Si les questions démographiques vous intéressent, je vous signale que mon livre (préface de Jacques Dupâquier) , vieux de quelques anées mais dont les grandes tendances sont toujours d'actualité est toujours disponible.
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On ne peut que se réjouir d’apprendre qu’un prisonnier – ou une prisonnière - quels qu’ils soient, est libéré.
Particulièrement d’une prisonnière française dans une prison étrangère.
Florence Cassez comme une autre.
Mais on peut aussi avoir honte de voir la manière dont se comporte le gouvernement français à son égard : la prisonnière EST accueillie à Roissy en grande pompe par le ministre des affaires étrangères et reçue à l’Elysée avec du champagne (bon prétexte pour abréger l’audience de La Manif pour tous ! ) comme s’il s’agissait d’une héroïne dont la France eut à se montrer fière.
N’accablons certes pas l’intéressée qui a déjà payé de sept ans de prison, ce qui est beaucoup, et qui sans doute n’en demandait pas tant.
Mais ne la confondons pas, comme on tend à nous y induire de manière subliminale, avec une militante politique en résistance contre un régime injustement oppressif.
Même si sa condamnation initiale à 60 ans de prison était excessive, voire absurde, elle reste une condamnée de droit commun dans un pays qui n’a fait qu’appliquer son code pénal, imité de celui des Etats-Unis.
Certes l’amour a ses raisons et même son mystère : subjuguée comme il arrive qu’une femme (et même un homme ) le soit par un « bandido » à la virilité latine , sorti des fils de Sergio Leone, spécialisé dans les enlèvements contre rançon, elle a , selon des témoignages concordants , prêté à l’occasion main forte à la garde des victimes , sans prendre cependant l’initiative de ces enlèvements, ni tuer personne.
Rien de tout cela ne méritait les honneurs de la République.
A vrai dire ces honneurs nous laisseraient plutôt indifférents, comme un simple cas de sensiblerie démagogique propre à notre temps, s’ils n’étaient ressenti comme une insulte par le Mexique, un peuple de 115 millions d’habitants , que ces pratiques criminelles excèdent et qui était à 80 % opposé à cette libération, obtenue seulement pour vice de procédure , non sur le fond.
Le mépris avec lequel a été traité dans toute cette affaire le peuple mexicain, - et cela vaut autant de Sarkozy dont les gesticulations bruyantes avaient retardé la solution du problème - que de Hollande, a quelque chose d’odieux.
Comme si ce pays n’était pas un vieil ami de la France, un de ceux où notre image est restée bonne (malgré l’équipée de Napoléon III, inspirée de la de la même veine irresponsable que celle que nous voyons à l’oeuvre aujourd’hui ) .
Comme si le Mexique était une dictature : certes ce pays est ravagé par la corruption, la criminalité ( notamment celle dont Florence Cassez a été complice, les enlèvements de personnalités ) , mais les dirigeants y sont élus selon une procédure démocratique classique, la droite y alterne avec la gauche . Si corruption il y a, n’est-ce pas l’ancien chef d’Etat français qui est allé résider là-bas chez un milliardaire à la fortune douteuse - comme si seule la désinvolture était de mise dès qu’il s’agit du Mexique ?
On agit surtout en perdant de vue qu’il est une des grandes puissances émergentes, non loin de l’Inde et du Brésil . Se la mettre à dos pour une affaire aussi frivole relève d’une diplomatie à la Marie-Chantal, indigne d’un grand pays comme la France. Nous ne parlons pas des efforts pour faire libérer une ressortissante française, qui sont dans l’ordre diplomatique normal, mais des honneurs manifestement excessifs dont elle a été l’objet à son retour et qui, le président doit le savoir, révulsent non seulement les Mexicains mais aussi beaucoup plus de Français qu’il ne croit.
Roland HUREAUX
L’opinion dominante est que, cinquante ans après la signature du traité franco-allemand d’amitié et de coopération par De Gaulle et Adenauer, la relation franco-allemande n’est plus ce qu’elle était. Les sommets européens à répétition où s’affichent des divergences continues entre les gouvernements des deux pays sur les moyens de sauver l’euro alimentent l’idée qu’il y aurait quelque chose de cassé dans cette relation privilégiée. En France, se répand aussi le sentiment que désormais l’Allemagne impose son point de vue, qu’entre les deux partenaires, la partie ne serait plus égale.
Ceux qui défendent cette position se situent dans la cadre d’une vision classique de la politique où chaque pays défendrait son intérêt.
C’est ainsi que les choses se passaient en effet dans les trente premières années qui ont suivi le traité. Partant de postulats communs : marché commun, prix agricoles uniques etc., les deux pays (et les autres) négociaient chaque année le compromis le plus favorable possible à leurs intérêts réels, sans que l’un impose pleinement son point de vue. Lié aux prix agricoles était le réajustement occasionnel, généralement concerté, des parités entre le franc, le mark et les autres monnaies. Cette pratique a permis, pendant plusieurs décennies, une croissance continue et équilibrée des deux économies.
L’euro : une nouvelle donne
L’euro a changé la donne.
L’instauration d’une monnaie commune entre les deux pays - et quinze autres, semble représenter un progrès décisif de la coopération. L’euro est pourtant aujourd’hui la principale pomme de discorde entre les deux pays. Il change en tous les cas la nature de leurs rapports, laquelle n’a plus rien à voir avec celui d’une négociation classique.
On entend dire en France que l’euro profite davantage à l’Allemagne qu’à la France. Géré aussi strictement que l’était le mark, il permet en effet à l’Allemagne de bénéficier d’une compétitivité accrue qui lui confère des balances positives vis-à-vis de tous ses partenaires, y compris la France. Pourtant le gouvernement français (Hollande aussi bien que Sarkozy) n’est pas moins attaché que le gouvernement allemand à la survie de l’euro. Et l’industrie allemande n’est pas moins sensible au déficit de compétitivité vis-à-vis du reste du monde entrainé par la manière dont l’euro est géré. Les deux pays sont touchés, chacun à son niveau, par la désindustrialisation sans que cela vienne jamais en discussion dans les sommets européens.
La divergence principale porte sur les moyens de sauver l’euro, dont on ne sait pas en définitive s’il profite à l’un et l’autre pays. Mais là encore il serait vain de considérer que chacun défend son « bifteck ».
Mario Draghi, l’actuel gouverneur de la BCE, l’a compris et en tire peu à peu les conséquences : après douze ans de gestion relâchée de leurs finances publiques et de leurs coûts de production par la plupart des pays de la zone euro, France comprise, l’expérience de la monnaie commune ne peut être prolongée que par un recours de plus en plus large à la création monétaire et donc à l’inflation.
Un jeu de rôles plus qu’une négociation
Il en résulte un jeu de rôles diplomatique que l’on aurait tort de confondre avec un débat de fond ou une négociation d’ d’intérêts.
Face à l’ option « laxiste », la seule supportable par tous, ( qui prend en France la forme d’un plaidoyer pour la relance , laquelle, quoi qu’on fasse, est l’opposé de la rigueur ), le gouvernement français a une attitude positive. Le gouvernement allemand, tout aussi désireux de sauver l’euro mais tenu par une opinion intérieure à qui toute forme d’inflation fait horreur, résiste chaque fois… jusqu’au point où il est obligé de céder, non as aux pressions de ses partenaires mais aux exigences de sauvetage du système. Il obtient certes par sa résistance des engagements de vertu de la part des pays latins mais on sait qu’ils ne seront guère tenus et surtout qu’ils ne suffiront de toutes les façons pas à sauver l’euro. Ces engagements donnent à croire que l’Allemagne impose son point de vue, mais c’est largement illusoire et, même si c’était le cas, elle défendrait alors moins son intérêt qu’elle ne donnerait satisfaction à son opinion publique.
