Eugénie BASTIE , La guerre des idées, Robert Laffont, 2021
Eugénie Bastié a fait dans ce livre un gros travail que reflète sa bibliographie : dresser un inventaire de la vie intellectuelle française depuis environ trente ans , en évitant de l’orienter vers une thèse univoque.
Elle ne tombe pas dans un travers de beaucoup de gens de droite : considérer que c’est gagné . On craignant le pire avec un chapitre intitulé « Les réacs ont-ils gagné la bataille des idées ? » . Mais non, Eugénie Bastié reste lucide. Il est vrai que des gens issus de la gauche dont la liste est longue reprennent des ides généralement classées à droite : Finkielkraut, Marcel Gauchet ( qui souligne à juste titre le caractère toxique des idées de Bourdieu), Régis Debray ( rallié au gaullisme certes, mais pourquoi évoquer à propos de de Gaulle la terre et les morts qui n’ont rien à voir , sauf à relayer les pires stéréotypes antinationaux de la gauche ? ) , Jacques Sapir , Jean-Pierre Le Goff, Jacques Julliard etc. Mais si ces intellectuels défendent des idées de droite, ils mettent un point d’honneur à se dire encore de gauche . Et des journaux comme Le Figaro préfèreront toujours, sauf exceptions, donner la parole à ces demi-repentis . Un homme de droite jamais passé par la gauche est supposé moins intelligent. Certes « il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se repent… » mais la presse dite « conservatrice » doit-elle être une maison de retraite pour utopistes déçus ? Ce n’est en tous les cas pas là pas la meilleure manière d’encourager une pensée conservatrice indépendante . S’ils prenaient sérieusement en compte tous les échecs et de la gauche depuis un siècle , ces repentis ne s’en réclameraient plus, ils auraient honte !
La montée des idées de gauche , comme jadis la Révolution française, aurait permis , suggère l’auteur, à la droite de mieux se définir . On en cherche les résultats. Entre le retour poussif à Maurras ou Bonald , une loi naturelle mal comprise, le durcissement réactionnaire un peu aveugle, on cherche en vain de quels progrès on parle. Depuis deux siècles , la droite n’a cessé de se définit dans les cadres intellectuels posés par la gauche. Chateaubriand le lui reprochait déjà.
Des gens de gauche ont soutenu le plan Juppé en 1995 : mais n’est-il pas à l’origine de la bureaucratisation de la santé et de la crise hospitalière actuelle? Tant qu’à faire nous préférons les « intellos populistes » qui ont soutenu, eux, les gilets jaunes : Onfray, Michea, Guilluy, sous le haut patronage d’Emmanuel Todd.
Mais qui parle de gauche et de droite ? Se laisser enfermer dans cette opposition n’est-ce pas être déjà sous l’hégémonie de la gauche qui l’a inventée en 1789 ?
Il y a aujourd’hui d’autres césures plus pertinentes et qui se recouvrent: par exemple les mondialistes et les antimondialistes , les idéologues et les non-idéologues, c’est-à-dire les gens normaux , en incluant dans les idéologues presque toute la gauche d’aujourd’hui , les ultralibéraux mais aussi, s’il en reste, les socialistes nationaux ( en allemand : Nazional sozialismus).
Pourquoi cette hégémonie persistante d’une gauche qui n’a plus aucun projet , aucun message , sauf le démontage libertaire de ce qui reste de culture et de mœurs ? N’est-ce pas d’abord qu’étant idéologue , elle est plus intolérante, plus sectaire, et donc plus intimidante, plus terrorisante que ce qui reste de la droite ? Le troupeau en a plus peur . On en voit tous les jours les effets.
