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Roland HUREAUX

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10 novembre 2014 1 10 /11 /novembre /2014 13:15

 

Que dira le pape François aux assemblées européennes  à Strasbourg le 25 novembre prochain ?

Une question que beaucoup se posent,  d'autant  que le pape François n'a encore rien dit   sur le sujet , et cela à un moment où  l'Europe se trouve  en pleine crise, voire au bord de la guerre.

Beaucoup de chrétiens  attendent  ( ou  craignent ) que le  Saint Père  suive la doxa qui fut si longtemps celle des  bourgeoisies  catholiques  de l' Europe occidentale, voire de  son épiscopat  :  qu'il encense la  construction européenne,  grand projet chrétien   de l'après-guerre auquel il importerait seulement de donner un supplément d'âme.  Une doxa largement reprise par la Conférence des évêques européens et les conférence nationales,  notamment par celle de France.

Ses prédécesseurs  n'ont pas été totalement exempts de ce genre de rhétorique, à l'exception de Jean Paul II  qui , tout en saluant les efforts de rapprochement  des peuples d'Europe,  a toujours pris garde de préciser que le Saint-Siège n'avait pas vocation à se prononcer  sur la forme institutionnelle que devait prendre   ce rapprochement.

Que cette doxa soit réductrice , une connaissance fine de l'histoire nous le confirme. Aux  premiers pas de la construction européenne , ont contribué certes des démocrates-chrétiens comme le célèbre trio : Schuman, Adenauer , De Gasperi  -  mais ces trois hommes étaient  unis par d'autres liens  que leur catholicisme ; les trois étaient nés , avant 1914,  en terre germanique :  outre Adenauer en Rhénanie, Schumann en Lorraine, alors annexée au Reich de Bismarck, De Gasperi dans le  Haut-Adige, alors  autrichien.  Rien ne dit qu'ils approuveraient la tournure qu'a prise depuis lors la construction européenne, en particulier Adenauer qui établit  au soir de sa vie  un partenariat  privilégié avec  Charles de   Gaulle, catholique et européen lui aussi, mais qui avait une toute autre conception du projet :  tous deux mirent au point, malgré l'opposition de Jean Monnet  et des Américains, l'admirable traité de réconciliation franco-allemand du 23 janvier  1963.  

Surtout cette Europe là n'est pas seulement un projet chrétien mais aussi une fille des  Lumières. Elle  fut portée  tout autant, si ce n'est plus,  par des hommes de gauche, francs-maçons et généralement socialistes, éloignés des    références chrétiennes:  Guy Mollet, Christian  Pineau, Pietro Nenni, Paul Henri Spaak  et naturellement  Jean Monnet. Le contexte de la guerre froide obligea les uns et les autres   à s'allier contre le communisme sous la houlette des Etats-Unis. Tant que dura la guerre froide,  les forces issues du  protestantisme et des Lumières firent les yeux doux à l'Eglise catholique qu'elles  ne portaient pas nécessairement dans  leur cœur . Depuis   la fin de la menace soviétique en 1990, elles sont  généralement revenues à leur ornière antiromaine, tout en exerçant plus que dans le passé  leur hégémonie sur les institutions européennes .

Il y a peu de risques cependant que le pape François se laisse aller à  reprendre telle quelle la doxa de "l'Europe grand projet chrétien". Comme Jean Paul II, il a une profonde fibre populaire. Il n'ignore pas à quel point cette Europe de Bruxelles suscite aujourd'hui  le rejet des peuples. Relais de la mondialisation libérale,   elle apparait comme  l'arme des puissants de ce monde  contre les petits .  Le cardinal Bergoglio a sans doute déjà compris que les  hommes qui poussent le projet européen, en particulier en France , souvent catholiques, sont de la même race ( voire  les mêmes ! )  qu'il a vus à l'œuvre à Buenos Aires au titre  du FMI. La propension des épiscopats d'Europe occidentale  à  encenser le projet  européen , que le Vatican a , jusqu'ici , évité soigneusement d'endosser,  ne procède pas seulement de l'amour du bien mais aussi de la tentation qui fut toujours celle des Eglises  de  prendre, par conformisme,  le  parti des puissants. Une tentation qui n'est sûrement pas celle du pape  François.

 

Une entreprise légitime à remettre en selle ?

 

Peut-être se contentera-t-il de proclamer  que le projet européen, animé au départ des  meilleures  intentions , a  mal  tourné , notamment    en  oubliant  les  racines chrétiennes  de l' Europe ou en n'étant pas assez social  , mais qu'avec  un peu de bonne volonté,  l'entreprise peut être remise sur le droit chemin  parce qu' elle demeure  fondamentalement juste ?

Disons le : il  n'est pas sûr qu' une telle approche soit à la hauteur des graves problèmes que pose l'Europe d'aujourd'hui. De ces problèmes, nous en retiendrons  trois:  son hostilité à la loi naturelle, son caractère antisocial, et, plus récemment  apparu, son comportement belligène.

L'hostilité à la loi naturelle est la suite logique du refus obstiné des instances  européennes de reconnaître les racines chrétiennes de l'Europe qui sont pourtant une évidence historique. Aussi bien la commission que  le Parlement , de  pair avec les instances juridictionnelles de Luxembourg et de Strasbourg  font pression de multiples manières pour que tous  les pays adoptent le mariage  homosexuel. La  Pologne et l'Irlande  font l'objet d'un harcèlement pour ne pas faciliter assez l'avortement. L'Italie aurait été  condamnée  à retirer les crucifix de ses  écoles sans  l'intervention  de la Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, laquelle, on le sait,  ne  dépend pas de l'Union européenne  mais du Conseil  de l'Europe, tout en étant   animée du même état d'esprit . La France se voit imposer par la même  Cour  la reconnaissance de l'adoption par des homosexuels d'enfants nés sous PMA à l'étranger, pratique encore interdite en  France.  Le refus brutal du Parlement européen de recevoir  en 2004,  parmi les commissaires,  l'homme politique italien  Rocco Buttiglione, ami du pape,    sans autre motif que son adhésion ouverte   à l'éthique chrétienne,  a mis en relief ce qu'est aujourd'hui  l'orientation  profonde  des  institutions  de Bruxelles.

Sur le plan économique, la monnaie unique européenne,   l'euro ,  se fonde sur  une théorie économique aussi fausse que l'est la théorie du genre,  l'une et l'autre étant basées sur la négation des différances naturelles  ou culturelles . Elle   aboutit à une crise qui  accroît considérablement le nombre des  chômeurs  dans la plupart des pays, paupérise et désindustrialise peu à peu l'Europe. Les efforts imposés aux peuples pour maintenir coûte que coûte l'euro ont été récemment qualifiés par  Paul Stiglitz ,  Prix Nobel d'économie,  de "criminels" [1]. La rigueur imposée à l'Europe au nom de grands idéaux  entraine aujourd'hui le monde  entier dans la récession. Il faut une grande dose d'inconscience , ou d'ignorance  des mécanismes économiques , pour exhorter, comme le font certaines autorités ecclésiastiques, à la charité envers les exclus et  les sans-abris tout en qualifiant de "merveilleuse idée" une Europe institutionnelle   dont la politique tend à  les multiplier [2]!

Sur le plan international, il a été longtemps dit que l'Union européenne était un  facteur de paix et le  Prix Nobel de la paix lui a même été attribué en 2012. Pourtant deux guerres,   impliquant toutes  les  deux  l'Europe  institutionnelle,    ont éclaté  au cours des   quinze  dernières années   sur le territoire européen: l'attaque de  la Yougoslavie par l'OTAN en  1999 , en violation totale du  droit international  et qui a fait 20 000 victimes , toutes civiles,   et   la présente guerre civile en  Ukraine.  On peut regretter au passage que le pape Jean Paul II , désinformé par ses services, eux-mêmes victimes des manipulations  américaines , n'ait pas condamné avec plus de  vigueur l'attaque de la Yougoslavie:  un grand pas aurait été fait dans le rapprochement de Rome avec les Eglises orientales pour qui le Vatican est encore identifié à "l'Occident".

Un personnage aussi pondéré que l'ancien chancelier allemand, Helmut Schmidt,  n'hésite pas à souligner la responsabilité   des instances bruxelloises dans la montée de la tension en Ukraine[3], voire leur inconscience vis à vis du risque de guerre mondiale. Une responsabilité qui découle     de leur ambition de  faire rentrer coûte que coûte ce pays  dans l'Union européenne et dans l'OTAN, sans tenir compte des inquiétudes russes . Mais on peut aussi mettre en cause   les fondations américaines et allemandes  à l'œuvre en Ukraine, les mêmes, soit dit en passant,  qui patronnent les scandaleuses femens qui multiplient les actes  sacrilèges dans les églises d'Europe occidentale.  L'agitation de la Pologne  au sujet de l'Ukraine qui  eut été sans doute tenue en bride  du vivant  de Jean Paul II,  ne contribue pas  non plus à apaiser la tension. Même si les deux guerres, celle de Yougoslavie et celle d'Ukraine,   ont été  sans doute planifiées à Washington , elles n'auraient pas été possibles sans l'aval de l'Union européenne. Les deux aboutissent , selon le schéma  de Samuel Huntington, promoteur du concept inacceptable  de  "guerre des civilisations",  à opposer  un bloc catholique (au moins en principe) , protestant et laïciste  à l'Ouest,  et  un bloc  orthodoxe à l'Est . Universalisme ou haine de soi ? Dans les affaires de la Bosnie et du Kosovo, les "chrétiens" de l'Ouest ont pris parti pour les Musulmans contre les chrétiens orthodoxes[4].  Cette opposition  est d'autant plus artificielle  que,  malgré la propagande médiatique, les peuples européens  ne s'y associent guère. Elle  a pour effet d'éloigner les perspectives si prometteuses , à la fois pour l'Europe et pour la chrétienté,  de rapprochement entre les Eglises sœurs que sont la catholique et l'orthodoxe.  Peut-être est-ce d'ailleurs le but recherché ?    

Ces trois dérives  de l'Europe institutionnelle , auxquelles ont pourrait ajouter la dérive antidémocratique, ou encore l'indifférence à l'effondrement  démographique,  apparaissent  si  graves qu'on peut douter qu'il   s'agisse seulement  d'accidents passagers affectant une entreprise qui demeurerait, en son principe,   fondamentalement  saine .  On dit certes que corruptio optimi pessima. Mais on peut aussi se demander si  l'Europe institutionnelle,  au point où  elle en est arrivée : niant  l'héritage chrétien, favorisant  la   pauvreté de masse et menaçant la paix,  était bien  à l'origine une entreprise juste.

Fondée sur l'idée , discutable,  que seules  les rivalités nationales  sont à l'origine des grandes  catastrophes du XXe siècle, alors qu' on peut aussi bien penser que ce sont d'abord  les idéologies qui    sont en cause , non pas les nations mais "la négation des droits des nations" (Jean Paul II) [5], l'entreprise européenne ne serait-elle pas viciée à la base et , n'hésitons pas  à  employer ce terme,   "intrinsèquement perverse" ?

La volonté sous-jacente de dépasser  les réalités nationales  conduit en même temps  à vouloir dépasser tout ce qui se rapporte au passé, à  nier  l'histoire  européenne  qui n'est plus considérée que comme une longue série de crimes et d'horreurs (de l'Inquisition à la shoah ! ),  y compris et même surtout  dans sa dimension chrétienne. De même que pour Marx, tout ce qui précéderait la Révolution prolétarienne ne serait que la "préhistoire de l'humanité", tend à s'imposer dans les mentalités  de l'Europe de l'Ouest que tout ce qui précède l'entreprise d'unification , racines chrétiennes comprises, appartient à la préhistoire, cela sur un fond de culpabilité et de haine de soi qui constitue sans doute le centre  du problème spirituel de l'Europe.

 

La tour de Babel ?

 

Si l'on considère que la seconde guerre mondiale fut  pour l'Europe le déluge, la construction européenne qui a suivi, en réaction , ne serait-elle  pas  la tour de Babel ?

Pour employer le langage moderne , la construction européenne n'a-t- elle pas, à l'instar du communisme ou d'autres régimes catastrophiques , un caractère  idéologique ?

L'idéologie se reconnaît à différents caractères : des  idées trop  simples,  en l'occurrence que l'absorption de nations dans une entité continentale sera un facteur de paix et de prospérité  (comme pour Marx, la simple abolition de la propriété ferait le bonheur des hommes) ; la prétention universaliste:  l'Europe se comporte aujourd'hui comme le propagatrice d'une idéologie universelle , fondée sur une certaine conception , fort réductrice,  des droits de  l'homme ;  une idée du progrès passant par le dépassement irréversible  des nations,  mais  aussi de la culture, de la morale et des religions traditionnelles ;   le libre-échange et la libre circulation des capitaux sans limites.

D'autres caractères de la démarche idéologique se retrouvent dans l'entreprise européenne comme des effets pervers à peu près généralisés. Lénine avait promis au peuple russe "la paix, le pain, la liberté" et apporta exactement le contraire;  on peut dire que l'Europe institutionnelle, non seulement ne tient pas ses promesses, mais fait exactement l'inverse de ce qu'elle avait  promis.

Autre caractère idéologique: l'intolérance haineuse à tout ce  qui pourrait entraver le  projet, ses opposants se voyant relégués dans les ténèbres du "politiquement incorrect"  et, par là, l'incapacité organique à  se mettre à l'écoute des peuples.

