S’il fallait un symbole du déclin du syndicalisme français, on n’en trouverait pas de meilleur que le ballon marqué CGT flottant sur la pitoyable manifestation du 16 décembre à la Bastille en faveur du projet de loi gouvernemental instaurant le mariage et l’adoption homosexuels. Pitoyable : même les chiffres de la préfecture de police (60 000) sont jugés grossièrement exagérés par la presse. Bien que la gauche ait, à la différence de la droite, la culture de la manifestation, elle fait cependant pâle figure face à la « La Manif’ pour tous » du 17 novembre.
Pourquoi parler de déclin du syndicalisme?
D’abord parce que cette bataille, pour une cause typiquement « bobo », se trouve aux antipodes des batailles historiques du syndicalisme français : que diraient Victor Griffuelhes , Léon Jouhaux, Benoit Frachon à voir leur centrale syndicale engagée dans un combat à mille lieues de ceux qu’ils menèrent ?
Tournant le dos à son histoire, la CGT, en s’engageant dans cette bataille douteuse, le tourne aussi à la classe ouvrière. Que pensent aujourd’hui les ouvriers d’Arcelor-Mittal de voir le plus grand syndicat français militant de manière aussi voyante pour une cause si étrangère à leurs préoccupations. Se sent-elle tant d'affinités avec Pierre Bergé ? La CGT aurait-elle suivi les propositions de la fondation Terra Nova, proche du parti socialiste et financée par les multinationales américaines : laisser tomber la classe ouvrière et se tourner vers les nouvelles classes branchées en prise avec une économie mondialisée.
Déclin aussi parce qu’un tel engagement amène à s’interroger sur la liberté de la grande confédération vis à vis du pouvoir. Il faut voir dans quel contexte s’inscrit la manif’ du 16 décembre : surpris de la résistance l’opinion, pas seulement catholique, à son projet de « mariage pur tous », le mouvement a battu le rappel de ses alliés. La CGT a répondu à l’appel. Déjà au temps de Sarkozy, la loi du 20 aout 2008 favorisait la CGT et la CFDT au détriment des petits syndicats (FO, CFTC, CGC). Comment imaginer que les deux principales centrales n’aient pas apporté de contreparties à ces faveurs ?
Non qu’elles soient unanimes sur le mariage homosexuel, loin s’en faut. La majorité de leurs adhérents y sont certainement hostiles. Le conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales ne s’était prononcé contre le projet que grâce aux voix de la CGT, la CFDT ayant, ô surprise, voté pour ! La CFDT s’est aussi engagée en faveur de la manifestation du 16 décembre mais timidement et tardivement. On peut penser que la participation si voyante de la CGT à cette manifestation, plus qu’elle n’exprime une adhésion, est un de ces services qu’on ne refuse pas aux amis.
Mais certains syndicalistes y verront peut-être la continuation de la tradition libertaire du mouvement ouvrier français, venue de l’anarcho-syndicalisme. Redoutable malentendu : si, du temps de Maurice Thorez et de Jeannette Vermeersch, il était d’usage que les couples ouvriers ne passent pas devant Monsieur la Maire (jusqu’à ce que Staline y mette bon ordre !) et encore moins devant Monsieur le Curé, les mêmes se targuaient d’une rigoureuse fidélité, dénonçant l’adultère comme un vice de la bourgeoisie. De mariage homosexuel, il n’avait jamais été question jusqu’à la fin du XXe siècle, sachant que ce projet n’a rien à voir avec une tolérance légitime pour l’homosexualité, laquelle d’ailleurs n’allait pas de soi dans les banlieues ouvrières d’antan – comme dans les cités immigrées d’aujourd’hui.
Surtout la position de la CGT laisse supposer que, face à la vague mondiale de la philosophie libérale–libertaire, la gauche pourrait choisir le volet libertaire et écarte le volet libéral (nous supposons, peut-être à tort, que la CGT ne s’est pas encore ralliée à l’ultralibéralisme !). Certes l’association « li-li » ne pose pas problème aux sociaux-démocrates et aux centristes qui ne récusent pas le mondialisme. Mais la gauche de la gauche, réputée peu libérale, a tort d’imaginer qu’on puisse séparer les deux.
La philosophie libertaire est essentiellement fondée sur la destruction de ce qui fut longtemps la structure de base de toute société : la famille instituée, tenue désormais pour un tabou à faire sauter. C’est pourtant la famille qui donne des repères, qui offre une solidarité distincte de celle d’État, c’est elle qui a permis à beaucoup de minorités opprimées de résister (ainsi les huguenots sous Louis XIV comme le rappelle Pierre-Patrick Kaltenbach). En offrant des axes de coordonnées, des points d’appui, une culture, fut-elle rudimentaire, la famille donne au dominé des ressource intellectuelles qui lui permettent de s’émanciper du discours du dominant. Or les tenants du mariage « gay » ne s’en cachent pas : il ne s’agit nullement pour eux de consolider une institution (bien fragilisée aujourd’hui) en en étendant l’usage, mais de préparer sa destruction : pour ses partisans les plus déterminés, c’est, à terme, l’obligation de fidélité et de stabilité qui doivent sauter. Ce qui doit advenir des enfants au terme d’une telle désagrégation est préfiguré par l’idée d’une PMA sur étagère ou d’une gestation pour autrui, que les plus fanatiques veulent inclure dans la loi, exprimant leur profond mépris de l’homme.
A terme, l‘objectif, quoi qu’en pense une certain gauche, est l’homme atomisé des libéraux, à la fois producteur (le plus possible) et consommateur (le moins possible), soumis à la seule loi du marché. Et par derrière celle-ci, l’implacable loi darwinienne de la struggle for life qui justifie la domination des forts sur les faibles.
Libéralisme et libertarisme : clairement, il s’agit du même combat. Ceux qui, au plan international, promeuvent cette double philosophie le savent bien. La revendication « gay » est strictement contemporaine de l’essor de l’ultralibéralisme à partir de 1980. C’est dire à quel point il est pitoyable de voir s’associer à ce combat douteux la plus prestigieuse des centrales syndicales françaises.
Roland HUREAUX
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