Ainsi les efforts de l’un et de l’autre pays se conjuguent, dans un climat conflictuel, pour maintenir un système qui n’est dans l’intérêt ni de l’un ni de l’autre. Histoire de fous. L’un prêche la relance, l’autre la rigueur. Il est probable qu’ils n’auront ni l’un ni l’autre. Mais chacun aura tenu vis à vis de ses électeurs le rôle qu’ils attendaient.
Alors que depuis cinquante ans, le taux « naturel » d’inflation, une donnée forte conditionnée par l’histoire et la sociologie de chaque pays, divergeaient entre la France et l’Allemagne ( mais moins qu’entre bien d’autres pays), il était vain d’attendre qu’ils convergeraient en dix ans d’expérience de la monnaie commune. Chaque mois qui passe éloigne les économies européennes les unes des autres, la française et l’ allemande compris, jusqu’à ce que l’option d’un ajustement des parités et donc d’une remise en cause de l’euro soit ouverte.
Loin de représenter la fin de la coopération franco-allemande, la rupture de l’euro pourrait au contraire la relancer sur des bases assainies : non plus une gesticulation pour sauver un mythe, mais une recherche concertée de l’intérêt commun réel , ce qui passe notamment par des échanges équilibrés entre les deux partenaires, la préservation de leur potentiel agricole et industriel (ou ce qu’il en reste ! ), une coopération monétaire minimale, dans les limites du réalisme. Les intérêts communs entre la France et l’Allemagne étant largement plus importants que leurs divergences, l’amitié entre les deux pays en sortirait consolidée.
Roland HUREAUX
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Lors du dernier Congrès des maires de France, le président de la République a concédé, du bout des lèvres il est vrai, que le droit à l’objection de conscience pourrait être reconnu aux maires qui ne voudront pas célébrer de mariage homosexuel, comme c’est le cas de beaucoup.
Il est d’ailleurs bon qu’il s’y prépare : les maires de la Martinique, presque tous socialistes, ont, dès le mois de septembre, déclaré à l’unanimité, sans que personne les rappelle à l’ordre, qu’ils ne célébreraient pas ce genre de cérémonie.
Même si le président s’est depuis ravisé, signe de son embarras (ou de son double jeu), le dilemme est là. Si la loi est votée, il faudra, soit permettre une partie des élus, voire à des fonctionnaires, de s’en exonérer, soit forcer les consciences comme on ne le fait généralement que dans les pays totalitaires.
Dès lors que certains représentants de l’autorité publique peuvent dire avec quelque légitimité : la loi est la loi, certes, mais cette loi, je ne l‘appliquerai pas parce qu’elle me parait immorale ou absurde, c’est tout l’ordre juridique d’un pays qui se trouve mis en cause.
Ainsi apparait une condition fondamentale de l’ordre législatif et réglementaire : il ne suffit pas que les lois votées aient le sceau d’une majorité démocratique pour s’ imposer, il faut aussi qu’elles ne soient pas évidemment contraires à la raison, au bon sens et pourquoi ne pas le dire, à la nature.
La nature, en matière juridique est aujourd’hui un gros mot. Précisément à cause des débats sociétaux, l’idée d’un droit naturel a été rejetée par les facultés dans les ténèbres de obscurantisme, au nom du positivisme juridique : seule le droit positif importe, interdisant toute objection de conscience puisque, dans la perspective positiviste, il n’y a rien au-delà du droit réel à quoi on puisse se référer.
Paradoxe : l’idée d’un droit naturel est écartée au moment où les droits de l’homme, pour lesquels on entreprend des guerres de plus en plus sanglantes aux quatre coins du monde, n’ont jamais été mis aussi en valeur. La théorie de l’ingérence humanitaire les place même, dans l’ordre juridique, avant le droit international positif. Ces droits, tels que les définit la déclaration du 26 août 1789, sont pourtant déclarés « naturels et imprescriptibles ».
Pour la mentalité contemporaine, il ne saurait y avoir de « devoirs naturels », seulement des droits Pourtant le droit de Pierre est-il autre chose que le devoir de Paul ?
C’est dire qu’il n’est pas facile d’évacuer de l’ordre juridique la notion de nature. Il est inutile de dire combien l’idée d’un « mariage » entre homosexuels ou encore davantage d’un droit d’adoption à eux conférés, lui parait contraire, au regard de la conscience commune.
Il existe un contrôle de constitutionnalité mais pas encore un contrôle de cet ordre méta-constitutionnel qui est celui du bons sens. Ce qui ne veut pas dire que les décisions qui lui seraient contraires n’encourent aucune sanction. Dès lors qu’une partie de la législation parait contraire à cet ordre implicite, objection de conscience ou pas, c’est tout l’ordre juridique qui se trouve ébranlé. Si certaines lois inspirent l’irrespect, l’habitude du mépris se répandra au-delà et nous nous trouverons bien vite non seulement sans foi mais sans loi.
Le projet de « mariage pour tous » ne révolutionne pas seulement le Code civil, il prépare une subversion de l’Etat de droit lui-même.
Roland HUREAUX
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Publié par Atlantico
Il est si rare que les tenants de la pensée dominante (pour ne pas dire unique) prennent la peine d’argumenter face à ceux qui la remettent en cause que je ne saurais laisser sans réplique le commentaire que fait le philosophe Eric Deschavanne de l’un de mes articles sur la mariage homosexuel dans Atlantico (http://www.atlantico.fr/decryptage/reponse-roland-hureaux-sept-chantages-adversaires-mariage-homosexuel-eric-deschavanne-570408.html), même si plusieurs de ses arguments ne visent pas spécialement les miens.
Je ne peux que souscrire à son rejet du chantage à l’homophobie : encore heureux qu’on puisse, au pays des Lumières, raisonner sur les lois sans être le « phobe » de quelqu’un !
A l’appui de ce projet de loi, en revanche, la liberté, l'égalité, la laïcité et l'amour sont, pour lui, des arguments recevables. Oui, à condition de ne pas s’en réserver le monopole (ce qui serait d’autant plus dangereux qu’il s’agit de notions chaudes et généreuses) et de voir que, pris un à un, ils peuvent conduire à la conclusion inverse, ce que je m’étais attaché à montrer.
Le premier argument porte sur l’idée d’un ordre naturel et d’un droit naturel, et donc de quelque chose comme une « nature humaine », ce que ’Edgar Morin appelait le « paradigme perdu ».
Cette idée, incontestée jadis, non seulement au XIIIe siècle mais aussi au XIXe et même une partie du XXe, a fait l’objet récemment d’un puissant travail de sape au sein des facultés de droit au point qu’un jeune doctorant qui s’y référerait verrait sa carrière compromise. La seule posture politiquement correcte est le positivisme juridique, selon lequel la loi est la loi et aucune autorité ne saurait en relativiser la portée. Etonnante aberration puisque le positivisme juridique, qui ne le voit ? Aurait justifié les pires aberrations totalitaires du XXe siècle. Etonnant paradoxe car, au moment même où le droit naturel se trouve disqualifié, les droits de l’homme, tenus pour un absolu au-dessus des contingences culturelles ou historiques (et même aujourd’hui du droit international positif !) se trouvent sacralisés sans que la contradiction frappe quiconque. Comment défendre les droits de l’homme s’ils ne sont pas « naturels et imprescriptibles » et donc s’ils ne font pas partie d’une forme de droit naturel ?
Doit naturel, nature humaine ? Il n’est pas nécessaire de se référer à la scolastique pour affirmer l’existence de celle-ci : les progrès de la génétique montrent que le génome humain constitue à 99 % et plus un patrimoine commun des hommes et des femmes depuis au moins 50 000 ans : celui de l’homme de Cro-Magnon n’est guère différent du nôtre. Si un tel fond commun existe en matière génétique pourquoi n’existerait-il pas en matière sociale ? Lévi-Strauss lui-même dit que si les systèmes de parenté varient d’une culture à l’autre, l’interdit de l’inceste demeure une constante anthropologique. Face aux idéologues qui en nient le principe, on peut dire de la nature humaine ce que Galilée disait de la terre « E pur si muove ! ».