   L' idéologie européenne , libérale et  libertaire, apparait si formidable à  ses  propagateurs qu'elle justifie les entorses à la démocratie que constituent  le refus de prendre en compte les  référendums où le peuples ont exprimé clairement leurs réserves à l'égard du processus en cours  (en France, aux Pays-Bas)  et une large confiscation par la commission  de Bruxelles du pouvoir normatif des Etats . Cette Europe   foncièrement méfiante des peuples qui , selon elle, risquent de ne pas comprendre  son dessein prométhéen,  se trouve ainsi , dans son rapport à la démocratie, aux antipodes des attentes ,  non des idéologues comme Jean Monnet  qui l'ont voulue   ainsi, du moins  des hommes politiques   catholiques qui l'ont inspirée, comme Adenauer, De Gasperi , Schumann et aussi De Gaulle[6].

Le pape François ne pourra sans doute pas, diplomatie oblige,  dire tout cela à Strasbourg. Mais  l'Europe , la vraie,  celle des peuples , pourra-t-elle se sauver et éviter la guerre si des prophètes particulièrement inspirés ne lui disent pas haut et fort qu' elle fait fausse route ?  

 

                                                           Roland HUREAUX



[1]      Der Spiegel, 23 mai

[2]      Discours de clôture de l'Assemblée générale de l'épiscopat français,  Lourdes, 10 novembre 2013.

[3]      Entretien - Bild,  16 mai 2014

[4] On peut faire la même remarque au sujet des tensions entre la Turquie et la Grèce : quoique celle-ci soit dans l'Union européenne et pas celle-là, Bruxelles penche clairement  du côté d'Ankara.

[5] Discours à la 50ème assemblée générale de l'ONU, New York, 5 octobre 1995.

 

[6] L'Union européenne est d'abord issue du traité de Rome (1957). Ce traité serait resté lettre morte si le général de Gaulle n'avait  accepté et même forcé  ses partenaires de  l'appliquer.  L'archiduc Otto de Habsbourg le tenait pour le  premier des Pères de l'Europe.

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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 17:35

 

Malgré  la récession et  son incapacité à résorber son déficit  budgétaire, la France conserve, en termes de puissance, deux avantages sur l'Allemagne.

D'abord une armée qui fonctionne encore. Certes, les  coupes budgétaires sont  drastiques, l'obsolescence du matériel  s'aggrave,  les programmes s'allongent mais, on le sait,  la situation est encore pire en Allemagne. S'aventurant sur tous les fronts , la France démontre sans doute des insuffisances criantes    mais    son appareil militaire demeure, bon an mal an,  en état de marche. Hors la   Grande-Bretagne et encore,   peu de pays en Europe peuvent  en dire autant. 

Ensuite, dans une démographie européenne en chute libre,  la fécondité française se maintient  juste au-dessous du seuil de renouvellement : 2,01 pour un seuil de 2,10 . Ce ne serait que 1,7 sans l'apport des immigrés mais les autres pays sont , à et égard, logés  à la même enseigne. Comparons avec  l'Allemagne : une fécondité de 1,43, soit un déficit d'un tiers à chaque génération.

On ne peut ainsi que se féliciter de voir que, malgré ses performances économiques plus faibles que son voisin d'outre-Rhin,   la France a depuis 2006 doublé l'Allemagne  quant au nombre de naissances annuel :  811 000 pour nous  ,  685 000 pour elle . Cela  n'était jamais arrivé depuis 1870.

Or ces atouts , le gouvernement socialiste, pressé par l'Union européenne ( et précisément par l'Allemagne ! )  et incapable de faire preuve d'imagination pour couper les dépenses publiques, s'en prend par facilité  à eux.  

Les dépenses militaires d'abord   passées de 65 milliards en 2010 à 61 milliard en 2013  et qui continuent à  stagner en dépit de  nombreuses  opérations  extérieures.

Mais ,  plus grave encore,  le même  gouvernement s'en prend aussi à la politique familiale. La politique familiale, déjà ponctionnée de 16 milliards depuis 1995, a encore été privée de 1,1 milliard par Ayrault ( qui s'ajoutent à 1,5 milliard, effet de la baisse du plafond du quotient familial) et encore de 1,1 milliard par Valls.

Sans aller , comme le suggèrent certains députés, jusqu'à  moduler les allocations en fonction du revenu ( en fait elles le sont déjà à hauteur de la moitié  de leur montant) , il diminue la prestation pour mode de garde  (qui, selon lui,  profite surtout à ceux qui peuvent s'offrir une garde à domicile)    et  la prime à la naissance du troisième enfant . Surtout il porte atteinte au congé parental d'éducation déjà réduit par Ayrault de 6 mois (de 36 à 30 mois) et qu'il est question  de ramener  , parité oblige,  à 18 mois pour la mère et 18 mois pour le père - non simultanément bien entendu. Comme ce congé était pris à 97  %  par  les mères , il y a là la perspective d'une réduction de fait qui sera dure aux familles modestes, principales bénéficiaires de ce dispositif . Mais, dans cette affaire,  en sus des considérations financières,  perce aussi  une implacable idéologie qui  ne veut pas que les femmes se détournent trop longtemps du travail professionnel pour s'occuper de leurs enfants ! Le néo-féminisme leur veut tellement de bien qu'il a peur quelles se reposent  trop.

Quoi qu' on prétende, l'existence depuis 1945 d'une politique familiale relativement généreuse ( même si elle l'est aujourd'hui de moins en moins) a permis à notre pays de conserver une vitalité démographique qui fait aujourd'hui sa force.

L'allocation parentale d'éducation avait eu un impact particulièrement significatif sur le taux de natalité français, permettant sa remontée au cours des années 90. C'est dire que sa réduction - et peut-être plus tard, sa  suppression - , pourrait être catastrophique  pour un pays qui, même s'il est moins mal loti que les autres en Europe, se maintient tout juste au-dessous de la ligne de flottaison du renouvellement des générations.

Défense et démographie: dès que l'on n'est plus le nez dans le guidon   de la cuisine budgétaire, il y a là deux éléments  de puissance fondamentaux  et même deux signes forts que nous existons encore  sur la scène mondiale. La   politique à courte vue du gouvernement  Hollande-Valls les affaiblit dangereusement,  risquant ainsi  de nous faire perdre un des  rares "avantages comparatifs" que nous avions encore.

Ce faisant, nous donnons aussi  le mauvais exemple au reste de l' Europe. Car les deux déficits, celui de dépenses militaires ( dans un monde où elles augmentent de tous côtés sauf en Europe occidentale) et celui des naissances  ( la population européenne, est vouée , si la tendance n'est pas inversée à la disparition !) sont un problème encore plus grave pour le contient européen pris dans son ensemble que pour nous. En maintenant contre vents et    marées  le "minimum vital" ,  la France montrait l'exemple d'une volonté de vivre qui  fait aujourd'hui  défaut à la plupart de nos partenaires.  Son devoir est de continuer sur cette voie.

 

                                               Roland HUREAUX

 

 

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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 17:33

Paru dans Figaro Vox 8/10/2014

 

Comme on pouvait le craindre, le gouvernement socialiste, incapable de réduire les dépenses publiques  et contraint par Bruxelles de limiter les déficits,  envisage, pour parer au plus pressé,  d'adopter les solutions de facilité .

A court de ressources , il  s'en prend  une nouvelle fois  à la politique familiale, proposant, dans le projet de budget social,  de réduire encore  le congé parental et  la prime à la naissance du troisième enfant  et de porter atteinte au complément du mode de garde,  ce que Mme Touraine appelle «poursuivre la modernisation de la politique familiale».  On reparle également  au parti socialiste de moduler les allocations familiales selon le revenu.

Cette proposition, vieux serpent de mer,   revient   sur le tapis  chaque fois qu'un gouvernement , à court d'argent,  cherche une issue facile à ses difficultés.  Cela avait été le cas avec la réforme Juppé ( 1995) et la réforme Jospin (1997). La réaction forte du mouvement familial avait alors gelé  ces projets  pendant quelques années, sans empêcher toutefois un grignotage au fil des ans de l'ensemble de avantages familiaux, que l'on peut estimer  à 17 milliards  sur 20 ans.

S'est poursuivi en  outre un  transfert de charges de la branche vieillesse vers la branche famille ( 9 milliards d'euros au moins) qui permet d'alléguer un déficit de celle-ci parfaitement artificiel.  

Les  arguments qui avaient été mis en avant pour défendre l'universalité des allocations familiales semblent  avoir été  perdus de vue. Il convient de les rappeler.  

Beaucoup ont dit fort justement que la politique familiale doit demeurer   distincte de la politique sociale de redistribution "verticale" qui se fait par l'impôt ou autrement. La politique familiale vise une redistribution "horizontale", sans considération du revenu,  des familles sans enfants vers celles qui en élèvent. Loin d'être une politique "nataliste", cette redistribution n'est que le légitime pendant du système de retraites où la solidarité joue en sens inverse ,  les personnes âgées n'ayant pas eu d'enfants - ou peu - ( et ayant eu par là la vie plus facile)   bénéficiant  des cotisations des enfants des autres. Compensation partielle: si la solidarité est de presque 100 %pour le troisième âge, elle n'atteint  pas les 50 % pour le premier âge, malgré les allocations.

On  sait moins que ce principe d'une allocation universelle ( ne tenant pas compte du revenu) avait été  si bien compris à la Libération que l'Assemblée constituante, largement dominée  par la gauche  (PC et SFIO), l'avait  adopté à l'unanimité et sans débat  - de pair avec un quotient familial non plafonné.  Mais il semble que cela soit sorti de la mémoire  du Parti socialiste , qui n'est plus celui  de l'après-guerre et  ne  cache pas au contraire depuis 30 ans son hostilité sournoise  à la famille.

Au demeurant le principe d 'universalité   a été  bien entamé au fil des ans puisque il ne s'applique qu'à 50 % des prestations. Raison de plus pour ne pas toucher à ce qui reste.

Car, cette universalité  est essentielle pour assurer  la dignité de la politique familiale laquelle  doit rester attachée à la qualité de citoyen ( ou de résident). Il n'en serait pas ainsi si, en concentrant les allocations sur les familles nombreuses (les autres ne recevant  que peu) affichant les plus faibles revenus, on donnait le sentiment  fâcheux qu'elles sont réservées  en grand partie  aux populations immigrées.  Un sentiment qu'a  déjà  une partie des Français  et    qu'il serait fort inopportun d'aggraver , d'autant qu'il ne profite guère  au vote PS !

D'ailleurs les bénéficiaires restants auraient vite honte de recevoir  une aide  qui ne serait pas un droit, mais un "secours".

La modulation ou la mise sous condition de ressources a un tel effet destructeur sur la politique  familiale qu'elles ont servi de préalable à leur démantèlement dans tous les pays latins ( Espagne, Portugal, Italie) où le déficit de naissances est devenu criant.

Ajoutons qu'une modulation  des prestations de base selon les revenus, exige  une lourde procédure bureaucratique de contrôle de ceux-ci .

Ne négligeons pas non plus dans la tentation socialiste de plafonner  ou moduler les allocations, celle de prendre une revanche sur la Manif pour tous. Les familles nombreuses sont  rares en France, en dehors de l'immigration. Nul n'ignore le  rôle qu'ont joué celles de la classe moyenne  dans le  au grand mouvement  de protestation contre la "mariage pour tous" qui vient encore de montrer le 5 octobre qu'il conserve sa vitalité.

Déjà le budget 2014 avait ponctionné ces familles de 1 milliard d'euros par une nouvelle  réduction du plafond du quotient familial. 

Nul doute enfin que l'existence d'une politique familiale généreuse ( quoique elle le soit beaucoup moins qu'autrefois) a contribué à maintenir  la France en tête de la fécondité en Europe  (2,01 pour une moyenne européenne de 1,5) . Le congé parental d'éducation que l'on a commencé  à réduire, sous prétexte de parité homme/femme,  avait joué un rôle   particulier   dans le redémarrage des naissances.

Confrontée à une Allemagne qui   maintient sa croissance et a rétabli son équilibre budgétaire, notre pays pouvait se réjouir  d'avoir, depuis 2006 plus d'enfants qui naissent chaque année ( pour la première fois  depuis 1870) que son partenaire d'Outre-Rhin. Faute d'autres, il se doit de garder cet atout.

Loin d'être un cas dont il faudrait raboter la singularité,   , la France montre le chemin de la survie  à une Europe qui meurt lentement.  Tailler encore une fois dans la politique familiale   pour des raisons budgétaires témoignerait d'une singulier  manque de vision.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 17:30

 

Il paraît  que la question la plus difficile du Synode qui se réunit à Rome ces jours-ci sur la famille est celle de l'accès à la communion des divorcés remariés.

Le divorce - et plus largement, la fragilisation du lien familial dans les sociétés où  il était le plus solide, soit  l'Europe chrétienne - ,  est   sans doute un problème très sérieux  d'autant qu'il a , quoi qu'on dise, des conséquences souvent dramatiques sur les enfants nés de l'union dissoute : problème théologique et moral mais aussi juridique, sociologique, psychologique, anthropologique,  historique  sur lequel il  s'en faut de beaucoup que tous les éclairages aient été à ce jour réunis.

