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Roland HUREAUX

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:43

Article par dans Atlantico 

 

Même parmi ceux qui  s’opposent au nouveau gouvernement, il est aujourd’hui acquis qu’une augmentation générale des impôts et des charges sociales (CSG , impôts des retraités etc.) constitue une mesure nécessaire et, par là, courageuse. Avec quelle ardeur l’opposition elle-même n’appelle-t-elle pas à la ratification de la « règle d’or » qui  implique une telle  augmentation !

L’esprit de pénitence qui tend à se répandre en Europe depuis les débuts de la crise donne le champ libre à toutes les formes de  discours sacrificiels : les temps sont durs, face à des déficits considérables, il faudra faire des  efforts terribles, se serrer la ceinture, il faudra être saignant etc.   

A ce titre, même si certains contestent la répartition des impôts et préféreraient que le voisin en paye davantage et eux moins, l’idée qu’une augmentation générale des impôts et des charges soit, à la fois inévitable et courageuse, n’ est guère contestée.

A  tort car cette politique ne fera qu’aggraver le principal handicap  français : être le pays du monde où tout à la fois les dépenses publiques (56 % du PIB ) et les prélèvements obligatoires (45 %) sont aujourd’hui les plus élevés.

Certains se réjouiront sans doute que le pays de Jean Jaurès marque là sa différence socialisante et qu’à l’heure du libéralisme triomphant, il reste quelque chose du supposé  «modèle social français»

Des économistes feront tourner   des modèles où ce taux élevé de prélèvements n’empêche pas le pays de demeurer compétitif – comme la Suède l’était avant même les réformes libérales qui l’ont fait passer après nous au palmarès de la dépense publique. Cela serait admissible si la politique de change venait compenser le déficit de compétitivité qu’implique pour les entreprises un tel niveau de charges. Mais c’est loin, on le sait, d’être le cas, puisque  la France, avec l’euro,  n’a plus de politique de change propre.

On dira aussi qu’un niveau de prélèvement,  et donc une économie publique élevés - est une protection contre la crise, l’Etat étant en mesure d’éviter l’effondrement du circuit de la production/consommation. N’est-ce pas ce qui semble aujourd’hui préserver la France d’une crise plus grave ?

 

Les nombreux inconvénients d’impôts trop lourds

 

Quels que soient ces arguments, on ne saurait ignorer tous les inconvénients  d’un niveau de prélèvements élevé : 

La dépense publique n’est pas, comme la dépense privée, autorégulée. Le contrôle de toutes les chambres des comptes du monde ne remplacera jamais le marché, l’exigence  de l‘équilibre et du profit qui régule l’économie privée. D’où des gaspillages, des privilèges indus qu’une certaine presse se plait à signaler, sans nécessairement en comprendre les causes. Si le gouvernement est faible (et quel gouvernement ne l’est pas aujourd’hui ? ), que l’Etat et les nations sont contestés un peu partout dans leur légitimité, la dépense publique génère la dépense publique et une sorte de spirale inflationniste entraine vers le haut les budgets publics, sans que quiconque sache comment les contrôler.

Sur le plan civique, arrivé à un certain niveau, l’impôt n’est plus tenu pour légitime. L’incitation à la fraude devient plus grande, non seulement parce  que la vertu s’affaiblit mais aussi parce que la fraude est plus avantageuse qu’à un niveau de charges faible. La société ayant – souvent  plus que les organismes chargés des contrôles - connaissance de ces fraudes, la démoralisation et l’esprit de combine, voire la corruption, gagnent le corps social.   Un des moyens d’échapper à l’impôt est de fuir à l’étranger, ce qui est une double perte pour le pays : perte d’un revenu public, perte d’une activité économique. C’est une des raisons pour lesquelles les libéraux disent que   « trop d’impôts tue l’impôt ».

Sur le plan politique, une dépense publique lourde accroit le pouvoir des politiques. Ils sont donc tentés d’utiliser la  manne qu’ils ont à gérer pour faciliter leur réélection. Dans certaines collectivités locales françaises, des maires, des présidents de conseil généraux peuvent exercer des pressions sur les gens  qui craignent,   les uns de perdre un  emploi contractuel, les autres l’accès aux marchés publics. La démocratie est ainsi mise en péril.

Enfin sur le plan moral, que devient l’individu quand près de 60%  de la richesse se trouve socialisée ? Le sentiment d’étouffement ne croît-il pas jusqu’à devenir insupportable, surtout pour les hommes d’initiative qui savent par avance qu’ils se trouveront frustrés de la plus grande partie des profits qu’ils feront.

Que faire donc, face à des déficits qui demeurent élevés (et qui signifient chaque année, rappelons-le, une augmentation à due concurrence de l’endettement public) ?

Il n’existe que trois solutions :

Celle que nous venons d’évoquer et qui a les faveurs du pouvoir et d’une opinion largement conditionnée : augmenter les impôts ;

La plus difficile et qui a peu de chances de se produire à court terme : réduire  des dépenses publiques ; la droite ne l’ayant pas vraiment fait, qui croit  que la gauche le fera ?

La plus simple mais que le système européen interdit pour le moment : monétiser  les déficits et  la dette publique.

Cette monétisation signifie que l’Etat s’approprie le revenu tiré de la création monétaire - au lieu de l’abandonner aux banques comme c’est le cas en France depuis 1973 - ,  et s’en sert pour combler les déficits. Il emprunte ainsi à la banque centrale à taux zéro, ce qui allège d’autant ses charges (en France, la moitié du déficit public est constitué par ces intérêts).

Solution de facilité dira-t-on. Certes ! Mais depuis le commencement de l’histoire, tous les Etats y ont eu recours en période de difficultés. Elle  a prévalu au long des trente glorieuses, ce qui n’a pas empêché les prix d’être stables au cours des années soixante.

Que les statuts de la BCE s’y opposent n’a pas empêché Mario Draghi de monétiser de fait 100 milliards de dettes espagnoles, italiennes et grecques, portugaises et irlandaises. Toutefois le système inventé par les dirigeants européens, qui se veut punitif, préserve la marge, en l’espèce plus que confortable, des banques.

De toutes les façons, il est certain que la monétisation est une mauvaise solution. Mais y a-t-il une bonne solution ?

La  réduction des dépenses publiques, à supposer qu’un gouvernement en soit capable,  souhaitable à moyen  terme, présente aussi des dangers : effectuée trop brutalement elle  entraine une récession,  une baisse des recettes publiques et de nouveaux déficits,  une  spirale récessive, trappe sans fond dans laquelle s’enfoncent les pays du Sud de l’Europe et s’enfoncera sans doute bientôt  toute l’Europe. 

Mais  entre plusieurs  maux, il faut choisir le moindre et  le moindre, dans le cas de la France, ne saurait être, de quelque manière qu’on le considère, une nouvelle augmentation  des impôts et des charges.

Elle l’est d’autant moins que l’histoire montre que ces augmentations sont généralement irréversibles ; si des temps meilleurs surviennent, la tentation des gouvernements est de ne pas les rendre aux contribuables mais d’engager au contraire de nouvelles dépenses, comme le fit par exemple  Rocard entre 1988 et 1991.

Et tous les défauts d’un système à lourde fiscalité demeurant, le pays s’enfonce irréversiblement dans une situation qui n’est satisfaisante ni au regard de la justice sociale, ni des libertés,  ni de la croissance.

Au niveau de l’Etat la vertu ne procède pas d’une vision comptable étroite. En augmentant massivement les impôts et les charges, comme elle s’apprête à le faire, la gauche rend un bien mauvais service au pays.

 

Roland HUREAUX

 

La  différence entre les taux de dépenses et de prélèvements est composée des déficits et des recettes non fiscales de l’Etat et des collectivités locales ( bénéfices des entreprises publiques par exemple).

 

Les libéraux contempteurs de ce modèle ont tort de mettre en cause l’héritage de la Résistance et du gaullisme. C’est sous Giscard que les dépenses publiques ont commencé à s’envoler et les mesures sociales les plus dispendieuses datent des dernières décennies. 

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:42

 

Un vieil ami me présenta un jour comme «un des plus conséquents», avec Chevènement dont le voisinage n’était pas pour me déshonorer, parmi les adversaires de l’euro et de l’Europe.