Est-ce à dire que cette nature sature le déterminisme à 100 %, qu’elle serait une contrainte qui ne laisserait au législateur, démocratique ou pas qu’importe, aucune flexibilité. Non, sans doute, cette flexibilité existe, mais dans une certaine mesure seulement. C’est le propre des régimes idéologiques de prétendre s’affranchir totalement de la nature : de la propriété et du marché par exemple en voulant à terme, abolir l’instinct de propriété tenu pour une donnée culturelle – comme les théoriciens du genre tiennent le masculin et le féminin pour relatifs. On a vu le résultat ! Les constantes anthropologiques, qui sont elles-mêmes parfois difficiles à définir, ce qui ne veut pas dire quelles n’existent pas, laissent sans doute la place à plusieurs systèmes juridiques mais pas à n’importe lesquels.
La nature et la tradition sont des héritages qui ne conditionnent sans doute pas complètement notre législation mais il faut y réfléchir à deux fois avant de les mettre au panier.
Nous parlons de constantes anthropologiques ; le lien entre la sexualité et la procréation, lui, est une donnée bien antérieure à l’homme : la reproduction sexuée, sans doute la merveille de l’Univers, existe depuis un milliard d’années !
Un père, une mère, un enfant ; nous voilà introduits dans l’ordre symbolique tel que Freud, puis Lacan et d’autres l’ont mis au jour. S’il ouvre la possibilité d’une myriade d’histoires personnelles, s’il peut connaître des variations collectives d’une culture à l’autre, cet ordre repose cependant sur une réalité qui parait suffisamment constante pour qu’on puisse prétendre s’en jouer sans dégâts.
L’auteur prétend que la loi ne changerait quelque chose que pour une petite minorité. C’est ce qu’au minimum nous pouvions espérer. Mais le gouvernement en a décidé autrement : le projet de loi soumis au Parlement change la définition du mariage pour tous les couples, quels qu’ils soient, en gommant dans tous les Codes la différence père mère, pour la remplacer par l’expression indifférenciée de « parents ». Dans ce nouveau cadre juridique, le couple homme-femme devient, de fait, un cas particulier. C’est à cela qu’on voit qu’il ne s’agit nullement de satisfaire une revendication à caractère « social » mais bien de mettre en œuvre une idéologie, qui est l’idéologie du genre : la théorie du genre pose l’équivalence absolue de tous les couples quelle qu’en soit la composition et donc, ipso facto des sexes, si l’on suit le raisonnement mathématique suivant :
hxf = hxh = fxf donc, h= f , CQFD.
On aurait pu concevoir une loi composée d’un article étendant les droits des couples hommes/femmes aux autres couples. Mais c’est ce que les idéologues ont rendu impossible car une telle présentation, qui aurait gardé aux premiers un caractère normatif, eut été jugée discriminatoire.
Je ne me sens nullement concerné par la deuxième série d’arguments qui oppose un ordre naturel tenu pour moyenâgeux et celui qui résulte de la Révolution française. Il est évident que les droits de l’homme de 1789 se situent dans la continuité de la pensée thomiste (l’auteur qui fait le lien, Suarès, ridiculisé par Pascal, n’a jamais été traduit en français !). Voltaire et Rousseau, quant à eux, font constamment référence à une morale naturelle.
Le même schématisme inspire l’ensemble du paragraphe. L’auteur insinue que la « modernité » aurait instauré le divorce et le mariage d’amour contre l’Eglise : le divorce, soit, mais le mariage d’amour est défendu par l’Eglise catholique dès le XVIe siècle contre Luther, contre Calvin, contre Rabelais (Tiers Livre, chapitre XLVIII). et contre…le Parlement de Paris. Fénelon, après d’autres, réitère la condamnation ecclésiastique des mariages arrangés.
L’idéologie, marxiste, nazie, ultra libérale ou libertaire (ces deux dernières moins graves que les premières, on en convient, mais on n’en sera sûr qu’à la fin !) est une maladie plus récente que la Révolution, si l’on excepte la parenthèse de la Terreur qui a inspiré Lénine. On la comprendra mieux avec Arendt ou Orwell, qu’avec Bonald ou Maurras.
Or bien des caractères de l’idéologie se retrouvent dans l’idéologie du genre : des simplifications et des assimilations abusives, une disqualification du passé de type marcionien, la remise en cause radicale de la nature, la volonté de changer même le sens des mots, l’opposition radicale au sens commun, une intolérance aux résistances disqualifiées comme « rétrogrades ». L’idée d’un sens de l’histoire est si intrinsèque à la démarche idéologique que ceux qui la combattent sont toujours jugés « réactionnaires » : et pourtant, à court ou moyen terme, ils l’emportent toujours, comme le montre l’exemple des dissidents soviétiques, ce qui est bien normal puisque, au milieu de la folie collective, ils ont raison.
Situer la grande césure en 1789 permet de placer le projet dont nous parlons dans la continuité de la Révolution française et des Lumières, une façon de voir curieusement commune aux bonaldiens (type Civitas) et aux libertaires. Pourtant l’idée d’un mariage des homosexuels eut apparu comme une absurdité pour les hommes de 89 ou même de 93, qui prétendaient revenir à un ordre social naturel, biaisé, selon eux, par les sophistications de l’Ancien régime. Si tout ce qui a suivi les Lumières devait être rattaché à elles, il faudrait aussi leur rattacher le marquis de Sade et Joseph Staline. Les Lumières peuvent être prises parfois de folie, avoir leurs dérives ? Alors qui dit que le mariage unisexe n’en est pas une ?
Quant à l’idée que l’hétérosexualité demeurerait la norme si cette loi était votée, on veut bien le croire à la longue : le soviétisme n’a eu finalement raison ni de l’instinct de propriété ni du marché (ni du sentiment religieux !), mais sa première intention était bien de les abolir et, pour cela, de violenter la nature. On ne se console pas d’une loi contre-nature en se disant que la nature, à la fin des fins, lui résistera. Car toute loi a des effets, sinon sur les mœurs, du moins sur la culture. Et si cette loi est contre-nature, elle induira, comme toutes les idéologies une langue de bois. Si la loi dit que le roi est habillé alors qu’il est nu, il nous faudra le répéter après elle. Si elle nous dit que les mariages homme-femme et homme-homme sont équivalents, nous serons obligés de répéter cette contre-vérité. Nous avons l’exemple de la Suède où les livrets de famille portent Parent 1 et Parent 2 et non père et mère, où les enfants de maternelle sont subtilement culpabilisés de discriminer en parlant de leur papa ou de leur maman. Le mariage entre personnes du même sexe est une application aberrante du principe de non-discrimination : jusqu’à quel degré de folie conduira ce principe si on n’y met pas une borne ?
Dès lors qu’on admet que la loi peut aller contre le sens commun, ou la nature, Orwell n’est pas loin. Même si la norme sexuelle « commune » n’est pas changée, la langue s’en trouvera pervertie. Ce que nous craignons par-dessus tout, nous, les défenseurs éclairés du mariage homme/femme, c’est moins le déclin des mœurs, ou la perversion des lois, c’est en définitive l’aliénation de l’esprit !
Troisième série d’arguments : le risque de dérapage qui conduirait à la reconnaissance à terme de la polygamie, de la polyandrie, de l’inceste etc. L’auteur du texte illustre lui-même ce risque en évoquant la possibilité que soit un jour reconnu un « polyamour égalitaire » ! Le chiffre deux n’est donc pas sacré. Si on va jusqu’à trois, qui va juger que ce polyamaour sera encore « égalitaire » ? Faudra-t-il contrôler les alcôves ?
