Publié dans Atlantico
- La règle du « Silence vaut accord » entre en application ce mercredi 11 novembre. Désormais, si un citoyen n’obtient pas de réponse de la part de l’administration dans un délai de deux mois, il peut considérer que cela vaut acceptation. Néanmoins, dans certains cas, le silence de l'administration continuera de valoir décision de rejet. Quelles sont les exceptions à cette nouvelle règle ?
Il ne faut pas s'emballer : nous nous situons là non pas face à une révolution mais à une évolution de long terme. C'est à ma connaissance du temps de Giscard d'Estaing, en 1980, Jean-François Deniau étant ministre de la réforme administrative , qu'on a commencé, dans certains domaines, à dire que le silence de l'administration valait accord, notamment pour les permis de construire ordinaires. Puis est venue la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 qui étend largement le principe puisque il touche désormais 400 matières. La loi actuelle a néanmoins ceci de nouveau qu'elle pose comme règle que le silence vaut acceptation, avec des exceptions, qui représentent tout de même 700 cas.
- Au regard des 700 exceptions préétablies et des domaines particuliers concernés, peut-on encore parler de "petite révolution" comme l'avait estimé Najat Vallaud Belkacem au mois de juillet ?
Petite , petite. Car 700 exceptions , c'est beaucoup ! Les administrations ont pris leurs dispositions pour qu'il n'y ait pas de révolution. Et elles ont d'ailleurs raison. Dans certains cas, ces autorisations sont nécessaires, par exemple s'agissant d'un permis de construire en zone sensible et d'une façon générale dans tout ce qui risque d'avoir des effets irréversibles. .
J'aimerais ainsi savoir ce qu'il en est au sujet de l'autorisation de construire des éoliennes, qui sont elles aussi, du fait de la masse considérable de béton qui est requise, des actes aux conséquences irréversibles.
- Cette règle du silence valant accord est-elle mort-née ? Ce pan du « choc de simplification » et ses exceptions ne risquent-ils pas dans une certaine mesure de complexifier les rapports avec l'administration ?
Il arrive en effet très souvent , en matière de politiques publiques que des dispositifs ayant pour but telle ou telle amélioration se traduisent au contraire par une dégradation.
En l'espèce , je vois un de ces mécanismes : dans beaucoup de cas, l'administration exigera que les demandes des citoyens soient faires par lettre recommandée , alors qu'avant, une lettre simple suffisait. le recommandé sera nécessaire pour pouvoir prouver que la demande a bien été faite.
Je suis certains qu'en réfléchissant ,on trouvera bien d'autres exemples d'effet pervers de ce genre.
Mais je n'irai pas jusqu'à dire que la nouvelle règle est mort-née.
- A quels effets pervers une telle règle peut-elle donner lieu ? Si certains services n’ont structurellement pas les moyens de traiter les demandes en temps et en heure, peuvent-ils être poussés à user de moyens détournés pour rallonger les procédures. La technique du « document manquant », qui relance le délai de la procédure, pourrait-elle être beaucoup plus utilisée qu’elle ne l’est aujourd’hui, par exemple ?
Sans doute.
Mais je crains plutôt que sur tel ou tel sujet, on ne se rende compte que l'administration, en ne répondant pas, aura fait une grosse erreur. On sera alors amené à réviser la réglementation pour la durcir à nouveau.
- A quelles conditions la vie des Français sur le plan administratif pourrait-elle être véritablement révolutionnée ?
Je dirais brutalement qu'il faudrait commencer par alléger la pression fiscale car pour beaucoup de Français, l 'intrusion de l'administration, c'est d'abord cela. Alléger et simplifier car la fiscalité est un domaine majeur où on ne voit pas beaucoup de simplifications.
Pour faire une vraie révolution, il faudrait avancer sur plusieurs fronts , avec une approche globale: les régimes d'autorisations ne représentent qu'un volet de la complexité administrative. D'ailleurs, on en crée toujours. En consultant la liste des régimes qui vont être simplifiés, je vois que beaucoup ont été instaurés entre 2000 et 2010.
Par ailleurs il n'y a pas que les autorisations administratives : on peut compliquer la vie des gens de bien d 'autres manières. En touchant aux transactions privées, en particulier : la loi Duflot a multiplié les diagnostics et autres attestations que le bailleur ou le vendeur d'un bien immobilier sera obligé de produire : résultat , une paralysie du marché immobiliser ! Et il y a aussi la question des interdictions pure et simples, de plus en plus nombreuses: il est question par exemple de sanctionner les mères de familles qui fumeront dans une voiture où il ya des enfants : où va-ton ?
Nous touchons là à ce qui est à la base de toutes les complications: l'escalade des exigences en matière de sécurité ( y compris alimentaire), d'environnement etc. qui rend de plus en plus la vie impossible. Demandez aux agriculteurs qui sont de plus en plus découragés ,non par l'évolution économique mais par les paparasses de plus en plus nombreuses qu'on exige d'eux.
Mais nous touchons là à de fondamentaux de la société contemporaine. Si j'ose le paradoxe, on s'empoisonne la vie parce on craint trop la mort ! Le principe de précaution est à cet égard désastreux : je ne crois pas qu'on arrivera à simplifier vraiment la vie de nos concitoyen si l' on n'accepte pas le principe d'une certaine imperfection de notre société.
Un grand merci !