Ce qui voulait dire à demi-mot que mon opposition à l’euro avait un fondement intellectuel mais que celle du tout-venant n’en avait pas : elle n’était que réflexe grossier, que dans la masse des adversaires « cavernicoles » de la construction européenne, je faisais figure d’exception parce que jouissant d’un rayon de lumière.

Je fus  tenté de lui dire que   ce sont au contraire les partisans de l‘euro qui n’ont aucune respectabilité intellectuelle.

Nous nous en doutons aujourd’hui où nous voyons la lente et pénible agonie de la monnaie unique ponctuée de dix-neuf sommets destinés à le « sauver », tâche chaque fois plus difficile.

Mais nous aurions pu nous en douter plus tôt : l’idée même de l’euro heurtait les théories les plus claires de l’économie, comme celle des zones monétaires optimales ;  son évolution depuis cinq ans fait qu’on ne peut être favorable à l’entreprise sans aller violemment contre des lois économiques enseignées dès la première année d’économie : par exemple, comment espérer des échanges équilibrés entre les pays avec des hausses de prix divergentes ? Comment espérer un rétablissement des déséquilibres existants avec des divergences qui s’accroissent ? Comment attendre que les comportements   s’harmonisent alors que la monnaie unique mettait fin à la discipline minimale  imposée  par le marché des changes ?

Ceux qui ont espéré que les comportements économiques allaient converger en dix  ans, ignoraient non seulement quarante ans d’histoire économique européenne qui ont vu  ces comportements remarquablement  constants dans chacun de nos  pays, mais toute l’histoire de l’Europe qui démontre  le caractère profondément ancré des   tendances de chacun.

 

Qui  sont les ignorants ?

 

Face au mépris intellectuel dont les partisans de l’Europe accablent leurs adversaires, jusqu’à refuser le plus souvent tout débat avec eux, n’hésitons pas à le dire avec violence : il faut une rare inculture, une rare ignorance de la civilisation  et de l’histoire européennes pour croire que la machine bureaucratique installée à Bruxelles ou à Francfort pourra aboutir à quelque chose.

Il faut une absence totale de connaissance ou d’intuition de ce qu’est  la variété des tempéraments européens,  de  leurs différences charnelles, pour croire que les institutions de Bruxelles puissent en être l’émanation.

Disons-le : si nous sommes contre l’euro et la stupide bureaucratie bruxelloise ou francfurtoise, c’est que nous sommes, nous, comme l’était le général de Gaulle, les  véritables européens. J’ai d’ailleurs toujours vu plus de connaissances de la vraie culture européenne, de Shakespeare, de Schiller, de Pirandello, chez les « souverainistes » que chez les partisans de la construction européenne qui, à l’image de la bureaucratie stérile  qu’ils idolâtrent,  ne peuvent avoir qu’une culture profondément desséchée.

Hélas, ce n’est pas ainsi que fonctionnent les «citernes d’intelligence»  think tanks de tout acabit qui se chargent de réfléchir à l’économie ou à la géopolitique européenne ou mondiale. Ces officiels, à quelques exceptions près, partagent les préjugés que nous dénonçons et disqualifient dès le départ les eurocritiques (ceux qui critiquent l’Europe institutionnelle), comme des minus habens prisonniers de leurs préjugés grossiers.

Pourquoi, face à un phénomène comme la construction européenne, ce qui devrait être intelligent ne l’est pas et ce qui est supposé ne pas l’être, seul l’est ?

 

L’idéologie

 

Le mécanisme là aussi est clair pour ceux qui n’ont pas oublié l’histoire du XXe siècle : c’est le  «mécanisme idéologique », à la fois fausse science, eschatologie illusoire et  religion initiatique séculière,  qui tient pour seuls éclairés ceux qui adhèrent à ses formulations simplificatrices.

Car le propre de l’idéologie, c’est cela : simplifier la réalité, la méconnaître donc et,  en  la méconnaissant, la fausser et,  pourquoi pas, la charcuter et la détruire.  Les réglementations nombreuses de Bruxelles se résument à la déclinaison d’un seul principe simple : la réalisation d’un marché unique, normes uniques, libre circulation de tous les facteurs en prise avec un marché unique mondial. Point à la ligne. L’immense richesse accumulée par vingt cinq siècles de civilisation européenne, dont le fondement fut au contraire, la diversité proliférante, est ainsi vouée à l’arasement, comme l’agriculture russe fut arasée, avec le succès que l’on sait, par la collectivisation.

L’abolition des frontières est , dans cette logique, tenue  pour le signe du progrès avec le même aveuglement qu’au  temps des plans quinquennaux on tenait l’abolition de la propriété privée.

Les think tanks, prenons-en notre parti, ne seront pas longtemps pris au sérieux : ils ne sont en réalité que la forme éclatée de l’ancienne Académie des Sciences de l’Union soviétique où pour mériter les titres éminents qu’elle décernait, il fallait faire allégeance à la théorie, dont aujourd’hui tout le monde convient qu’elle était  absurde,  du  matérialisme dialectique.

Nous parlons des  effets  de l’idéologie : que l’Europe après quinze années de dévergondage financier provoqué par l’euro, plonge dans une récession qui pourra lui coûter la destruction de sa base industrielle, et à terme un effondrement dramatique de  son savoir-faire, est le résultat direct des politiques qui ont été menées, comme la famine fut le résultat de la collectivisation. Cette récession inquiète le monde entier : elle est le maëlstrom, le trou noir,  où pourrait s’engouffrer la prospérité mondiale.

Quelle que soit la morgue des nouveaux idéologues, n’ayons pas honte de nous-mêmes : nous  sommes les vrais partisans de l’Europe parce que nous seuls avons les clefs de sa future richesse et du maintien de sa civilisation,   nous  seuls  avons vu juste au sujet de l’euro et de tous les mythes qui sont derrière la construction européenne, nous seuls avons toujours eu et avons encore une conscience lucide de ce que fut l’Europe et de ce qu’elle doit être.

 

Roland HUREAUX

 

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:39

 

LA QUESTION  MARIAGE ENTRE PERSONES DU MÊME SEXE EST  D’ABORD UNE AFFAIRE DE RAISON

 

A Dijon, le premier ministre Jean-Marc Ayrault, défendant le projet de loi sur l’ouverture du mariage aux homosexuels, en réponse aux interventions de plusieurs évêques et d’autres autorités religieuses non catholiques, a cru bon de dire qu’ « aucune religion ne peut s’imposer à tous ».

Il témoigne ainsi d’une singulière confusion de pensée, qui n’est d’ailleurs pas absente non plus  de certaines  personnalités religieuses, car il ne s’agit pas d’abord d’une question religieuse.

A l’appui de son projet, Ayrault croit bon d’en appeler à la laïcité : "La France est une République laïque qui garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, qui respecte les convictions religieuses et philosophiques, mais aucune ne peut s'imposer à tous. Le mode de vie des Français ne peut être soumis à aucune spiritualité. »

A aucune spiritualité, non, mais à la morale universelle, à la morale laïque, oui.

Contrairement au dogme, la morale n’est nullement fondée sur le relatif (sinon les « droits de l’homme »  n’auraient aucun sens !)  Même si elle appelle un débat afin d’en préciser le contenu  - et nous ne demandons que cela ! -  la morale doit réunir  les hommes indépendamment   de leurs  croyances métaphysiques.

L’idée d’une morale qui transcende les dogmes, d’une « morale laïque »,  est issue de la loi naturelle des scolastiques. Mais la philosophie des Lumières, Voltaire en tête,  l’a fait sienne.

La  morale laïque  Jules Ferry, dans sa célèbre circulaire aux instituteurs du 18 septembre 1883, la  définit comme « cette  bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. ». Et l’illustre homme politique  républicain d’ajouter : 

« Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. »

Est-il utile de dire qu’avec le projet de mariage homosexuel, nous nous  trouvons aux antipodes de la laïcité ainsi définie ?  

On pourrait même ajouter que si un Jules Ferry, un Gambetta avaient entendu quelqu’un proposer le mariage homosexuel, ils  l’auraient sans doute expédié  à Saint-Anne !