Le risque n’est pas celui d’une dérive des mœurs : ne soyons pas hypocrites, la polygamie et l’inceste existent déjà dans notre société et sans doute bien plus qu’au temps où l’Eglise enseignait qu’il s’agissait d’un péché mortel !
Le risque est celui d’une dérive de la loi elle-même.
Replaçons nous il y a quarante ans, en mai 68 : l’idée d’un mariage des homosexuels était alors si éloignée de notre horizon culturel qu’elle eut parue incongrue. Parce que l’idée de légaliser la polygamie (au nom de la différence culturelle ou du consentement des partenaires) peut nous paraitre aujourd’hui incongrue, qui dit qu’elle le sera demain ? Dès lors que la seule norme reconnue est l’ évolution des idées, le souci de « mettre le droit en conformité avec les mœurs », pourquoi le serait-elle dans dix ans, dans vingt ans ? Avec l’inceste, on touche sans doute un interdit plus profond, mais sans qu’il ait jamais été la norme de la société globale, il fut habituel de l’enfreindre, au moins entre frères et sœurs, dans les dynasties pharaoniques ou incas. Tout est donc envisageable.
Opposer à ces éventualités que « le droit démocratique est lui aussi par essence normatif » ou qu' « il existe une autorégulation de la société civile, laquelle n'a besoin ni de l'Etat ni de l'Eglise pour se garder de sombrer dans le relativisme. », c’est faire bien peu de cas de ces « ruptures épistémologiques » ou simplement culturelles qui peuvent advenir dans toute société. Que leur opposer si on a posé que la norme est tributaire de l’air du temps ? La démocratie ? Mais pour combien de temps si aucune norme transcendant les sociétés n’est reconnue ?
Il y a en effet un coté bisounours, comme le dit justement Eric Deschavanne dans l’argument qui consiste à dire : pourquoi n’auraient-ils pas le droit de se marier « puisque ils s’aiment » ? Nous n’entrons pas dans le débat sur la question de savoir si l‘amour homosexuel a la même structure (notamment par rapport aux paradigmes freudiens) que l’amour hétérosexuel. Nous laissons de côté la question religieuse. Le mariage religieux a, lui, à voir avec l’amour. C’est bien ce que l’Eglise prêche depuis quinze siècles à une société civile qui, longtemps, n’a pas voulu l’entendre.
Mais le mariage civil, héritier du mariage romain, a la froideur du marbre dont on fait les Marianne ou des articles du Code civil qu’on lit lors de la cérémonie. Comme toute institution républicaine, il est un régulateur. De quoi ? D’abord de la filiation bien évidement. Dès lors qu’on récuse la filiation homosexuelle, le mariage entre personnes du même sexe, amour ou pas, n’a pas lieu d’être. On pourrait, dira-t-on, interdire aussi le mariage des vieillards ! Il peut être, lui aussi, source d’abus, en particulier en matière successorale, nous en convenons, mais sur quelles norme objective le contrôlerait-on ?
Nous ne sommes pas pour autant dans le camp de ceux qui préfèrent les mariages arrangés. Mais si l’Eglise peut, à la rigueur, se mêler d’amour, l’Etat, lui n’a pas à le faire. Si le critère de la « mariabilité » était l’amour, pourquoi ne pas passer un examen dont les magistrats seraient juges ? Ce serait absurde, bien évidemment.
Droit de l’enfant et droit à l’enfant ? Il paraît assez monstrueux qu’on puisse contester, comme le fait notre contradicteur, que « le bonheur de l'enfant primât systématiquement sur la liberté de l'adulte de fonder une famille ». Mais qui s’en étonnerait de la part d’un disciple du grand philosophe Luc Ferry, partisan de l’adoption mais non du mariage homosexuels !
Sans doute bien des couples homme/femme ( puisqu’il faut préciser ce qui devrait être du domaine de la tautologie) présentent-ils un risque pour l’enfant , sans doute aussi les circonstances de la vie conduisent-elles trop souvent à des familles monoparentales , mais c’est une chose que cela résulte du jeu naturel des relations sociales, sans qu’aucune législation en ait disposé ainsi, c’en est une autre que le préjudice de l’ enfant ( et c’ en est un de ne pas être élevé par un père et une mère vivant ensemble !) soit organisé par la loi , même dans un nombre de cas limités.
Cela signifie que dans un champ précis, la loi reconnaitrait que l’homme (et même l’enfant) puisse être un moyen et non une fin, rompant ainsi avec la morale kantienne qui avait été la principale inspiratrice des pères de la laïcité.
Il ne saurait y avoir de « droit à l’enfant », même sous la forme d’un « droit de fonder une famille », expression atténuée mais qui revient au même. Il y a seulement un droit du couple à procréer quand il le peut, assorti du devoir d’élever l’enfant qui est issu de cette procréation (sauf placement par un juge).
Le nombre de cas concernés n’y fait rien. C’est tout un ordre philosophique et culturel qui se trouve rompu si on admet que l’enfant puisse être un droit. Sur le plan statistique, la peine de mort ne pesait guère, rapportée aux accidents de la route : son existence n’en changeait pas moins la nature de l’ordre social.
Quant à la GPA, elle est, à ma connaissance, interdite à tous les couples, pas seulement homosexuels, et c’est très bien ainsi. La PMA est une chose quand les gamètes sont issus d’un couple réel, ce qui est bien difficile pour un couple homosexuel ; elle n’est pas acceptable en revanche s’il est fait appel à un donneur anonyme , une pratique qui devrait être bannie, selon nous, pour tous les couples « sans discrimination ».
L’auteur de l’article s’en prend ensuite aux arguments tirés de la psychanalyse.
Il est étonnant que le savoir psychanalytique, tenu pour constitutif de la modernité pendant un siècle, se trouve aujourd’hui disqualifié, du simple fait qu’il contredit la revendication du mariage homosexuel.
« Le droit de la filiation, c'est le cœur de l'argument, aurait pour fonction essentielle de permettre une saine structuration psychique de l'enfant. »
Il est exagéré de dire que cette structuration est la fonction essentielle du droit de la filiation. Il en a bien d’autres, comme ce qui concerne le devoir de soutien et d’éducation, l’héritage, la capacité contributive etc. Mais il est vrai que cette structuration est un de ses effets. Oui, il y a un lien entre le droit, qui est formé de mots investis d’une forte autorité sociale et la psychologie, à commencer par celle des enfants.
Il est évidemment permis à tout chef de famille monoparentale de se faire accompagner dans la vie ou assister dans l’éducation par quelqu’un d’autre ( une grand-mère par exemple !) mais il serait mensonger de partager avec cet autre l’appellation parentale. Oui, le principe de précaution nous induit à refuser de donner une caution légale à une telle pratique.
La psychanalyse n’est pas une science d’Etat. Il n’y a pas de science d’Etat, il y a la science tout court. Que la psychanalyse soit conjecturale, comme toute science humaine, on veut bien. Mais si nous lui reconnaissons en l‘espèce une certaine autorité , c’est parce qu’elle rejoint le sens commun et, pourquoi ne pas le dire ? une tradition millénaire, ce qui ne saurait être pour nous, en soi, disqualifiant.
Nous en venons à la droite décomplexée : on sort là complètement de mon argumentation ; j’ai horreur de cette expression.