Sur ce sujet, l'accès à l'eucharistie de la petite minorité  qui le souhaite peut apparaître  comme une question secondaire. Secondaire parce que les catholiques pratiquants ne sont qu'une minorité de ces divorcés, comme de beaucoup de choses d'ailleurs. Secondaire  parce que les catholiques pratiquants mariés à l'Eglise restent un milieu où il y a , Dieu merci, moins de divorces qu'ailleurs, et surtout parce que beaucoup de gens qui se trouvent dans cette situation acceptent  la discipline actuelle de Eglise.

Mais dans cette question, le point fondamental  est-il bien le divorce. Ne serait-il pas plutôt l'eucharistie elle-même ?  Et les évêques ne  seraient-ils pas  bien inspirés de remettre l' examen   du sort des divorcés remariés  à un synode qui porterait d'abord  sur ce    sujet ?  

Sur ce  sujet fondamental de la foi chrétienne qu'est le mystère de l'eucharistie, en effet, les controverses sont aujourd'hui nombreuses et la question de l'accès des divorcés au sacrement en est largement tributaire.  D'abord la question du rituel.  Celui auquel sont attachés les gens de tradition comporte deux différences essentielles avec le rituel commun: non point  d'abord, pensons-nous,    les formulations,  qui ne sont pas si différentes qu'on le prétend, ni même l'usage du latin en lui-même,  mais le fait de célébrer le dos au peuple et celui de le faire , au moins pour la partie centrale de la célébration, en silence.  

La  liturgie préconciliaire (dite aujourd'hui extraordinaire), mettait en avant la transcendance de Dieu, au dépens du lien communautaire ( si tant est qu'il soit moins explicite quand  tout le  monde regarde  dans le même sens ) et de la parole ( puisque la liturgie  use d'une langue qui n'est plus comprise et surtout que les paroles les  plus   essentielles ne sont prononcées qu'à voix basse).  La liturgie contemporaine    fait de la messe davantage une liturgie de la communauté et de la parole. Nous réservons la question, souvent posée par les conservateurs, de sa dimension sacrificielle, dont on peut se demander si elle a été autant  affaiblie qu'ils le disent par le nouveau rituel : l'immense majorité des sacrifices de l'Ancienne Loi n'étaient-ils pas des sacrifices de communion ?  

Liée à cette évolution est, il faut bien le dire,  la relative banalisation de l'eucharistie: les prêtres  ne rappelant presque jamais les conditions que l'Eglise  avait mises  à son accès, et le sentiment désormais  commun que la communion est  le prolongement naturel de l'assistance à la messe, donne un relief particulier à la question des  divorcés remariés qui peuvent avoir le sentiment aujourd'hui d'être seuls exclus du  rite.

Par derrière,  une question de fond qui touche au  rôle du sacrement . La théorie traditionnelle est que l'Eglise  offre  à ceux qui sont  sans péché grave (ou se sont amendés) et observent ses rites,  et à eux seulement , quelque chose de plus qu'un  geste ou une  consommation : l'entrée dans un espace sacré , distinct  du "monde" qui est  une véritable anticipation du Royaume des cieux dès ici-bas. Qu'il faille dès lors, pour pénétrer  dans cet espace, porter la "robe nuptiale" est admissible. Mais ce n'est   pas ainsi que le voit l'immense   majorité des communiants d'aujourd'hui , y compris ceux qui ne sont pas divorcés.  Bien qu' informulée, leur théorie, qui a aussi des antécédents dans la doctrine de l'Eglise,  serait plutôt que tous les hommes étant également  pécheurs ,  le geste de pardon que représente le don du pain et du vin consacrés est également  offert à tous. On ne voit pas dans ce   cas, pourquoi certains seraient exclus de la table sainte.

Mais quel synode tranchera cette  question ou du moins rendra la position de l'Eglise actuelle parfaitement explicite ?   

Autre question, non moins essentielle  : la désaffection actuelle pour la pratique hebdomadaire,  notamment  chez les plus jeunes (allant parfois de pair avec un renforcement de la pratique quotidienne chez  une minorité,  qui peut aussi passer, au vu d'une certaine tradition,  pour une banalisation) . Une désaffection qui n'est pas sans lien avec la crise de la famille et en tous les cas du sacrement du mariage: si le sacré se retire de la vie tout court, il est tout aussi  difficile à admettre, même dans une réalité aussi essentielle   que    l'union de l'homme et de la femme.   Cette désaffection est-elle liée ou non au changement de rituel ? Qui le dira ? Les traditionnalistes affirment  que oui, sans que le  niveau  d'assiduité aux cérémonies qui ont leur faveur le confirme absolument.  

Il nous semble en tous cas que , face à tant de questions encore ouvertes, sinon sur  le plan  dogmatique du moins sur le plan "pastoral", le Synode serait bien imprudent de s'avancer trop sur la seule question des divorcés remariés prise isolément. Il nous semble urgent  en revanche  de clarifier ou à tout le moins d'expliciter en préalable   la question de l'eucharistie  , qui ,   chacun en convient, demeure le rite central  de l'Eglise  catholique.

 

                                               Roland HUREAUX

 

Il serait intéressant par exemple de savoir quelle connaissance ont la majorité des Pères du Synode de travaux comme ceux de Christopher Lasch ou  d'Emmanuel Todd. 

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:14

   

Le plus inquiétant dans le conflit entre l'Union européenne (et à un degré moindre  l'Occident) et la Russie au sujet de l'Ukraine n'est pas le supposé conflit d'intérêts ( on se demande d'ailleurs lesquels ! ) mais une  discordance totale des modes de pensée diplomatiques qui ouvre la porte aux pires malentendus.

 "La Russie est un rébus enveloppé d'un mystère au sein d'une énigme" se plaisait à  dire Winston Churchill. Le grand homme avait la conception la plus classique de la diplomatie, venue  sans doute de la plus haute antiquité mais qui avait pris sa forme la plus achevée   dans les chancelleries européennes après les traités de Westphalie.  Elle avait continué d'inspirer les conceptions diplomatiques   dans le courant du  XXe siècle, alors que l'Union soviétique adoptait  à partir de 1917  une logique marxiste-léniniste à caractère idéologique, dont la regrettée Annie Kriegel avait montré comment elle était stratifiée en plusieurs niveaux.

 

Les intérêts de la Russie

 

Beaucoup considèrent aujourd'hui avec la même perplexité la diplomatie  de Poutine  "Que veut Poutine  ? Comment faut-il  le prendre?  Quel sont ses desseins secrets ?" est devenu un leitmotiv des médias occidentaux et même l'interrogation de nombreux hommes politiques.

Pourtant qui ne voit que nous sommes aujourd'hui à front renversé ?  C'est Poutine qui joue le même jeu classique qui était celui de Churchill - et de bien d 'autres de Richelieu à De Gaulle,     et un Churchill ressuscité  sans nul doute  le comprendrait très bien, et  c'est l'Occident et singulièrement l'Union européenne qui  se trouvent engagés , encore plus radicalement peut-être que la défunte URSS dans une diplomatie  de type  idéologique.

La diplomatie classique  est  simple parce qu'elle n'a qu' un seul objectif: défendre les intérêts du pays qu'elle a en charge ( nous disons le pays et non l' Etat car  ces termes, que les juristes distinguent aujourd'hui, étaient  confondus au temps de Louis XIV . )

Les intérêts,  ce sont  beaucoup de choses :  l'intégrité territoriale, l'indépendance ( dans le respect des accords conclus ), la sécurité, les intérêts économiques  qui commanderont  par exemple la sécurité de certains approvisionnements stratégiques, le maintien de certains liens historiques (ainsi,  ceux que la France a gardés en Afrique), le rayonnement culturel . Et cela suppose aussi  , pour une grande puissance, sinon un glacis , du moins un minimum de respect et de coopération de la part des pays du proche voisinage, surtout quand ces pays ont avec elle des liens anciens  tels ceux de l'Ukraine et  de la Russie. C'est particulièrement ce dernier aspect de la  politique de puissance classique qui est contesté à Poutine. Pourtant quoi de plus naturel ? La France accepterait-elle que la Belgique entrât dans une alliance qui lui soit hostile . Si la Belgique était neutre, pourquoi pas l'Ukraine ? Le Mexique ,même quand il se trouvait aux portes du communisme, dans les  années trente, a toujours gardé une certaine déférence envers son grand voisin du Nord , a préservé une coopération économique privilégiée avec lui, fort inégale d'ailleurs,   et s'est bien gardé de s'engager   contre lui  dans la guerre froide, limitant la solidarité révolutionnaire à ne pas rompre les relations diplomatiques avec   Cuba. 

Ces liens de   voisinage, nécessairement déséquilibrés,  peuvent être abusifs. Ils le furent quand l'URSS communiste contrôlait tous les pays d'Europe centrale. Ils le sont quand des expériences pharmaceutiques sont menées aujourd'hui, sans leur consentement sur les populations du Guatemala. Mais ils sont en eux-mêmes naturels  et ne sauraient être confondus d'aucune manière avec la  volonté d'hégémonie mondiale qui sous-tend la politique des  empires idéologiques.

 

Les idéaux de l'Union européenne

 

La diplomatie  idéologique, elle, à la différence de la diplomatie classique,  ne cherche pas d'abord  à défendre des intérêts mais à propager des principes  ou des idéaux.

Alors qu'une diplomatie d'intérêt s'intéresse à des degrés divers au reste du monde, en fonction de sa plus ou moins grande proximité, une diplomatie idéologique est par définition universelle. Dès lors quelle se fonde non point sur les intérêts d'un groupe humain et géographique particulier mais sur une philosophie applicable à toute l'humanité, le rayon de son action n'a potentiellement  pas de limites. Comme autrefois l'URSS qui prétendait  répandre la révolution prolétarienne partout , les Etats-Unis qui se veulent les garants  de  la liberté et   les gendarmes du monde étendent aujourd'hui leur rayon d'action sur  toute planète.

L'Union européenne n'en est pas encore là mais, parmi les objectifs du traité de Rome, figure  celui d’  « affermir, par la constitution de cet ensemble de ressources, les sauvegardes de la paix et la liberté, et d’  appeler  les autres peuples d'Europe qui partagent leur idéal à s'associer à leur effort ».  Le traité    actuel a encore  plus d' ambition :  "L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples "(article 3) et encore de " développer et renforcer la démocratie et l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le monde".

Tous les pays d'Europe et même d' autres  ont donc potentiellement vocation à intégrer l'Union européenne  et, dans l'esprit de ceux qui la dirigent, s'est peu à peu formée l 'idée que l'appartenance à l'Union signifiait par elle-même l'appartenance au camp de la liberté et de la démocratie. C'est ainsi que le caractère démocratique de la Turquie, candidate à l'adhésion,  n'a guère été  mis en doute  jusqu'à une date récente,  alors que la Russie qui n'a manifestement pas vocation à   rejoindre  l'Union ne  saurait être, vue de Bruxelles,  qu'une dictature.

L'élargissement de l'Union signifiant un  progrès du bien sur la planète, il est normal que les instances communautaires envisagent d'étendre ses frontières aussi loin que possible à l'Est et donc jusqu'aux portes de Moscou. C'est le sens de sa décision de proposer à l'Ukraine un traité de libre échange préalable à l'adhésion et comme la politique de défense de l'Union ne se distingue plus  guère de celle de l'OTAN, préalable aussi à l'adhésion à celle-ci.

La diplomatie idéologique ne se veut  pas d'abord la défense d'intérêts ; elle vise la fin de l'hisotire. Tout ce qui s'oppose à sa  perspective eschatologique ne peut donc qu' exaspérer ses tenants.

Préparant l'avènement du bien, l'idéologie est nécessairement manichéenne: elle est le camp du bien, ses adversaires ne sont pas seulement des joueurs autour du même échiquier , ils sont  le camp du diable. L'hystérie actuelle à l'égard de la Russie, non point des peuples, heureusement,  mais des milieux de Bruxelles  et d'une partie des médias dépasse peut-être   celle qui existait entre les nations en 1914.

C'est bien là le danger d'une diplomatie idéologique: elle est aminée d'une logique qu'aucune considération de prudence ne vient arrêter.

Il est  possible que Poutine , même s'il en est visiblement exaspéré,  comprenne le jeu de ceux qu'il affronte puisque il a, comme tous les Russes, l'expérience de 73 ans de régime idéologique,  mais en revanche un adversaire comme lui, qui parle le langage de la diplomatie classique est pour les gens de Bruxelles, lui aussi une "énigme enveloppée de mystères".

 

La sagesse de l'égoïsme

 

Les naïfs croiront que l'idéologie est meilleure parce qu'elle vise le bien et non de vils intérêts égoïstes. La vérité est que rien n'est plus dangereux que l'idéologie parce que les intérêts se heurtant à d'autres intérêts sont toujours ouverts au compromis, les uns et les autres étant conscients qu'un  bon  accord vaut mieux qu'un affrontement ( et Dieu sait si dans le cas de l'Ukraine, une cogérance russo-européenne serait profitable à tous pour peu que chacun reconnaisse les intérêts de l'autre). L'idéologue, lui, ignorant le compromis,  est ouvert à toutes formes d'hybris.

