aux XIXe et XXe siècle : une idéologie de combat portant une conception du monde, juste ou non qu’importe, mais opérationnelle dans la lutte. L’échec de l’expérience soviétique, la mutation de l’expérience chinoise vers un capitalisme caricaturalement inhumain , ont contribué au discrédit des idéologies de contestation radicale que portait la gauche. Au demeurant l’extrême gauche européene peut passer pour un soutien indirect au système : le refus de dénoncer l’immigration de masse ne peut que réjouir le tenants du nouvel ordre mondial , de même le rejet du patriotisme que la pensée dominante assimile au nationalisme , au fascisme et à bien pire encore. Comment reconstituer, pourtant, les régulations sociales à même de protéger le faibles – et les classes moyennes, sans une certaine réhabilitation des nations ? Il est significatif que ce soit dans le vivier de l’ultragauche que le pouvoir est allé puiser pour assurer le pourrissement du mouvement des Gilets jaunes et son discrédit vis-à-vis de la masse conservatrice.
Ajoutons l’influence d’un matraquage médiatique qui répercute avec une efficacité inégalée, même dans les régimes totalitaires, l’ idéologie dominante . La revendication des Gilets jaunes se limitait pour l’essentiel au pouvoir d’achat mais il n’était pas bien vu autour des ronds-points de remettre en cause l’euro, pourtant principale cause de la réduction du niveau de vie en France et dans une partie de l’Europe . Pas davantage, le réchauffement climatique accepté sans critique par la plupart de Gilets jaunes : ils voulaient seulement que le prix n’en soit pas payé que par le peuple . Mais n’est-ce pas là précisément le but de ce que Rémy Prudhomme appelle l’idéologie du réchauffement ( au sens d’Hannah Arendt) que de faire payer le peuple ?
La rigidité du carcan idéologique qui enserre désormais le pouvoir macronien ne lui permettait que des concessions cosmétiques . Faute de comprendre cette logique , certains Gilets jaunes ont pensé, de manière illusoire, pouvoir contourner ce carcan par le référendum d’initiative citoyenne, ce qu’un pouvoir idéologique ne concèdera jamais.
Le monde est-il définitivement verrouillé, de plus en plus inégalitaire et de plus en plus autoritaire, comme un nouveau « 1984 » ? Le mouvement des Gilets jaunes ne serait-il qu’un ultime sursaut précédant un cadenassage généralisé ? Un tel pessimisme serait faire fi de l’histoire qui est toujours venue, à un moment donné, bousculer ce qu’on croyait être des situations définitives. L’Ancien régime, avec ses qualité et ses défauts, semblait une Bastille imprenable ; elle fut prise. Dans les années trente, les meilleurs esprits ne croyaient plus à l’avenir de la démocratie libérale ; elle a gagné en 1945. Personne n’aurait imaginé ( sauf le général de Gaulle ) que l’Union soviétique s’effondrerait: aujourd’hui, qui l’eut cru ? Leningrad s’appelle à nouveau Saint-Pétersbourg .
Le mondialisme permet une concentration sans cesse croissante des fortunes. Mais la cupidité a ses limites : dans un capitalisme qui reste techniquement fondé sur la consommation de masse , le pouvoir d’achat populaire ne peut être impunément laminé, au risque du krach . C’est peu ou prou ce qui arriva en 1929. Cinquante ans de capitalisme keynésien – dont la crainte du communisme ne fut pas la moindre motivation – nous a préservés de ce scénario. Il est à nouveau à l’ordre du jour.
Le mouvement des Gilets jaunes a montré que les peuples que l’ultra-libéralisme idéologique s’attache à anesthésier , bougent encore. A mains nues il a suscité dans le système une immense peur . Continuant à petit régime, il exprime un sentiment populaire qui connaitra, n’en doutons pas, d’autres avatars. Il demeure porteur d’espoir.
Roland HUREAUX
Cela vaut pour l’organisation générale de la société ; cela vaut aussi pour de nombreuses politiques sectorielles , par exemple les théories pédagogiques ou les méthodes de gestion publique .
Certes , il était arrivé dans le passé que les bourgeoisies conservatrices fassent alliance avec les idéologues quand elles se trouvaient gravement menacées : avec l’ idéologie fasciste en Italie à la sortie de la première guerre , avec l’hitlérisme en Allemagne après la grande crise. Mais ces épisodes furent transitoires et localisés.