Tout en ayant montré que le projet de mariage unisexe n’est pas vraiment libéral, puisque il implique l’Etat dans la sexualité en tant que telle (et non par rapport à la procréation), ce qui n’est pas son rôle, je pense en effet que ce projet s’inscrit dans le courant dit libéral-libertaire (le libéralisme n’en étant pas à une contradiction près) et, à ce titre, il pourrait être aussi bien celui d’une certaine droite. Mais, pour la même raison, il pourrait aussi n’être pas celui de la gauche. Et même il devrait. Car cette idéologie a un but inavoué : la déconstruction systématique de tous les repères, étatiques, syndicaux, scolaires, linguistiques, culturels et donc familiaux qui permettent à un peuple d’être autre chose qu’une masse fongible d’individus désarmés. Emmanuel Todd a justement montré comment, dans les différentes régions françaises, la résistance du peuple aux élites tenait à la solidité de ses structures familiales. Les idéologues du genre ne cachent pas que le prétendu « mariage pour tous » n’est que le prélude à un « mariage pour personne », c’est-à-dire à la suppression de ces vestiges d’un passé « théologique » que sont à leur gré l’obligation de fidélité, le devoir d’assistance etc., soit la fin du mariage.
Que le parti socialiste n’ait plus d’autre projet significatif à porter aujourd’hui que le mariage unisexe est le signe de sa profonde dégénérescence idéologique, de son ralliement avec armes et bagages à un ultra-libéralisme de fait qui se trouve aux antipodes de ce qu’était le socialisme des origines.
Roland HUREAUX
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Publié par Atlantico
En consacrant pas moins de quatre articles à la Manif pour tous du 13 janvier, Marianne.fr a sans nul doute pris la mesure de l’événement.
Mais à lire ces articles, on devine que la rédaction du magazine a fait grise mine devant le succès de la manifestation.
Maurice Szafran, son directeur, donne la ligne éditoriale sur un ton apparemment bienveillant. Cette manifestation, dit-il, a été impressionnante. Elle comprenait, relève-t-il, surtout des catholiques et des gens de droite (c’est vrai, même si le vice-président du Consistoire israélite et quelques imams étaient à la tribune !). François Hollande doit en tenir compte. En changeant ses projets ? Que non : en faisant un « travail pédagogique » à leur égard. Pédagogie, de παιδός, enfant : pour lui, ces gens-là sont de grands enfants. Pédagogie, éducation, rééducation : au moment où les Chinois parlent de fermer le laogai, ils ont peut-être des « éducateurs » à recycler ? Idée. « Elle n’éprouve pas le moindre doute, cette part de France (les manifestants) ». Le directeur de Marianne non plus : ce sont les manifestants qu’il faut rééduquer, pas les promoteurs du projet. Il ne remet pas en cause ses certitudes, pire : il n’envisage même pas qu’on puisse les remettre en cause ; que l’on puisse tenir l’extension du mariage homosexuel pour une aberration anthropologique est une opinion qui , selon lui, mérite certes de la considération (François Hollande ferait bien d’ y être ouvert ) mais apparemment aucun respect intellectuel : ceux qui la partagent, « fermés sur eux-mêmes », sont à instruire, à apprivoiser, rien d’autre.
L’idée que le mariage puisse être institué entre deux personnes, quel qu’en soit le sexe, fait partie pour Maurice Szafran et les siens, de l’avenir radieux de l’humanité, des « hauteurs béantes » où le progrès nous conduit inéluctablement. Ceux qui n’ont pas encore compris comprendront sans doute si on le leur explique gentiment.
Et in cauda venenum : « Il n’y eut apparemment pas de dérapage homophobe tout au long de cet immense cortège. Tant mieux, c’était une exigence et une marque de respect minimum. Et pourtant... » . Tout est dans ce « Et pourtant… », particulièrement odieux. La loi de suspects n’est pas loin : la pointe du soupçon est glissée alors qu’on vient de dire qu’ il n’avait pas le moindre fondement.
« Marque de respect minimum » ? Et qu’aurait été une « marque de respect maximum » ? De se taire et de se rallier sans sourciller aux thèses d’Act Up ? Et oui, même si rien n’en transparait, ces gens pourraient bien être homophobes ! Méfions-nous : si un animal dépourvu du tatouage de la pensée unique se promène dans les rues, c’est que, comme le disait le regretté Philippe Muray, la « cage aux phobes » est encore ouverte. Et pas un peu, cette fois, un million de phobes en divagation ! Que fait la SPA ? Soupçon pour soupçon : que ces gens-là puissent avoir des raisons que la raison n’ignore pas et qui, qui sait ? sont peut-être de bonnes raisons, en est un qui n’effleure pas une seconde le patron de Marianne !
En consacrant ensuite un long article à Valérie Merle, épouse Telenne, plus connue sous le nom de Frigide Barjot, Marianne.fr ne se trompe pas sur le rôle essentiel que cette personnalité atypique a joué. Si elle n’avait pas été là, il ne se serait sans doute à peu près rien passé. Bon ! L’article n’est pas globalement antipathique. Ce serait d’ailleurs difficile, la connaissant. Que l’on rappelle ses affinités catholiques plus anciennes qu’elle ne le laisse croire, très bien, ses états de service à droite, c’est de bonne guerre. Mais fallait-il aller jusqu’à évoquer son appartement, le montant de son loyer, les origines de la fortune de son père, ses supposées difficultés conjugales ? Que Marianne n’aime pas la Manif’ pour tous, c’est son droit, mais fallait-il pour autant tomber dans le caniveau ? Et M.Szafran, combien de loyer paye-t-il ? Il serait propriétaire ? Alors d’où vient sa fortune ? Et les militants LGBT dont personne ne nous dit qui il sont, de quoi vivent-ils ? Combien payent-ils de loyer ? S’entendent-ils si bien avec leur futur éventuel « conjoint » ? Marianne nous dira-t-il tout cela aussi ? Nous espérons bien que non ! Car l’honneur d’une certaine presse est en jeu. Mais alors, il ne fallait pas commencer avec Frigide Barjot !
D’autant que, de ces ragots, aucune source n’est citée. Les initiés la connaissent : un blog anonyme, écrit par un barjot, un vrai celui-là, un de ces nombreux hystériques que la personnalité charismatique de Frigide Barjot suscite. De qui s’agit-il ? Voilà ce que Marianne.fr aurait pu nous apprendre.
Enfin, l’article que tout le monde attendait : le Front national dans la Manif’ pour tous : en réalité une toute petite composante que l’on avait, après tout, le droit d’étudier. Mais par derrière cette étude, un message subliminal vicelard : sous ces gentils cathos qui défilent, méfiez-vous : c’est en fait le Front national qui avance masqué. Derrière la marée de fanions roses, la gaité, la jeunesse (qu’un autre témoin a trouvée « ennuyeuse »), la créativité extraordinaire de cette manifestation, presque entièrement organisée par des moins de 25 ans, pourrait bien ramper la bête immonde.
C’est sans doute pour cela que Simone Veil s’est mêlée un moment aux manifestants ! Mais ça, Marianne ne le dit pas.
Que n’ a-t-on, au lieu de ce mélange de condescendance, de fausse gentillesse et de vraies vacheries, entamé un débat de fond sur la division de la société française entre ceux pour qui le mariage dit « gay » (l’est-il tant que cela ?) est une évidence, et ceux pour qui il est une absurdité, cela sans préjuger de qui a raison. Pourquoi une telle césure ? Le dialogue est-il possible (nous craignons que non !) ? Quels risques fait courir au pays François Hollande à soulever un tel débat (« navrant » en effet, Monsieur Szafran) dont au fond la France aurait pu ( et ça c’est une opinion vraiment majoritaire ! ) se passer ? A voir sans doute au prochain numéro.
Ainsi, Marianne qui, au temps de Jean-François Kahn ou de Philippe Cohen, avait su trouver une place originale dans la presse française, est rentré dans le rang libéral-libertaire. Sur un sujet majeur, ce magazine (à tout le moins son blog) s’aligne sans nuances sur le politiquement correct. Malgré quelques foucades contre les riches ou tel ou tel scandale, qui sont un peu le pendant à gauche, des écarts populistes de Jean-François Copé, sources de mini-remous, qui cachent mal son alignement libéral, Marianne s’ est rangé dans le grand parking des idées convenues du lilisme, quelque part entre Libé et le Nouvel Obs . Imprévisibilité zéro. Dans une presse française qui épouse à 90 % la même ligne, à quoi sert-il encore ?