On objectera que derrière toute idéologie , il y a un jeu de puissance dont l' idéologie n'est que le masque. Même si beaucoup en doutèrent  longtemps , c'était en fait, comme l'avait bien perçu le général de Gaulle,   le cas de l' Union soviétique et c'est une des raisons pour lesquelles la guerre froide n'a jamais éclaté en guerre ouverte.  C'est aussi le  cas aujourd'hui des Etats-Unis qui n'ont jamais séparé dans leur rhétorique de défense du "camp de la  liberté" des intérêts américains. Cela est en tous les cas   vrai d'une partie des instances qui font la politique étrangère, dont  le président Obama. Mais ce n'est peut-être pas le cas de tous les acteurs de  la politique étrangère  américaine, une politique qui s'est  faite à l'évidence  de plus en plus idéologique depuis la fin de la guerre froide.

Au demeurant,  que la diplomatie des principes ne soit le plus souvent que le masque d'une diplomatie des intérêts est plutôt rassurant car personne n'a intérêt à la guerre, dans le contexte qui est aujourd'hui celui de l'Europe. Il est  même  probable que si le conflit actuel n'a pas, à ce jour , dégénéré, on le doit à des gens comme Poutine et Obama qui voient, eux, d'abord leurs intérêts.   

La diplomatie de Poutine est même tellement classique qu'on cherche en vain quelle idéologie pourrait se cacher derrière. Et c'est ce qui fait sa faiblesse. La défense de  la  patrie russe et de la religion orthodoxe, qui sont les seuls ressorts qu'elle puisse invoquer,  ne sont à l'évidence pas des objectifs universels comme l'est  la défense  de la liberté et de la démocratie. Vaccinée par l'expérience du communisme, la Russie se refuse à toute exaltation  idéologique. Or  pas d'empire sans idéologie, ni d' idéologie sans impérialisme. Une politique de glacis, même abusive,  est dans la nature, l'impérialisme idéologique ne l'est pas. De plus en plus d'Européens de l'Ouest, lassés des excès de la commission de Bruxelles ou des média, tiennent , dans le discrétion, Poutine pour une référence de bon gouvernement, voire de défense de la civilisation chrétienne. Mais cela ne suffit pas à faire une doctrine, à justifier un emballement médiatique de type manichéen  comme celui qui règne dans le camp d'en face.

Emballement: nous pouvons craindre en effet   qu'avec la commission européenne, structure  bureaucratique puissante et coupée de peuples, on assiste pour la  premier fois à un cas presque chimiquement pur où l'idéologie fonctionne à plein sans le frein de la logique d'intérêt. Une preuve entre mille: la dérisoire politique de sanctions que l'Union européenne inflige à Moscou, une politique dérangeante pour la Russie, certes, mais suicidaire pour ses intérêts à court et à long terme  et parfaitement inutile.

Il est vrai que pour  Emmanuel Todd, l'actuelle politique étrangère européenne ne serait que le masque des nouvelles ambitions allemandes en Europe centrale et orientale. Mais si   tel était le cas, on comprendrait difficilement les critiques violentes de l'ancien chancelier Schmidt à l'encontre de la Commission européenne, dont il dénonce "l'incompétence diplomatique", l'irresponsabilité et le fait que son absence de sens du compromis a remis la guerre aux portes de l'Europe. L'ancien chancelier Schroeder n'est pas plus tendre et,  dans l'ensemble l'opinion allemande n'est pas unanime sur ce sujet,  comme elle l'avait été en 1999 face à la Serbie , ennemi historique. Loin d'être la nouvelle chancelière du Reich comme on la voit en France, Angela Merkel est tenue par beaucoup d'Allemands  pour une politicienne d'envergure moyenne,  soucieuse d'abord de sa survie au jour le jour et donc de rester politiquement correcte;  elle  suit les emportements idéologiques de Bruxelles moins qu'elle ne les commande. Elle cache aussi bien mal son inféodation à Washington.  

On pourra dire que les Etats-Unis qui, eux, ont le sens de leurs intérêts peuvent jouer dans la crise actuelle,  le rôle de frein. Ils le jouent sans aucun doute. C'est pourquoi, en maintes occasions, les Européens semblent les précéder plutôt que les suivre. Savoir qui d'eux ou du tuteur américain a le plus poussé pour accrocher   l'Ukraine à  l'Union européenne est une question. Les Etats-Unis n'ont-ils d'ailleurs pas déjà atteint  leur objectif principal : séparer durablement   l'Union européenne de la Russie, comme le préconise  Brezinski? Mais même inféodés, les idéologues ne  sont pas toujours contrôlables.

Que dans des affaires aussi graves, l'Union européenne et la Russie aient laissé se creuser un fossé aussi profond entre les logiciels qui déterminent leur diplomatie et que , au sein de l'Union européenne, l'idéologie semble aujourd'hui fonctionner sans prise sur le réel, c'est ce qui ne peut que susciter les  craintes les plus vives.

 

                                                                       Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

La diplomatie d'Etat, d'un côté, la diplomatie du parti de l'autre , l'une traitant avec les gouvernements , l'autre avec les partis frères et avec les masses, sans compter la diplomatie des services secrets.

Sans doute l'UE n'a-t-elle pas l'équivalent des partis communistes, mais , de pair avec les Etats-Unis, elle dispose de nombreuses ONG à prétention démocratique  qui s'agitent en Europe de l'Est.

Sous réserve d'un grande prudence  à l'égard des énormes masses humaines que représentent la Chine et l'Inde.

L'exaspération n'est pas moindre aujourd'hui en Russie. Sans chercher  quel côté a commencé, on notera qu'à l'Ouest, dirigeants et médias sont les plus excités, le peuples beaucoup moins, alors qu'en Russie, il semble que les dirigeants, Poutine en particulier, jouent plutôt un rôle modérateur face à un peuple  exaspéré.

Entretien - Bild 16 mai 2014                                                                                                                                                                          

Il est vrai moins désintéressé que Schmidt en raisonsde ses intérêts dans Gazprom.

Zbigniew Brzeziński, Le grand échiquier, 1997 . 

 

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:13

  

A  la veille du grand rendez-vous budgétaire, Valls  s'agite, Hollande espère toujours la reprise ; l'un et l'autre ont cru trouver le docteur  miracle en la personne d'Emmanuel Macron, jeune , énarque et banquier -  et naturellement  socialiste :  le profil type de ceux qui ne sont pour rien dans les problèmes actuels et qui ont donc  tout pour les résoudre !

Et pourtant la reprise ne viendra pas.

Car , comme le prisonnier qui tourne en rond dans sa cellule, le gouvernement actuel  est enfermé. De quelque direction qu'il veuille aller, il se  heurtera à un mur.

Ces directions sont, de manière classique, au nombre de deux, chacune avec des variantes.

La première  récusée par tout ce qui navigue dans le "cercle de raison" cher à M.Minc, est la politique  de la demande. Celle que l'on qualifie  horresco referens, simplifiant d'ailleurs la pensée de l'économiste anglais , de "keynésienne".

Deux modalités possibles : la première est  la relance par la demande privée : augmentation des salaires, redistribution du pouvoir d' achat . C'est sans doute celle qu'envisageaient Montebourg et ses amis . Mais , nous le savons, elle se heurte , dans le contexte actuel, à un double obstacle. La  compétitivité de nos entreprises, déjà mise à mal,  ne pourrait que  s'en trouver encore dégradée  et , par ailleurs,  si la population  a un peu plus d'argent pour remplir son caddy (Dieu sait si elle le souhaite !) , il y a de moins en moins de chances, mondialisation oblige, qu'elle achète français.

L'autre modalité : l'accroissement des dépenses publiques d'investissement. Elle  ne ferait qu'accroître les déficits et, à terme l'endettement, déjà bien au-dessus des engagements européens que nous avons pris.

En fait , les  porte-parole des  partis dits de gouvernement , à gauche comme à droite,   ne pensent plus aujourd'hui qu'en termes de  politique de l'offre , ce qui veut dire en clair   l'allègement des charges des entreprises ( et des impôts sur toutes les formes de richesse)  pour leur permettre de créer des emplois. 

Mais là aussi,  qui ne voit que  porte est fermée ?

Ne discutons pas l'hypothèse libérale  selon laquelle,   il n'y aurait pas d'autre moyen de relancer l'économie.  Mais comment alléger aujourd'hui  ces charges  sans hypothéquer d'une autre manière la relance ?

Car ces allégements ( il en faudrait au moins 50 milliards) , il faut bien les financer. De quelle manière ?

La plus facile: en accroissant le déficit budgétaire  (nous revenons un peu à l'hypothèse keynésienne).  Impossible pour toutes les raisons que nous savons.

Autre manière: en transférant les charges des entreprises sur les particuliers : ce qu'ont fait d'ailleurs les derniers gouvernements, y compris ceux de droite,  mais François Hollande plus que quiconque.  Les particuliers ? Tout le monde sait qu'il s 'agit d'abord des classes moyennes, les très fortunés   s'étant mis hors d'atteinte depuis longtemps, les pauvres ou très pauvres ( les sans dents !) étant déjà en limite de survie. Impensable  donc aussi.

Reste la plus difficile des manières : une diminution importante des dépenses publiques. Importante car il faut déjà les diminuer  pour réduire les déficits.  Et donc aller plus loin encore  si l'on veut en plus  alléger les charges des entreprises !

Il y faut naturellement de l'héroïsme :  on en mesure le degré  à  l'échec des derniers gouvernements, pas seulement ceux de  gauche, à  réaliser cette diminution . De cet héroïsme, tout le monde  rêve: la gauche un peu et la droite un peu plus. Une droite  qui ne promet , au fond, rien d'autre qu' une politique de l'offre un peu plus énergique .  

Nous pensons qu'une réduction des dépenses publiques françaises ( qui atteignent aujourd'hui  le niveau astronomique  de  57 % du PIB )  est sans aucun doute nécessaire. Mais  cette opération ,  difficile en soi, n'est véritablement possible qu'en période de croissance, pour peu que l'augmentation des ressources fiscales qui en résulte ne soit pas tenue pour une "cagnotte" , comme l'a toujours fait la gauche, mais pour l' occasion d'un allègement. En période de stagnation, l'opération est , disons-le, désespérée.  Non  seulement en raison du poids des corporatismes ou du supposé "modèle social français", dénoncés à tout va,   mais aussi parce que chacun  ressent que, dans un tel contexte , elle ne pourrait que plonger le pays dans  une spirale de récession: réduction de la  demande - au moins de celle qui s'adresse au marché français, ce qui est le cas, pour l'essentiel,  de la commande publique, réduction de l'activité, réduction du rendement des impôts, maintien ou aggravation des déficits etc.

Une spirale sans fin ? Certains experts prétendent que non,  se fondant sur l'exemple des pays méditerranéens (Espagne, Portugal, Grèce) , qui auraient retrouvé un certain équilibre au prix de la baisse de 20 ou 30 % de PIB et d'un appauvrissement  massif de  la population. Mais c'est douteux :  les politiques de déflation - c'est bien de cela qu'il s'agit - n'ont , depuis Pierre Laval, jamais réussi  et de toutes les façons, le prix en   est disproportionné. Les Français l'ont compris ; c'est pourquoi il est vain d'espérer  qu'on impose jamais un tel régime à la France.  

La politique de l'offre  a certes  d'autres aspects: une réglementation plus simple et plus intelligente par exemple. Cela , pour le coup , est possible mais comment l'attendre d'une équipe socialiste qui a déjà réussi l'exploit, avec la loi Duflot, de compliquer tellement les règles qu'un secteur clef, celui de  l'immobilier, s'en trouve sinistré ? De toutes les façons, face aux contraintes de la macro-économie,  quoique nécessaire,  la simplification ne  suffira pas.

Il n'y a donc aucun miracle à attendre. Dans le logiciel actuel , il ne saurait y  avoir de reprise, au moins si l'on s' en tient à   la variable budgétaire.  

Pas d' espoir donc ? De fait , il n'en reste que deux  : la dévaluation bien sûr (accompagnée de mesures vigoureuses, comme on le faisait autrefois ) , qui suppose l'éclatement de l'euro , mais qui nous éloigne du "cercle de raison"  ou bien, si l'on veut absolument garder l'euro  - ou  lui donner un sursis -, la TVA dite  sociale.

Rappelons en le principe: en finançant une partie des dépenses sociales (qui représentent aujourd'hui plus de 25 %  du PIB) , non par des charges sur les salaires mais par la TVA, on détaxe  les exportations et on taxe  les importations, ce qui aboutit  très exactement au même effet qu'une  dévaluation. Mais  plus le temps passe, plus il faudrait que le transfert  soit important:  à hauteur  au moins 15 % du revenu national !  

Et certaines conditions doivent être    réunies ,  la première  étant   que nos dirigeants en comprennent  le mécanisme !  Depuis vingt ans, l'idée se trouve en effet  plombée  par ceux qui, ne l'ayant pas bien compris, l'assimilent à un simple  moyen de déplacer les charges patronales   vers les salariés ,   ou pire encore,  d'une astuce pour financer le déficit de la sécurité sociale. L'idée n'est acceptable par le corps social que  si  le mécanisme adopté n'altère pas  le pouvoir s'achat des salariés  et surtout si on sait bien  expliquer  en quoi elle favorisera l'emploi. Hors de cela , point de salut, au moins dans le logiciel  actuel.

 

                                                           Roland HUREAUX

 

 

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:10

 

Si l'on examine les motifs du contentieux entre l'Union européenne et la Russie  au sujet de l'Ukraine, on voit que sur la plupart des  points  la position de l'Union est en contradiction avec les principes  qu'elle promeut ailleurs.

