Article par dans Atlantico
Même parmi ceux qui s’opposent au nouveau gouvernement, il est aujourd’hui acquis qu’une augmentation générale des impôts et des charges sociales (CSG , impôts des retraités etc.) constitue une mesure nécessaire et, par là, courageuse. Avec quelle ardeur l’opposition elle-même n’appelle-t-elle pas à la ratification de la « règle d’or » qui implique une telle augmentation !
L’esprit de pénitence qui tend à se répandre en Europe depuis les débuts de la crise donne le champ libre à toutes les formes de discours sacrificiels : les temps sont durs, face à des déficits considérables, il faudra faire des efforts terribles, se serrer la ceinture, il faudra être saignant etc.
A ce titre, même si certains contestent la répartition des impôts et préféreraient que le voisin en paye davantage et eux moins, l’idée qu’une augmentation générale des impôts et des charges soit, à la fois inévitable et courageuse, n’ est guère contestée.
A tort car cette politique ne fera qu’aggraver le principal handicap français : être le pays du monde où tout à la fois les dépenses publiques (56 % du PIB ) et les prélèvements obligatoires (45 %) sont aujourd’hui les plus élevés.
Certains se réjouiront sans doute que le pays de Jean Jaurès marque là sa différence socialisante et qu’à l’heure du libéralisme triomphant, il reste quelque chose du supposé «modèle social français»…
Des économistes feront tourner des modèles où ce taux élevé de prélèvements n’empêche pas le pays de demeurer compétitif – comme la Suède l’était avant même les réformes libérales qui l’ont fait passer après nous au palmarès de la dépense publique. Cela serait admissible si la politique de change venait compenser le déficit de compétitivité qu’implique pour les entreprises un tel niveau de charges. Mais c’est loin, on le sait, d’être le cas, puisque la France, avec l’euro, n’a plus de politique de change propre.
On dira aussi qu’un niveau de prélèvement, et donc une économie publique élevés - est une protection contre la crise, l’Etat étant en mesure d’éviter l’effondrement du circuit de la production/consommation. N’est-ce pas ce qui semble aujourd’hui préserver la France d’une crise plus grave ?
Les nombreux inconvénients d’impôts trop lourds
Quels que soient ces arguments, on ne saurait ignorer tous les inconvénients d’un niveau de prélèvements élevé :
La dépense publique n’est pas, comme la dépense privée, autorégulée. Le contrôle de toutes les chambres des comptes du monde ne remplacera jamais le marché, l’exigence de l‘équilibre et du profit qui régule l’économie privée. D’où des gaspillages, des privilèges indus qu’une certaine presse se plait à signaler, sans nécessairement en comprendre les causes. Si le gouvernement est faible (et quel gouvernement ne l’est pas aujourd’hui ? ), que l’Etat et les nations sont contestés un peu partout dans leur légitimité, la dépense publique génère la dépense publique et une sorte de spirale inflationniste entraine vers le haut les budgets publics, sans que quiconque sache comment les contrôler.
Sur le plan civique, arrivé à un certain niveau, l’impôt n’est plus tenu pour légitime. L’incitation à la fraude devient plus grande, non seulement parce que la vertu s’affaiblit mais aussi parce que la fraude est plus avantageuse qu’à un niveau de charges faible. La société ayant – souvent plus que les organismes chargés des contrôles - connaissance de ces fraudes, la démoralisation et l’esprit de combine, voire la corruption, gagnent le corps social. Un des moyens d’échapper à l’impôt est de fuir à l’étranger, ce qui est une double perte pour le pays : perte d’un revenu public, perte d’une activité économique. C’est une des raisons pour lesquelles les libéraux disent que « trop d’impôts tue l’impôt ».
Sur le plan politique, une dépense publique lourde accroit le pouvoir des politiques. Ils sont donc tentés d’utiliser la manne qu’ils ont à gérer pour faciliter leur réélection. Dans certaines collectivités locales françaises, des maires, des présidents de conseil généraux peuvent exercer des pressions sur les gens qui craignent, les uns de perdre un emploi contractuel, les autres l’accès aux marchés publics. La démocratie est ainsi mise en péril.
Enfin sur le plan moral, que devient l’individu quand près de 60% de la richesse se trouve socialisée ? Le sentiment d’étouffement ne croît-il pas jusqu’à devenir insupportable, surtout pour les hommes d’initiative qui savent par avance qu’ils se trouveront frustrés de la plus grande partie des profits qu’ils feront.
Que faire donc, face à des déficits qui demeurent élevés (et qui signifient chaque année, rappelons-le, une augmentation à due concurrence de l’endettement public) ?
Il n’existe que trois solutions :
Celle que nous venons d’évoquer et qui a les faveurs du pouvoir et d’une opinion largement conditionnée : augmenter les impôts ;
La plus difficile et qui a peu de chances de se produire à court terme : réduire des dépenses publiques ; la droite ne l’ayant pas vraiment fait, qui croit que la gauche le fera ?
La plus simple mais que le système européen interdit pour le moment : monétiser les déficits et la dette publique.
Cette monétisation signifie que l’Etat s’approprie le revenu tiré de la création monétaire - au lieu de l’abandonner aux banques comme c’est le cas en France depuis 1973 - , et s’en sert pour combler les déficits. Il emprunte ainsi à la banque centrale à taux zéro, ce qui allège d’autant ses charges (en France, la moitié du déficit public est constitué par ces intérêts).
Solution de facilité dira-t-on. Certes ! Mais depuis le commencement de l’histoire, tous les Etats y ont eu recours en période de difficultés. Elle a prévalu au long des trente glorieuses, ce qui n’a pas empêché les prix d’être stables au cours des années soixante.
Que les statuts de la BCE s’y opposent n’a pas empêché Mario Draghi de monétiser de fait 100 milliards de dettes espagnoles, italiennes et grecques, portugaises et irlandaises. Toutefois le système inventé par les dirigeants européens, qui se veut punitif, préserve la marge, en l’espèce plus que confortable, des banques.
De toutes les façons, il est certain que la monétisation est une mauvaise solution. Mais y a-t-il une bonne solution ?
La réduction des dépenses publiques, à supposer qu’un gouvernement en soit capable, souhaitable à moyen terme, présente aussi des dangers : effectuée trop brutalement elle entraine une récession, une baisse des recettes publiques et de nouveaux déficits, une spirale récessive, trappe sans fond dans laquelle s’enfoncent les pays du Sud de l’Europe et s’enfoncera sans doute bientôt toute l’Europe.
Mais entre plusieurs maux, il faut choisir le moindre et le moindre, dans le cas de la France, ne saurait être, de quelque manière qu’on le considère, une nouvelle augmentation des impôts et des charges.
Elle l’est d’autant moins que l’histoire montre que ces augmentations sont généralement irréversibles ; si des temps meilleurs surviennent, la tentation des gouvernements est de ne pas les rendre aux contribuables mais d’engager au contraire de nouvelles dépenses, comme le fit par exemple Rocard entre 1988 et 1991.
Et tous les défauts d’un système à lourde fiscalité demeurant, le pays s’enfonce irréversiblement dans une situation qui n’est satisfaisante ni au regard de la justice sociale, ni des libertés, ni de la croissance.
Au niveau de l’Etat la vertu ne procède pas d’une vision comptable étroite. En augmentant massivement les impôts et les charges, comme elle s’apprête à le faire, la gauche rend un bien mauvais service au pays.
Roland HUREAUX