Roland HUREAUX
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Face à la montée des oppositions au projet de loi sur le « mariage pour tous », le gouvernement allègerait le projet d’un ses aspects les plus controversés : le droit des couples homosexuels à « commander » des bébés par PMA.
Cet amendement ne saurait susciter que la méfiance des opposants au projet, non seulement parce qu’il est loin de satisfaire leur souhait, qui est, pour la plupart, son retrait pur et simple, mais aussi parce qu’il risque de n’être qu’une concession de façade : ne dit-on pas déjà au lobby « gay » que sa revendication, provisoirement dissociée, sera satisfaite dans une loi ultérieure sur la famille ou la bioéthique ? Et à supposer qu’elle ne soit pas satisfaite par la loi française, nous avons signé suffisamment de conventions internationales contre toutes les formes de discriminations pour être un jour obligés de le faire.
Mais ce n’est pas seulement sur ce sujet qu’aucun compromis n’est possible face au projet de loi.
Oublier les schémas classiques de négociation
Nous ne sommes pas en effet dans le schéma d’une négociation classique portant sur des intérêts objectifs. Un tel schéma est bien connu : je demande 100, vous m’offrez 20, nous transigeons à 60.
Pour résonner de cette manière, il faudrait supposer que nous ayons en face de nous un véritable groupe de pression ressentant vraiment une discrimination, défendant vraiment des intérêts particuliers (fiscaux, sociaux ou autres). Auquel cas, un compromis serait en effet possible comme il l’est sur la revalorisation du SMIC ou les prix agricoles.
Or tel n’est pas le cas. Non seulement les homosexuels effectifs sont très minoritaires, mais seule une partie de ceux-ci sont partisans du mariage homosexuel, et une partie de ces partisans seulement a vraiment le désir de se marier. Et pas pour des avantages matériels, pour le symbole !
Nous ne sommes pas dans une négociation classique parce que la revendication est purement idéologique. Ce que cherchent avant tout les militants du lobby LGBT, c ‘est de faire reconnaitre par la loi la stricte équivalence d’une relation homosexuelle et d’une relation hétérosexuelle. L’équivalence biologique n’ étant pas possible, la loi doit passer outre et « faire comme si » les homosexuels pouvait être père et père en leur donnant des droits strictement égaux d’avoir recours à la PMA ou d’adopter. L’idéologie, ce n’est pas nouveau, exige que la loi corrige la nature, voire la nie.
Le gouvernement aurait pu se contenter de proposer un additif au code civil étendant les droits des couples de droit commun aux couples formés par des homosexuels. Or il est allé beaucoup plus loin : il a choisi de bouleverser le droit de la famille dans son ensemble et de changer la définition légale du mariage de tous , y compris de l’immense majorité hétérosexuelle, suscitant ainsi la révolte de beaucoup qui n'étaient pas au départ hostiles au projet. Un parti aussi radical ne serait pas compréhensible sans l’idéologie. Procéder autrement, c’eut été, du point de vue de l’ idéologie, continuer à traiter le couple homosexuel comme un cas à part : précisément ce que l’on veut abolir.
La conséquence qu’ on pourrait dire mathématique de cette démarche est l’abolition, dans la foulée, de la différence homme femme (père mère, grand-père grand-mère, oncle tante etc.) dans la loi :
Si h x f = h x h, ou si h x f = f x f, c’est que h = f ! Cqfd.
En finir avec le mariage
Pourquoi une telle exigence ? Au premier abord, il s’agit de l’application pure et simple de l’idéologie du genre qui nie la différence naturelle de l’homme et de la femme pour n’en faire qu’une réalité culturelle (que le législateur a dès lors le pouvoir et, au motif d’égalité, le devoir d’abroger).
Mais, par-delà, se trouve la volonté d’en finir avec l’institution matrimoniale elle–même, puisque les tenants du projet ne cachent pas que leur souhait est à terme de vider le mariage de son contenu en supprimant les obligations, tenues pour résiduelles, de fidélité, de corésidence, voire de soutien mutuel.
Quelles motivations derrière ce projet fou ? On peut invoquer la haine de l’héritage judéo-chrétien, qui est aussi la haine de la nature et donc la haine de soi, fondement de toutes les idéologies. La volonté de certains homosexuels de se déculpabiliser en demandant à la loi civile d’abolir une loi morale millénaire et quasi-universelle qui proscrit leur état, est dans doute une autre motivation. Mais pour vouloir être déculpabilisé, il faut se sentir coupable. Cette loi millénaire aurait donc encore tant d’importance qu'on veuille que la loi civile vienne l’abroger ?
En considérant le caractère idéologique de la revendication dite « gay », on comprend pourquoi la suggestion de tels hommes politiques voire de tels évêques, qui proposent comme « moyen terme » d’améliorer le pacs, est à côté du sujet. D’abord qu’elle est inutile, le pacs conférant déjà beaucoup d’avantages. Ensuite parce que ceux qui, à l’époque, l’avaient combattu, ont mauvaise mine à proposer aujourd’hui de l ’améliorer. S’ils acceptent aujourd’hui le pacs, dira-t-on, ils accepteront demain le mariage : ils sont seulement en retard d’une bataille ! Enfin parce que cette coûteuse concession ne serait nullement à même de satisfaire une revendication qui porte d’abord sur les symboles.
Plus satisfaisante pour les idéologues serait l’idée, caressée par’ certains, d’ une « alliance » homosexuelle qui se conclurait en mairie, ce que la pression des maires et de l’opinion avait évité s’agissant du pacs. Pouvoir se pavaner sur le perron d’une mairie en habit de marié et de mariée serait en effet pour les militants homosexuels une grande victoire symbolique même s’ils ne la jugeraient sûrement pas complète.
Mais au point où en sont arrivés ces idéologues, il n’est pas sûr que même cela leur suffise. Ils attendaient depuis si longtemps un gouvernement qui soit entièrement acquis à leurs thèses ; compte tenu de l’ampleur de la protestation qui s’élève contre le projet, ils savent que c’est pour eux le moment ou jamais d’atteindre leur objectif ultime. François Hollande qui, dans une parfaite inconscience de l’immensité des problèmes anthropologiques sous-jacents , assez typique de la légèreté socialiste, le leur a promis, donnerait l’impression de « se dégonfler » s’il faisait aujourd’hui la moindre concession.
Le gouvernement est ainsi le dos au mur. Face à l’ampleur du mouvement que se prépare, seuls un refus du projet par l’Assemblée nationale, par le Sénat ou, si le président le provoque, par référendum, pourrait lui offrir une issue où , sans donner l’impression de se renier, il éviterait une grave cassure de la société française.
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Il est beaucoup question ces temps-ci de laïcité. En son nom, le premier ministre Ayrault avait récusé les prises de position des évêques sur le mariage homosexuel. Dans une déclaration très contestée, Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, grand défenseur de ce principe, a voulu interdire aux établissements catholiques d’en débattre.
Peu inspiré sur le plan économique et social, le gouvernement socialiste a voulu faire de la laïcité son cheval de bataille : en réformant la constitution pour y introduire la séparation des Eglises et de l’Etat (au risque de mettre fin aux nombreuses exceptions qui ont permis jusqu’ ici de l’appliquer avec souplesse), en créant de nouvelles instances pour la mettre en œuvre etc.
Mais de quelle laïcité parle-ton ?
Qui ne voit combien la notion s’est radicalement transformée depuis les débuts de la IIIe République au point d’en devenir méconnaissable ?