            C'est à l'évidence  le cas du soutien à la révolution dite de la place Maidan qui a renversé le 22 février dernier le président Viktor Ianoukovitch et permis l'élection le 25 mai ( avec  60 % d'abstentions) de  son successeur Petro Porochenko. Le renversement par la rue  d'un président légitimement élu comme Ianoukovitch, pour impopulaire qu'il ait été , est totalement contraire aux valeurs que l'Union européenne prétend défendre. Que dirait-on à Bruxelles si le président Hollande, très impopulaire aussi, comme on sait,  devait se retirer  de la même manière ? Ajoutons que le mouvement de Maidan a une composante néo-nazie qui n'est pas précisément sympathique. D'aucuns invoquent la corruption de Ianoukovitch, mais les gouvernements pro-occidentaux qui avaient suivi  les  révolutions "oranges" de 2004, en Georgie comme en Ukraine, l'étaient-ils moins  ?

            Le respect des minorités linguistiques est inscrit dans différents documents publics de  l'Union européenne, notamment  la Charte des langues régionales . Quand le Parlement ukrainien retire  tout statut officiel à la langue russe en Ukraine, au bénéfice de l'ukrainien qui en est très proche mais qui demeure une autre langue, et cela alors même que le russe est  parlé par presque toute la population et qu'il est la langue unique du tiers oriental du pays, comment ne pas y voir une provocation ? Mais elle ne gêne nullement l'Union européenne  dès lors que la victime est la minorité russophone de l'Ukraine.

            Le fédéralisme et la décentralisation sont au cœur de la doctrine européenne, non seulement quand il s'agit d'elle-même, mais aussi au sein des Etats membres, sur le modèle allemand, dit-on.  Le  Comité des régions  d'Europe a un statut officiel depuis le traité de Maastricht (1992). Le projet français de "grandes régions", susceptibles de recevoir le maximum des attributions de l'Etat central est issu, en partie, des courants de pensée dominants à Bruxelles. Les bons  élève de l'Europe , comme  l'Espagne, ont poussé à fond la logique de la décentralisation. Rien ne laisse supposer à ce jour, que la Russie veuille annexer l'Ukraine. Aussi un  grand pas en avant serait-il  fait dans la solution du conflit, si Kiev acceptait un statut fédéral pour ses provinces russophones, y laissant au russe le statut de  langue officielle. Bien que   cette revendication aille  pleinement dans le sens des idées de l'Union européenne, Bruxelles, à l'évidence,   ne pousse  nullement son partenaire ukrainien dans ce sens.

            On peut certes considérer l'annexion de la Crimée par la Russie  comme une violation  du droit international. Dommage que l'Union européenne ait montré l'exemple en  ratifiant l'indépendance  du Kosovo, décidée par les Etats-Unis   en 2009, violation tout aussi flagrante de ce même droit et d'autant plus grave qu'elle créait, elle , un précédent.

            D'une façon plus générale, le morcellement étatique ne semble pas gêner les instances bruxelloises qui savent bien que plus les Etats membres seront nombreux et   faibles , plus elle a des chances de régner. Elle  a  joué le rôle que l'on sait,  à l'instigation de l'Allemagne,  dans l'éclatement sanglant de la Yougoslavie, elle n'a pas objecté à celui de la Tchécoslovaquie. Elle n'a  pas fait obstacle non plus, que nous sachions,  à l'aspiration  de l'Ecosse à indépendance.

            Même si on peut contester sa valeur juridique, personne ne doute que le résultat du  référendum par lequel la Crimée a demandé son rattachement à la Russie ait reflété la volonté de l'immense majorité des habitants de la péninsule. Pourquoi dès lors refuser à la Crimée ce qu'on a accordé  à la Slovaquie et au Monténégro ?  Certes, dans le cas de la Crimée l'aboutissement est le rattachement à la Russie, pas l'indépendance . Mais au regard du principe fondamental d'autodétermination des peuples,  l'effet est le même. Quant au sort des minorités, gageons qu'il vaut  mieux aujourd'hui être Tatar en Crimée  que Serbe au Kosovo !

            On pourrait élargir le sujet  et dire que tant dans le cas du Kosovo que de l'Ukraine, Bruxelles semble avoir une forte  complaisance pour les Etats ouvertement mafieux! Ou encore évoquer le rôle des néo-nazis dans le gouvernement de Kiev. Mais cela est une autre histoire.

            En tous les cas, il est clair que pour l'Union européenne, l'Etat unitaire et l' intégrité territoriales ne sont sacrés nulle part, sauf en Ukraine.

 

    Roland HUREAUX

                                                                               

 

De fait, une vraie fédération est un rassemblement d'entités unitaires, ce qu'est l'Allemagne,  mais ce que ne sera pas l'Europe telle que la veut la Commission. 

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:07

 

Une des raisons, constamment affichée, de la construction européenne a été l‘ambition de fédérer  les forces de l ’Europe occidentale pour lui permettre de peser dans le  nouveau concert mondial dominé par les Etats-continents : Etats-Unis, Russie, Chine, Inde. Une autre raison était d'empêcher le retour de la guerre en Europe.

La politique étrangère  européenne  est presque  absente des traités initiaux, sauf sous l’angle économique. Figure  cependant, parmi les objectifs du traité de Rome, celui d’  « affermir, par la constitution de cet ensemble de ressources, les sauvegardes de la paix et la liberté, et d’  appeler  les autres peuples d'Europe qui partagent leur idéal à s'associer à leur effort ».  Il ne s’agissait au départ que d’une position de principe.  Mais  la Communauté    s’est dotée au fil des ans d’instruments de concertation et d’action commune de plus en plus significatifs. En 1974, la mise en place du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement a permis  des échanges réguliers au plus haut niveau.  En 1975, l’aide au développement dans le cadre de la convention  de Lomé (1975) a justifié la mise en place  dans   les anciennes colonies de l’ensemble Afrique-Caraïbes-Pacifique de délégués de la Communauté européenne ;  les ambassadeurs des pays membres ont alors  reçu la consigne de se réunir régulièrement. En  1992,  le traité de Maastricht a défini une Politique européenne et de sécurité commune (PESC), reprise par les traités ultérieurs, dont  les objectifs sont ainsi définis :

sauvegarder les valeurs communes, les intérêts fondamentaux et l'indépendance de l'Union européenne ;

renforcer la sécurité de l'Union européenne et de ses États membres sous toutes ses formes ;

maintenir la paix et renforcer la sécurité internationale, conformément aux principes de la Charte des Nations unies   ainsi qu'aux principes de l'Accord d’Helsinki  et aux objectifs de la Charte de Paris ;

promouvoir la coopération internationale ;

développer et renforcer la démocratie et l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le monde.

Un pas de plus est franchi avec le traité de Lisbonne (2007) qui crée un   Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité  lequel  reprend les fonctions diplomatiques   exercées auparavant par le secrétaire général du Conseil, le haut-représentant à la Politique étrangère et à la Sécurité commune et le commissaire européen aux Relations extérieures. Est  nommée à ce poste  le 1er décembre 2009  la britannique Catherine Ashton, une proche de Tony Blair particulièrement falote.

En 2010, est mis en place, dans la même logique,  un  réseau diplomatique complet d’  ambassadeurs de  l’Union européenne

En 2002, avait été promue, en  parallèle,  une Identité européenne de sécurité et de défense (IESD) qui s’est progressivement dotée d’un appareil institutionnel  en relation étroite avec l’OTAN.

 

La diminution du poids de l’Europe dans les affaires mondiales

 

Malgré ces multiples initiatives, il est difficile de dire que l’objectif initial, donner un plus grand poids à l’Europe dans la sphère internationale, ait été atteint. Non seulement il ne l’a pas été  mais on peut même se demander si le poids de l’Europe dans la diplomatie mondiale  n’a pas régressé au fur et à mesure que l’Europe institutionnelle se dotait de  moyens plus développés en matière de diplomatie et de défense.  Rappelons qu’en 1956, année de négociation  du traité de Rome, deux puissances européennes, la France et la Grande-Bretagne, purent se permettre d’envoyer une expédition militaire au Proche-Orient  (la guerre de Suez)  contre l’avis des Etats-Unis et de l’URSS. Que cette initiative ait, diplomatiquement, sinon militairement, mal tourné n’enlève rien au fait que, dix ans après la fin de la Seconde  guerre mondiale,  les gouvernements en cause se soient sentis à même  de la prendre.  Qu’en est-il soixante ans après ? Il n’est même pas sûr que l’Europe puisse encore  envoyer dans cette  région un simple  émissaire diplomatique sans  l’aval de Washington. Ce n’est pas l’exemple Tony Blair nommé en 2007  émissaire du Quartet pour le Proche Orient (qui comprend d’Union européenne) qui   permettra  un démenti.  

Au cours des années 1980-2000, au moment où l’idée de PESC commençait à prendre tournure, il était habituel que la politique européenne se démarque  au Proche-Orient   de celle des Etats-Unis, presque toujours dans  le sens de la modération. Il n’est est plus question aujourd’hui. Le silence de l'Europe face au récent bombardement de Gaza est assourdissant. Sa timidité face aux massacres de chrétiens en Irak tout autant. L’Europe n’a  plus guère son mot à dire dans les affaires de cette région ; elle n’ y est   requise que pour  payer, d’abord pour la survie des territoires palestiniens. Qui oserait encore revendiquer  que son influence  diplomatique soit à la hauteur de sa contribution financière ?

Il en est de même dans la plupart des autres champs.  L’Europe   observe ainsi depuis longtemps  sans réagir la montée de l’influence chinoise en Afrique. Elle laisse la France s'engager seule dans la stabilisation du   Sahel.

Il est difficile d’avoir une politique étrangère sans s’appuyer  sur quelque force militaire. Pendant que la politique commune de sécurité et de défense se résume à une bureaucratie qui va s’alourdissant,  la part des dépenses militaires des pays européens dans le PIB est la plus faible qui soit  et elle continue de reculer alors qu’  elle augmente dans tout le reste du  monde, en particulier en Russie.

Henry Kissinger demandait : l’Europe,  quel numéro de téléphone ? Aujourd’hui l’Europe diplomatique a un numéro de téléphone,  mais il est aux abonnés absents.

Paul Stiglitz, prix Nobel d’économie, déplorait récemment, avec d’autres,  que la récession de l’Europe, premier marché du monde, bloque l’économie mondiale. Autant que  sur le plan économique, l’Europe est aussi, sur le plan diplomatique,  l’homme malade de la planète.

 

L’Europe n’est pas la paix

 

La construction européenne  n’avait pas pour seul but de créer un nouveau pôle de puissance, elle avait aussi l’ambition de mettre définitivement fin  à la tentation de la guerre en Europe.   Sur ce chapitre aussi, on est loin du compte.

Le long cycle de guerres européennes qui va de 1870 à 1945 a été mis un peu vite sur le compte exclusif des  nationalismes, et, par extension,  des nations et des Etats nationaux.   L’avènement d’une Europe fédérale ne pouvait être qu’un facteur de paix. Que  ce genre d’analyse très générale passe un peu vite sur le rôle particulier de l’Allemagne de 1870 à 1945 est une chose.  Qu’elle soit vérifiée en est une autre.

On peut en particulier douter que l’Europe de Bruxelles ait été un facteur de paix dans la question ukrainienne. 

Quand l’Ukraine est devenue indépendante en 1991, la complexité de sa situation était bien connue. La coexistence d’une population russophile et russophone, de culture chrétienne orthodoxe à  l’Est, et d’une population    de langue ukrainienne et russophobe  de culture chrétienne uniate (c’est-à-dire de liturgie orientale mais rattachée à Rome)  à l’Ouest, n’offrait pas les bases d’une cohésion nationale forte. La plus grande prudence, dès lors, s’imposait.

Au motif que les premiers gouvernements n’étaient pas assez démocratiques et qu’ils étaient trop corrompus,  Washington et Bruxelles ont soutenu en 2004 des révolutions dites « orange », lesquelles ont  abouti  en Ukraine et en Géorgie à  la mise en place de pouvoirs, ni plus démocratiques  ni moins corrompus, mais moins proches de Moscou (au moins au départ). Ce qu’il faut bien appeler une ingérence  passait en partie par le canal d’organisations non gouvernementales, comme la Fondation Soros,  qui devaient ultérieurement soutenir  les Femens.

Parallèlement, Bruxelles et Washington proposaient aux gouvernements ukrainien et géorgien un rapprochement de  l’Union européenne et de  l’OTAN  dont le terme paraissait être naturellement l’adhésion. Rapprochement qui a abouti à  l’Accord d’association de l’Union européenne et de l’Ukraine du 21 mars 2014 ratifié par le Conseil européen du 30 juin. Un tel  rapprochement  revenait évidemment  à  jeter de l’huile sur le feu des discordes internes, les russophones d’Ukraine ne pouvant que s’en  inquiéter. Leur inquiétude ne pouvait que s'aggraver à voir bientôt le gouvernement ukrainien, protégé de l'Europe démocratique, bannir  le russe des actes officiels.

Cela revenait aussi à provoquer la Russie qui  considère, à tort ou à raison,  que les pays anciennement membres de l’URSS doivent garder avec elle un lien spécial incompatible à son gré avec l’adhésion à  l’Union européenne et surtout  l’OTAN.