A quoi j’ajouterais un point fondamental qu’ E. Bastié n’évoque pas : cette gauche libertaire et sectaire est passée du côté du manche. La gauche, c’était au XIXe siècle déjà l’idéologie mais hors des lieux de pouvoir occupés , eux, par une bourgeoisie pragmatique. Aujourd’hui l’idéologie de la gauche libertaire est devenue celle du grand capital international ( Gafam, Gates etc.) Elle tient 99 % des médias. Hors des questions d’argent, elle épouse toutes les positions de l’extrême gauche woke . Exemple : Macron que des attardés croient au centre ou même Biden. La force intrinsèque de l’idéologie conjuguée à la domination sociale : tout cela fait une immense chape de plomb, celle que nous connaissons.
N'oublions pas non plus, dans l’ordre subliminal , le relent moral , hérité d’un christianisme dégénéré , dont bénéficie encore, on se demande pourquoi, la gauche, malgré les régimes totalitaires, les effets de la mondialisation , une idée de gauche : « si tous les gars du monde… », les dégâts de toutes sortes ( à l’Education nationale, par exemple). Corruptio optimi pessima : ce que Chesterton appelait le christianisme devenu fou continue à faire des ravages, y compris dans l’Eglise.
Eugénie Bastié note que tous les think tanks économiques sont entre les mains de libéraux et d’ultralibéraux. Le premier blanc-bec venu qui veut se faire un nom publiera à 25 an un pamphlet ultra libéral . Mais le pathétique est que tout cela ne sert à rien : ces gens n’ont pas empêché que la hausse des dépenses publiques , spécialement sociales continue depuis trente ans. Il est vrai que certains ont pris Macron pour un libéral, les pauvres.
Le deuxième caractère de l’époque contemporaine n’échappe pas non plus à Eugénie Bastié : l’ intolérance sans précédent qui règne entre les deux camps ou plus exactement de la gauche pour la droite . Elle s’exprimait déjà dans le dérisoire Rappel à l’ordre de Daniel Lindenberg (2002), coup éditorial de Pierre Rosanvallon, tenu à tort pour un modéré, désignant au lynchage tous les penseurs qui pouvaient inspirer la droite . Les principaux évènements qui témoignent de la montée de l’intolérance sont rappelés par Eugénie Bastié : les femens chères à Caroline Fourest, le chahutage de Marcel Gauchet aux rendez-vous de l’histoire à Blois (2014) , l’expulsion d’Alain Finkielkraut des Nuits debout, l’interdiction par des groupes violents, pas si marginaux que ne le dit l ’auteur, d’une conférence de Sylviane Agacinski ( qu’aurai-ce été s’il s’était agi d’une philosophe de droite ? ) et ça continue : l’appel à la mise au rancart de tous ceux qui ont soutenu la Manif pour tous, de tous ceux qui ne condamnent pas absolument Poutine , les incessantes procédures judiciaires contre tous ceux que l’on soupçonne de « propos haineux » parce qu’ils ont des idées différentes etc. Jadis Jaurès et Barrès , Drieu et Malraux pouvaient déjeuner ensemble. Aujourd’hui la gauche dominante, très minoritaire dans l’opinion mais qui donne le ton dans la classe dirigeante par la crainte qu’elle inspire, exècre tellement tout ce qui n’est pas elle que ce genre de fraternisation n’est plus possible.
Ceux qui l’incarnent, Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie et tutti quanti sont-ils vraiment lus en dehors de leur secte, comme un authentique écrivain de droite mais qui constitue une exception, Houellebecq, est lu par tous ? L’extrême gauche prospère dans ce que Dominique Reynié appelle la « basse intelligentsia » , milieu de plus en plus fermé. Tout se passe comme si deux groupes culturels qui s’ignorent plus que jamais fonctionnaient chacun dans son pré carré . Jusqu’à mettre le village intellectuel, en attendant le pays, au bord de la guerre civile comme le sont déjà les Etats-Unis ? Des amis Anglais nous disent qu’il reste plus de liberté d’expression en France que chez eux . Bonne nouvelle mais on ne s’en rend pas compte tous les jours .
Roland HUREAUX