Car par-delà la morale, il y a la raison. Le plus choquant dans un tel projet n’est pas tant  l’atteinte à  la morale, qui en a vu bien d’autres, que l’entorse au bon sens. Si une telle loi était adoptée, ne serions-nous  pas entré définitivement  dans cette déraison collective qui, au dire de Hannah Arendt, menace toutes les sociétés et dans laquelle, au gré de certains, , le système financier international serait déjà entré. 

A supposer même que l’homosexualité fasse l’objet de tolérance, ce que nous ne discutons pas, une  société libérale ne doit-elle pas se  cantonner  à ne reconnaître et   réglementer dans ses lois que ce qui est d’utilité  commune. Une fois écartée l’adoption par  les homosexuels ( que récusent non seulement des religions millénaires mais   la déjà centenaire tradition freudienne), on ne voit pas quelle utilité commune, justifierait le mariage de personnes du même sexe. Si le mariage tour court existe, c’est d’abord pour régler la filiation.

Tout cela  n’est pas une question religieuse, certes. Mais l’unanimité des grandes religions est un indice tout de même significatif d’une certaine universalité. Comme au Bas-Empire romain, l’effondrement des institutions avait amené l’Eglise à jouer un rôle de suppléance dans la gestion des cités, la déraison collective où nous fait entrer ce genre de projet  fonde les autorités religieuses à rappeler ce qui leur paraît être  la voix de la raison. En attendant  que de grandes voix laïques prennent le relais.

 

Roland HUREAUX

 

 

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:37

Article paru dans Le Figaro 

 

Dans son  discours de politique générale, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a confirmé la volonté du gouvernement d’ouvrir le mariage et l’adoption aux personnes du même sexe dès le  premier semestre de 2013.

Il n’est pas sûr   que le Français  soient prêts à cette révolution juridique autant que le laissent  penser les sondages. Si la  majorité parait indifférente, deux minorités très motivées s’affrontent. Les partisans de la réforme : une partie  des homosexuels, sans doute minoritaire parmi eux  mais très présente dans les partis politiques et les médias. Les opposants : surtout des catholiques engagés,  minorité moins influente mais probablement plus nombreuse et au moins aussi déterminée : il ne fait pas de doute que si le mariage entre personnes du même sexe n’avait pas figuré dans son programme, François Hollande aurait  gagné plus largement. Des agnostques  comme Michel Charasse sont également opposés à cette réforme au nom de la raison, ainsi que  la plupart des  adeptes des autres religions.

Certains peuvent  penser que,  face à l’ampleur des problèmes posés par la crise économique,  la question est futile.

Elle ne l’est pas : les Etats-Unis sont au bord de la guerre civile sur ce sujet.

Et pour cause : le mariage entre personne du même sexe constitue un bouleversement anthropologique de première magnitude.

 

Une  révolution anthropologique

 

La différence sexuelle  comme moteur de la vie, un moteur prodigieux et qui recèle encore bien des mystères, apparaît bien avant l’homme, dès les premiers organismes complexes,  il y a plus d’un milliard  d’années.

Dès  l’origine, les sociétés humaines ont éprouvé le besoin de régler la sexualité et surtout la procréation, sur la base d’une différence reconnue entre l’homme et la femme,  donnée plus  universelle encore que l’interdit de l’inceste.

Si l’homosexualité existe, elle  aussi,   depuis longtemps, l’idée d’un mariage entre personnes de même  sexe est en revanche absente de l’histoire, sinon sur le mode parodique (cf. la vie de Néron par Suétone).

Le mariage « unisexe » non seulement remettrait en cause cet ordre ancestral mais il  ouvrirait sans doute  la porte à d’autres remises en cause : y a-t- il une fatalité par exemple à ce que le chiffre 2 soit sacralisé, dès lors qu’il n’est plus fondé sur une symétrie ?  Sans pour autant admettre  la polygamie, ne faut-il pas ouvrir l’institution du mariage  à des communautés plus larges que le couple ? Sans qu’il soit question d’inceste, peut-on admettre que, comme c’est le cas aujourd’hui du fait du pacs, deux amis puissent se  léguer plus facilement  leurs biens que deux frères ou deux sœurs non mariés, lesquels  peuvent pourtant former une communauté tout aussi solidaire ? L’adoption homosexuelle remet en cause la  filiation, l’état-civil, demain la généalogie.  De fil en aiguille, le bouleversement de notre socle anthropologique envisagé   est  beaucoup plus ample  qu’il ne paraît.

La Constitution organise la société politique. Mais celle-ci n’est pas seulement une société d’individus, elle est aussi une société de sociétés : collectivités territoriales dont traite le  chapitre XII de la constitution, et naturellement  familles mentionnées à l’article 10 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946. 

Les lois qui régissent cette cellule de base  de la  société politique  que constitue    la famille, ont, comme les droits des individus, une dimension métapolitique. Elles ont  dès lors,  par  leur caractère fondateur, une toute autre portée que les lois ordinaires, votées à l’intérieur du cadre constitutionnel.

Les grands textes  métaconstitutionnels comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789  ou les préambules des constitutions  les plus récentes ne parlent pas des rapports de l’homme et de la femme. L’article 4  de la Déclaration des droits et devoirs de l’homme et  du citoyen du 5 fructidor  an III dit que « Nul n'est bon citoyen, s'il n'est…bon époux » mais sans préciser le sexe du partenaire. Il est vrai qu’à l’époque où ces textes furent rédigés ces choses avaient un tel caractère d’  évidence qu’une telle précision n’  apparaissait pas  nécessaire. Tel n’est plus le cas aujourd’hui.

C’est pourquoi  l‘idée commence à faire son chemin   qu’un changement aussi fondamental que   le mariage de  personnes du même sexe appelle une procédure au moins aussi solennelle que celle qui a fondé les institutions politiques, à savoir le référendum.

François Hollande, qui ne mesure peut-être pas encore l’ampleur du  bouleversement qu’il se propose d’engager, s’honorerait de prendre l’initiative d’un tel référendum, lequel  serait l’occasion d’un grand débat à même d’éclairer enfin pleinement  toutes les dimensions du sujet. 

S’il ne s’y résolvait pas, on pourrait trouver là  l’occasion de  mette en ouvre  en vraie grandeur le référendum d’initiative populaire, tel que la réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008  l’institue à l’article 11. Certes, la loi organique qui en précise les modalités n’est pas encore votée mais son défaut peut-il entraver l’exercice d’un droit désormais reconnu par la Constitution ?  Sans doute, les conditions mises à l’organisation d’un tel référendum sont-elles strictes : il doit être demandé par  un cinquième des  parlementaires et  un dixième du corps électoral (soit 4, 6 millions d’électeurs). Mais, compte tenu des passions que suscite ce sujet et surtout de son enjeu, un tel quorum  ne devrait pas être impossible à réunir.

 

Roland HUREAUX

 

 

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:35

 Publié par Liberté politique 


Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol depuis novembre 2011 est un homme sérieux, trop sérieux.

Après une victoire très large de la droite lassée d’un gouvernement  socialiste touché par la crise et qui avait totalement renié sa vocation sociale  pour appliquer les directives européennes, Rajoy avait annoncé qu’il concentrerait son action sur la gestion économique : rééquilibrer les comptes publics pour maintenir l’Espagne dans l’euro, sauver le système bancaire et si possible relancer la machine économique.

Comme si le gouvernement conservateur pouvait mieux faire sur ce sujet que le gouvernement socialiste, comme si les grands débats qui  divisaient la gauche et la droite au cours des années précédentes n’avaient pas été plutôt le mariage homosexuel, l’avortement, la mémoire de la guerre civile, tous sujets sur lesquels le socialiste Zapatero avait pris le risque de diviser gravement le pays.

Le choix de Mariano Rajoy : l’économie, rien que l’économie,  était d’autant plus audacieux, en un sens,  qu’il n’avait aucune chance de réussir sur ce terrain !  

Il ne faut pas être un grand expert  pour voir que si, à la rigueur,  la France pourrait encore survivre quelques temps dans l’euro, l’Espagne subit aujourd’hui un préjudice tellement lourd que, plus le temps  passe, plus ses chances de redressement se trouvent obérées.

Certes les taux auxquels elle  emprunte sont repassés au-dessous de la barre des 6 % , mais son endettement public, au départ  moindre que celui d’autres pays européens, y compris l’Allemagne, s’envole. La   situation des banques privées est très dégradée et la hausse des prix de revient au cours des dernières années a enlevé toute compétitivité aux produits espagnols.