Même contestable  dans son principe, du fait que   l’affaiblissement de la Russie était, au moins du côté américain, son objectif presque avoué, une telle position était quand même  tenable,    à condition que Washington et Bruxelles soient prêts à aller jusqu’à l’épreuve de force avec Moscou, le jour prévisible où la Russie réagirait.

Mais avec une insoutenable  légèreté, les Européens  ont encouragé  le parti  antirusse  alors même que tout le monde savait dès le départ qu’ils n’avaient pas les moyens militaires, ni d’ailleurs la volonté, de contrer  la Russie à ses portes. Quant à l’Amérique,  qui se souvient des doutes que les pays d’Europe de l’Ouest eux-mêmes avaient, au cours des années soixante ou soixante-dix  sur la valeur du parapluie nucléaire qu’elle prétendait leur offrir dès lors que la mise en  œuvre de celui-ci faisait courir le risque de représailles sur le territoire américain ?  A fortiori on  sait que personne, ni en Europe, ni aux Etats-Unis,  ne prendra des risque ultimes pour l’Ukraine   ou la Géorgie.

L’intervention du président Sarkozy à Moscou  au moment de la crise géorgienne  d’août 2008, a eu le  mérite de donner l’impression  que l’Europe diplomatique  existait. Mais elle n’a été efficace que dans la mesure où  les Russes, qui venaient d’envahir l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud et de les reconnaître comme Etats indépendants   n'avaient pas l’intention d’aller plus loin. L’Europe se serait-elle manifestée si sa   présidence n’avait pas été assurée à ce moment-là par la France ou  par un autre président que Sarkozy, par exemple Hollande ? On peut  en douter.

L’exaltation  des Européens de l’Ouest en faveur de la supposée liberté de l’Ukraine  les a conduits ,  de manière absurde , à reconnaitre en février 2014  un  pouvoir insurrectionnel , issu de la rue et doté  d'une composante néo-nazie  ,  contre un président,   Viktor Ianoukovitch,  peut-être détestable mais qui avait été régulièrement élu    en 2010 à la suite d’un scrutin jugé « transparent et honnête » par l’OSCE.  (Hollande pense-t-il qu’il est  légitime de se rebeller contre un président devenu impopulaire ?). Cette attitude parfaitement contradictoire de la part de gens qui prétendent défendre le modèle démocratique, ne montre-t-il pas l’immaturité   des positions de l’Union européenne ? De fait, avec une inimaginable bonne conscience, les Occidentaux se  sont  habitués dans cette région  à qualifier de démocratiques les forces qui leur étaient favorables et d’antidémocratiques celles qui étaient favorables aux Russes. 

On peut penser que la  crise ukrainienne n’aurait pas eu lieu sans les appels du pied  répétés  de l’Union européenne en direction de ce pays.  Que celle-ci ait été irresponsable, nous le mesurons au fait que la crise s'aggrave aujourd'hui . Le rattachement de la Crimée à la Russie qui n’aurait pas eu lieu si le gouvernement légitime était resté en place,  constitue déjà  un grave précédent pour la stabilité de la région.  Comme on pouvait le craindre, il est en train  d’embraser  toutes les régions russophones qui veulent, elles aussi,  être rattachées à la Russie. Le risque d’une grave déflagration  est donc loin d’être écarté. Et s’il l’est, ce sera au prix d’une reculade qui fera sombrer la diplomatie européenne dans le ridicule. Leçon salutaire ?

On dira qu’en recherchant une extension sans bornes vers l’Europe de l’Est,  l’Union européenne ne faisait qu’appliquer, de manière mécanique, l’objectif affirmé dès le  traité de Rome : « appeler  les autres peuples d'Europe qui partagent leur idéal à s'associer à leur effort ».  Un objectif pas forcément impérialiste. Mais l’art du diplomate n’est-il pas de se mettre de temps en temps dans la peau de l’autre partie ? L’Union européenne s’est trouvée au fil des ans organiquement liée à l’OTAN, les idéologues néo-cons de l’autre côté de l’Atlantique écrivent que leur objectif est de démanteler   la puissance russe. Le scénario qu’ils décrivent est exactement celui qui est en train de se dérouler. Comment ces initiatives n’auraient-elles pas suscité la méfiance de Moscou ? Et du point de vue des intérêts bien compris de l’Europe de l’Ouest, qu’est-ce qui  importait   le plus : une soi-disant libération de l’Ukraine  ou le maintien  de bonnes relations et l’établissement d’une coopération étroite  avec la Russie ?  

Les  sanctions européennes imposées à  la Russie  apparaissent à la fois ridicules, néfastes et dangereuses. Leur effet le plus sûr est d’enfoncer un coin durable entre l’Union européenne et la Russie qui aurait dû être son partenaire naturel. C’est peut-être le principal  objectif poursuivi par  Washington. Mais d'autres dangers encore plus graves pointent  l'horizon.

Un homme aussi  pondéré que Helmut Schmidt va  jusqu'à évoquer le risque d' une   troisième Guerre mondiale. Et l'ancien chancelier allemand n'a pas de mots assez sévères pour fustiger la    commission européenne dans cette affaire : il  n'hésite pas à dire que   Bruxelles a   "une part de responsabilité dans l'aggravation de la crise ukrainienne". Dénonçant   la tentative de la commission européenne d'intégrer l'Ukraine et la Géorgie, il  s'emporte  contre les   bureaucrates   qui "comprennent trop peu la politique étrangère". "Ils placent l'Ukraine devant le soi-disant choix de se décider entre l'Est et l'Ouest", estime-t-il. Bruxelles "se mêle trop de politique étrangère, alors que la plupart des commissaires européens la comprennent à peine".

 

 

De dangereux précédents

 

On pourrait dire que  la reconnaissance par Moscou de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, puis l’annexion de la  Crimée (dont nul ne doute qu’elle ait reçu le consentement de la population, Tatars exceptés), ont ouvert la boite de Pandore des revendications territoriales en Europe. Ce serait oublier que celle-ci avait   déjà été ouverte   un peu  plus tôt, en 2008,  par les Occidentaux quand ils ont reconnu l’indépendance déclarée unilatéralement par le   Kosovo.

L’ordre européen  repose en effet depuis les accords d’Helsinki de 1975 (en application d’ailleurs de  la Charte des Nations-Unies) sur l’intangibilité des frontières existantes,  qu’elles reflètent  ou non une rationalité culturelle ou ethnique. La seule exception reconnue en Europe depuis la signature de ces accords  a été la réunification de l’Allemagne (mais , en droit international,  elle était partagée par une ligne de démarcation, pas par une frontière  ) et l’éclatement des fédérations  après la chute du communisme (URSS, Yougoslavie, Tchécoslovaquie), mais une règle tacite avait  alors  voulu que cet éclatement suive  les frontières des entités fédérées de premier rang, comme  les républiques soviétiques, préservant l’intégralité de celles-ci. Règle aux effets paradoxaux : la Tchétchénie, entité fédérée de second rang   (comme l’Abkhazie ou l'Ossétie du Sud) mais  désireuse  de devenir indépendante ne put y parvenir  tandis que la Biélorussie,  qui ne la désirait pas vraiment,  l’obtenait. Mais cette règle  avait le mérite d’être claire et par là de garantir  la paix en Europe. Le Kosovo était lui aussi une entité de second rang  et faisait donc partie de la République de Yougoslavie, ce que reconnaissait pleinement la résolution 1244 du Conseil de sécurité du 10 juin 1999 mettant fin à la guerre menée par l'OTAN contre ce pays. Or la règle  sur laquelle  l'Europe vivait en paix  se trouva  pour la première fois dangereusement transgressée en 2008   par   la reconnaissance unilatérale de l' indépendance  du Kosovo.  Raison de plus pour ne pas encourager indirectement le séparatisme  en  Ukraine.

Le cas de la Yougoslavie est lui-même emblématique. Il ne  fait pas de doute que la guerre de 1999, qui vit l’aviation de l’OTAN bombarder la Serbie (20 000 civils morts, pratiquent pas de militaires) n’aurait pas eu lieu si les Européens s’y étaient opposés. Or elle fut   entreprise en violation ouverte du droit international et, par-là, des traités européens, qui se réfèrent explicitement à la Charte des Nations-Unies et aux Accords d’Helsinki.  Précédent inquiétant d’autant qu’il  y avait sans doute d’autres moyens de faire cesser les excès commis de part et d’autre dans les Balkans.

Ajoutons que sous le prétexte  de défendre les droits de l’homme dans la péninsule balkanique, l’Europe, pourtant fondée sur une  réaction de rejet légitime à l’égard du nazisme qui  avait suivi la seconde guerre mondiale,    a permis à l’Allemagne de régler un compte historique  avec  la Serbie. La Serbie avait été en effet, tant en 1914-1918   qu’en 1941-1945,  le rempart  contre l’expansion du germanisme vers l’Europe du Sud. Tandis que ceux que nous avons aidés, Croates et Albanais avaient été largement pronazis.

Sur un autre plan, on pourrait aussi bien dire que l’euro que François Mitterrand avait conçu pour brider la puissance allemande a, au contraire,  fait de l’Allemagne l’arbitre économique de l’Europe. Etonnant retournement de la mécanique européenne ! 

Le cas de la  Syrie  est analogue  quant à l’irresponsabilité. Bruxelles et  plusieurs capitales occidentales (Paris et Londres en tête, sans oublier Mme Ashton ) ne se sont pas contentées de suivre la politique étrangère américaine mais elles ont tenté de faire  de la surenchère sur  le soutien à apporter  aux rebelles, toujours  au nom des droits de l’homme et de la démocratie, sans considérer que les factions soutenues, dominées par des islamistes,  étaient encore moins démocratiques, s’il est possible,  que  le régime Assad, ni qu’une action  occidentale dans ce pays  fortement soutenu par  la Russie risquait d’embraser et la région et le monde. Le sens de la mesure des présidents Obama et Poutine  a permis d’éviter le pire.

Qui parle  encore de l’Europe, facteur de paix ?

L’Europe diplomatique témoigne aussi d’une redoutable incertitude  vis-à-vis de la Turquie,  incapable de dire clairement  oui ou non à son adhésion  à  l’Union. La situation actuelle est absurde ;  non seulement parce que la Turquie occupe illégalement une partie du  territoire d’un Etat membre, Chypre, sans que la diplomatie  européenne s’en offusque, mais parce que tout le monde est d’accord pour poursuivre un processus d’intégration dont tout  le  monde sait aussi  qu'il n’aboutira pas.  Au demeurant, la Turquie d’ Erdogan, parée de toutes les vertus démocratiques autant qu’elle suivait la politique de Washington dans les affaires du Proche-Orient, se les voit de plus en plus déniées  depuis qu'elle s’en écarte  et Bruxelles suit plus ou moins le mouvement.  

En Afrique, l’Europe n’existe, en dehors de l’aide au développement,  que par le bras armé de la France, pour le pire (Libye) ou pour le meilleur (Mali).   Les autres pays ne la soutiennent que du bout des lèvres. Les interventions au Mali et en Centrafrique  sont  tolérées par Washington dans la mesure où elles contribuent à protéger l’immense Nigéria, puissance anglophone  dont l’unité reste fragile,  menacée de dislocation  si l’islamisme  s’emparait de toute l’Afrique occidentale.

Dans la plupart de ces pays, l’Europe apparaît en revanche comme  un infatigable donneur de leçons. Jusqu’ au ridicule. Anecdote : on manda une fois les ambassadeurs  de l’Union européenne  d’aller en rang serré faire des remontrances au président Bongo sur la corruption au Gabon. Celui-ci les reçut,   courtois mais narquois, en leur demandant s’ils voulaient aussi des   informations sur la corruption  en France…

La  passivité diplomatique de l’Europe  rejoint celle dont elle fait preuve   dans les questions commerciales.  Dominée par deux pays attachés au libre-échange intégral, l’Allemagne et  la Grande-Bretagne, la  première  par intérêt, la  seconde  par doctrine, elle est fort peu portée à défendre les   intérêts propres à l’Europe largement bradés dans les négociations de l’OMC et  menacés par le traité transatlantique  en cours de négociation.  

Cela ne veut pas dire que les intérêts de l’Europe et des Etats-Unis soient toujours antagonistes. La montée   de la Chine  a été permise  par la sous-évaluation brutale  de sa monnaie, désastreuse pour  l’industrie européenne. S’il est  un sujet où une pression conjointe des Etats-Unis et de l’Union européenne serait nécessaire et probablement  efficace  c’est bien celui-là.  En la matière, les Etats-Unis et l’Europe ont les mêmes intérêts. Quand le président Obama a envisagé une démarche auprès de Pékin, les Européens, frileux, ont tourné la tête pour ne pas avoir l’air d’entendre. Beau succès de la politique de certains  faucons  américains qui rêvaient d’une  Europe dévirilisée, Vénus  face à Mars : sur ce dossier, l’Europe  craint désormais davantage les Chinois que les Américains !  

Au moment où se conduit, dans l'opacité la plus totale , la grande négociation  voulue par les Etats-Unis tendant à instaurer un traité transatlantique de libre-échange, bien peu imaginent que la commission, largement sous influence,  défende réellement les intérêts de l'Europe dans cette affaire.

