VERS LA FIN DU PARLEMENT ?
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/08/22/31001-20170822ARTFIG00111-loi-de-moralisation-le-suicide-du-parlement.php
Les mesures votées par l ‘Assemblée nationale ( mais pas encore par le Sénat) au titre du « rétablissement de la confiance dans la vie politique » ne sont pas seulement pauvres de contenu, elles sont inquiétantes par la démarche qui les inspire : loin d’exorciser l’antiparlementarisme, elles confortent par leur esprit punitif l’idée que la vie parlementaire est un lieu d’abus .
La loi en cause fait suite à bien d’autres comme celle du 11 octobre 2013 créant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique qui oblige les parlementaires à déclarer leur patrimoine (ce que le premier ministre Philippe avait refusé de faire ! ), cautionnant l’idée que les représentants du peuple sont tous des délinquants en puissance à qui il faut tenir la rêne courte.
Il est certes compréhensible qu’on leur interdise les activités de consultant - mais qu’auront-ils encore le droit de faire ? Paradoxe : les mêmes qui promeuvent ces mesures déplorent la professionnalisation de la vie politique !
L’interdiction faite aux parlementaires, aux ministres et aux exécutifs locaux d’embaucher comme collaborateur un membre de leur famille est en revanche une mesure hypocrite : à moins d’ instaurer une police des mœurs à l’Assemblée (au train où vont les choses, il n’est pas impossible qu’on y vienne !), les maitresses, amantes et amants ou leurs enfants ne seront, eux, nullement inquiétés. Comme dans beaucoup situations fiscales, mieux vaudra ne pas se marier. Une bourse d’échanges se mettra en place : je prends ta fille, tu prends mon neveu . Plus grave : cette interdiction ratifie l’analyse fausse qui a été faite au moment de l’affaire Fillon : on a confondu l’emploi familial, parfaitement justifié dans un cabinet où la confiance politique doit régner, avec le népotisme par lequel on nomme à un grand emploi un membre de sa famille sans qualification particulière : or attaché parlementaire n’est pas un grand emploi. Aucune autre profession n’est soumise à une telle contrainte.
Les règles d’inéligibilité en cas de condamnation ont été étendues : il fut même question d’obliger les candidats à présenter un casier judiciaire vierge comme si ce n’était pas aux électeurs de faire le tri.
Macron s’est par ailleurs engagé à réduire d’un tiers le nombre de députés et de sénateurs , ce qui là aussi conforte l’opinion dans l’idée qu’ils ne servent pas à grand chose : à une époque où la France était moins peuplée, les assemblées de la IIIe et de la IVe Républiques étaient pourtant plus nombreuses qu’aujourd’hui . Si on dit que 577, c’est trop, on le dira, n’en doutons pas, de 350, et demain de 100 etc. Cette promesse est d’ailleurs fort peu en cohérence avec une autre affirmation du président : « En faisant progressivement du mandat électif un statut, nous avons effacé ce qui en est la nature profonde : le lien avec le citoyen. » Peu d’économies à en attendre puisque chaque parlementaire aura plus de moyens : mais alors comment son caractère statutaire ne serait-il pas renforcé ? Avec un député pour 200 000 habitants au lieu de 100 000, le rapprochera-t-on du citoyen ? Surtout s’il n’a plus aucun mandat local et si l’injection d’une dose de proportionnelle, également annoncée, donne un peu plus de pouvoir de désignation aux appareils de parti qui ne sont pas les moins responsables de la crise actuelle.
Ainsi on demande aux parlementaires d’avaliser leur propre abaissement, de ratifier la méfiance, ou le mépris qu’ une partie d’opinion leur voue. Il en va de même quand on leur demande de ratifier les traités transférant à Bruxelles une partie de leur prérogatives , de voter des lois qui ne sont que la transposition de normes européenne ou internationales ou encore qui les dessaisissent au profit de proliférantes Autorités administratives indépendantes (AAI).
Cette démarche est en congruence avec la manière dont l’actuel président a obtenu une majorité absolue de députés « En marche ». Sans proposer de programme précis, ni être porteurs d’un vrai projet de changement, ces députés ont été élus sur le thème « sortez les sortants » , « changeons les têtes » , à la limite d’un antiparlementarisme que la France a connue dans ses heures les plus sombres. Le résultat est à l’avenant : un large renouvellement certes mais au profit d’inconnus, sans pensée structurée pour la plupart , et particulièrement dépourvus d’expérience et de réflexion : qui eut jamais imaginé une présidente de la commission de lois demandant « quand seront votés les décrets » ?