Ne pouvant plus guère vendre, le pays est conduit à un taux de chômage record qui avoisine les 25 % de la population active,  50% des plus jeunes !

 

Une équation impossible

 

Toujours bon élève, Marian Rajoy a choisi de rester dans l’euro. Régler les problèmes économiques de l’Espagne et rester dans l’euro, c’est ce que les mathématiciens appellent une équation impossible.

La récession, réduisant les recettes,  empêche de rééquilibrer les comptes publics ; si les dépenses publiques sont réduites, ce que préconisent d’une seule voix Berlin, Bruxelles et Francfort, la récession s’aggravera, aggravant le chômage et réduisant encore les rentrées fiscales et, du coup, le déficit s’aggravera. L’Espagne est déjà entrée dans cette spirale récessive.

Seule une sortie de l’euro, assortie d’une dévaluation de 40  ou 50 % permettrait une issue à la crise. Dans un tel scénario,  l’effort immédiat serait certes encore plus dur : les prix importés augmenteraient et les prix intérieurs aussi,  le pouvoir d’achat des Espagnols voyageant à l’étranger se trouverait  amoindri. Mais très vite, comme il advient toujours en cas de dévaluation, l’économie repartirait, alors que dans la situation actuelle, ce redémarrage n’a aucune chance de se produire.

Ajoutons que, rétablissant  sa souveraineté sur la banque d’Espagne, le gouvernement espagnol réglerait  plus facilement le problème de ses banques commerciales  et celui de sa dette propre.

Si l’Espagne s’acharne encore  à rester dans l’euro, nul doute que toutes ses difficultés présentes s’aggraveront.

Encore quelques années de ce régime et l’Espagne perdra le bénéfice de 50 ans de croissance économique : elle se retrouvera au niveau préindustriel du début  du franquisme.

Pour une Espagne récemment industrialisée, l’Europe et l’euro ont représenté une sorte de promotion sociale. Il est donc peu probable que ce pays prenne de lui-même l’initiative d’en sortir,  alors même que c’est son intérêt le plus évident.

Néanmoins, en bon espagnol, Rajoy reste fier. Il répugne à accepter l’aide que lui proposent ses partenaires européens sachant que cela signifierait une mise en tutelle de l‘Espagne. Il a raison. Mais quel autre choix, dans la logique qui est la sienne ?

Les seuls qui trouvent leur compte à cette politique suicidaire sont les Indignés. Ce mouvement de protestation contre l’austérité imposée par les institutions européennes était parti d’Espagne. Mais il était, à ses débuts, gêné aux entournures  de trouver  en face de lui un  gouvernement de gauche, celui de Zapatero. Maintenant que la même politique impopulaire est menée par la droite, dans ce mouvement où la sensibilité progressiste  domine, les choses se remettent en ordre. Avec un gouvernement de droite, chacun est à sa place : ceux qui imposent la rigueur et ceux qui protestent !

En se concentrant sur l’économie, Rajoy avait voulu éviter de s’engager sur le terrain politiquement incorrect des questions de société ou de mémoire. Il a probablement pensé que le vent de l’histoire étant ce qu’il est, les réformes hasardeuses menées par les socialistes, comme le mariage homosexuel, ne sauraient être remises en cause, malgré les millions de personnes qui avaient manifesté contre et qui l’avaient porté au pouvoir.

Il n’est pour le moment pas question de revenir sur  le mariage homosexuel, malgré le peu de succès qu’il rencontre. Cependant un projet de loi récent tend à restreindre le droit à l’avortement (dans des proportions au demeurant très raisonnables) : l’Espagne était devenue le pays où il était le plus facile en Europe.  Peut-être  le sage Rajoy a-t-il  compris que, contrairement aux apparences, il avait plus de chances de l’emporter sur ce terrain apparemment miné que sur celui de l’économie. Et que peut-être il touchait  là, en termes de civilisation,  un enjeu plus important que le sauvetage de l’euro, entreprise aujourd’hui sans espoir.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:33

 

L’attentant de Benghazi qui a coûté la vie à l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye   est une tragédie pour lui et pour sa famille que l’on ne saurait condamner avec assez de force.

Très inquiétante est en outre la vague antiaméricaine, antioccidentale et antichrétienne qui balaye le monde musulman à la suite de  la diffusion sur la toile d’un film insignifiant mais jugé blasphématoire pour l’islam.

Sans nullement se réjouir de leur malheur , on peut cependant imaginer que ces  événements amèneront les Etats-Unis  à réviser la politique qu’ils mènent depuis des années à l’égard du monde musulman et que  l’on ne simplifie guère en disant qu’elle consiste à en soutenir de manière presque systématique les tendances les plus radicales  (quelque forme qu’elles prennent  : wahabisme, salafisme, frères musulmans)  –, au détriment de l’islam modéré, souvent laïque, et au risque de mettre en danger les minorités, notamment chrétiennes.

Cette orientation  n’est pas récente : dès 1945, le roi d’Arabie Ibn Séoud, wahabite, avait conclu un pacte, toujours en vigueur,  avec les Etats-Unis d‘Amérique, sur fond de pétrole, bien sûr, mais aussi de méfiance à l’égard des puissances européennes, Royaume-Uni et France,  encore influentes  au Proche-Orient. On peut ensuite égrener les nombreux cas où cette alliance s’est exprimée : soutien au FLN contre la France puis, plus discret, aux islamistes algériens, soutien aux Frères musulmans en Egypte, au gouvernement soudanais  en guerre contre les chrétiens avant 1990,  Afghanistan (où la création du  mouvement taliban par le Pakistan fut encouragée par les Etats-Unis en 1993) , Bosnie et Kosovo, soutien au régime turc actuel (dont les arrière-pensées islamistes sont de plus en plus transparentes), Pakistan, Indonésie, Libye. Les rebelles tchétchènes bénéficièrent de la  sympathie  constante de l’opinion  occidentale. Le drame du 11 septembre 2001 a à peine mis un bémol temporaire à cette politique.

Aujourd’hui ce soutien se manifeste  à l’égard de l’opposition syrienne, dominée comme on sait par les islamistes et dont la victoire se traduirait sans doute  par les pires représailles contre  les minorités alaouite ou chrétienne. Les régimes laïcs, Nasser hier, Saddam Hussein, Assad, furent au contraire toujours tenus en suspicion par Washington.

Ce n’est que quand ils se trouvent dans la périphérie trop proche d’Israël que les musulmans extrémistes ne bénéficient pas de ce soutien : Hezbollah, Hamas, encore que ce dernier soit tenu, à tort ou à raison,  par certains analystes,  pour une création d’Israël visant à affaiblir  l’OLP.

Dans la lignée de ce soutien, les récentes déclarations du Département d’Etat américain critiquant l’interdiction du voile en France, ingérence insupportable dans les affaires d’un pays allié et encouragement à tous ceux qui refusent l’intégration sur notre sol.

Même si aujourd’hui les Américains semblent avoir pris en grippe les chiites, c’est bien de leur aile la plus radicale que les Etats-Unis firent le jeu au travers de  l’Irangate qui sauva le régime des ayatollahs de la déroute  en 1980-88,  ou en renversant le Baath en Irak en 2003.

 

Quelle rationalité stratégique ?

 

Cette collusion pouvait se comprendre au temps de la guerre froide : l’islam représentait un allié  à la fois parce qu’il se positionnait  contre l’athéisme marxiste  et qu’il  n’était pas incompatible avec l’économie libérale.

Aujourd’hui, il faut bien dire  qu’elle apparait comme un mystère à beaucoup d’analystes qui cherchent à comprendre la rationalité stratégique des Etats-Unis. 

Les hypothèses les plus diverses sont émises : on dit que les Etats-Unis expriment là leur caractère, déjà décrit  par Tocqueville, de grande nation religieuse. On évoque les intérêts croisés des rois du pétrole texans et saoudiens. On dit que les Etats-Unis  veulent affaiblir l’Europe et la Russie sur leur flanc sud  ( et la Chine, s’agissant du soutien aux islamistes indonésiens) . On allègue qu’ils cherchent   à se faire pardonner leur soutien inconditionnel à Israël. Mais quel serait l’intérêt d’Israël à se trouver isolé au milieu d’un monde musulman fanatisé dont  toutes les minorités auraient été évacuées ? Les incidents du Sinaï consécutifs à la révolution égyptienne sont à cet égard une première alerte.