Au temps de Jules Ferry, la laïcité était inséparable d’une morale. Laquelle ? : « Cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. ». A l’école publique, la morale faisait non seulement l’objet d’un enseignement dédié mais imprégnait toutes les disciplines. Une morale, en continuité avec l’histoire et une morale universelle : «Ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. » « Nous avons la même morale » lança Jules Ferry au monarchiste Albert de Mun.
L’école laïque rappelait avec la même insistance les devoirs envers la patrie. Et même si la République a combattu vivement l’Eglise catholique, l’héritage chrétien se trouvait à chaque page des manuels d’histoire d’Ernest Lavisse, par respect du passé certes, mais surtout de l’objectivité, une des composantes de base de la laïcité !
Le naufrage de Mai 68
Cette morale laïque a sombré corps et biens dans la foulée de Mai 68. Le tournant fut la suppression des cours de morale à l’école élémentaire : elle se fit sans instruction particulière, par simple constat d’ obsolescence. De toute la morale et pas seulement du volet familial ou sexuel. Il devint « interdit d’interdire ». Depuis quelques années, les hommes politiques, de droite ou de gauche, parlent de la réhabiliter, mais aucun ne l’a fait. Peillon ne le fera pas plus que les autres pour la bonne raison que la notion de laïcité a muté.
Elle signifiait la neutralité par rapport aux seules croyances, laissant intact le socle de la morale dont les premiers républicains croyaient, dans la lignée de Voltaire et de Rousseau, qu’il transcendait les dogmes des différentes confessions. La laïcité signifie aujourd’hui la neutralité par rapport à la morale elle-même, dont les formes traditionnelles sont disqualifiées et tenues pour relatives – ou évolutives. .
Récusée dans sa globalité, la morale devient sectorielle – et lacunaire : au lieu du respect d’autrui en général, la lutte contre les comportements racistes ou homophobes. Mais pas le respect des personnes âgées : malheur aux catégories qui ne font pas partie du politiquement correct de l’heure ! Des morales idéologiques catégorielles se sont ainsi substituées à la morale universelle.
Evoquer la famille ou la patrie ou supposer qu’à côté des droits (en premier lieu les droits de l’enfant) , il puisse y avoir aussi des devoirs, est tenu pour anathème. A la morale de l’effort s’est substituée la pédagogie moderne fondée sur le moindre effort : l’actuel ministre, ce n’est pas un hasard, propose de légaliser le cannabis ou de supprimer les notes. Au nom de la neutralité religieuse, l’héritage chrétien est éliminé ou diabolisé dans ce qui reste des programmes d’histoire.
C’est dans cet esprit qu’un projet comme celui de mariage unisexe peut être tenu pour laïque, alors même qu’au temps de Jules Ferry et de Ferdinand Buisson, il eut suffi à envoyer son auteur à Sainte-Anne. La PMA pour couples homosexuels contredit la maxime de Kant, philosophe préféré des premiers laïques, selon laquelle la personne humaine doit toujours être tenue pour une fin. Qui ne voit combien un tel projet satisfait bien peu au critère proposé par le grand ministre à ses instituteurs : « Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire » ?
De cette mutation idéologique de l’idée de laïcité, le libéralisme libertaire est le principale responsable. Et c’est la gauche qui a joué le rôle principal dans le délitement du vieil esprit laïque. Jacques Chirac dit une fois que son grand-père était « un instituteur de gauche de la IIIe République, c’est-à-dire le contraire d’un enseignant gauchiste de la Ve ».
Cette mutation est occultée par les réactionnaires qui croient, à tort, que la remise en cause de la morale était déjà, en puissance, dans la Révolution française et l’école laïque. Elle est occultée tout autant par les libertaires qui, eux aussi, se voient, au nom du progrès, dans la suite des Lumières.
C’est en raison de cette mutation que le débat actuel qui sépare l’Eglise et l’Etat n’est nullement assimilable aux querelles du début du XXe siècle. La république voulait alors, au nom de la raison, affaiblir l’influence d’ une Eglise encore forte dont les dogmes ne l’intéressaient pas mais ne remettait pas en cause sa morale. Aujourd’hui, l’Eglise catholique, affaiblie, défend non pas d’abord son influence mais la morale naturelle - qu‘on peut aussi bien appeler laïque – contre la déraison de l’idéologie libertaire. Les autres religions, font front avec elle. Une partie de l’opinion, même indifférente aux dogmes, suit et surtout, la raison a changé de camp.
Roland HUREAUX
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Publié par Atlantico
LA FIN DE LA FIN DE L’HISTOIRE
Le double veto de la Russie et de la Chine à l’ONU à une intervention occidentale en Syrie marque le début d’une ère nouvelle dans les relations internationales
Depuis la chute du communisme soviétique, rien ne semblait pouvoir arrêter la toute-puissante Amérique. Le monopole de l’hyperpuissance, représentant à elle seule près de la moitié des dépenses militaires dans le monde, semblait présider au règne, tenu pour définitif, de l’économie libérale et de la démocratie élective.
Forts de cette hégémonie, les Etats-Unis entreprirent de répandre par les armes le bien dans le monde . En Yougoslavie, puis en Afghanistan, en Irak, en Libye. Chaque fois au prix de dizaines ou de centaines de milliers de victimes, principalement civiles, et sans que le nouveau régime mis en place donne nulle part de meilleures garanties démocratiques – ni même, dans le cas de l’Irak, d’allégeance au camp occidental. Nul ne doutait que viendrait le tour de la Syrie d’Assad, la dernière dans le collimateur, une dictature certes, mais sûrement pas pire, au contraire, que certains alliés des Etats-Unis comme l’Arabie saoudite ou le Qatar.
Mais la Chine et la Russie qui s’étaient senties flouées par une intervention occidentale en Libye dépassant largement le mandat du Conseil de Sécurité auquel ils avaient consenti, ont juré qu’on les y reprendrait plus. Un premier veto avait été opposé à une condamnation unilatérale du régime d’Assad en octobre 2011 mais les Occidentaux n’en avaient pas perçu tout le poids ; forts de leur bonne conscience inébranlable, ils pensaient ramener sans mal Moscou à ce qu’ils jugeaient être la voie de la raison. Avec deux nouveaux vetos en février puis en juillet 2012, beaucoup plus directement dirigés contre l’idée d’une intervention militaire de l’OTAN, leurs illusions sont tombées.
Certes ils pourraient, comme ils l’avaint fait en Yougoslavie en 1999, passer outre, mais le risque politique, dans une région qui demeure une poudrière et face à une Russie plus forte qu’en 1999, serait cette fois démesuré.
Comme un enfant, les Occidentaux, qui ne semblent pas avoir compris immédiatement le massage, donnent des coups de pied dans la porte qu’on leur a fermée au nez. Sans craindre l’emphase, Juppé a ainsi dénoncé le comportement de la Russie comme « criminel ».
Beaucoup espèrent aussi arriver à renverser le régime sans intervention directe, en fournissant des armes sophistiquées à la seule opposition sérieuse que rencontre aujourd’hui le régime d’Assad : des djihadistes de plus en plus radicalisés. Les avertissements pourtant clairs selon lesquels les Russes ne laisseront pas s’effondrer ce régime sans réagir sont minimisés par la presse.
Poursuivre sur cette voie, c’est faire courir les risques les plus graves à la sécurité régionale et même à la paix mondiale.
D’autant que des pays comme l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud qui ne disposent pas du droit de veto, sont néanmoins sur la même ligne que la Russie et la Chine.
Au total les pays réticents à l’action occidentale représentent 80 % de la population de la planète. Ce n’est plus l’Empire du Bien contre un groupe d’Etats-voyous ou de terroristes ( en l’occurrence, les terroristes sont dans le camp occidental) , ce sont les Etats-Unis et leurs vassaux, gouvernements européens et arabes, contre le reste du monde. Que dans un tel contexte, les gouvernements français successifs ne cherchent à se singulariser que par la surenchère, reconnaissant seuls, par exemple, le pseudo-Coalition nationale syrienne installée à Doha, parait singulièrement irresponsable.