Qu’au lieu de mettre en débat les lois les plus importantes, comme la « loi Travail », il soit fait appel d’emblée à la procédure de ordonnances , montre combien la nouvelle assemblée est prisonnière du pouvoir exécutif.
Il y a dès lors le risque que ces nouveaux députés, issus de la « société civile », c’est à dire ne connaissant rien aux particularités de la machine de l’Etat, ne fassent, en pire, ce que , confusément, l’opinion reprochait à leurs prédécesseurs : avaliser passivement les projets de la technocratie, ce qui revient à poursuivre les politiques existantes, y compris les plus désastreuses.
Ce qui va toutefois condamner plus que tout le Parlement à l’inexistence, c’est la fin du cumul des mandats. Cumul voué aux gémonies par l’opinion à la suite d’un malentendu jamais dissipé : on lui a présenté ce cumul comme un cumul de rémunérations alors que celui-ci était strictement limité. Elle s’est imaginé les élus comme des prébendiers alors que la plupart sont des travailleurs infatigables. On a fait croire qu’ils percevaient des indemnités mirifiques alors que n’importe quel dirigeant de banque, sans nécessairement avoir plus de responsabilités, perçoit vingt fois plus.
Le cumul de mandats permettait aux élus nationaux de garder le contact avec le terrain grâce à leurs responsabilités locales. Beaucoup bénéficiaient de la bonne image que, seuls parmi les élus, conservent les maires, ce qui montre, soit dit en passant, que les hommes politiques gagnent à être vus à l’œuvre de près.
La perte de contact sera aggravée par la disparition de la réserve parlementaire qui leur permettait d’apporter une aide ponctuelle à certains projets. Elle avait certes un aspect clientéliste mais au moins donnait elle un rôle local au député ou au sénateur, alors que désormais personne ne va le connaitre, personne ne le verra travailler et moins que jamais on ne saura à quoi il sert.
Cette dégradation de la fonction parlementaire est la suite logique de la dernière élection présidentielle où ont été foulés au pied les principes les plus fondamentaux de la République : la non-interférence de la justice avec les processus électoraux et la non-ingérence de l’ exécutif dans l’exercice du pouvoir judicaire , fondements de la séparation des pouvoirs sans laquelle , selon la Déclaration des droits de l’ homme et du citoyen du 26 août 1789, « une société n’y a point de constitution » (article 16).
En votant cette loi, le Parlement cautionne l’idée que les actions menées à l’encontre de François Fillon étaient légitimes, un peu comme en d’autres temps on amnistiait les auteurs d’un coup d’Etat réussi. Loin d’instaurer la vertu, cette loi légitime a posteriori une procédure hautement vicieuse . Si au lieu de ce festival d’hypocrisie, on avait voulu opérer une vraie moralisation de la vie politique, ce sont ces dérives là, sans lesquelles, il faut bien le dire , Macron n’aurait pas été élu, qu’il fallait prévenir .
Mais il faut voir plus loin. Les contraintes avilissantes , les contrôles inquisitoriaux qui vont désormais peser sur les élus, faisant d’eux des suspects a priori , éloigneront un peu plus de la carrière politique les hommes d’honneur, et donc les plus honnêtes. A fortiori seront découragés de s’y engager les gens de talent, aggravant ce qui est le vrai problème de nos dirigeants : leur incompétence, non pas technique mais politique . La compétence politique, c’est la capacité, à partir d’une vision globale des choses et d’un solide bon sens, de tempérer quand il le faut ( souvent !) les emportements technocratiques et idéologiques, ce qui est le plus important dans leur mission.
Au projet sur le « rétablissement de la confiance dans la vie politique » va s’appliquer ce que Hayek appelle « la loi des effets contraires au but poursuivi ». Pas plus de proximité mais moins , pas moins de soupçon mais plus, non pas une restauration du prestige des élus mais une nouvelle perte de crédit.
Si les citoyens avaient déjà le sentiment que le Parlement ne servait pas à grand-chose, ils l’auront désormais bien davantage.
Roland HUREAUX
Aoüt 2017