La vague d’extrémisme  qui déferle aujourd’hui  sur le monde musulman et qui touche au premier chef les diplomates américains a-t-elle des chances de ramener la grande puissance à une approche plus pragmatique des problèmes du Moyen-Orient et plus lucide des  risques  de l’islamisme ? On ne peut que le souhaiter.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

 

Le FIS (Front islamique du salut) qui perpétrait des attentats en Algérie et en France avait pu ouvrir un bureau à Washington

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:31

 

L’ancienne Afrique occidentale française  a eu,  depuis 1960,  son lot de coup d’états,  de dictatures, d’entorses aux normes démocratiques -  pas seulement dans  la Guinée de Sekou Touré, seul pays à avoir coupé les liens avec la France dès l’indépendance et où la répression fut la plus féroce . De même, les problèmes économiques y ont été et y demeurent immenses.

Mais les pays de cette zone ont bénéficié de deux grandes chances. La décolonisation y a été partout pacifique.   Depuis l’ indépendance,  dans les huit pays qui la composent, aucun drame  majeur ne s’ était produit, jusqu’à la  récente guerre civile de Côte d’Ivoire. Mais même celle-ci,   qui  a fait  environ 15 000 victimes, n’est pas  comparable aux immenses massacres qui se sont produits au Nigéria, en Sierra Leone, au Libéria pour s’en tenir aux pays anglophones de la même région.

Plus encore qu’elle ne l’a été en Côte d’Ivoire, cette relative réussite est  aujourd’hui  remise en cause par les événements du Mali (et du Niger).

En renversant Kadhafi avec l’aide  de milices islamistes, les Occidentaux ont ouvert la boite de Pandore. Les armes du dictateur, pillées, circulent largement dans  l’Afrique subsaharienne.   

Le Mali,  havre de paix exemplaire dans les quarante premières années de l’indépendance,  avait commencé d’être déstabilisé par l’irruption en 2007  dans le Sahara,  d’un soi-disant Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) qui a déjà procédé à l’enlèvement  et  à l’exécution  d’otages français et étrangers. Mais ce mouvement était resté jusqu’à une date récente  cantonné au  désert.

L’affaire s’est aggravée après la guerre de Libye.  La rébellion a désormais pris de l’ampleur au Mali, la  rébellion ethnique des Targui ( Touaregs)  doublant la  rébellion islamiste.

Celle-ci vise à imposer un islam pur et dur à  une Afrique occidentale où, l’islam,  présent depuis le Moyen Age,  s’était  largement imprégné  des traditions africaines, en particulier par le   culte des saints ( marabouts).

La destruction des tombeaux de saints à Tombouctou est d’autant plus scandaleuse que cette ville, classée par l’UNESCO au patrimoine  l’humanité  témoignait d’une civilisation africaine déjà évoluée antérieure à la colonisation. Elle démontrait que, contrairement aux allégations de Sarkozy à Dakar, l’Afrique noire n’avait pas attendu le XXe siècle pour entrer dans l’histoire.

Le Mali est gravement déstabilisé. Le Niger est menacé. Les  réfugiés maliens affluent au Burkina Faso.

Les  chrétiens  sont peu nombreux au Mali et au Niger. Ils le sont beaucoup plus   au  Burkina et au Sénégal,  et bien entendu au Nigéria. Sans avoir été  le motif officiel des conflit, le  facteur religieux était  à l’arrière-plan des guerres civiles qu’ont  connues le Nigéria,   la Côte d’Ivoire – et avec beaucoup moins de gravité,  le Sénégal. Toute la région, où chrétiens et musulmans cohabitent,  pourrait se trouver rapidement embrasée.

 

La responsabilité de la France

 

L’opinion française  a beau considérer que la Françafrique est finie et faire mine de regarder de loin ces événements, un tel embrasement apparaîtrait comme un grave échec  pour notre pays.

La Françafrique (nous entendons par ce mot l’existence de liens privilégiés entre la France, ses anciennes colonies et d’autres pays d’Afrique)  a été continuellement dénigrée depuis trente ans. Une de ses grandes réussites,  insuffisamment  connue, est pourtant d’avoir préservé une paix relative dans nos anciennes colonies.

Une étude  du Quai d’Orsay de 1997 faisait la comparaison du  nombre de victimes des guerres ( y compris les victimes collatérales : famines, épidémies, ayant causé des décès) des anciens domaines coloniaux . Cete comparaison démontrait que   les anciennes colonies françaises, malgré la guerre du Tchad, s’étaient trouvées  bien plus favorisées que les autres :

Anciennes colonies françaises :     50 000 victimes   pour 115 Mh soit      0,35/1000h  ( la population prise en compte au dénominateur était celle de 1997 )

Anciennes colonies britanniques :   2 500 000 victimes pour 315 Mh,        soit     7,9 /1000  h

Anciennes colonies belges :    2 000 000 victimes  pour   60 Mh,     soit     33   /1000  h

Anciennes colonies portugaises :     1 200 000 victimes pour  30 Mh,     soit    40  / 1000  h 

Autres pays (anciennes colonies italiennes  ou espagnole, Ethiopie, Liberia):       1 000 000 victimes  pour   73 Mh     soit    13,6  /1000  h 

 

Depuis lors, le bilan des anciennes colonies françaises s’est dégradé, du fait des guerres civiles du Congo-Brazzaville et de Côte d’Ivoire mais ces dernières n’ ont pas fait, chacune,  plus de 20 000 victimes,  à comparer avec les désastres du Soudan ( Darfour : plusieurs centaines de milliers ) et du Congo –Kinshasa( 4 millions de morts  au Kivu) .

Les pires massacres africains : Biafra,  Soudan, Ethiopie, Ouganda, Rwanda, Zaïre, Angola, Mozambique, Sierra Leone, Libéria, Guinée équatoriale ont tous eu lieu  hors   de l’ancien domaine français.  Ceux que l’on a reprochés à un Bokassa, furent, à côté, anecdotiques.

Depuis l’indépendance, les anciennes colonies françaises ont pu, en raison des accords de défense conclus avec la France, réduire a minima leurs dépenses miliaires  (environ  1 % du PIB) alors que les autres pays dépensaient entre 2 et 4 % : autant de gagné pour le développement.

Même si ces chiffres sont nécessairement approximatifs, ils expriment une tendance irrécusable.

 

Un travail de sape qui n’a jamais cessé

 

Malheureusement la « Françafrique » – une expression que l’on pourrait trouver sympathique en soi mais qui est généralement utilisée de manière péjorative, fait  l’objet depuis quelque trente ans d’un  travail de sape incessant qui a fini par atteindre  sa cible

Ceux qui ont critiqué cette collusion, selon eux malsaine, entre la France et ses anciennes colonies, se sont d’abord  fondés sur la corruption des nouveaux Etats africains.  Comme s’il n’ y en avait pas autant  dans le reste de l’Afrique,  ou même  dans le reste du monde, y compris en  Europe.   Les affaires Elf et d’autres ont montré que cette corruption pouvait gangréner la vie politique française mais, pour ce qui est de financer les campagnes électorales, l’argent de Loréal  vaudrait–il mieux que celui d’Omar Bongo ?

Ne vaut-il d’ailleurs pas mieux aimer l’argent et les femmes que de massacrer à tour de bras ? 

L’évocation insistante  de la corruption a permis de passer sous silence les bienfaits de la Françafrique  pour  les pays concernés, dont les chiffres cités plus haut témoignent clairement.

La critique  systématique des liens privilégiés entre la France et l’Afrique a paru venir  au premier  abord des milieux français anti-colonialistes et anti-néocolonialistes (une association comme Survie par exemple en a fait son fonds de commerce). Mais cette critique  a toujours eu un  large retentissement dans le monde anglo-saxon. Elle y a peut-être même son origine. La collusion jamais démentie, autour de bons sentiments hypocrites, de  l’hégémonisme américain et du gauchisme français constitue, dans les affaires africaines,  une des grandes données des quarante dernières années. Le but des Etats-Unis (au moins de certains courants  influents à Washington) était clairement l’éviction de la France de l’Afrique. Les accusations portées contre nous ont eu  d’autant plus d’impact que  nos gouvernements, tétanisés, n’ont  jamais cru devoir y répondre. Ces accusations furent    largement relayées dans la presse, y compris de droite. La plupart des africanistes universitaires ou gens de presse ont ainsi  baigné pendant des années  dans le marigot américano- gauchiste.