Roland HUREAUX
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Publié par Atlantico
François Mitterrand disait « Au-dessus d’un million de personnes dans la rue, le régime vacille ».
Il n’est pas sûr que François Hollande, qui a pourtant été son collaborateur, l’ait compris.
On ne saura jamais le nombre exact de manifestants de l’extraordinaire journée du 13 janvier 2013. A tout le moins peut-on mesurer la progression entre le 17 novembre et le 13 janvier. Selon la préfecture de police, de 70 000 à 350 000, selon les organisateurs, de 200 000 à 1 million, soit, dans les deux cas, une multiplication par cinq.
Certes, la première manifestation était régionale, la seconde nationale, mais, malgré le nombre impressionnant de cars venus de province, l’immense majorité des participants était parisienne.
La principale animatrice du mouvement La Manif pour tous, Frigide Barjot, a demandé une audience au président de la République, faute de laquelle elle annoncera une nouvelle manifestation.
Aura-elle gain de cause ? C’est peu probable. A supposer même qu’on la reçoive, ce qui serait la moindre des choses compte tenu de l’ampleur du mouvement qu’elle représente, le projet ne saurait, à ce stade, être retiré par François Hollande sans qu’il donne le sentiment d’une reculade. Il n’envisage pas davantage de le soumettre à référendum : les juristes ne sont pas d’accord pour savoir si la constitution le lui permet. Il pourrait à la rigueur annoncer que les députés seront autorisés à voter en conscience, ce qui, quoique normal, rendrait aléatoire son approbation, mais le lobby LGBT ne le lui pardonnerait pas davantage qu’un retrait pur et simple. Le retrait de la PMA pour les couples homosexuels est une concession cosmétique, dans la mesure où son autorisation est reportée à un autre texte - et en tout état de cause il ne suffirait pas à satisfaire les adversaires du projet dont la première motivation est de préserver le symbole du mariage.
Les voies d’un compromis étant à peu près fermées, les perspectives sont d’autant plus dramatiques.
Une situation révolutionnaire ?
La prochaine manifestation verra-t-elle une nouvelle multiplication par cinq des effectifs, ce qui créerait une situation quasi révolutionnaire ? Rien n’est à exclure : la détermination des manifestants est totale et nul doute qu’ ils reviendront presque tous. La grossière sous-estimation de leur nombre par la préfecture de police, dénoncée un peu partout sur internet, a été ressentie comme un camouflet, un refus de reconnaitre leur démarche et donc une incitation à manifester à nouveau, en emmenant au besoin de nouvelles recrues.
Si le plein semble avoir été à peu près fait du côté des catholiques parisiens, surtout dans les classes moyennes, et sans doute aussi chez les évangélistes, des réserves existent dans le christianisme populaire, en particulier antillais, chez les non pratiquants et surtout chez les musulmans. Ils étaient certes représentés dans la manifestation du 13 janvier, mais à petite dose. Il semble que ceux qui sont venus soient retournés enthousiastes de ce qu’ils ont vécu comme un grand acte de participation à la vie politique nationale et en définitive d’intégration. Les appels à manifester de l’UOIF ont été timides ; un déclic pourrait se produire la prochaine fois amenant une bien plus large participation.
Mais la grande réserve de nouveaux manifestants se trouve en province. Dans la plupart des départements il ne s’est agi que d’un galop d’essai timide. Les participants sont eux aussi revenus enthousiastes. Déjà la logistique se prépare pour envoyer la prochaine fois à Paris beaucoup plus de cars.
Le gouvernement refusera-t-il de céder si deux ou trois millions de manifestants se trouvent dans les rues de Paris ? Cela n’aurait aucun précédent. Lors de l’affaire de l’ école libre en 1984, François Mitterrand avait clos le débat en annonçant un référendum – qui n’a jamais eu lieu.
Il n’est pas exclu non plus que si, comme tout le laisse prévoir, le mouvement prend de l’ampleur, la revendication s’élargisse, que des mécontents que la question du mariage n’intéresse pas nécessairement, se joignent aux manifestants pour exprimer leur hostilité à un gouvernement dont la cote de popularité est au plus bas et qui devra sans doute annoncer bientôt de nouvelles mesures d’austérité pour tenir ses engagements européens.
On ne saurait non plus exclure que les banlieues profitent de la manifestation, dont ils connaissent désormais l’ampleur et le caractère festif et à l‘égard de laquelle ils ne ressentent aucune antipathie, au contraire, pour débouler massivement vers le centre de la capitale.
Que le mariage unisexe n’ait pas grand-chose à voir avec les préoccupations quotidiennes de la plupart des Français : licenciements, chômage, érosion du niveau de vie, incertitude de l’avenir, n’empêche pas qu’un mouvement social de grande ampleur puisse démarrer de là. L’histoire nous montre qu’ entre le détonateur d’une crise politique et sa réalité, la distance est souvent grande : en 1830, une soirée à l’Opéra à Bruxelles a fait l’indépendance de la Belgique, en 1848, l’interdiction d’un banquet à Paris, la présence trop voyante de la danseuse Lola Montés, maitresse du roi, à Münich, ont fait la révolution.
Car, à bien des égards, la situation est révolutionnaire : sur la plan économique, les Français n’accepteront pas indéfiniment un régime d’austérité dont beaucoup leur disent qu’ils n’est pas vraiment nécessaire, au moment où , parallèlement, le trouble apporté au sentiment identitaire n’a jamais été aussi profond.
Sur cette question de l’identité, un des mérites de La Manif’ pour tous a été de déplacer la césure à laquelle tout le monde pensait avant, entre Français de souche et immigrés, vers une autre césure, plus idéologique et sans doute plus fondamentale, entre deux France : d’un côté ceux pour qui le mariage unisexe est une évidence, soit la partie la plus influente de la classe dirigeante et ceux qui sont sous sa coupe, et, de l’autre, ceux pour qui il est une absurdité, soit une autre France, qui représente un très large éventail : la partie la plus traditionnelle de la bourgeoisie, la plus grande partie du peuple « indigène », mais aussi la plupart des immigrés. Il est difficile de dire si ce nouveau « bloc historique» se consolidera ; il est en tous les cas à même de renouveler en profondeur la problématique de l’intégration.
Même si les manifestants récusent toute haine, ne prétendant exprimer que l’amour du mariage, ils ont, au fond d’eux-mêmes, leur cible : ce ne sont pas, contrairement à ce que l’on prétend, les homosexuels, mais le monde des médias, libertaire, christianophobe et manipulateur dont ils voient tous les jours qu’il leur est majoritairement hostile. Le décalage entre la réalité vécue de la manifestation et son compte-rendu médiatique a encore approfondi le fossé en même temps qu’il a développé la confiance en eux-mêmes de ceux qui se sentaient jusque-là idéologiquement exclus. Plus encore que le gouvernement et que naturellement les « gays », accessoires dans l’affaire, ce sont tous les grands prêtres du politiquement correct qui se sont trouvés désavoués le 13 janvier. Leur amertume, allant jusqu’à la dénégation (la guerre du Mali offrant un bon prétexte pour minimiser la manifestation), qui s’exprime dans beaucoup de compte rendus, montre que les intéressés l’ont compris.
A moins que de graves évènements, comme une nouvelle crise européenne ou un durcissement de la guerre, n’offrent un alibi au président pour reporter aux calendes le projet, la puissance du mouvement lancé le 13 janvier, conjuguée à la logique idéologique folle dans laquelle le gouvernement s’est fort imprudemment enfermé, pourrait conduire à des bouleversements d’une ampleur qu’on ne soupçonne pas encore.
Roland HUREAUX
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