Il n’est pas possible de comprendre l’esprit de la Constitution du 4 octobre 1958 sans se référer à une confidence que le général de Gaulle fit une fois à un de ses proches « Si les hommes sont mauvais , quelles que soient les institutions , les choses iront mal , mais il importe, pour le cas où viendraient au pouvoir des bons que la Constitution n’ empêche pas ceux-là d’agir » .
Des hommes de qualité mais des institutions qui les empêchent de bien faire : le général pensait peut-être à la IVe République dont le personnel était d’un niveau très supérieur à celui d’aujourd’hui mis que le système paralysait.
Des hommes qui ne sont pas à la hauteur et une constitution qui semble inadaptée alors que ce sont eux qui le sont : cela ne nous rappelle-t-il pas précisément notre époque ? N’est-il pas dramatique que les présidents élus plongent de manière systématique au-dessous de 30 % de popularité au bout de quelques mois ?
C’est pourquoi, il est inutile de spéculer sur le changement constitutionnel qui ferait aller les choses mieux . Ceux qui en parlent sont d’ailleurs bien incapables de rattacher un quelconque problème de fond à telle ou telle disposition constitutionnelle qui empêcherait de le résoudre et ceux qui s’agitent en parlant d’une VIe République ne savent même pas ce qu’ils mettent derrière ce slogan, sinon sans doute un retour à la IVe .
Révisions à tout va
Ce constat n’a pas empêché plusieurs présidents de réviser à tout va la constitution, au risque de la dénaturer , sans naturellement améliorer quoi que ce soit , au contraire. 24 révisions au total : cet acharnement à changer les règles du jeu quand on vient au pouvoir est à la mesure de la vulgarité des temps. La plupart des révisions, motivées par les idées dominantes à un moment donné ou des considérations de pure opportunité, subissent ce que Hayek appelle la loi des « effets contraires au but recherché » : le quinquennat devait renforcer le Parlement , il l’a affaibli , la session continue, de même. Une des rares bonnes idées de ces révisons à répétition : la nécessité d’une autorisation parlementaire des opérations extérieures ( article 35) , n’est pas appliquée ; quand a-t-on débattu au Parlement de l’opportunité de fournir un appui militaire Al Qaida, comme cela a été fait à partir de 2011 en Syrie ?
Mais à un moment où notre pays connait des tensions graves qui ne pourront sans doute être réglées que par un bouleversement législatif de grande ampleur, on peut se demander si une quelconque médecine de choc est encore possible. En d’autres termes, un président qui voudrait réformer la France en profondeur en aurait-il encore les moyens constitutionnels comme l’avait voulu le général de Gaulle ? Il est à craindre que non : la plupart des révisions ou innovations jurisprudentielles ont tendu à limiter les pouvoirs de l’exécutif , comme s’il devait faire l’ objet d’une méfiance a priori . Citons l’extension considérable des pouvoirs du Conseil constitutionnel depuis l’entrée des grand principes dans le bloc de constitutionnalité par la décision du 16 juillet 1971 – due pourtant à un gaulliste de la première heure, Gaston Palewski, jusqu’à la question préalable de constitutionnalité ( article 61-1) instaurée par Sarkozy , en passant par l’élargissement du droit de saisine par Giscard d’Estaing , la quasi obsolescence du référendum sur la base de l’article 11 , et surtout la limitation du vote bloqué ( article 49-3). Ajoutons à ces contraintes les ingérences croissantes des juridictions internationales et européennes.
La Constitution de la Ve République conserve certes quelques vertus : il est arrivé au cours de années récentes à plusieurs pays d’Europe et non des moindres d’être sans gouvernement : Allemagne, Italie, Espagne, Belgique ; pour le meilleur et pour le pire, pas à la France.
Mais telle qu’elle est devenue, la Constitution ne donne plus les coudées franches à un gouvernement qui voudrait enfin prendre à bras le corps les problèmes du pays. Le sentiment d’impuissance qu’ont donné les derniers présidents, y compris ceux qui avaient au départ l’air très décidés, s’explique en partie par cela.
Pour qu’un jour la France puisse être relevée , il ne faut surtout pas de nouvelle réforme constitutionnelle. Ce qui est nécessaire est de revenir aux sources de la Ve République : la constitution de 1958, corrigée en 1962 par l’élection du president au suffrage universel. Rien d’autre. Pour y parvenir, une seule chose à faire : abroger d’un coup tout ce qui s’y est rajouté depuis. L’efficacité gouvernementale y gagnerait beaucoup, le retour au septennat rendrait sa vraie place au Parlement. Que perdrait-on ? Entre les rajouts purement déclamatoires ou proclamatoires de toutes sortes qui n’ont pas leur place dans une loi fondamentale : décentralisation, parité , francophonie, langues régionales , environnement et la dilution des pouvoirs que nous avons évoquée , il y a au total peu à conserver de ces révisons qui, d’ un texte concis, clair et élégant ont fait un collage laborieux, compliqué et opaque . Il se peut qu’il n’y ait pas d’autre moyen de redresser la France.
Roland HUREAUX