La critique de  la Françafrique est devenue un thème  « politiquement correct » en France même : aujourd’hui la justice  française  intente des procédures pour « bien mal acquis » à  l’encontre de  tel ou tel  chef d’Etat africain  mais quel procureur osera s’en prendre à l’émir du Qatar ?   Ces poursuites  ont entraîné une méfiance des chefs d’Etat africains à l’égard de la France. Houphouët était une personnalité du tout Paris,  mais Bongo est mort à Barcelone, et Biya se retire en Suisse.

On a aussi critiqué les interventions militaires de la France au cours des quarante dernières années, interventions qui ne furent jamais aussi nombreuses qu’  au temps de Mitterrand. Mais ces interventions militaires,  de pair avec les accords de défense,  furent globalement  un facteur  de stabilité. Et, avec le recul, il est clair que si la France n’avait pas reculé devant des interventions limitées au Rwanda (1994)  et au Kivu (1996), près de cinq millions de vies africaines eussent  été sauvées. Le travail d’intimidation avait déjà  fait son effet.

 Aujourd’hui  la France  hésite à  entreprendre des  interventions directes même là où elles  seraient éminemment  utiles.  Les bases qu’elle possédait sur  le continent africain ont été en partie fermées mais nous en construisons une à Abu Dhabi !  A  l’ heure  où les Américains font la guerre en Afghanistan , en Irak , en Libye et maintenant en Syrie, et nous y entrainent à leur suite, seules  les interventions françaises en Afrique seraient  immorales ! 

La seule manière pour le France  d’échapper à la critique  est désormais  de faire les guerres des autres mais surtout pas  les siennes ou celles de ses amis africains.  Certes, on ne  refera pas l’histoire à l’envers :  les liens entre la France et ses anciennes colonies se devaient d’évoluer . Mais faut-il que remplie de culpabilité, la France laisse  le  champ libre en Afrique subsaharienne aux Etats-Unis, à la Chine  voire à  Al Qaida ?  Faut-il qu’elle liquide les intérêts qu’elle avait sur ce continent  au moment   où il intéresse plus que jamais  les grandes puissances ?

 

 

Revenir en Afrique

 

Il  nous paraît  clair  qu’au lieu d’attiser  la guerre civile en Syrie, la France ferait  mieux de s’engager pour l’arrêter au Mali . Au lieu d’aider les islamistes les plus fanatiques à Alep, elle ferait mieux de les combattre à Tombouctou. Et l’Algérie, grande puissance  saharienne avec laquelle nos relations sont toujours restées ambiguës, dûment associée  et ménagée,  y trouverait sans doute   bien des avantages.

Hélas beaucoup de temps a déjà été perdu. AQMI était facile à détruire à ses  débuts. Depuis la guerre de Libye, le mouvement a pris de l’ampleur et ce sera beaucoup plus difficile. Si la France ne  prend pas rapidement, en concertation avec ses partenaires habituels bien entendu,  ses responsabilités dans ce  secteur où nul autre ne les  prendra   à sa place, un incendie de très grande ampleur,  pourrait éclater.  Nos dirigeants doivent le prendre pleinement en compte.

 

Roland HUREAUX

 

 

Nous rappelons que le Tchad, le pays le plus troublé, relevait de l’Afrique équatoriale française

Le rôle d’un  Patrick de Saint-Exupéry ,longtemps expert des affaires africaines au Figaro serait ainsi à éclaircir.

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:29

Article paru dans Valeurs actuelles 

 

Après des semaines d’emballement manichéen, plusieurs organes de presse expriment des doutes sur l’intérêt de l’engagement de la France au côté des rebelles syriens. Il était temps.

Dans cette affaire,  Laurent Fabius poursuit strictement la politique d’Alain Juppé,  caractérisée par un parfait  alignement sur le  Etats-Unis et  la volonté de jouer un rôle en pointe, tant à l’ONU que sur le terrain,  pour renverser le régime du président Assad. Comme s’il  fallait à tout prix que la France soit,  en avant de la meute,   le plus rapide des chiens courants. Tout cela pourquoi ?

Les droits de l’homme  ne sont, bien sûr, qu’un alibi.   La dictature de la famille Assad existe depuis 40 ans sans qu’on s’en soit jamais ému ; elle  s’était plutôt libéralisée ces derniers temps.  Des dictatures, au demeurant, il  y en a beaucoup dans le monde et  des pires, à  commencer par l’Arabie saoudite et le Qatar, nos alliés dans le conflit syrien.  Des atrocités, il y en aurait eu bien moins si la prétendue rébellion n’avait été renforcée par des éléments étrangers, notamment d’Al Qaida, dotés d’armes sophistiquées par l’OTAN et les pays arabes. Les méthodes des rebelles : pénétrer dans les quartiers centraux pour y prendre en otage la population, y contribuent particulièrement. Les  massacres  ne sont évidemment pas tous  à mettre sur le seul compte du régime.

La France aurait-elle là un intérêt particulier ? Elle avait certes reçu un mandat de   la SDN en   Syrie de 1919 à 1945. Or la  mission multiséculaire qui justifiait sa présence dans la région, était la protection des minorités chrétiennes. Reniant cette mission historique,  elle s’évertue aujourd’hui à  détruire le seul régime arabe qui les protège encore et  beaucoup fuient déjà les atrocités des  rebelles à leur encontre. Un changement de régime à Damas  signifierait l’accession au pouvoir des islamistes, et donc, comme en Irak, l’exode des deux millions de chrétiens et d’ autres minorités.

Allons  plus loin : quels  sont les intérêts d’Israël et des Etats-Unis ? Il  en existe, certes, mais aucun de décisif au point de justifier les risques ultimes. Détruire un allié de l’Iran ? Le contentieux avec l’Iran est essentiellement  nucléaire, un sujet sur lequel l’alliance syrienne n’a guère d’  impact.  Isoler le Hezbollah ? Mais faut-il mettre tout un pays à feu et à sang pour cela ? L’intérêt d’Israël est-il de voir la Syrie entre les mains des  islamistes ?   Est-il de laisser s’approcher des Lieux saints les Turcs qui les ont contrôlés pendant  700 ans et ne l’ont pas oublié ?

Quelque bon motif que l’on puisse trouver à l’intervention indirecte, et peut-être demain directe,  des Etats-Unis  et de la France dans cette affaire, aucun ne paraît à la hauteur  du risque encouru.

Ce risque est très clairement celui d’un conflit majeur avec la Russie.

 

Ne pas se méprendre sur l’attitude de Moscou

 

Avec quelle naïveté, les capitales occidentales espèrent  « contourner le véto » russe à une action du Conseil de sécurité (dont la France vient de prendre la présidence) en Syrie ! Il est vrai que  Moscou   avait  envoyé, en début de conflit, des signaux ambigus, laissant entendre par exemple que  Bachir-el-Assad n’était pas irremplaçable. Mais ce qu’on a pris pour de la modération était-il autre chose  que de la politesse diplomatique ?   Pour dissiper toute équivoque,  la Russie  adresse  depuis quelques  semaines des signaux clairs  qui montrent qu’avec l’appui de la Chine – et aussi des autres BRICs -,  elle  ne lâchera pas  le régime Assad :  envois  d’armes et de conseillers militaires, gesticulations maritimes, dernières déclarations de Poutine lui-même.

La Russie,  géographiquement proche du Proche-Orient et qui a, elle, le souci de défendre les  chrétiens orthodoxes, s’accroche très fort à sa dernière position  dans la région. Comment s’en étonner ? Le port de Tartous, sa  seule base en Méditerranée, a pour elle un caractère vital.   C’est avec beaucoup de légèreté que Washington,  Paris et Londres espèrent la faire céder.   