 

Politique idéologique et politique des intérêts

 

Derrière cette insuffisance   de la diplomatie européenne  - et parfois sa dangereuse irresponsabilité  -, on pourrait   se contenter de voir une  imparfaite vision des intérêts communs de l’Europe par les autorités communautaires. De fait une certaine évidence voudrait que les intérêts communs soient le fondement  de la politique étrangère européenne puisque c’est là, dans la politique classique, l’objectif naturel de l’action   diplomatique.

Mais la vérité est que la politique étrangère et  de  sécurité commune n’affiche  l’  objectif de « sauvegarder les intérêts fondamentaux de l’Union européenne »  qu’en passant.  Ceux  de « sauvegarder les valeurs communes » et de « développer et renforcer la démocratie et l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le monde » paraissent  manifestement  plus importants

La raison d’être maintes   fois proclamée de l’Union  est  l’application de principes universels, dans sa périphérie immédiate et même au-delà. Elle vise l’expansion de la démocratie,  de la liberté, de la non-discrimination, d’une certaine conception du monde à la  fois post-nationale, libérale et libertaire, mais aussi post-moderne, fondée sur l’idée qu’une ère nouvelle de paix et  de progrès, s’est ouverte. Cette nouvelle ère  tend à rendre obsolètes, voire suspectes les références au passé de l’Europe, comme par exemple  à   ses racines chrétiennes.

Autre projet : l’expansion du libre-échange, de la libre circulation des capitaux, de la concurrence libre et non faussée.

Au-delà, l’adhésion à toutes les formes d’universalisme, telles qu’elles ressortent de la Charte des Nations-Unies et de son application (sans préjudice des violations particulières comme la guerre de Yougoslavie).

Considérant que, de ces idéaux, en dépit de ses  difficultés économiques actuelles, l’Union européenne reste la meilleure incarnation, elle voit dans  toute extension de son périmètre, sans qu’  aucune considération religieuse, culturelle ou géopolitique  vienne la borner,  un objectif en soi. Les bureaucrates  voient aussi dans cette extension qu'un moyen d'accroitre leur pouvoir.

Il est certes arrivé souvent dans l’histoire et il arrive encore   que les grands idéaux soient le paravent des intérêts de puissance ou qu’en tous les cas, les deux  coïncident. C’est le cas, assurément,  aux Etats-Unis qui ne cessent  de défendre avec la même ardeur des idéaux universalistes et  the interests of the United states.   Il en était de  même avec la défunte URSS, heureusement d’ailleurs, la logique des intérêts étant venue au temps de la guerre froide y tempérer la logique idéologique.  Parmi les reproches que l’on fait le plus souvent à la Russie d’aujourd’hui, c’est de poursuivre ses intérêts de puissance sans fard, le seul paravent universaliste qu’elle possède : la défense  de l’Eglise orthodoxe,  paraissant bien faible.

Mais s’agissant de l’Europe, quels intérêts se cachent sous ses idéaux universels ?  

Il n’est qu’exceptionnel qu’ils soient visibles. Par exemple la volonté  de  l’Allemagne de prendre une revanche historique contre la Serbie, ennemi  héréditaire, pouvait sous-tendre la guerre de 1999. A son annonce, le Bundestag unanime s’est levé pour applaudir, alors qu’une immense gêne prévalait au  Parlement  français tétanisé.

Mais si la logique des intérêts n’est pas absente des motivations de la politique européenne, la plupart du temps,  les intérêts que l’on perçoit sont  aujourd’hui moins ceux de l’Europe que ceux  des  États-Unis.

La volonté de faire entrer  l’Ukraine ou même les  pays   du Caucase dans le giron de l’Union européenne, quels qu’en soient ses prétextes moraux, s’inscrit parfaitement  dans la vision du monde exposée par Zbigniew Brezinskidans le son livre phare Le grand échiquier.  L’Amérique  perdra la domination mondiale, dit-il, si elle laisse se constituer un bloc eurasiatique cohérent qui la marginaliserait. Il lui importe donc d’empêcher tout rapprochement entre l’Europe occidentale et la Russie, même après la chute du bloc soviétique et  pour cela  de faire obstacle à toute affirmation d’une volonté propre des pays de  l’Ouest du continent, voire d’y anesthésier  toute velléité d’affirmation nationale.

De même le projet de faire entrer la Turquie dans l’Europe communautaire, au mépris de sa propre cohésion, s’est inscrit jusqu’à aujourd’hui dans le plan américain favorable à la Turquie, à la fois parce qu'elle semblait un bon allié de revers  pour Israël et contre la Russie et  pour exorciser ses tentations islamistes.

Mais le recours  aux principes universels n’est pas toujours sous-tendu par une politique d’intérêt, fut-ce  celle d’une puissance dominante étrangère au continent. L’idéologie, comme tout système, a sa logique propre et il est dans la nature de l’idéologie que ses tenants en poursuivent l’application au-delà même de la sphère de leurs propres intérêts. Cela est particulièrement vrai  en matière économique, où l’Europe, en faisant de l’euro   une monnaie  forte, s’enfonce dans la récession. En matière d’immigration, l’application d’idéaux  universalistes, qui s’exprime par exemple dans un statut  très libéral du réfugié politique, fondée sur la non-discrimination, entraine une ouverture du continent qui n’est pas sans susciter elle aussi des inquiétudes pour sa cohésion. Au moins sous les présidents démocrates, les ambassades américaines sont requises de veiller à ce qu’en Europe,  les programmes d’histoire nationale fassent toute leur part à l’apport des populations immigrées et que les jeunes immigrés ne fassent pas l’objet de discriminations.

Qu’aucune barrière,  pas même  l’intérêt,  ne puisse arrêter dans certaines circonstances, les logiques idéologiques, c’est ce qui les rend éminemment dangereuses.  Contrairement à ce que croient trop d’Européens, ce sont les idéologies et non les nations qui sont cause de guerre, au moins depuis les années trente. La guerre de  1939-1945 fut l’effet du choc d’idéologies, la guerre froide aussi. « Cinquante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, il importait de rappeler que ce conflit a eu lieu à la suite de la violation du droit des nations » (Jean-Paul II). « La négation de la nation est à l’origine de toutes les guerres «  (Charles de Gaulle).

Les  évènements récents de la Syrie et de l’Ukraine ont vu chaque fois l’Europe en pointe, ici pour promouvoir une intervention militaire contre le régime Assad, là pour soutenir les manifestants  de Kiev ou sanctionner la Russie.  Il n’en serait pas ainsi si l’Europe n’avait été qu’un pool fondé sur des intérêts communs et non un projet largement contaminé par l’universalisme idéologique.

Ce sont au contraire les puissances où  l’idéologie n’a pas fait complètement disparaitre le sens de l'intérêt national, Etats-Unis et Russie d’abord, qui ont mis le holà à  une escalade, particulièrement outrancière,  de Bruxelles et de  Paris, mettant en danger la paix du monde. Et au sein de l’Union européenne, c’est le pays  où l’attachement formel à l’idéal européen n’a pas fait obstacle à la poursuite sournoise de l’intérêt national bien compris, l’Allemagne, qui  freine dans la plupart des cas où Bruxelles et Paris,  tiennent des discours jusqu’au-boutiste : en  Libye,  en Syrie, mais aussi vis-à-vis de la Russie.

Le cas de l’  Angleterre est plus complexe. Ses liens avec les Etats-Unis et l’existence   d’une classe dirigeante de plus en plus éloignée des traditions britanniques  porteraient ses gouvernants, au moins depuis Tony Blair,  à épouser toutes les causes internationales enveloppées de l’étendard de l’idéalisme – on  l’a vu en Irak.  Mais   l’existence d’un authentique  fond  démocratique a amené le Parlement britannique à voter contre une intervention en Syrie, en phase  avec l’opinion publique mais  à l’encontre de ces tentations universalistes qui emportaient  le gouvernement Cameron.

En Allemagne, ce que le  Parlement  n’a pas fait, le Tribunal constitutionnel l’avait  fait, en marquant, au nom d’une forte tradition juridique, les limites d’application des traités européens sur le territoire du Bund.

La France n’ayant le frein ni de l’instinct démocratique anglais, ni du juridisme germanique, a ouvert librement ses écluses à toutes les formes d’emballement idéologique.

A la logique des idées générales – et qu'est l’idéologie  sinon des idées générales devenues folles ?  - nous avons opposé la logique des intérêts, dans ce qu’ils ont de plus prosaïque.  Cette logique a plusieurs vertus. D’abord, elle seule   est conforme à ce qui  est  tenu  dans les grandes traditions morales comme  le devoir   fondamental des  élites politiques :  défendre les intérêts de leur  peuple, spécialement de ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes  – et non de  participer à  la réalisation d'idéaux désincarnés.  La gauche d’inspiration marxiste a longtemps tenu pour  insignifiant ce devoir, considérant que les classes dirigeantes défendaient seulement leurs intérêts de classe ;  ceux qu’a imprégnés  cette conception cynique, croyant basculer à gauche, se sont lancés  à la poursuite d’utopies transnationales . Un pôle opposé ?  Pas  forcément, dans la mesure où ces utopies servent généralement mieux que tout  aujourd’hui les intérêts des dominants.

La logique des intérêts, qu’ils soient nationaux ou européens, a une autre vertu : elle se prête  mieux que les idées générales  à l’autolimitation, à la négociation, au compromis. La plupart du temps cette logique conduit à penser qu’un bon compromis vaut mieux qu'une mauvaise guerre.

Opposant  la logique des intérêts à l’idéologie, on pourrait aussi bien opposer les nations et les Empires. Si les Etats-nations donnent généralement la  préférence à la défense  de leurs intérêts propres,  les Empires,  surtout quand ils sont hétérogènes, comme les anciens empires  coloniaux ou le monde soviétique tendent à superposer par commodité   un système idéologique  à une pléiade d’Etats dont  les intérêts ou les sensibilités sont  différents. L’idéologie intervient comme l’élément fédérateur par excellence au sein des empires multinationaux.  Quoi de plus facile, face aux  intérêts multiples des uns et des autres, se s’accrocher à deux ou trois idées fortes et simples ?  Et quoi de plus fédérateur que les « belles idées » ? La construction européenne, que Barroso a justement décrite comme un « Empire non impérial »  n’échappe pas à cette tentation.

L’Europe, telle qu’elle se construit, est-elle   condamnée  à y succomber ?

Il faut espérer que non car, nous l’avons suggéré, si les intérêts peuvent composer, les idéologies, elles, en sont incapables et  conduisent à la guerre. 

 

Propositions pour une nouvelle diplomatie européenne

 

Un motif d’espérer : à mesure que l’Europe voit s’affaiblir tant son poids économique que son influence dans le monde, elle découvre, mieux que jadis,   l’existence d’   intérêts communs.

Et on cherche en vain sur quel sujet  il y aurait des divergences majeures au sein de l’Europe quant aux relations qu’elle doit entretenir avec le monde extérieur.

En matière d’économie internationale, l’Europe est  menacée dans sa globalité par la politique de dumping monétaire de la Chine. Même si à court et moyen  terme l’Allemagne l’est moins  que les autres, il n’en  sera pas de même quand les Chinois viendront concurrencer ses machines-outils. Et, à cet égard, nous l’avons dit, les intérêts de l’Europe ne sont pas différents de ceux des Etats-Unis.

En matière de géopolitique européenne, l’Europe occidentale a intérêt à développer des relations de  bon voisinage et de coopération avec la Russie qui n’ambitionne à cette heure d’influencer directement, comme toutes les grandes puissances   s’en sont toujours arrogé le droit, que son étranger proche,   composé de   peuples étroitement liés à elle par l’histoire. N’ayant plus de projet de conquête idéologique  ou de désir de reconquérir son influence sur les pays de l'Europe centrale, hors URSS,  (auquel cas, il faudrait l’arrêter),   elle ne saurait être tenue pour ennemie. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faille rester vigilant, au moins à moyen terme,  ou s’efforcer d’échapper à  la dépendance énergétique  à son égard.

L’Europe  ne saurait être cependant moins vigilante à demeurer indépendante des Etats-Unis même si ses intérêts convergent avec les nôtres sur beaucoup de problèmes internationaux.

De larges convergences existent aussi  à préserver la paix autour de la Méditerranée et au Proche-Orient.  Comment y parvenir sinon en observant un principe  de modération qui est à l’opposé de toutes les idéologies ?

L’Afrique sub-saharienne est le théâtre, à la fois de graves menaces pour  sa sécurité, comme l’a montré la crise malienne, mais encore de tentatives de pénétration de puissances extérieures comme la Chine. Pour contrer ces menaces, existe-t-il vraiment des divergences entre Européens ?  Qu’ils laissent la France aller seule à la  manœuvre au Mali ou en Centrafrique, cela vaut peut-être mieux que  de complexes et inefficaces opérations multinationales. Mais  notre pays devrait pouvoir compter sur une solidarité financière claire !

Même convergence  sur  des questions qui concernent tous les pays d’Europe et leur étranger proche comme l’immigration.

Ces intérêts recoupent d’autres sujets, n’ayant pas de caractère diplomatique où  notre destin n’en est pas moins commun  mais qu’ignorent totalement les instances bruxelloises,   comme la démographie.

A partir de ce constat d’une large convergence d’intérêts entre les pays qui composent aujourd’hui  l’Europe des 27, quelles  propositions ?