On ne mesure  pas par ailleurs  à quel point  l’affaire libyenne a été vécue comme une humiliation et une tromperie par les Russes et les Chinois. Ils considèrent que les Occidentaux ont largement outrepassé le mandat que l’ONU, avec leur accord, avait donné et qu’on ne les y reprendra pas.

L’acharnement  mis par Washington à vouloir à tout prix renverser le régime Asssad ne semble plus relever d’une rationalité ordinaire mais de l’hybris d’une  grande puissance irascible  qui ne supporte pas qu’on lui résiste.  Celui de la France à lui emboîter le pas est, lui,  parfaitement  incompréhensible.

Au temps de la guerre froide, on savait que la divergence des points de vue entre les deux blocs  ne devait pas laisser  place aux malentendus. Si la paix a  pu être alors  préservée, c’est que personne n’était dupe de sa propre propagande. Acceptant  leurs différences,  les uns  les autres pouvaient pratiquer le crisis control.  Le manichéisme hystérique, illustré par les récentes déclarations de Juppé, traitant l’attitude des Russes de « criminelle », le permet-il encore ?

« Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre ».  Est-ce ce qui arrive aujourd’hui  à l’Occident ?   

En poursuivant avec tant d’insistance leur offensive en Syrie  par mercenaires interposés, par des sanctions  et  par une campagne médiatique sans précédent en temps de paix, les Américains et les Français se sont mis eux-mêmes devant  le risque de n’avoir bientôt plus à choisir qu’entre une reculade humiliante et un conflit frontal  avec la Russie dont  les conséquences seraient  incalculables.

 

Roland HUREAUX

 

 

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:22

 Article paru dans Marianne2  

La révolte des étudiants du Québec contre le premier ministre libéral Jean Charest s’inscrit dans un vieux débat relatif à ce que les technocrates français appellent le « ciblage » des politiques sociales.

Le principe en est simple : pour limiter le coût de ces politiques devenu très  lourd dans la plupart des pays occidentaux, on dit : réservons en l’avantage à « ceux qui en ont le plus besoin », c’est-à-dire, les plus déshérités. Par exemple, on plafonnera les avantages familiaux (allocations familiales, quotient familial) à un certain niveau de revenu, au lieu de les distribuer à tous les enfants. Les universités seront payées à leur vrai coût, généralement très élevé, par tous les étudiants et on attribuera des bourses à ceux qui ne pourront pas payer.

On peut décliner ce principe dans la plupart des domaines : en  matière de protection sociale, le jargon en vogue distinguera la dimension « assurancielle » (les salariés contractent une assurance-maladie  normale) et une dimension « de solidarité » réservée à ceux pour qui n’auront pu cotiser. En  matère de retraite, les mêmes préconisent des retraites par capitalisation pour tous et un minimum vieillesse pour  ceux qui n’auraient pu  capitaliser assez.

Dès 1967, le célèbre rapport Nora prônait en France l’équilibre financier des services publics : chemin de fer, métro,  pour mettre fin aux subventions d’Etat qui, en comblant les déficits,  aidaient de façon indiscriminée ceux qui pouvaient payer le tarif normal et les autres.

 

La vulgate des doctrinaires libéraux

 

Depuis lors, cette logique est devenue la vulgate de tous les gouvernements libéraux de la terre et de la plupart des  organisations internationales qui poussent en faveur de la rationalité économique libérale : OCDE, Union européenne, Banque mondiale, FMI etc.

Le problème est que l’application de ces principes apparemment rationnels a  déclenché un peu partout les  remous sociaux les plus importants  des trente dernières années: dès 1987, le gouvernement Chirac fut déstabilisé par un projet de réforme qui comportait, non seulement la sélection à l’entrée aux universités mais l’augmentation des droits ( très faibles en France) assortie de plus de bourses ; les projets de réforme des allocations familiers de Juppé (1995)  et de  Jospin (1997), comportant leur allègement pour les hauts revenus sous le mode du plafonnement ou de l’imposition, provoquèrent aussi des manifestations importantes : ces projets furent abandonnés. Les projets de réformes des retraites de 1995, de 2003 et de 2010 eurent le même effet. Bien qu’ils aient été dictés  surtout par une logique démographique, ils contenaient en filigrane la menace d’une mise sous conditions de ressources des soins ou de la remise en cause des retraites par répartition.

Même en Angleterre, les plus imposantes manifestations d’étudiants qui  aient  jamais eu lieu suivirent la proposition du gouvernement Cameron en 2011 de relever sensiblement les droits d’inscription dans les universités.

Dans certains cas, des réformes inspirées par  le principe du ciblage ont pu passer, mais de manière subreptice : ainsi l’imposition des allocations familiales, non à la CSG (taxe proportionnelle universelle destinée à financer la protection sociale) mais au seul RDS (remboursement de la dette sociale, au départ marginal, aujourd’hui très lourd) en 1996. L’ancien directeur de l’Institut d’études politiques de Paris, Richard Descoings, sut  envelopper la multiplication par dix des frais de scolarité (et par cinq de son propre traitement !) sous une rhétorique avant-gardiste : de plus en en plus de cours en anglais et de moins  en moins en français, cours de gender obligatoires supposés imiter le modèle anglo-saxon.

Mais globalement, ces réformes, en dépit de leur apparence rationnelle ont échoué ; les gouvernements durent presque chaque fois  reculer. Pourquoi ? De fait les inconvénients du ciblage     sont plus nombreux que ne l’imaginent les experts aux idées courtes.

Pour ses bénéficiaires, les plus défavorisés,  l’accès aux prestations signifie la production de dossiers complexes (attestations du  revenu des parents etc.) Comme tous les systèmes bureaucratiques, ces systèmes ouvrent la porte aux tricheries.

Les « défavorisés », au lieu de bénéficier d’une prestation sociale universelle, liée à la seule citoyenneté, se voient cantonner dans le   ghetto, même s’il n’est administratif,  des « assistés » ; pour la même  raison, les zones d’éducation prioritaire faites pour aider les enfants des quartiers défavorisés en France sont très mal vues des étudiants  de ces quartiers qui les considèrent comme des zones de ségrégation. La réforme Boutin tendant à chasser du parc HLM, par des surloyers prohibitifs, ceux qui ont acquis (postérieurement à  leur entrée où les conditions de ressources sont strictes) des revenus trop élevés,  a le même effet de renforcement des ghettos.

Mais la principale victime de ces dispositifs, ce sont les classes moyennes. Dans les sociétés occidentales (surtout en Europe et dans les dominions britanniques), elles supportent l’essentiel d’une charge fiscale devenue très lourde et admettent mal que, sans aucun véritable espoir d’allègement de cette charge,  elles ne reçoivent pas en retour une partie des avantages sociaux et services publics y afférents. D’autant que les frais universitaires calculés au coût réel, sont devenus si élevés, que seuls les très riches pourront les payer sans difficultés. Beaucoup craignent de tomber dans une trappe fatale : trop pauvres pour payer les droits d’inscription,  trop riches pour avoir des bourses… mais assez pour payer des impôts. 

Ces mesures arrivent au moment où ces classes moyennes, en raison de la crise,  craignent  une dégradation du statut social de leurs enfants et admettent mal qu’une barrière financière très élevée soit mise à leur accès à  l’université.

Dans certains domaines, la discrimination selon le revenu aboutit à des effets pervers générateurs de grandes frustrations : en France, un petit salarié qui ne peut pas se payer une mutuelle n’est remboursé qu’à hauteur d’environ 60 % de ses  dépenses de santé alors qu’un chômeur sans ressources aura droit, grâce à la CMU,  à 100 %. Le premier ira au dortoir, le second aura une chambre individuelle !

On ajoutera qu’en définitive, les économies réalisées par ce genre de réformes sont faibles.

Dernier argument, peut-être le principal : la plupart du temps, le ciblage n’est que le préalable au démantèlement pur et simple de la politique sociale en cause : c’est ainsi que dans l’Europe du Sud,  la mise sous conditions de ressources des allocations familiales fut  le prélude à leur quasi-disparition avec, comme suite, un effondrement de la natalité.

De fait, on ne saurait citer un seul pays où fonctionne un système de solidarité sociale  ou de services publics strictement réservés aux plus pauvres. Les Etats-Unis  qui sont allés le plus loin dans ce sens, n’ont simplement pas  de vraie politique sociale, en particulier pas de protection universelle en matière de santé, en dépit des efforts du président Obama. Si le Canada anglophone est perméable à ce modèle,  le reste du monde occidental le refuse.