Même s’il est coûteux  et superflu, le dispositif diplomatique européen que l’on vient de mettre en place ne saurait être une question en soi ; comme tout instrument, il ne vaut que par les impulsions qu’il reçoit. Il pourrait même être heureusement complété par un ou plusieurs think tanks destinés à déterminer, entre Européens, les véritables  intérêts communs  à notre continent ; pourquoi ne pas  fonder une académie diplomatique européenne ?   De telles institutions  ne se soucieraient pas seulement d’approfondir les convergences mais aussi de résorber les divergences entre les composantes de l’Union européenne.

Dès lors   que l’intérêt commun aux Européens serait statutairement  placé au centre des  discussions, il y a des chances qu’un sain réalisme remplacera le moralisme dérisoire ou l’exaltation idéaliste  dangereuse qui font   aujourd’hui le fond de la diplomatie européenne.

De même que l’économie mondiale  (où elle est toujours le premier bloc importateur)  a besoin  d’une Europe prospère, le monde  a besoin, en matière politique,  d’une voix européenne crédible et raisonnée. Une Europe forte, ce n’est pas une Europe qui donne des leçons  à la terre entière,  c’est  une Europe, qui, riche de son histoire,  de sa longue expérience, de sa culture, parle « avec autorité », et donc sérieusement.  Hors de la défense de ses intérêts personne n’est sérieux.

Nous devons souhaiter une  Europe qui sache définir ses intérêts communs, qui les exprime et qui les soutienne.  Et si ces intérêts sont exprimés de manière raisonnable  (donc  sans idéologie),   ils seront,    n‘en doutons pas, pris en compte, pour le  plus grand bien de l’Europe et   monde,  et par là de la paix. Est-il nécessaire de dire que nous sommes, à cette heure, loin du compte ?

 

Roland HUREAUX

  

 

Entretien - Bild 16 mai 2014

Une fédération est composée d’entités fédérées que nous appelons de premier rang. Ces entités peuvent à leur tour fédérer des entités que nous appelons de second rang.  Cf. Roland Hureaux, La sacralisation des frontières, Commentaire, hiver 1997-1998

Paul Kagan, La puissance et  la faiblesse, 1980

Zbigniew Brzeziński, Le grand échiquier, 1997 . 

Les Etats-Unis qui conduisent des expériences pharmaceutiques dans la population du Guatemala, moins que quiconque. 

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:05

 

Dans le cadre de la réforme territoriale, le département semble tout à coup  épargné.

On a compris que la raison principale en était le souci de maintenir Jean-Michel Baylet , président du Conseil général du Tarn-et Garonne et le Parti  radical de gauche dans une majorité qui s'effrite  chaque jour." Politique d'abord"  aurait dit Maurras,  grand pourfendeur du département. Et même politique politicienne !

Preuve que l'institution a la vie dure : elle avait déjà échappé en 1981  aux fureurs socialistes , déjà adeptes  de la région, tenue, on se demande pourquoi , pour plus moderne, cela  parce que   François Mitterrand,  Gaston Deferre et  quelques uns de leurs amis  influents , tel  Maurice Faure,  étaient restés discrètement départementalistes.   

Peut-être François Hollande, ancien président du Conseil général de la Corrèze aura-t-il  suivi la même pente.

L'irruption imprévue du  vieux féodalisme radical  dans un processus supposé modernisateur passera difficilement pour une bonne raison de maintenir le département.

Et pourtant ces bonnes raisons ne manquent pas.

La première est que,  contrairement à ce que l'on raconte, il  n'y a pas dans  le reste de l'Europe moins  d 'échelons territoriaux qu'en France.  Faute d'être allé voir ou de savoir compter jusqu'à quatre, nos élites   dénoncent mécaniquement le "mille feuille français". De même qu'elle ne se sont pas avisées que nos régions n'étaient  pas plus petites que celles des autres pays. Si nous avons, par rapport à certains pays, pas tous, un échelon de plus,  ce n'est que depuis le  dédoublement de la commune et de la communauté de communes, issu de la loi Joxe de 1992 , une loi qui n'est  vraiment entrée en application que depuis  quinze ans. Avant de simplifier, il aurait fallu ne pas commencer par compliquer !

La deuxième raison, corollaire de la première est que tous les pays ont un échelon élu de la taille approximative de notre département, qu'il  s'agisse de la province ( Espagne, Italie, Belgique), du kreis (Allemagne), du comté et  du bourg (Angleterre). Certains länder allemands comme ont même en plus   le bezirk  ! 

La troisième est que si on supprime le département, que fera-t-on de  ses  attributions  principales : l'aide sociale,  le réseau routier ou  les transports scolaires  ?  A  coup sûr le transfert de compétences qui en résultera aboutira à compliquer les circuits  et alourdir  les coûts. Le  niveau administratif départemental demeurera  techniquement  nécessaire, pour la gestion des routes par exemple,  mais avec un contrôle politique plus lointain. Ajouté au fait , trop ignoré, qu'  en matière de gestion publique, plus la dimension des unités s'accroît, plus les frais généraux augmentent, il ne fait aucun doute que la nouvelle architecture  coûtera  plus cher que la présente.

Mais la raison principale de garder le département est que la population y est attachée . Or de  celle là   tout  le monde se  fiche. Témoin,  le seul territoire où il lui  a été demandé, par référendum  de dire  ce quelle en pensait, le 7 avril 2013, la suppression du département  n'a été approuvée que par  20 % des électeurs seulement ( avec 65 % d'abstentions ). Le Haut-Rhin, premier   concerné,  a  voté majoritairement non.      Tous les états-majors des grands  partis, tous les sondeurs,  tout l'establishment  national et local étaient persuadés que les Alsaciens voteraient oui.  Ce fut l'inverse.   Et pourtant  la région Alsace ne comportait que deux départements !  "Un signe fort " pour Le Monde, "un échec cinglant pour la classe politique" pour L'Humanité. Comme les Corses ou les Antillais, les Alsaciens ont refusé un schéma institutionnel qui semblait aller de soi  pour une grande partie des dirigeants.  

Or ce  fait massif est immédiatement passé aux oubliettes, il a été selon le vocabulaire de la psychanalyse, refoulé   parce que contraire à la  doxa de l'élite. Gauche et droite confondues ont continué à projeter , comme si ce référendum  n'avait pas eu lieu,   la suppression du département. 

Et  gageons que Baylet n'a remporté qu'une victoire provisoire. Deux pas en avant, un pas en arrière disent, après Lénine,  tous les idéologues.   Tout laisse penser que,  malgré toutes les bonnes raisons de le maintenir,   la machine infernale visant à broyer le département  se remettra en marche  à la première occasion. Envers et contre tant le bon sens  que la volonté  populaire  qui vont généralement de pair.

 

                                               Roland HUREAUX  

 

 

 

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:04

Paru dans Figaro Vox


       Quels mots employer  pour exprimer  l'horreur qu' inspirent les événements du Nord de l'Irak: d'abord  cette irruption d'un pseudo-khalifat dont la barbarie semble nous ramener au premier millénaire mais qui est en réalité bien pire ? Les premiers khalifes se contentaient de taxer  les minorités juives et chrétiennes, ils  ne les massacraient qu'exceptionnellement : dhimmi, après tout , signifie protégé ,  

Ensuite le  sort des chrétiens d'Irak  (et d'autres minorités ) massacrés (combien l'ont été ? On ne sait), en fuite ou en péril. Il devrait émouvoir d'autant plus les  Français qu'en droit  international,  les chrétiens de  l'Empire ottoman avaient le statut non point d'étrangers, mais de protégés français : par quelle aberration, le gouvernement français est-il dès lors le moins accueillant des gouvernements  européens  ?

Mais le plus extravagant  est que les armes dont se servent les soldats de ce nouveau djihad, du soi-disant  Etat islamique en Irak et au  Levant  sont les mêmes que nous leur avons vendues au cours des derniers mois, que nos services spéciaux leur ont  appris à utiliser . Et ce sont les armes de l'arsenal de Khadafi  que nous avons permis aux islamistes de tout poil , à commencer par  ceux du  Mali,  de se partager. Ces trafics ne nous ont jamais dissuadés de considérer les principaux payeurs, Arabie saoudite, Qatar , comme des amis.

Aussi stupéfiant:  ce qui se produit au Nord de l'Irak n'est nullement  une surprise puisque cela serait arrivé un peu plus tôt en Syrie si le projet d'aider directement  au renversement du  président Assad  avait abouti.

Nous avions déjà l'expérience de l'Afghanistan, du Mali et d'autres pour voir que les  djihadistes , loin de nous savoir gré de notre soutien, se précipitent, dès qu'ils en ont l'occasion,  pour brandir leurs armes contre l'Occident. Témoin la décapitation de deux journalistes américains et d'un humanitaire anglais   par l'EIIL.

Même  le roi d'Arabie doit trouver amer que ses ex-protégés   revendiquent  le khalifat  dont il considérait être , de facto, l'héritier.   

Or,  après de telles déconvenues,  c'est apparemment  sans le moindre trouble de conscience  que le département d'Etat qui avait mis sur pied une coalition occidentale  contre les talibans en Afghanistan et  contre Saddam Hussein en Irak,  puis tenté d'en monter une autre contre Assad en Syrie, s'évertue d' en mettre  en place une nouvelle    aujourd'hui  contre les islamistes qu'ils avaient jusque là aidés. Une coalition qui pourrait même comprendre l' Iran ,  archi-diabolisé jusqu'ici.   

Confondu par tant d'inconséquence, on en cherche la cause.

La première qui vient à l'esprit est l'incompétence. On en a déjà eu de nombreuses  preuves dans cette région. Qui pouvait douter que , la "démocratie " rétablie en Irak, les chiites, évidemment alliés de l' Iran,  prendraient  immédiatement  le pouvoir par la force du nombre   ? Qui pouvait douter que le licenciement  de l'armée de Saddam, avec ses  armes  et sans solde , conjugué avec la mise à l'écart systématique des cadres baasistes, n'entretienne un long   désordre dans  ce pays ?   Qui pouvait imaginer que le rétablissement  de la démocratie en Egypte  amènerait au pouvoir quelqu'un d'autre que les Frères musulmans

Mais l'incompétence est largement partagée: c'est ainsi que Helmut Schmidt met gravement en cause celle de la commission européenne    qui a , selon lui,   "une part de responsabilité dans l'aggravation de la crise ukrainienne" et   il   s'emporte  contre les   bureaucrates   qui "comprennent trop peu la politique étrangère". Bruxelles, dit-il,  "se mêle trop de politique étrangère, alors que la plupart des commissaires européens la comprennent à peine". L'ncien chancelier va  jusqu'à  évoquer le risque d' une   troisième Guerre mondiale.

Comment ne pas être frappé de la distance entre l'immense capacité technique des grandes puissances, singulièrement les Etats-Unis, et leur incapacité à se fixer des buts de guerre  cohérents, pire,  à percevoir leurs vrais intérêts.

Mais peut-être  ces buts de guerre étaient-ils plus subtils que ce que l'on dit ?  Au grés de certains aurait été appliquée au   Proche-Orient :la  théorie du chaos:  la suprématie américaine et la sécurité d'Israël  seraient  mieux assurés si tous les Etats de la région , spécialement eux où il avait encore une charpente   comme les dictatures nationalistes , sombraient  dans des rivalités tribales .

S'il est vrai que l'histoire de la région au cours des dernières années n'exclut pas,  bien que nous ne  soyons  sûrs de rien,   qu'une telle  entreprise ait été poursuivie,    nous  voyons  aujourd'hui avec l'EIIL  le monstre qu'elle a  fabriqué.: Fankenstein ou le golem, au choix.

Au moment où une écrasante supériorité technique des  Etats-Unis et d' Israël leur permet de mener  ( sauf en Afghanistan)    une guerre presse-boutons  ( n'est-ce pas ainsi que  s'est effectué le bombardement de Gaza?) , permettre à certaines factions de leur périphérie de se livrer  à une guerre permanente , une vraie guerre de terrain pour le coup , c' est courir le risque de trouver un jour face à soi ces factions surentrainées.    

C'est ce qui s'est passé au Liban: nous ne savons  pas qui a alimenté  la  longue guerre civile qui a divisé  ce pays, mais il en est émergé au bot du compte ,  par une sorte de sélection naturelle, le Hezbollah dont la force ne tient pas seulement au soutien de l'Iran mais aussi à son  surentrainement . Tsahal en a fait l'expérience. L'armée d'Assad n'était pas flambante avant la présente guerre civile;   Si elle la gagne ,elle en sortira singulièrement   sortira renforcée. Et naturellement l'Etat islamique   en Irak et au Levant n'est autre que   la conjugaison de ces forces  surentrainées sur différents  champs de bataille que nous avons aidées au cours des dernières années .

Il   faut bien sûr   une intervention musclée pour détruire cette entité barbare.  Et il faut aussi que la France, n'oubliant pas  son rôle traditionnel de protection des chrétiens d'Orient , y occupe une place de premier plan.

Il n'y a certes pas  là les prémisses d'un embrasement mondial . Nous   ne sommes plus au VIIe siècle: l'exaltation religieuse ne tiendra pas longtemps devant  la supériorité technique .

Mais il faut aussi que certains  stratèges en chambre , aussi cyniques qu'ignorants du passé cessent d'imaginer qu'on peut  impunément semer le vent sans récolter la tempête.

 

                                                           Roland HUREAUX

 

 

 

Entretien - Bild 16 mai 2014 

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