En se dressant avec détermination contre les projets de leur gouvernement tendant entre autres   à augmenter considérablement les droits universitaires, les étudiants québécois et la large fraction de la population qui les soutient montrent   leur attachement à un  modèle social qui demeure largement dominant dans le monde occidental, en particulier en Europe.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 17:20

 

Depuis la conférence de La Havane,  qui s’est tenue à  l’issue de la seconde guerre mondiale (novembre 1947-mars 1948), et qui a abouti  la création du GATT (devenu OMC  en  1995), le libre-échange a été tenu pour le dogme le plus intangible de la nouvelle organisation du monde. Non que le commerce ait été immédiatement libéralisé : pendant encore trente  années, lesquelles correspondent aux « Trente glorieuses »,   les pays membres continuèrent à se protéger, de moins en moins il est vrai.  Il fallut attendre le début des années quatre-vingt pour que les Etats aient levé entre eux  la plupart des barrières tarifaires ou contingentaires. 

Le libre-échange paraissait comme un idéal tellement évident qu’il figura, à l’intérieur et à l’extérieur, parmi les objectifs des organisations régionales comme  le Marché commun. Il  fut propagé comme un dogme par les écoles où se formait l’élite, tel l’Institut d’études politiques de Paris, tandis que se trouvait  discréditée et marginalisée   toute intervention dans le débat de  ce qu’il  aurait pu rester de protectionnistes.

Le fondement théorique de cette suprématie du libre-échange  est d’abord la célèbre loi de Ricardo  qui tend à montrer que tout pays,  quel que soit son niveau de compétitivité ou de développement,  trouvera un avantage comparatif quelque part   et que donc le développement des échanges est un avantage pour tous les partenaires, sans exception.

Mais cette loi est connue depuis presque près de deux cent ans.  Elle n’aurait pas suffi à imposer le libre-échange si la théorie économique  ne s’était doublée d’une lecture rétrospective de l’histoire  qui contribua largement à conforter le dogme.

Au motif que Mussolini et Hitler avaient décrété l’autarcie, forme exacerbée, si l’on veut,  du protectionnisme (et surtout préparation à la guerre !), on décréta que le protectionnisme, c’était le fascisme, voire le nazisme.

Le débat – ou l’absence de débat sur le libre-échange depuis 1945 ne se comprendrait pas sans cette petite musique de fond, quasi subliminale.

On retrouvait d’ailleurs là la vieille doctrine de Saint-Simon selon laquelle le  commerce  éloigne la guerre.

 

Fausses leçons d’une histoire mal connue  le XIXe siècle

 

Assimiler protectionnisme et fascisme, était pourtant  faire bon marché de ce qui s’était passé tout au long du XIXe siècle, un siècle qui vit – et cela jusqu’aux aux années trente -  le protectionnisme  accompagner tout au long, la première et la deuxième révolution industrielle.

Seule l’Angleterre tenta à partir de 1846 d’imposer au reste du monde le libre-échange:   comme elle était en avance sur les autres  pays,  elle y avait, seule, avantage. La France la suivit de 1860 à 1873, assez pour que  cette expérience inspirée de l’anglomanie  de Napoléon III et du saint-simonisme, lui laisse un goût amer.

Ensuite prévalut chez nous le protectionnisme, renforcé en matière agricole par les lois Méline de 1892.

Un commentateur dénonçait récemment le « protectionnisme maurassien », expression assez typique de l’atmosphère idéologique qui prévaut aujourd’hui à ce sujet, quoique absurde : d’abord parce que Maurras ne s’est jamais beaucoup  intéressé à l’économie, ensuite parce qu’en France, c’est la République qui fut, bien plus que l’Empire, protectionniste.

En fait, face à l’avance anglaise, toutes les grandes puissances comprirent que le seul moyen de la rattraper était d’instaurer  des barrières douanières. L’Allemagne est à cet égard un cas emblématique. Le grand économiste allemand, Friedrich List en a fait la théorie. C’est à l’abri du tarif Bismarck de 1879  que, au tournant du XXe siècle, l’Allemagne rattrape l’Angleterre,    au point  de devenir en 1914  la première puissance industrielle du continent.

Singulier contraste avec la destinée de l’Inde que rappelle Paul Bairoch : vers 1800, l’industrie allemande et l’industrie indienne sont à peu près à égalité. Mais tandis que l’Allemagne, pays souverain,   prend son essor à l’abri de protections douanières, l’Angleterre impose à l’Inde un libre-échange ruineux qui, cent ans après, avait  fait disparaitre toute industrie du sous-continent au bénéfice des importations   britanniques.

Comme l’Allemagne,  les Etats-Unis rattrapent leur retard sur l’Angleterre à l’abri de barrières douanières, au point, eux aussi,  de la dépasser. Les positions britanniques se trouvant menacées, un mouvement  protectionniste se développe dans le royaume à partir de 1895 autour de Joe Chamberlain qui propose – sans succès – de substituer le fair trade au free trade.

 .

L’entre-deux guerres et la grande dépression

 

Le régime douanier, généralement protecteur,  qui régissait les relations entre les grands pays ne fut pas  fondamentalement bouleversé après la première guerre mondiale. Mais la disparition de l’étalon-or a remis  les taux de change  à l’arbitraire des gouvernements. Ils ne tardèrent pas à voir dans ceux-ci un nouveau moyen, plus discret mais non moins  efficace,  de protéger leur économie.

C’est ce que comprirent, dès le début de la grande crise de 1929, le Royaume-Uni  et  les Etats-Unis et, pays où la culture économique fut toujours mieux diffusée que sur le continent. La livre sterling est dévaluée en 1931 et le dollar en 1933 et 1934 dans le but de rendre aux produits de ces  pays leur compétitivité.

A l’inverse, l’Allemagne  et la France, se refusent à modifier les parités. La   dévaluation leur rappelait  les désordres monétaires de l’immédiat après-guerre.  L’Allemagne était traumatisée par l’inflation galopante de 1923. Ce refus de s’aligner sur des comportements des Anglo-saxons, notamment le refus du chancelier chrétien démocrate (Zentrum), Brüning, entre 1930 et 1932, de dévaluer le mark, assorti d’  une politique de déflation féroce,  aggrava la crise en Allemagne et ne fit pas peu pour  amener Hitler au pouvoir.  Nul ne doute que si ce pays avait été un peu plus protectionniste – au moins par les  taux de change -  entre 1930 et 1933, Hitler aurait sans doute échoué.

En France, la politique de déflation destinée à défendre la valeur du franc Poincaré, si difficilement stabilisé en 1926, étouffa l’économie de notre pays. Il n’est  sorti de sa léthargie que quand le Front populaire se décida à dévaluer en 1936.

A l’encontre de ce se dit un peu partout, l’aggravation de la crise économique se produisit avant l’instauration de l’autarcie dans les régimes autoritaires. Jacques Sapir l’a montré : le protectionnisme des années trente n’a pas aggravé  la crise.  

Comment ne pas établir une comparaison entre la volonté obstinée de sauver à tout prix la monnaie qui fut celle des derniers gouvernements de la République de Weimar, au prix d’une récession aggravée, et la politique de l’euro, conduite aujourd’hui par Berlin et Bruxelles et suivie par Paris ? Aura-t-elle les mêmes conséquences ?

Contrairement au dogme idéologique propagé depuis 1945 et reçu partout sans examen, ce  n’est pas le protectionnisme qui fut, dans les années trente,  fatal à la liberté, c’est d’abord  le dogmatisme monétaire.

 

Roland HUREAUX

 

Cette loi fut formulée en 1817 dans l’ouvrage majeur de David Ricardo : Des principes de l'économie politique et de l'impôt (1817)

Le Débat, octobre 2010, page 218.

Système national d'économie politique, trad. Gallimard, 2007, préface d’Emmanuel Todd

Commerce extérieur et développement économique de l'Europe au XIX siècle. Mouton, 1976.

Jacques Sapir, Le Monde diplomatique, mars 2009, Dossier : Le protectionnisme et ses ennemis, « Ignorants ou faussaires », page 19

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